Le hasard des recherches sur les étagères de la médiathèque Ceccano a voulu que je trouve coup sur coup deux livres consacrés aux amérindiens. L’un de Louise Aldrich Celui qui veille qui se passe dans le Nord Nevada ICI; l’autre d’une écrivaine canadienne Katherena Vermette Les femmes du North End qui se déroule à Winnipeg, la capitale du Manitoba, et dont c’est le premier livre.
North End est un quartier de Winnipeg jadis réservé aux immigrants qui y ont construit de belles maisons avant que s’y installent les autochtones, autrement dit la classe sociale la plus défavorisée de la population canadienne, bien au-dessous des ouvriers, un quartier pauvre où vivent « des familles nombreuses, des gens bien, mais aussi des gangs, des prostituées, des drogués, et toutes ces grands et magnifiques maisons s’affaissent et fatiguent à l’image des vieilles personnes qui vivent encore à l’intérieur ».
Si vous prenez le temps de regarder la carte satellite de Winnipeg, la description des lieux est si précise que vous y retrouvez la fameuse « brèche » dont parle l’écrivaine -le titre anglais est "The break"- avec les pylônes à haute tension :
Les grands pylônes métalliques de la compagnie Hydro ont dû être installés plus tard. Immenses et gris, ils se dressent de chaque côté de ce terrain, soutenant deux câbles lisses et argentés qui s’élèvent au-dessus de la plus haute maison. Ils se succèdent sur deux cents mètres environ entre et encore, filant loin vers le Nord. Et ils vont peut-être même jusqu’au lac. Quand ma Stella et sa famille ont emménagé près d’ci, Mattie, sa petite fille, les a surnommés les « robots », un nom très bien trouvé.
C’est que ce quartier est le sujet du roman, en quelque sorte, puisque les lieux participent au drame qui va se jouer et témoignent du déterminisme social qui est aussi racial. Le racisme quotidien marque les amérindiens d’une manière indélébile et concerne aussi les métis si bien qu’il est très difficile d’y échapper. Même les mariages mixtes sont un échec, car, quelque part et peut-être même inconsciemment, celui des deux qui n’est pas indien se sent supérieur. C’est ce qui se passe pour Tommy, le jeune policier métis.
Comme le titre français le précise, c’est par les femmes d’une même famille que Katherena Vermette aborde le récit. De la Kookom, la grand-mère Flora, à ses filles Cheryl et Lorraine, ses petites-filles Louisa, Paulina, Stella et arrière-petite fille Emily.*
Emily n’a jamais embrassé un garçon. Romantique, elle est amoureuse de Clayton et accepte son invitation pour une fête. Elle y entraîne son amie Ziggy et leur intrusion qui provoque la jalousie d’une autre fille, dans un système de gangs qu’elles connaissent mal, va dégénérer en violence. Les fillettes se retrouvent à l’hôpital, Emily, gravement blessée. Une enquête est ouverte mais entravée par la peur des représailles, les victimes comme les témoins se murent dans le silence.
Le récit explore les conséquences de cette violence tout en décrivant les conditions de vie difficiles de ces femmes, leurs liens entre elles, leurs deuils, leur colère, leur sentiment de culpabilité, leurs relations perturbantes avec des hommes qui ne supportent pas les contraintes de la paternité et se dérobent, ou qui sont alcooliques et violents. Elles décrivent aussi leur courage et la solidarité qui les unit entre elles, l’importance de la famille. Les traditions, les mentalités des indiens qui sont conservés dans un monde qui cherche à les exclure contribuent à ce lien très fort qui les empêche de sombrer dans le désespoir. L’amour qu’elles se portent permet de vaincre la dureté de leur existence et, parfois, aussi, la rencontre d’un homme différent, aimant, qui paraît être un miracle et que l’on peine à croire sincère.
Un bon roman qui présente de beaux portraits de femmes et qui finit par l’espoir, malgré la noirceur du sujet.
On est connes mais on n’est pas foutues » lâche Paulina en brisant le silence. Et elle ajoute, avant même que sa mère lui pose la question : « Je vais renoncer à être désespérée. Ou du moins, je vais essayer de garder espoir le plus possible. »
- C’est une très bonne résolution, dit Chéryl.
- On pourrait bien tous s’en inspirer, ajoute Rita. S’en souvenir. »
*Il m’a paru difficile d’entrer dans toutes cette filiation avant de m’apercevoir que l’auteur avait pris la peine de dresser une arbre généalogique qui aide bien ! Ne faites pas comme moi, ne le ratez pas!