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lundi 5 septembre 2016

Stef Penney : La tendresse des loups


Le roman de Stef Penney La tendresse des loups commence comme un roman policier avec la découverte du  cadavre  de  Laurent Jammet, un trappeur affreusement mutilé, dans une cabane du village de Dove River en Nouvelle-Ecosse. C’est madame Ross, émigrée avec son mari des Highlands d’Ecosse, qui l’a découvert. Les envoyés de la compagnie de la Baie d’Hudson dont le jeune Donald Moody mènent l’enquête qui s’oriente vers deux suspects : Parker, un trappeur indien, qui était  en relation commerciale avec Jammet et qui est fait prisonnier, et le fils adoptif des Ross, le jeune Francis, qui a disparu le même jour. Madame Ross est persuadée de l'innocence de Francis. Elle s’inquiète pour lui et lorsque Parker qui est parvenu à s’enfuir lui demande de l’accompagner, elle n’hésite pas. Tous deux partent dans la forêt et vont affronter les dangers, les difficultés, les souffrances d’un voyage dans un pays où les grands espaces, les forêts touffues, le froid, la neige et la faim,  sont autant d’épreuves que seule l’expérience de l’indien Parker leur permet de surmonter.
 Le roman devient donc un récit d’aventure, une histoire de survie où le courage, la force morale et physique et la volonté animent des personnages au caractère bien trempé. Mais la tendresse des loups est aussi une page d’Histoire - Nous sommes en 1867 - et raconte le voyage, l’installation des émigrés écossais dans ce pays où tout est à faire, défricher, bâtir des maisons, et même donner des noms à ces lieux inhabités.
La tendresse des loups est raconté à la première personne par Mrs Ross en alternance avec des passages rapportés à la troisième personne par un autre narrateur. Nous faisons connaissance avec les autres habitants du village, comme le Pasteur Knox et sa famille, ses filles, la belle Suzanna et l’intellectuelle Maria. Les mentalités, les grandeurs et les faiblesses de ces pionniers apparaissent. Nous apprenons le fonctionnement des Compagnies qui font le commerce des fourrures, leur rivalité entre elles, leur attitude avec les indiens qu’ils poussent à boire pour assurer leur hégémonie;  d’autres thèmes apparaissent encore, la disparition déjà lointaine et mystérieuse de deux jeunes filles qui devient une sorte de légende, l’homosexualité condamnée sévèrement et qui exclut de la communauté. Et puis il y a les loups mais contre toute attente étant donné le titre, ils restent très secondaires !
Malgré tous ces aspects variés et la richesse de son propos, j’ai mis un moment à entrer dans le roman, car le récit est entièrement au présent de narration que, personnellement, je trouve un peu agressif. Le style est sec, énergique et efficace, certes, mais peu descriptif et manque de poésie surtout pour un roman parlant de la nature. Il ne m’a pas accrochée de prime abord. Et puis les personnages sont durs, à l’image du pays, et il faut le temps de les connaître pour les apprécier. Ce que j’ai fini par faire ! Progressivement,  je me suis laissée entraîner par l’histoire et sans être un coup de coeur, La tendresse des loups m’a paru un bon roman, maîtrisé, complexe et intéressant.




Stef Penney est née et a grandi à Édimbourg. Après un diplôme de philosophie et de théologie de l’université de Bristol, elle entreprend des études de cinéma. Elle a déjà écrit et réalisé deux films. La Tendresse des loups, son premier roman, a été récompensé du prestigieux prix Costa Award pour la meilleure première œuvre, ainsi que pour le meilleur roman. (10/18)











Lu pour le challenge Le Pavé de l’été de Sur mes Brizées : 600 pages éditions 10/18



mardi 1 septembre 2015

Toni Morrison : Beloved




 Toni Morrison : Prix Nobel de Littérature en 1935
Vers 1870, aux États-Unis, près de Cincinnati dans l'Ohio, le petit bourg de Bluestone Road, dresse ses fébriles demeures. L'histoire des lieux se lie au fleuve qui marquait jadis pour les esclaves en fuite la frontière où commençait la liberté. Dans l'une des maisons, quelques phénomènes étranges bouleversent la tranquillité locale : les meubles volent et les miroirs se brisent, tandis que des biscuits secs écrasés s'alignent contre une porte, des gâteaux sortent du four avec l'empreinte inquiétante d'une petite main de bébé. Sethe, la maîtresse de maison est une ancienne esclave. Dix-huit ans auparavant, dans un acte de violence et d'amour maternel, elle a égorgé son enfant pour lui épargner d'être asservi. Depuis, Sethe et ses autres enfants n'ont jamais cessé d'être hantés par la petite fille. L'arrivée d'une inconnue, Beloved, va donner à cette mère hors-la-loi, rongée par le spectre d'un infanticide tragique, l'occasion d'exorciser son passé. (Source Babelio) 
Beloved de Toni Morrison est un roman magnifique qui échappe à toute classification. Ce n’est pas à proprement parler un roman réaliste même s’il parle de toutes les humiliations, les tortures, les souffrances de l’esclavage. Les détails sont terribles, crus et sans complaisance. L'horreur des punitions, la brutalité et la violence, la privation de la liberté qui avilissent l'esclave, le ravalent au rang de la bête, forment un leitmotiv incantatoire et douloureux. Mais le style de l’écrivain transcende la souffrance des individus pour en faire un chant de douleur du peuple noir. Le lyrisme de la prose rappelle les gospels et spirituals qui accompagnaient les fugitifs dans leur recherche de la liberté tout au long du chemin de fer clandestin.
Mais, tout en soulignant le destin du peuple noir, Toni Morrison dresse des portraits individuels inoubliables; en particulier ceux de ces femmes fortes auxquels nous nous attachons comme celle de la grand mère Baby Suggs, une femme qui ne semble ne pas pouvoir plier, chef spirituel de toute la communauté mais qui, dans son immense générosité, sera victime de la mesquinerie de ses semblables. Et puis, Sethe, bien sûr, la mère courage, la mère tragique, qui sacrifie ses enfants dans un geste d’amour grandiose et fou pour leur épargner ce qu’elle a vécu. Une mère qui porte le poids du remords et de la culpabilité durant toute sa vie. Enfin, la frêle Denver qui se révèle de la même trempe que ses aïeules et qui représente peut-être l’espoir dans l’avenir. Autour de ces figures centrales gravite tout une foule de personnages qui forment une humanité étonnante parfois dans ses élans de bonté ou de cruauté mais toujours hautement colorée.
Et puis il y a la dimension fantastique du roman, la présence des morts parmi les vivants, ces esprits qui semblent appartenir à des réminiscences des croyances ancestrales africaines, un fantastique qui côtoie le réel. Mais peut-être faut-il voir ce fantôme, Beloved, comme l’incarnation de la souffrance du peuple noir? C'est peut-être pourquoi quand Beloved est enfin chassée et disparaît, l’espoir est à nouveau permis?
Un grand roman qui occupe une place à part dans la production littéraire des Etats-Unis.

