Pages

Affichage des articles dont le libellé est Forêts de Wajdi Mouawad. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Forêts de Wajdi Mouawad. Afficher tous les articles

mercredi 29 avril 2009

Festival d’Avignon 2009 : Wajdi Mouawad : Forêts

Wajdi Mouawad est l'auteur invité du Festival d'Avignon 2009. Libanais, Wajdi Mouawad a dû quitter son pays; il vit maintenant au Canada. Il fait des études à l'Ecole nationale de théâtre du Canada où il étudie les arts du spectacle.
Sa première pièce s'intitule Alphonse en 1996 suivi par Les mains d'Edwige au moment de sa naissance en 1999. Inspiré par les thèmes de la guerre, de la mémoire et de la filiation, Wajdi Mouawad publie et met en scène ses propres textes Littoral (1999)Incendies (2003) et  Forêts (2OO6). Il est aussi l'auteur de Rêves (2002) Assoiffés (2007) Le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face (2008). En 2005, il refuse le Molière du meilleur auteur francophone qui devait lui être décerné pour dénoncer le travail de certains directeurs de théâtre qui négligent la lecture des manuscrits et qui, en ce sens, ne s'impliquent pas dans la promotion des jeunes dramaturges.
L'auteur fonde deux compagnies avec Emmanuel Schwartz : au Québec, la compagnie Abé Carré Cé Carré ; en France, la compagnie Au Carré de l'hypoténuse. Il écrit aussi son premier roman intitulé Visage retrouvé et tourne l'adaptation cinématographique de Littoral. En 2008, il interprète Seuls au Festival d'Avignon.
Pour le festival d'Avignon,  en 2009,   il présentera  son quatuor  Le Sang des promesses au parc des expositions de Châteaublanc  : Littoral, Incendies, Forêts  et créera Ciels dans la cour d'Honneur du Palais des papes.
Forêts
Forêts est un texte riche, foisonnant et complexe. Il est donc difficile de  résumer la pièce  sans laisser de côté certains aspects ou ramifications. Je m'y essaie pourtant.
Loup, une jeune fille de seize ans vient de perdre sa mère, Aimée, morte d'un cancer. Celle-ci a refusé de se  soigner car il lui aurait fallu avorter et sacrifier son bébé; c'est une lourde responsabilité pour Loup. Commence alors pour elle une quête qui lui permet de remonter dans le passé et de retrouver la filiation qui - de mère en fille - relie les membres de sa famille aux plus sombres périodes de notre siècle, de la guerre de 1914 aux horreurs des camps nazis, à la tragédie du 6 Décembre 1989 qui s'est déroulée à l'université polytechnique de Montréal où un tireur fou a tué quatorze jeunes étudiantes.
Avec un paléontoloque, Douglas Dupontel, lui-même victime du devoir de mémoire, elle découvre la fatalité qui pèse sur les femmes de sa famille coupables d'une génération à l'autre d'abandon de leur enfant, les atrocités qui ont eu lieu dans le monde mais aussi chez les siens. Le but de cette quête est essentielle pour Loup :  il ne s'agit de rien de moins que  de briser la fatalité, de trouver "un talisman contre le malheur" et d'accepter la vie :
 Maman,
 Tu m'offres le monde
et le monde est grand
Mais puisque tu as choisi de me le donner
Je choisis de le prendre!
La narration est complexe car toutes les époques se chevauchent, les personnages du passé  faisant  irruption dans le présent ou dans le présent du passé ou...
Les thèmes sont nombreux, on le voit :   l'horreur de la guerre, la dénonciation du nazisme et de l'holocauste, le devoir de mémoire, la responsabilité de l'homme qui transforme l'univers en enfer, la culpabilité, l'enfance abandonnée, l'autorité abusive du père qui impose son rêve à ses enfants... Les grands mythes fondateurs sont aussi explorés : le regret du paradis perdu et impossible à faire renaître, les Atrides, l'inceste et l'Oedipe.
Et les dominant tous le  thème de la  filiation qui souligne ce paradoxe : pour vivre il faut à la fois lever le secret de son origine (la quête de Loup) car l'on ne  peut  sans cela être un être complet et se libérer de la prison familiale pour découvir le monde de ses propres yeux au risque de tomber en Enfer .. (Edmond le Girafon)
La langue est belle, inspirée, ouvrant une vision sur l'extérieur, sur les grands espaces canadiens, laissant le froid et la neige venir jusqu'à nous :
Douglas Dupont : Tout ça qui est là-bas et qui va jusqu'au trait du ciel, c'est le fleuve Saint-Laurent ?
Achille : Ici, en Gaspésie on appelle fleuve ce qu'ailleurs on appelle océan. Les gens ont le coeur gros par ici. L'espace ça aide à contenir les peines et les colères.
Le comique  côtoie souvent le tragique  :
Douglas Dupontel :  Ecoutez le mieux, c'est de m'envoyer ça à mon adresse internet. Oui? Je vous la donne: animaquaenobiscumdegunt arobase museepaleontologiecomparée trait d'union paris trait d'union direction point general point fr.
(...)
Dougla Dupontel : Non, non, animaquaenobiscumdegunt ça signifie animaux domestiques en latin .. quand on comprend ce n'est pas compliqué.. je vous épelle : a..n..i..
Loup : Donnez-lui mon adresse à moi ça va être plus simple, avec une affaire de même on sera encore ici l'année prochaine jusqu'à Pâques, jusqu'à Noël puis le Nouvel An.
(...)
Douglas Dupontel : on va vous donner un autre mail.
Loup : Toutemecoeuretoutemefaitchier arobase hotmail point com pas d'accent pas d'apostrophe.
J'aime beaucoup le personnage de Loup qui apporte sa fraîcheur et sa sensibilité  à toute cette noirceur. Entre révolte et angoisse, avec son vocabulaire d'adolescente, on va la voir peu à peu se transformer pour atteindre la compréhension et la maturité :
Douglas D :  De quoi avez-vous si peur, Loup?
Loup : J'ai peur de ne pas trouver ma place dans le monde. C'est important, ça, de trouver sa place dans le monde quand on a seize ans, non?
Douglas D : Vous avez le temps, vous êtes jeune!
 Loup : Non, je n'ai pas le temps et je ne suis pas jeune! Ya rien de plus niaiseux de plus épais de plus cave qu'un jeune qui dit de lui qu'il est jeune! Ca veut dire qu'il est déjà mort. Moi, je veux tout, tout de suite et que ce soit beau, grand, magnifique et bouleversant et clair...
Un vrai texte littéraire, donc, qui procure le plaisir de la lecture. Après, bien sûr, il faut le voir au théâtre car il n'existera complètement que par cette interprétation, cette transformation ou maturation que va lui donner la mise en scène.