Faire danser les alligators sur la flûte de pan c'est ce que Louis-Ferdinand Destouches dit Céline se sent capable de faire par son écriture, un labeur harassant qui lui donne l'impression de chercher à se frayer un chemin dans la jungle à grands coups de machette : faire passer le langage oral et populaire à l'écrit, en travaillant le rythme, en tordant les phrases, les mots pour donner l'impression de la facilité, du vécu, du réel, alors qu'il s'agit d'une exigence absolue du style, d'un don de soi épuisant et douloureux! Encore que de la littérature, Céline, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'en méfie, qu'il la vomit, la littérature; pour lui ce qui compte c'est l'émotion, la sincérité, le texte direct qui vous prend au corps, qui vous terrasse.
Composé à partir de la correspondance de Céline ce spectacle propose un habile et intelligent montage de textes réalisé par Emile Brami qui nous fait découvrir l'écrivain mais pas seulement... Le mérite de la pièce, c'est de présenter l'homme en entier avec ce qu'il a de haïssable, son racisme, son antisémitisme, sa misanthropie, ses haines… mais aussi ses souffrances, ses arrachements, ce désespoir. Céline passe tout par le collimateur de sa détestation : son antimilitarisme liée à son horreur de la guerre, son rejet de la sottise des hommes, de leur lâcheté, de leur corruption, de leurs ambitions, son horreur du communisme après un voyage en Russie… On comprend cette mise au ban totale de la société qui fait que son génie littéraire n'est pas reconnu, qu'on lui préfère pour le prix Goncourt un écrivain oublié de nos jours, que sa mort n'est annoncée que plusieurs jours après et encore avec embarras à la radio…
La vie de Céline est donc tragique et Denis Lavant, interprète extraordinaire qui se coule dans la peau du personnage au point de faire oublier l'original, sait rester en équilibre entre émotion et comique, par exemple quand Céline passe en revue les écrivains qu'il n'aime pas! Une galerie hilarante de portraits assaisonnés à la verve célinienne qui n'est pas sans rappeler la prolixité et la saveur des mots rabelaisiens mais au XXème siècle!
La mise en scène qui nous tient en haleine et l'interprétation éblouissante de Denis Lavant font de ce spectacle un grand moment du Off.
Faire danser les alligators sur la flûte de pan
Le chêne Noir 20H15 jusqu'u 27 Juillet relâche le 2& juillet
Avec l’autorisation des Éditions Gallimard
Adaptation Émile Brami
Mise en scène Ivan Morane
Avec Denis Lavant
Lumières Nicolas Simonin
Décor et costumes Émilie Jouve
Le pôle diffusion en accord avec Réalités/Compagnie Ivan Morane
Production déléguée Réalités/Cie Ivan Morane - Jean-Charles Mouveaux
Spectacle SNES
Coréalisation Théâtre du Chêne Noir
chez Eimelle