Ce roman a été lu dans le cadre du blogoclub de Sylire et Lisa


Chez Titine Blog Plaisirs à cultiver

lundi 1 septembre 2014

Joyce Maynard : Les filles de l'ouragan




Les filles de l'ouragan de Joyce Maynard conte l'histoire de deux fillettes nées le même jour dans le New Hampshire dans les années 50. Signe distinctif : Elles sont "soeurs d'anniversaire"  car elles ont été conçues toutes les deux le jour du fameux ouragan qui a dévasté le pays. Un peu mince comme lien surtout pour deux enfants aussi dissemblables, vivant dans des familles si éloignées par l'esprit, les goûts et le milieu social. Les Plank sont des ruraux, conservateurs, et la mère est très religieuse et collet monté. Ils élèvent strictement mais avec attention leurs nombreuses filles. Les Dickerson sont bohêmes, déboussolés, la mère est peintre, le père est un raté, toujours en train de partir sur les routes pour placer une de ses inventions. Tous deux semblent souvent oublier jusqu'à l'existence de leurs enfants, Ray et Dana.
Dana Dickerson au physique ingrat est passionné par l'agriculture, Ruth Plank, très belle, est artiste jusqu'au bout des doigts; elle adore dessiner. Aucune affinité entre elles et pourtant la mère de Ruth tient à perpétuer ce lien avec obstination même quand les parents de Dana déménagent. Chacune va faire sa vie de son côté jusqu'au moment où va leur être révélé le secret de leur existence.

Je dis tout de suite que ce secret ne m'a pas du tout convaincue! Qu'on le devine très rapidement ne m'a pas trop gênée mais le fait qu'il repose sur la psychologie des personnages par contre oui! Les  réactions de chacun me paraissent fausses et l'intrigue invraisemblable. Je n'en dirai pas plus pour ne pas tout révéler.

Par contre j'ai aimé suivre le parallèle entre les deux personnages dont la vie est présentée sous le point de vue de Dana ou Ruth. Il s'agit d'un roman d'initiation réussi dans lequel le lecteur découvre la vie familiale parfois douloureuse de chacune, les relations avec leur père  et leur mère respectifs, leurs études, la découverte de l'amour. Les personnages sont attachants et nuancés. Le roman permet de découvrir ce qu'était la vie dans cet état d'Amérique dans les décennies 50 et suivantes. En fait le récit couvre une cinquantaine d'années. Nous explorons des milieux différents qui offrent un beau panorama social. Le contexte historique est présent avec l'assassinat de John Kennedy, la guerre du Vietnam, le mouvement hippie, le concert de Woodstock...

Une lecture agréable  que j'ai lu avec plaisir même si elle n'a pas été un coup de coeur.

A propos de Joyce Maynard on parle souvent de JD Salinger avec qui elle eut une liaison quand elle avait 18 ans. Il avait 35 ans de plus qu'elle. C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de noter l'immense différence de conception entre Les filles de l'ouragan (2012), très classique dans la forme et le style et L'attrape-coeur, (1951) ce petit brûlot littéraire inclassable, révolutionnaire par son style et ses idées, qui lui aussi traite de l'adolescence, roman qui a enthousiasmé  la génération de mes jeunes années bien qu'il ait choqué  le public par son langage cru et les thèmes traités. L'attrape-coeur reste un chef d'oeuvre de la littérature américaine toujours étudié dans les lycées. Je ne l'ai plus relu depuis la fac!

 Joyce Maynard

Nationalité : États-Unis
Né(e) à : Durham, New Hampshire , le 05/11/1953
Biographie :
Connue pour avoir fréquenté, à l'âge de dix huit, le mystérieux et mythique J. D. Salinger, Joyce Maynard est également écrivain.
Si son portrait réaliste de Salinger n'avait pas bien été reçu par la critique, ses romans, en revanche ont connu un meilleur succès. En France, sont notamment parus Prête à tout (Pocket, 1995), adapté au cinéma par Gus Van Sant, et Baby Love (Denoël, 1983).
En 2010, les éditions Philippe Rey publie Long week-end (Labor Day), comédie douce-amère sur un jeune homme et sa mère qui voient leur existence bouleversé le jour où ils sont abordés par un évadé...
Son roman To Die For (Prête à tout) est adapté au cinéma par Gus Van Sant en 1995 dans le film du même nom. Elle y raconte en la romançant l'affaire Pamela Smart (en), jeune femme qui avait séduit un adolescent de 15 ans afin qu'il assassine son mari. Il s'agit d'une affaire largement médiatisée aux États-Unis où c'est le premier procès entièrement diffusé à la télévision. 



LC dans le cadre du blogoclub et Lisa et Sylire







jeudi 19 septembre 2013

Gyles Brendeth : Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles



Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles est le premier livre d'une série policière dont le personnage principal et le détective est Oscar Wilde. Gyles Brandeth qui a concocté pour nous cette histoire est un spécialiste de l'écrivain et de l'époque victorienne. Il fait revivre avec brio et érudition ce personnage haut en couleur  ainsi que celui de Conan Doyle, de Constance Wilde, son épouse, et de son ami Robert H. Sherard  qui est devenu, par la suite, son biographe enthousiaste et inconditionnel.

Oscar Wilde découvre dans un appartement en location un jeune homme assassiné. Le meurtre semble rituel puisque le corps est disposé sur le sol, entouré de chandelles. Billy Wood,  la victime, est d'un milieu modeste et d'une grande beauté et sa mort bouleverse Wilde. Mais, le lendemain, lorsqu'il se décide à aller à voir le commissaire Fraser à Scotland Yard, le corps a disparu et aucune trace du meurtre ne subsiste. L'enquête est abandonnée avant d'avoir commencé. Oscar Wilde décide alors, aidé de son ami Robert Sherard, de tout mettre en oeuvre pour retrouver le meurtrier.

