Maudit Allende de Olivier Bras et Jorge Gonzales est une bande dessinée dont le titre m’étonne dès le début, moi qui ai toujours pensé à Allende comme à un homme courageux, un président élu par son peuple, assassiné par la junte militaire aux ordres des Etats-Unis et de Nixon-Kissinger. Un adversaire du capitalisme américain.
Maudit Allende ? A moins que cela soit tout simplement une antiphrase ?
Mais non ! Allende est maudit aux yeux des parents du jeune Léo qui ont préféré s’exiler en Afrique du Sud lorsque celui-ci est porté au pouvoir. Il est maudit aux yeux des bourgeois chiliens, des riches propriétaires, parce qu’il a voulu partager les terres, nationaliser les mines, redistribuer les richesses, apporter plus de justice sociale.
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Allende promet de nationaliser les mines et de donner un salaire décent aux mineurs |
Léo qui ne connaît pas son pays ne s’est pas trop posé de questions pendant toute son enfance sauf lors d’une visite d’un cousin de son père qui déplore qu’Allende ait été trahi par Pinochet. Il lui laisse, caché dans un livre, le discours de Salvador Allende du 11 septembre 1973, jour où le palais de la Moneda a été bombardé et où le président s’est donné la mort.
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bombardement et incendie du palais de la Moneda : 11 septembre 1973 |
Devenu adulte, le jeune homme, cherche à se faire une idée sur ce qui s’est passé. Dans un parallèle, la BD retrace le vie des deux hommes, Allende et Pinochet, de leur enfance à la mort d’Allende et à la prise de pouvoir de Pinochet avec la répression sanglante qui suivit.
Revenu au Chili, Léo accompagné de Victoria, sa fiancée, journaliste, enquête sur les tortures, les disparitions, les assassinats dont s’est rendu coupable le gouvernement de Pinochet. Léo est encore au Chili quand il assiste le 3 mars 2000 au retour de Pinochet arrêté en Angleterre en 1998, renvoyé dans son pays prétendument pour des raisons de santé. Et il voit l’homme assis sur un fauteuil roulant se lever, offrir un sourire triomphal à la presse, saluer ses proches…
« Ses partisans se sont rassemblés dans le centre de Santiago, aux alentours de l’hôpital militaire. Ils s’amusent du mauvais tour joué par Pinochet pour échapper aux Européens. »
Au moment de son départ, il entend la confession d’un chauffeur de taxi qui faisait son service militaire au moment des faits et qui avoue avoir reçu l’ordre de transporter des cadavres dans une ambulance pour les jeter dans la rivière Mapocho à Santiago.
« Ces cadavres me hantent. Je vis avec la peur d'être un jour poursuivi pour tout cela. Mais j'avais besoin de pouvoir le raconter enfin".
Après cela, Léo a compris qui était Pinochet ! Mais quand il écrit à ses parents restés en Afrique du sud, on dirait bien qu’il s’en lave les mains :
« Les deux camps restaient irréconciliables, trente ans après le coup d’état. Et je ne me voyais pas vivre dans un pays incapable de partager cette histoire commune».
Que dire de cette BD ? Les évènements paraissent racontés parfois de manière superficielle; tout est survolé. Ce à quoi il fallait s’attendre. Comment résumer trente années de cette tragique histoire en quelques pages ? J'ai eu parfois une impression de décousu et de fouillis à la fois dans le dessin et le récit. Tout est flou comme les belles et glaçantes peintures aux coloris sombres de Jorge Gonzalès, qui baignent dans le brouillard.
Et la conclusion ? Veut-on ménager les deux parties dans ce désir de monter les défauts de l’un et de l’autre ? Est-ce par souci d’impartialité ? Mais comment rester sans réaction face à à un coup d'état qui usurpe un pouvoir légitime, une Junte militaire appuyée par les Etats-Unis qui torture et supprime ses opposants ? Comment croire à la réconciliation alors qu’il y a toujours des victimes qui n'ont pas été retrouvées au Chili, toujours des familles qui ne savent pas ce que sont devenus les leurs ? Alors qu'il y a toujours des bourreaux qui échappent à la justice. J’avoue que je n’ai pas trop su comment recevoir ce récit et j'ai trouvé cette conclusion difficile à interpréter.
Lettre à Kissinger : Julos Beaucarne
Kissinger avec Nixon ont encouragé et soutenu le coup d'état du 11 septembre 1973. Le socialiste Allende et ses réformes gênent les Etats-Unis, alors on s'en débarrasse en s'appuyant sur l'armée.
Kissinger déclare :
"Je ne vois pas pourquoi nous devons rester les bras croisés et regarder un pays devenir communiste en raison de l'irresponsabilité de sa population". "Ces questions sont bien trop importantes pour que les électeurs chiliens puissent décider eux-mêmes."
Julos Beaucarne dans cette chanson en forme de lettre fait allusion au chanteur populaire chilien Jara emprisonné avec des milliers d'opposants au coup d'état fasciste à l'Estadio Chile (aujourd'hui nommé stade Víctor Jara en mémoire de son martyre) puis à l'Estadio Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors sur Santiago. (wikipédia ici). Il apparaît dans cette BD.
(* Kissinger, prix Nobel de la paix, il sera aussi poursuivi par plusieurs tribunaux comme criminel de guerre ! )
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Jara |
Challenge Littérature Chilienne che Je lis Je blogue
J'veux te raconter Kissinger
L'histoire d'un de mes amis
Son nom ne te dira rien
Il était chanteur au Chili
Ça se passait dans un grand stade
On avait amené une table
Mon ami qui s'appelait Jara
Fut amené tout près de là
On lui fit mettre la main gauche
Sur la table et un officier
D'un seul coup avec une hache
Les doigts de la gauche a tranché
D'un autre coup il sectionna
Les doigts de la dextre et Jara
Tomba tout son sang giclait
6000 prisonniers criaient
L'officier déposa la hache
Il s'appelait p't'être Kissinger
Il piétina Victor Jara
Chante, dit-il, tu es moins fier
Levant les mains vides des doigts
Qui pinçaient hier la guitare
Jara se releva doucement
Faisant plaisir au commandant
Il entonna l'hymne de l'U
De l'unité populaire
Repris par les 6000 voix
Des prisonniers de cet enfer
Une rafale de mitraillette
Abattit alors mon ami
Celui qui a pointé son arme
S'appelait peut-être Kissinger
Cette histoire que j'ai racontée
Kissinger ne se passait pas
En 42 mais hier
En septembre septante trois