Le titre Les adversaires de l’auteur canadien Michael Crummey donne le ton du roman : Il s’agit bien, en effet, d’un combat impitoyable, celui que mènent Abe Strapp et la Veuve Caines, les deux propriétaires d’importantes pêcheries dans le village de Mockebeggar sur l’île de Terre-Neuve et sur la côte. Qu’ils soient frère et soeur ne diminue pas leur haine réciproque ni les coups bas qu’ils sont prêts à porter si l’occasion s’en présente. Le livre s’ouvre sur un chapitre étonnant où la Veuve Caines empêche le mariage de son abruti de frère avec une pauvre fille de quatorze ans et si l’on s’en réjouit pour la petite, on verra bien vite que la Veuve Caine n’est guidée par aucun altruisme.
Abbe est un imbécile, incapable de réfléchir, de se concentrer, incapable de gérer l’entreprise dont il a hérité par son père. Il dilapiderait bien vite sa fortune si son parrain Clinch, le Sacristain de l'église protestante, ne veillait au grain. Abe Strapp est orgueilleux et susceptible, grossier, vulgaire, dépravé, misogyne, violeur, patron d’une maison close, meurtrier quand il lui plaît. Et c’est pourtant lui qui va devenir juge de paix et dominer par la peur, la menace de la corde et les châtiments physiques tous les habitants de la région. La Veuve Caines est incontestablement intelligente, réfléchie, instruite, artiste, et aussi froide, sèche, égoïste, calculatrice mais elle doit faire avec l’infériorité sociale que lui confère son appartenance au sexe « faible ». C’est peut-être pour cela qu’à la mort de son mari, elle s’habille avec des vêtements masculins, tenue qu’elle ne quittera pas. A la limite, entre deux maux, je suis sûre que, s’il le fallait, n’importe quel lecteur préfèrerait la Veuve ! Mais le choix serait-il judicieux ? QUI de l’un ou de l’autre va l’emporter ? Qui est le plus dangereux ?
Et puis, il y a les enfants auxquels on s’attache, Seulemonde et sa soeur Bride dont le père est tué par Abe et qui travaillent tous deux chez la Veuve. Le jeune garçon admire la Veuve et lui voue un véritable culte, Bride se méfie d’elle. Lazare, un jeune délinquant qui a eu une enfance malheureuse, découvre l’affection et la foi dans une famille Quaker. Dominique, un petit noir haïtien cherche la liberté.
Le roman décrit la vie dans cette île de Terre-Neuve, rythmée par le travail lié à la pêche, le départ des flottilles, leur retour avec les cales pleines de morues, les saloirs, le séchage, la dureté de cette vie et la pauvreté. Le froid intense, la glace paralysent toute vie l’hiver, les tempêtes emportent tout sur leur passage, les épidémies font rage et lorsque la pénurie s’installe, quand la pêche ne donne plus, la misère s’exacerbe. Et ces côtes ne sont pas, de plus, épargnées par les flibustiers assez inénarrables eux aussi ! C’est une époque où les enfants travaillent comme des adultes, où les filles sont mariées à onze ans, où elles meurent en couches à quinze ans.
Tout ceci compose un roman noir, rude, terrible, mais captivant, parfois truculent avec l’installation d’un bordel tenue par une mère maquerelle surnommée L’Abbesse, personnage hors du commun. C’est brillant et passionnant et le dénouement est à l’image de ce qui précède.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.