Gyles Brandeth place Robert Sherard dans le rôle du narrateur alors que devenu vieux, à la veille de la seconde guerre mondiale, il se souvient de cette affaire survenue en 1889.  Ce choix est habile  car il permet un va-et-vient entre ce que voit le jeune narrateur ignorant et ce que le narrateur âgé sait de Wilde, de son l'homosexualité, de ses rapports avec sa femme Constance, son procès, sa fin tragique et désargentée à Paris. L'un éclairant l'autre.

Plus que l'histoire policière elle-même, j'ai beaucoup apprécié  le portrait que Brandeth brosse de Wilde, un homme brillant, érudit, spirituel qui exerçait sur son entourage une véritable fascination. L'écrivain introduit avec habileté des pensées de Wilde, des extraits de son oeuvre, au cours de conversations qui paraissent prises sur le vif. Le caractère de l'écrivain victorien, ses idées sur l'esthétique, son refus de la morale dans l'art, son esprit, sa prodigalité, son dandysme,  nourrissent la lecture et suscitent un vif plaisir. La références à l'art, la littérature, l'apparition d'artistes, de peintres, de directeurs de théâtre, d'écrivains célèbres font de ce roman policier un agréable moment de lecture.

Quelques maximes d'Oscar Wilde ou qui lui sont attribuées dans le roman de Gyles Brandeth

Le mariage est aussi démoralisant que les cigarettes et bien plus coûteux.

On ne peut rien apprécier sans avoir auparavant souffert de  son excès.

J'ai des goûts simples, je ne prends que ce qu'il y a de meilleur.

Les femmes sont faites pour être aimées, non comprises. 

La caricature est l'hommage que la médiocrité paie au génie.

Vivre est la chose la plus rare au monde; Beaucoup de gens ne se contente que d'exister.

Les acteurs sont vraiment des gens heureux ; ils peuvent choisir de jouer soit la tragédie soit la comédie, de souffrir ou d’égayer, de faire rire ou de faire pleurer. Mais dans la vie réelle, c’est différent.




dimanche 1 septembre 2013

Nuala O'Faolain : On s'est déjà vu quelque part?



On s'est déjà vu quelque part? est le titre que l'écrivaine irlandaise Nuala O'Faolain a choisi pour ses Mémoires afin de devancer, dit-elle, les gens hostiles qui auraient pu dire de moi écrivant sur moi-même : pour qui se prend-elle?
Et de fait son livre a eu un succès international et elle a reçu, à sa grande surprise, de nombreux témoignages d'affection, de nombreuses lettres de personnes qui la remercient de parler d'eux-mêmes, de leurs souffrances, de ce qu'ils ont vécu, tant il est vrai que le poète a raison : quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. O insensé qui crois que je ne suis pas toi!

Et pourtant, paradoxalement, j'ai eu du mal à entrer dans ce livre et ne me je ne me suis vraiment intéressée que tardivement à ce qu'elle écrit. Je n'ai ressenti de véritable émotion que dans les derniers chapitres.
Pourquoi? Une première réponse tient à mon ignorance de l'intelligentsia irlandaise, de la société intellectuelle dublinoise. A part quelques grands auteurs ou poètes, je ne connais pas la plupart des gens qu'elle présente. Le milieu des médias forment un monde bien à part et je dois à mon inculture mon peu d'intérêt pour les faits rapportés par Nuala O' Faolain et les  gens dont elle parle. Pourtant, quand je connais les personnes dont il est question, je  suis intéressée par les portraits qu'elle présente comme celui de Hudson, en wasp, gentleman glacial et grand père rigide, portrait qui me surprend surtout lorsqu'on connaît un peu la vie du réalisateur et ses frasques alcoolisées avec son ami Boggart..
La deuxième réponse est que j'ai commis l'erreur de lire le livre en fonction de l'éducation que j'ai reçue et du pays dans lequel j'ai vécu et le personnage m'a irritée. Voilà une catholique fervente et même plus,  entièrement coincée par son éducation religieuse, mais qui couche avec des hommes mariés et même avec les maris de ses amies sans aucun état d'âme apparent; cependant elle ne peut employer le terme "amants" sans se sentir humiliée et quand elle parle de ses liaisons, elle utilise l'euphémisme : "je fréquentais". Enfin, voilà une féministe, qui dénonce l'aliénation des femmes et l'oppression terrible qu'elles subissaient à la fois de la part des hommes mais aussi de l'Eglise catholique dans l'Irlande des années soixante mais qui agit et pense en contradiction totale avec ses idées. Hypocrisie? Non! Mais souffrance et poids de l'éducation! Car peu à peu, en découvrant ce qu'elle a vécu et avec elle bien des femmes de ce pays, j'ai  mieux compris ces contradictions et j'ai fini par avoir de l'empathie avec le personnage, par comprendre sa souffrance. La manière dont elle parle de sa solitude, de son impossibilité de mener une liaison durable, de ses regrets de ne pas avoir d'enfants, est bouleversante.
Nuala O' Faolain est née à Dublin en 1940, la deuxième d'une fratrie de neuf enfants dans une famille divisée. Le père, célèbre journaliste,  inconstant, léger et irresponsable, est indifférent envers ses enfants, les délaisse et oublie même le prénom des derniers. Sa mère, une femme intelligente, lectrice assidue, humiliée par son mari, incapable d'assumer toute seule des charges aussi lourdes, sombre dans l'alcoolisme. De cette enfance, on le comprend, naît un sentiment de dévalorisation, de solitude, un vide que rien ne peut combler. Nuala est alcoolique tout comme certains membres de sa fratrie. Les enfants O' Faolain pour la plupart ne s'aiment pas!  Elle ressent un grand besoin d'être aimée pour cette raison. Féministe, elle cherche l'amour, tout en étant persuadée qu'elle ne le mérite pas, auprès d'hommes qui la font souffrir et l'humilient à l'occasion, reproduisant ainsi le schéma vécu par sa mère. Toute sa vie, elle a dû lutter pour se libérer de ce sentiment.
De plus, alors que je lui reproche ses euphémismes, son livre fait scandale dans le pays et même auprès de sa propre famille et certains de ses amis lui tournent le dos. Elle est la première à oser une dénonciation aussi franche de l'église irlandaise, de l'oppression sexuelle, du déni du corps, de l'infériorisation de la femme.* Son livre provoque une catharsis et est vécu comme une véritable libération.


