Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …
Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.
L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :
La conclusion de la nouvelle
La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement) et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.
La satire de la vie provinciale
Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…" "Cette espèce de famille royale au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "
"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.
Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !
Lecture commune (oui, je suis en retard !)