JMG Le Clézio a écrit La Ritournelle de la faim à la mémoire de sa mère dont il raconte l'histoire. Nous faisons connaissance d'Ethel, petite fille, visitant l'exposition coloniale avec son grand-oncle, nous la voyons, écolière, avec son amie russe, Xénia, nous découvrons sa famille, d'origine mauricienne, face à la montée du nazisme et de l'antisémistisme. Puis c'est la ruine de la famille dont est responsable le père d'Ethel, Alexandre, c'est le temps des premières amours, de la guerre, de l'Occupation qui la voir partir à travers la France jusqu'à Nice où elle connaît les privations et la faim. Enfin son mariage avec Laurent et son départ pour le Canada.
Le récit court donc sur une partie de la vie d'Ethel correspondant à la première moitié du XXème siècle et à cette montée inexorable de la haine et de la violence. Il s'achève après la guerre. Il est encadré par deux textes, l'un au début du roman en guise de prologue, l'autre à la fin, deux textes nostalgiques qui laissent la parole à l'écrivain.
A l'enfant d'abord :
Je connais la faim, je l'ai ressentie. Enfant, à la fin de la guerre, je suis avec ceux qui courent sur la route à côté des camions américains...
L'autre, à l'homme mûr revenant sur les traces des victimes du nazisme, du Vel' d'Hiv', aujourd'hui disparu et celles tout aussi effacées de la jeune Ethel ...
J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans."
et qui voit dans le Boléro de Ravel l'image de cette époque terrible :
Le Boléro n'est pas une pièce de musique comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l'histoire d'une colère, d'une fin. Quand il s'achève dans la violence, le silence qui s'ensuit est terrible pour les survivants étourdis.
De beaux accents d'émotion dans ces deux textes comme sont forts aussi ces passages du roman qui décrivent l'affection et la complicité liant Ethel à son grand-oncle, leur découverte magique de la maison mauve, et le rêve commun de l'enfant et du vieillard, celui de reconstruire ce pavillon de l'Inde française achetée par l'oncle à l'exposition coloniale. Des moments saisissants aussi dans la description de Nice pendant la guerre avec ce peuple de misérables qui, tels des fantômes déchus, hantent la fin des marchés à la recherche, sous les étals, de rognures et de restes avariés.
Cependant, si j'ai aimé ces passages, mon avis est mitigé sur La Ritournelle de la Faim. Je sais que des critiques lui ont reproché une impression de déjà vu. Et certes, j'ai lu beaucoup de mémoires consacrés à cette période mais, après tout, comme le disait Pascal à propos du manque d'originalité d'un sujet : "Quand on joue à la paume, c'est d'une même balle dont se sert l'un l'autre, mais l'un la place mieux"
Non, ce qui m'a gênée, c'est l'inégalité entre ces temps forts où les personnages se construisent et vivent devant nous et d'autres que j'ai ressenti comme une rupture dans le récit : en particulier, les pages qui montrent la famille d'Ethel et rapportent sous forme de notes non rédigées les réflexions entendues par Ethel et consignées sur son carnet. Ces chapitres intitulés Conversation de salon qui reflètent les idées politiques de chacun et font allusion aux évènements sont un parti-pris de l'auteur mais elles m'ont démobilisée et peu intéressée. J'ai eu un sentiment d'inachèvement comme s'il s'agissait d'un résumé. D'autre part, les réactions du la jeune fille, les sentiments de colère ou de révolte qu'elle pourrait éprouver face à la malhonnêteté de son père, à son incompétence et sa légèreté, ne sont pas suffisamment analysés. A plusieurs reprises, on aimerait en savoir plus, pénétrer davantage dans son intimité. J'ai eu l'impression que l'auteur ne s'était pas toujours impliqué, qu'il était resté en surface, gêné par la réalité du personnage et s'interdisant de faire appel à son imagination pour suppléer aux lacunes de la biographie. C'est pourquoi, je n'ai pas ressenti une émotion soutenue et mon attention s'est parfois relâchée.
Ainsi si certains passages ont une force et une émotion incontestables, d'autres m'ont parfois déçue.