*(certes, la France a la même époque avait aussi bien des progrès à faire en ce qui concerne la condition de la femme, l'égalité, la liberté sexuelle mais il n'y avait pas une telle emprise de l'église et la violence était moindre. Enfin, tout est relatif!)

Sylire et Lisa

jeudi 27 juin 2013

Kate Summerscale : L'affaire de Road Hill House

Le mois anglais de Lou et Titine

Le livre de Kate Summerscale L'affaire de Road Hill House est une lecture très intéressante. J'attendais un roman, je découvre un reportage historique selon les mots d'une journaliste, sur un meurtre commis en 1860 et analysé par une écrivaine du XXI ème siècle.

En 1860, en effet, le corps d'un petit garçon, Saville Kent, est retrouvé, la gorge tranchée. Qui a pu commettre un acte aussi barbare dans une maison qui était fermée pour la nuit et d'où l'on ne pouvait pénétrer de l'extérieur? Seul un membre de la maisonnée peut être coupable. Les soupçons se portent tour à tour sur la nurse, le père, la soeur, les domestiques… Le célèbre détective de Scotland Yard, Jack Witcher qui a réellement existé, mène l'enquête. Mais  l'affaire est passablement embrouillée…

Le roman est intéressant parce qu'il nous fait pénétrer dans l'intimité d'une famille de l'époque victorienne et révèle ainsi l'envers du décor, les atteintes à la morale sous la respectabilité, les cruautés ensevelies sous le secret, la vérité sous l'apparence. Dans un siècle où la famille est considérée comme le fondement inaltérable de la société, où le mariage est une institution sacrée, l'affaire de Road Hill House lève le voile et la réalité qu'elle reflète crée un séisme dans le pays. Kate Summerscale s'appuie sur  les archives du procès, les rapports des détectives qui se sont succédés, les articles des journaux, des documents précis qui explorent les moindres détails même ceux les plus intimes concernant la vie de la famille et de son entourage.
Les procédés policiers donnaient nécessairement dans le sordide : on mesurait les tours de poitrine, on examinait le linge de nuit en quête de sueur et de sang, on posait des questions indélicates à des jeunes femmes respectables.
Une image bien trouble de cette société apparaît dans laquelle l'homme peut non seulement pratiquer l'adultère avec la gouvernante de ses enfants mais encore reléguer sa femme à un rang subalterne, la priver de l'amour de ses enfants et la faire passer pour folle si elle le dérange dans sa vie sexuelle, un monde où la gouvernante devenue la nouvelle épouse peut privilégier ses propres enfants au détriment des premiers nés comme la marâtre des contes. Kate Sumerscale ressuscite ainsi les protagonistes de l'histoire en brossant des portraits psychologiques complexes et tourmentés où les zones d'ombre recouvrent bien trop souvent les espaces de clarté.
Un meurtre tel que celui-ci pouvait révéler ce qui avait pris forme à l'intérieur du foyer claquemuré de la classe moyenne. Il apparaissait que la famille cloîtrée, tant vantée par la société victorienne, pouvait entretenir un refoulement nocif et nauséabond des affects, un miasme tant sexuel qu'émotionnel.
En même temps, Kate Sumerscale nous fait découvrir les balbutiements des méthodes des enquêteurs, le vocabulaire qui se crée pour donner un nom à ses nouvelles formes d'investigation; elle nous fait pénétrer dans le milieu des détectives de Scotland Yard, un corps de police qui vient d'être créé et dont certains éléments, brillants, (comme Jack Witcher que Dickens admirait) vont servir de modèle à la vogue des grands détectives de l'histoire de la littérature.
Ce qui ajoute, en effet, à l'intérêt de ce reportage historique, c'est que l'écrivaine met en liaison les différents faits de cette enquête avec la littérature : Ainsi Witcher inspira à Collins le personnage du sergent Cuff, le détective de Pierre de lune, amateur de roses. La première Mrs Kent considérée comme folle est enfermée comme l'épouse de Rochester dans Jane Eyre mais peut-être ne l'est-elle pas comme La dame en blanc de Wilkie Collins? Dans Bleak House, Dickens imagine ce que ressent sir Leicester Deadlock lorsqu'on fouille son domicile, en référence avec ce qu'a dû éprouver Mr Kent, le père de Saville. Le secret de lady Audley d'Elizabeth  Braddon est directement inspiré de l'affaire de Road Hill House avec le personnage de la gouvernante ayant épousé un homme de qualité et  un assassinat brutal et mystérieux :
Ses personnages étaient fascinés par le travail du détective et, terrifiés à l'idée d'une révélation publique. L'histoire de Braddon formulait l'inquiétude et le bouleversement suscités par le meurtre de Saville Kent.
Le roman de Kate Sumerscale dresse donc à travers l'enquête policière et le mystère un  panorama de la société victorienne et de ses moeurs et un portrait réussi de personnes disparues depuis longtemps mais représentatifs de cette société; elle peint aussi d'une manière plus générale - l'affaire Saville  Kent passionnera Freud en 1907-  les tourments  et les noirceurs de l'âme humaine.

Lecture commune avec Lou, Miss Leo, Valou, Adalana, Syl, Titine

Dasola



Challenge d'Aymeline

mercredi 21 mars 2012

Toni Morrison : Tar baby




La quatrième de couverture  résume ainsi le roman de Toni Morrison : Tar Baby :
À la fin des années 70, dans l'Isle des Chevaliers aux Caraïbes, un milliardaire vit en bonne intelligence avec ses deux domestiques noirs et leur nièce, Jadine, une jeune mannequin épanouie et intégrée dans le monde des Blancs. L'arrivée d'un va-nu-pieds, Fils, incarnation d'un ange noir, bouleverse cet ordonnancement factice. Condamnée par le mensonge des apparences, Jadine va apprendre à renouer avec son héritage identitaire. À travers une histoire d'amour impossible, Toni Morrison dénonce une société oublieuse de ses racines et ouvre la voie à une mémoire collective qui comble autant qu'elle déchire.

