Héritières de Marie Redonnet ( Le Tripode. J’adore cette édition) regroupe trois livres parus dans les années 80 qui forment une trilogie. J’ai envie de dire un triptyque en référence aux images féminines qui naissent sous la plume de l’auteure, trois portraits de femmes qui ne sont liées ni par l’unité du lieu ou de l’époque, ni par la parenté ou l’amitié, elles ne se connaissent pas, mais sont réunies par une cohérence interne, inhérente au manque de sens de leur vie.
Ada, la propriétaire de Splendid hôtel, l’héroïne sans nom de Forever Valley et Mélie qui n’a pour nom de famille qu’un numéro dans Rose Mélie Rose sont les trois personnages que nous allons suivre d’un livre à l’autre. La première a une famille, ses deux soeurs, mais c’est pour mieux ressentir combien elles lui sont étrangères; les deux autres ont été abandonnées à la naissance et élevées par une tierce personne.
Et ces femmes sans identité vont avoir à lutter contre un environnement qui se délite, un monde qui disparaît et semble se dissoudre sous leurs pieds. Splendid Hôtel s’enfonce dans le marais à côté duquel il a été construit, Forever Valley sera englouti sous l’eau d’un barrage et l’île de Mélie est peu à peu désertée par les habitants qui partent sur le continent.
Pour ces trois femmes, et deux d’entre elles sont de très jeunes filles, qui tentent de survivre, la lutte est inégale. Elles sont la proie sexuelle de ceux qui profitent de leur simplicité et les victimes de ceux qui abusent de leur travail sans rien leur donner en échange. Et quand elles rencontrent l’amour, la mort est là, la Mort omniprésente, d’ailleurs, qui rôde autour d’elles. Malgré l’absurdité d’un monde qui paraît ne plus avoir de sens, elles s’obstinent à accomplir ce que l’on attend d’elles.. Il n’y a aucune révolte de leur part.
Vous allez dire que ces récits sont bien sombres et c’est vrai ! Mais ces personnage sont tellement attachants que l’on aime jusqu’à leur tristesse.
Le style de Marie Redonnet m’a surprise, au début, ces petites phrases courtes et sèches, cette économie de mots, cette sobriété et puis toutes ces répétitions... On comprend vite qu'elles reflètent les obsessions et les peurs des trois héroïnes qui racontent leur histoire à la première personne. Mais peu à peu le rythme de la phrase agit comme une antienne, lancinante et en même temps engourdissante, de sorte que l'on ne peut plus se libérer. J'ai lu les trois livres en une nuit. Impossible de décrocher. Dans les trois récits, l’eau sournoise, inquiétante, l’eau qui sape et qui noie envahit la conscience. On se sent englué dans ces paysages, prisonnier de ces lieux en déliquescence, enfermé dans l’échec et le manque de sens de ces vies sacrifiées.
Triste, violent, absurde, l’univers des trois romans de Marie Redonnet, oui, mais envoûtants ces paysages de brouillards et de lagunes, de ruines et de tombes abandonnées, émouvantes ces fragiles silhouettes de femmes obstinées ! Une belle lecture et qui ne peut laisser indifférent !