Le résumé de la quatrième de couverture ne paraît s'intéresser qu'à une facette de l'intrigue et qu'au couple noir. Or les autres personnages du roman et le drame que l'on pressent et qui se joue entre eux me paraît important aussi. C'est pourquoi je présente ici le roman à ma manière :

Valérian Street, riche hommes d'affaires, a décidé de prendre sa retraite dans l'Isle des Chevaliers, dans les Caraïbes. Voilà qui ne convient pas à son épouse, Margaret, beaucoup plus jeune que lui, qui s'ennuie à en mourir dans ce lieu où il n'y a rien à faire loin de sa ville d'origine, Philadelphie. Entre les époux, ont lieu des joutes oratoires cruelles, où Valerian semble  abuser de son pouvoir et de la faiblesse de son épouse, une mésentente sournoise s'installe entre eux. Ce huis-clos entre le couple est orchestré par deux serviteurs noirs, Sydney et Ondine, qui sont au service du milliardaire depuis si longtemps qu'ils ont pris une incontestable autorité sur leur maître. Jadine, leur nièce à qui Street a généreusement payé des études, a échappé à sa condition sociale; elle partage la table des maîtres et l'amitié de Margaret. Mais pourquoi Ondine paraît-elle haïr Margaret? Pourquoi le fils des Street ne vient plus les voir depuis longtemps? Pourtant, Margaret est certaine que, cette année, il viendra partager leur repas de Noël.
C'est dans ce contexte tendu qu'un homme, noir, recherché par la police, s'introduit dans la propriété des Street et s'y cache. Il présente de nombreuses identités mais son  nom véritable est : Fils.

Vous aurez compris à cette double présentation que le roman de Toni Morrisson est riche et complexe, il n'y a pas un seul fil directeur, un seul angle d'approche mais plusieurs! Il y a en fait trois couples principaux (sans compter un couple de serviteurs, Thérèse et Gédéon, qui vivent dans l'île et en sont les représentants) qui ont chacun leur histoire et que Toni Morrisson prend à un moment de crise qui va être révélatrice.
Pour les vieux couples, Margaret et Valérian et Ondine et Sydney, la situation est ancienne, les non-dits entre mari et femme mais aussi entre maîtres et serviteurs se sont accumulés. L'écrivain sait jouer avec art de cette situation explosive, suscitant notre malaise devant ces griefs non formulés, ces soupçons, ces rancunes étouffées. Elle éveille notre curiosité sur les personnages : qui a tort, qui a raison? Que comprendre d'eux?
Pour le jeune couple, Jadine et Fils, c'est le début d'une histoire d'amour entre Jadine et lui, entre celle qui a coupé ses racines et celui qui y est resté attaché. Quand on se nomme Fils ce n'est pas pour rien, on reste le fils de quelqu'un ou de quelque chose.
La tension portée à son paroxysme éclatera lors du repas de Noël où en invitant ses serviteurs à sa table, Valerian va abolir les barrières et les faire céder dans une scène d'une violence verbale extraordinaire. Un moment très fort du roman!
Le livre explore aussi le thème du racisme sous toutes ces formes. Valerian emploie un homme peine dont il ne se donne pas la peine d'apprendre le nom. De toutes façons les domestiques portent tous un nom générique, Mary pour les femmes ou Journalier pour les hommes comme pour mieux nier leur personnalité. Si une domestique est renvoyée, personne ne s'aperçoit que celle qui la "remplace" est la même personne!
Morrison dénonce toutes les préjugés de race, les stéréotypes. Quand Margaret trouve Fils caché dans sa penderie, elle croit qu'il veut la violer parce qu'un noir ne peut avoir qu'une idée en tête face à une blanche! Or Fils, affamé, n'a qu'une envie, trouver à manger! Non seulement il n'a rien d'un violeur mais en plus, il préfère la noire et séduisante Jadine à la blanche et mûre Margaret! Inconcevable pour Margaret! Ce qui amuse Jadine qui remarque ironiquement que toutes les deux sont en concurrence pour un viol éventuel! Mais les noirs aussi pratiquent le racisme social. Sydney partage les préjugés de Margaret sur les noirs voleurs et violeurs, et il  pense que les noirs de Philadephie  comme lui sont supérieurs aux noirs autochtones. Ceux-ci, d'ailleurs, leur rendent bien leur mépris!

Le titre Tar Baby résume bien ce thème majeur puisque c'est le nom que les blancs donnent aux  aux petites filles noires (Tar : goudron). Tar Baby,  bien sûr, c'est Jadine qui en faisant des études et en étant mannequin monte en grade dans la société. D'où d'un impossible amour avec Fils qui refuse de jouer le jeu social et de renoncer à ses origines. Notons, cependant, que pour réussir pleinement en tant qu -e Modèle, Jadine doit repartir en France où les préjugés racistes sont moins virulents.



lundi 13 juin 2011

Chambre avec vue : Edward Forster et James Ivory avec vue sur l’Arno

 



  Rappelons que le roman de Edward Morgan Forster Avec vue sur l'Arno raconte l'histoire d'une jeune anglaise Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, accompagnée de son chaperon, sa vieille cousine célibataire Charlotte. Dans la pension de famille où elles descendent, George Emerson et son père leur cédent leur chambre avec vue sur l'Arno. C'est avec leur guide Baedeker, indispensable à toute anglaise en voyage en Italie, que les deux femmes visitent la belle cité toscane. C'est à Florence et dans sa campagne florentine que la jeune fille va éprouver ses premiers émois amoureux.

Sur les traces du film de James Ivory : Chambre avec vue




Le film de James Ivory, Chambre avec vue - adapté du roman de E.M Forster - fut pendant des années l’une des oeuvres cinématographiques  préférées de mes filles et heureusement pour moi je l'aimais beaucoup aussi car j'ai dû le voir en boucle je ne sais combien de fois!  C’est donc sur les traces de la charmante héroïne anglaise, la belle Lucy Honeychurch, en voyage à Florence, que nous avons marché lors d'un retour dans cette ville que je ne me lasse jamais de visiter. C'était en Novembre 1994*.
Places des Innocents


D’abord une visite obligée sur la place des Saints Innocents à la statue équestre de Ferdinand 1° de Médicis sous laquelle nous nous plaçons pour lancer à la cantonade comme le fait la compagne de Lucy : "Buon giorno, Buon giorno, Ferdinando! ".


Ferdinando
Le Ferdinando en question reste sourd à nos appels mais il attise notre curiosité.  Qui est-il ce Grand Duc (1519-1574) perché sur son monumental cheval au milieu de la place de la Santassima Annunziata? Il faut se plonger dans l’arbre généalogique de la famille de Médicis pour le découvrir  : fils de Cosme 1°, il fait partie de la branche de Laurent l’Ancien, collatérale à celle de son frère Cosme l’Ancien (1389-1464), ce dernier considéré par les Florentins comme le Père de la Patrie. La branche de Cosme l’Ancien porte des noms prestigieux : Laurent le Magnifique (1449-1492), le fils de ce dernier, le pape Léon X, Catherine de Médicis reine de France, épouse d’Henri II.  C’est dans la descendance de Cosme l’Ancien que naît Alexandre (1510-1537) qui sera assassiné par son cousin de la branche de Laurent l’Ancien, Lorenzino que Musset rend célèbre sous le nom de Lorenzaccio. Encore de la Littérature!
C’est clair, non? Non! Mais enfin l’amour du cinéma mène à tout et nous retenons surtout, chauvinisme oblige, que Ferdinando est l’oncle de Marie de Médicis, reine de France, épouse d’Henri IV. La vaste place, où il se dresse est splendide dans son élégante sobriété limitée par la basilique de la Sainte Annonciation et par la belle loggia de Brunelleschi qui orne l’hôpital des Innocents. Sur les arcades courent les médaillons en terre cuite bleue de della Robbia qui représentent les enfants orphelins ou abandonnés accueillis dans cet hôpital. Ces innocents qui étaient déposés subrepticement dans une "tour" à l’entrée de l’hôpital, recevaient, paraît-il, dans ces lieux, une éducation soignée, avec l’apprentissage du latin et de la musique.

Devant la Loggia della Orcagna

L'enlèvements des sabines de Jean de Bologne
C’est sur la Place du Vieux Palais della Signoria, que la jeune fille de notre film nous conduit ensuite. Là, devant la Loggia Dei Lanzi (ou della Orcagna) elle s’évanouit après avoir assisté à une rixe suivie d’un meurtre... le Persée de Benvenuto Cellini tendant vers nous la tête tranchée de la Méduse, les Sabines de Jean de Bologne se débattant dans les bras de leur ravisseur, forment l’arrière plan prestigieux de cette scène. Chaque fois que nous nous y promenons l'une de mes filles (et l'autre aussi!) se pâme en imitation de ce moment palpitant où la jeune héroïne tombe dans les bras de.... Il faut dire que c’est là qu’intervient le beau jeune homme qui prendra soin de Lucy  sur la rive de l’Arno, près du Ponte Vecchio.
Enfin une autre très belle scène nous amène à l’intérieur de la basilique Santa Crocce là où sont enterrés les grands personnages italiens, Dante, Galilée, Machiavel, Michel Ange, près de la chapelle ornée des magnifiques fresques de Giotto...

dimanche 12 juin 2011

Jane Austen : Emma

 Participer au challenge English classics me pousse non seulement à découvrir mais à relire des romans que j'avais lus il y a bien longtemps comme Emma de Jane Austen

Emma Woodhouse est une jeune fille riche, intelligente, séduisante qui vit seule avec son père depuis le mariage de sa gouvernante, Melle Taylor. Cette dernière avait remplacé la mère d'Emma, morte quand celle-ci était une enfant. Sa soeur aînée habite à Londres avec son mari et ses enfants. Emma est entourée d'un petit noyau d'amis que son père reçoit volontiers chez lui, de son beau frère M. Knightley, plus âgé qu'elle et qui la critique souvent sans qu'elle s'en laisse remontrer.
Car la grande distraction d'Emma qui se pique d'être une fine analyste des sentiments amoureux est de faire des mariages. Pour l'heure, Emma pense que le pasteur, M. Elton, est amoureux de sa meilleure amie, une jeune fille de dix sept ans, Harriet Smith, enfant naturelle, donc déclassée dans la société. Elle décide de tout mettre en oeuvre pour les amener au mariage. Inutile de dire qu'elle se trompe et que cette erreur ne sera pas la seule!
Emma, en effet, comme toutes les autres héroïnes de Jane Austen, Elizabeth de Pride and Prejudice, Marianne de Sense and sensibility, Catherine de Northanger abbey ... est dans l'erreur. Menée par l'orgueil, par la passion ou par un idéal romantique suranné, et toujours par l'ignorance, l'héroïne de Jane Austen ne peut faire l'économie d'une expérience parfois désagréable pour parvenir à y voir clair dans son coeur comme dirait la Sylvia de Marivaux.
En ce sens, les romans de Jane Austen sont tous des romans d'apprentissage où l'héroïne apprend, souvent à ses dépens, à mieux connaître la société, à être plus lucide sur ceux qui l'entourent et au terme de son histoire à découvrir la sagesse!

user1610.1274353531.jpgCependant, et c'est ce qui ne rend pas Emma très sympathique, c'est toujours au dépens des autres et non d'elle-même que notre héroïne se trompe et elle sort toujours indemne de ses erreurs. Quant elle détourne Harriet du seul homme qui l'aime vraiment, le fermier M. Martin, pour la pousser dans les bras du pasteur Elton qui n'en veut pas, la seule à en souffrir est Harriet! Le fait que cette dernière soit d'une condition inférieure, manque d'intelligence, semblable à une poupée de cire malléable, n'est pas une excuse. Le lecteur a l'impression qu'Emma manipule sa jeune amie comme une marionnette sans âme. Et les remords qu'elle  en éprouve ne la rendent pas plus lucide puisqu'elle est prête à récidiver. Elle se trompera de même à propos de Jane Fairfax et de Frank Churchill. Il lui en faudra plus pour admettre ses erreurs, à croire que l'intelligente Emma a l'esprit brouillé par la bonne opinion qu'elle a d'elle-même, par une certaine vanité et par des préjugés sociaux si fortement ancrés qu'ils l'empêchent de voir l'homme véritable sous l'appartenance sociale, les qualités d'un M. Martin, fermier, et les bassesses d'un M. Elton, pasteur, par exemple.
Jamais, d'ailleurs, Jane Austen n'avait souligné avec autant d'amertume le pouvoir de l'argent et de la hiérarchie sociale qu'elle décrit pourtant dans tous ces romans. Il n'y a pas dans Emma, l'humour piquant, caustique toujours présent qui fait le charme de Pride and prejudice, le regard amusé et attendri qu'elle porte sur la Catherine de Northanger abbey ou la compréhension attentive envers la souffrance de Marianne dans Sense and sensibility. Certes l'ironie austenienne est là. Les portraits des différents personnages tournent à la caricature comme celui de la bavarde et futile Melle Bates, de l'insuportable Mme Elton, épouse du pasteur, infatuée d'elle-même, snob, commère difficilement supportable qui cherche à régir la vie de tous. L'on  pourrait rire aussi de M. Woodhouse, un charmant vieillard, pour qui un mariage est toujours un évènement malheureux car il lui enlève les gens qu'il aime si cela ne soulignait un égoïsme forcené qui le pousse à sacrifier sa fille cadette. Bref! rien ne semble atténuer le pessimisme de l'écrivain dans ce roman.
En effet, quand Jane Austen se décide à remettre de l'ordre dans l'imbroglio sentimental créé par Emma, elle redonne à chacun la place qu'il mérite : la jeune fille bâtarde avec le fermier, le pasteur avec une femme qui a 200 mille livres de rente (une bonne affaire pour Elton mais moins que ce qu'il visait, la fortune colossale d'Emma!), Jane Fairfax modeste- mais éduquée par une famille riche- avec Frank, et Emma elle même avec M. Knightley, entre pairs, bien sûr!
Dans la société de Jane Austen, et dans ses romans, pas de miracle! On ne mélange pas les torchons avec les serviettes!
Quant à l'amour entre Emma et George Knigthley, on peut dire qu'il est bien cérébral et que la passion n'a pas l'air d'être de mise!
Qui a dit que Jane Austen était romantique?

Emma est-il un personnage symptathique ou antipathique?  Les avis sont partagés :
Voir le commentaire de Karine dans mon coin lecture
Voir aussi Wictoria dans Des Livres et des heures 
Lou dans My Lou book

mercredi 3 novembre 2010

Paul Doherty : Le combat des Reines




Dans Le combat des reines, Paul Doherty, historien anglais, place une intrigue policière dans l'Angleterre d'Edouard II pendant l'année 1308. C'est à  Mathilde de Clairebon, première dame de la reine Isabelle de France, qu'incombe le soin de résoudre l'énigme de plusieurs meurtres dus au poison ou commis dans des chambres fermées de l'intérieur. Que de mystères! Il faudra toute l'intelligence et la perspicacité de Mathilde pour découvrir l'auteur de ces violences et lever le secret de l'identité de l' Empoisonneuse qui oeuvre dans l'ombre pour le roi de France, Philippe Le Bel, ce dernier bien décidé à s'emparer de la couronne d'Angleterre.
Le lecteur est introduit dans la cour d'Angleterre au moment où les grands barons anglais se révoltent, jaloux des privilèges octroyés par Edouard II à son favori Peter Gaveston. Assiégé dans son palais de Westminster le roi doit faire face à ses adversaires anglais qui veulent la tête de son bien aimé mais menace aussi la couronne royale et aux agissements de Philippe Le Bel qui profite de la position de faiblesse de son ennemi.
L'écrivain a créé un personnage fictif, Mathilde, qui évolue dans ce contexte historique précis et bien documenté. C'est un procédé bien connu depuis le roman de Maurice Druon. Et si je pense à cette fresque historique, Les Rois Maudits, que j'avais tant aimée à sa parution, c'est parce que nous sommes transportés à la même époque mais du côté anglais. L'ordre des Templiers a été détruit et Jacques de Molay mourant sur le bûcher allumé par Philippe le Bel a prononcé sa fameuse malédiction qui pèsera sur la tête des rois de France jusqu'à la septième génération. Les templiers ont fui en Angleterre où nous les retrouvons à la faveur des aventures de Mathilde de Clairebon.
Si l'histoire policière ne m'a pas outre mesure passionnée, j'ai bien aimé le contexte historique qui nous plonge dans les intrigues houleuses de la cour d'Angleterre, ce qui permet de se remémorer avec plaisir la filiation des rois d'Angleterre, les liens avec la France. En effet, la reine douairière Marguerite, seconde épouse de Edouard 1er ( marié en première noce à Eléonore de Castille) est la soeur de Philippe le Bel comme Isabelle en est la fille. Mais Paul Doherty n'a pas les talents de conteur de Maurice Druon, l'art de faire vivre ses personnages, de nous attacher à eux. Je suis donc restée assez extérieure à ce récit.
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Edouard I      +      Eleonore de Castille (1ère épouse de Edouard I)
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Edouard II   +  Isabelle de France (fille de Philippe le Bel)
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Edouard III
fils de Edouard II et  Isabelle de France

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Marguerite de France seconde épouse d'Edouard I, soeur de Philippe Le Bel
Mère de Thomas de Brotherton et de Edmund de Woodstock, demi-frères de Edouard II
Ce personnage occupe une place importante dans le roman.

samedi 25 avril 2009

Lucia Etxebarria : Amour, Prozac et autres curiosités




Cette fois, c'est par un roman : Amour, Prozac et autres curiosités  et non par un recueil de nouvelles comme  dans Aime-moi per favor que Lucia Etxebarria traite du thème de la femme et de son aliénation dans la société actuelle. Mais, d'un livre à l'autre, c'est toujours avec la même force, pour ne pas dire violence, avec le même franchise de ton, ne s'embarrassant d'aucun tabou lorsqu'il s'agit de parler de sexe, avec la même conviction qu'elle met en scène ses personnages : ici,  trois femmes, trois soeurs.

Le roman présente tour à tour le point de vue de chacune des soeurs dont le portrait se complète par la vision que les autres ont d'elle.

Cristina, la plus jeune, la plus belle, préfère travailler dans un bar plutôt que d'être exploitée comme éternelle stagaire dans une grande entreprise. Elle multiplie les expériences sexuelles mais s'agit-il vraiment de libération? Le retour vers son enfance nous l'apprendra. Elle se drogue à l'ectasy. Rosa, l'aînée, occupe une position importante, directrice financière dans une grande société mais elle doit se montrer supérieure aux hommes pour ne pas se faire évincer. Supérieurement intelligente, cérébrale, bien habillée,  riche, mais... seule. Anna a épousé un mari qui a réussi, a un petit garçon et s'applique à être une parfaite maîtresse de maison et une bonne mère puisqu'elle a tout pour être heureuse : une maison cossue, de beaux meubles qu'il faut éviter de rayer, des rideaux qu'il faut entretenir  méticuleusement et pourtant ... elle prend des drogues légales pour dormir du style prozac ou autres curiosités... Peu à peu sous les différences, se révèlent les failles de ces trois soeurs, les blessures du passé jamais refermées, leur condition de femme dans une société de mâles qui ne leur fait pas de cadeau.

On pourrait penser en voyant ces trois personnages qu'ils forment un échantillon soigneusement choisi par l'auteur pour explorer toutes les facettes de la condition féminine... et c'est vrai!  De là à dire que le roman est trop démonstratif, il n'y a qu'un pas. Mais c'est sans compter le  talent de Etxebarria qui balaie toute critique. Cristina, Rosa, Anna ne sont pas que des idées, elles sont vivantes, complexes, inattendues. L'humour noir et grinçant du roman souligne le tragique de chacune de ces vies et finalement emporte l'adhésion du lecteur.

jeudi 5 mars 2009

Alexander McCall Smith : Mma Ramostwe, la première femme détective du Bostwana et d’Afrique!

Mma Ramostwe, c'est cette femme née de l'imagination d'Alexander McCall Smith, écrivain britannique né au Zimbabwe, qui ouvre la première (et la seule!) agence de détective du Bostwana dans la capitale de Gaborone.
Je viens de lire les trois premiers livres de la série : Mma Ramotswe détective; Les larmes de la girafe; vagues à l'âme au Bostwana.... et ma foi! je me suis laissée prendre par le charme et la fraîcheur de ces histoires qui ont surtout pour but de nous faire découvrir un pays, des coutumes et des mentalités.
Surprenant, ces romans qui vont à l'encontre de toutes les modes! Amateurs de récits violents, de psychopathes en série, vous serez déçus! Car Mma Ramostwe traite d'affaires bien ordinaires, de femmes ou de maris trompées, de pères qui exploitent leurs filles, par exemple. Ses enquêtes font penser parfois aux contes traditionnels africains où tout peut être résolu par le bon sens, l'observation, l'intuition et la bonne volonté. Parfois aussi, Precious Ratmostwe emploie des méthodes peu orthodoxes pour résoudre le problème,tout ceci narré avec humour et légèreté.
514m62vg42l_sl500_ss75_.1236266768.jpgLe  ton malicieux qui ne manque pas d'attrait est un des atouts du roman. Ainsi la grosse Mma Ratmoswe s'énorgueillit d'avoir une constitution traditionnelle africaine. Pour elle, être gros est un signe de bonne santé. C'est pourquoi, elle fait des reproches à la femme de ménage de son fiancé Mr JLB Matekoni :
Si vous le nourrissez aussi bien que vous le dites, pourquoi est-il si maigre? Quand on prend bien soin d'un homme, il engraisse. C'est comme avec le bétail. Tout le monde sait cela.
Les discussions philosophiques ou littéraires, autour d'un thé rouge, de la détective et de sa secrétaire sont souvent amusantes :
Cette Mma Bovary est bien bête! Les hommes ternes  font de très bons maris! Ils restent toujours loyaux et il n'y pas de risques qu'ils partent avec une autre.
Les personnages issus de milieu populaire sont attachants avec leur naïveté, leur bonté, leur désir de garder intacte l'âme de l'Afrique, de se préserver du matérialisme, de l'individualisme et de l'égoïsme du monde industrialisé.
Les rapports sociaux entre les gens de milieu modeste sont faits de fraternité et de solidarité : tel le fiancé de Mma Ratmostwe, Mr J.L.B. Matekoni, garagiste au grand coeur, qui ne peut résister lorsque la directrice de la ferme des orphelins le sollicite; ou encore Précious Ramotswe qui ne cesse d'accorder des promotions à sa secrétaire au lieu de la renvoyer, son agence étant au bord de la faillite.
Pourtant sous cette légèreté apparente apparaissent les réalités du pays et ses difficultés,  la pauvreté qui poussent les hommes à l'exil :
Nous faisons ainsi connaissance du père de Precious qui a travaillé dans les mines de 61oz4i1ywil_sl500_ss75_.1236266835.jpgdiamants en Afrique du Sud soumis à l'exploitation la plus totale, à des conditions de travail dangereuses, en butte au racisme des contremaîtres blancs; Il a économisé toute sa vie pour acheter un troupeau qui constituera l'héritage de sa fille et lui permettra de créer son agence. Il meurt les poumons ravagés par la poussière des mines.
Il y est question aussi de la condition de la femme que l'ardente Précious Ratmostwe défend avec véhémence même si des changements se font sentir dans le Boswana. Mma Ratmostwe a été élevée par un tante qui a voulu qu'elle soit instruite :
Il existait un parti politique auquel les femmes pouvaient adhérer, même si quelques hommes regardaient cela d'un mauvais oeil, estimant que c'était chercher des ennuis. Les femmes commençaient à parler entre elles de leur condition. Aucune ne remettant en cause l'autorité masculine...
Et certes la vie n'est pas facile pour elles : la tante de Precious a été répudiée par son mari parce qu'elle était stérile et est méprisée par les propres femmes de sa famille
Elles l'avaient traitée avec mépris parce qu'une femme abandonnée par son mari méritait presque toujours son sort.
Mma Ramotswe, veuve maintenant, a épousé un musicien alcoolique qui la battait; sa secrétaire, la brillante Mma Makutsi, sortie première de son école, n'a pu trouver de travail chez les employeurs masculins parce qu'elle était laide.
Et puis il y a aussi les difficultés inhérentes au pays comme la sècheresse. Le manque de pluie peut ruiner des exploitations tournées vers l'élevage :
Il semblait que les pluies seraient bonnes cette année, un bienfait pour lequel on priait tous. Pluies abondantes étaient synonymes d'estomacs pleins, tandis que sècheresse signifiait vaches maigres et faibles récoltes
Enfin on ne peut rester insensible à la description des paysages et à leur beauté :
Elle allait atteindre l'embranchement pour Mochudi, là où la route commençait sa descente douce vers la source du Limpopo, lorsque le soleil entama sa course au-dessus des plaines. L'espace de quelques minutes, le monde baigna dans des tons vibrants de jaune et d'or : les Kopje (collines), la panoplie des cimes des arbres, l'herbe sèche de la saison passée, au bord de la route, la poussière elle-même... Le soleil, grosse boule rouge, sembla tout d'abord suspendu à l'horizon puis il se libéra et prit son envol sur l'Afrique. Alors revinrent les couleurs naturelles du jour et Mma Ramotswe aperçut au loin les toits familiers de son enfance, et les ânes au bord de la route, et les maisons dispersées çà et là parmi les arbres.