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dimanche 3 décembre 2017

Philippe Jaenada : La serpe



Qu’est-ce qui peut provoquer une telle addiction dans un livre de Philippe Jaenada ? C’est ce que je me suis demandé en lisant en deux  jours La serpe, un pavé de plus de six cents pages. Les meurtres qui y sont relatés sont anciens, les coupables ont été jugés depuis longtemps  et la plupart des protagonistes ont maintenant disparu !

Un vrai « polar »
Le château de l'Escoire

Dans La Serpe, Philippe Jaenada enquête comme il sait si bien le faire sur un triple assassinat qui a eu lieu dans le château de l'Escoire en Périgord, pendant la guerre de 1940. J’ai eu envie de lire ce roman quand j’ai appris que Henri Girard accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne, n’était autre que Georges Arnaud, l’auteur de Le salaire de la peur. Ce livre paru dans les années 50,  à l’écriture puissante, a donné lieu à plusieurs adaptations : celle de Clouzot, en particulier, avec Charles Vanel et Yves Montand.

Philippe Jaenada procède, quand il prend en charge une affaire, exactement comme le ferait un enquêteur chargé de trouver le criminel. Il retourne sur les lieux du crime, examine les indices, s’imprègne de l’atmosphère; et, puisqu’il s’agit d’un évènement ancien, consulte les archives, les minutes du procès, la correspondance des principaux personnages. Au lieu de remonter le temps, il le descend, il s’immerge dans l’époque. Pas étonnant qu’il soit alors habité par des fantômes et qu’il puisse éprouver la chair de poule en  mettant  son pas dans les traces de l’assassin. Chemin faisant il nous fait part de ses doutes, s’il en a (et c’est le cas pour cette enquête) puis il apporte sa propre vision de ce qui s’est passé.
Il s’agit donc pour le lecteur d’une véritable enquête policière dans lequel les ressorts romanesques sont les mêmes que ceux d’un bon vieux « polar » ! Empathie pour les victimes, frissons, horreur des crimes commis, curiosité et questionnement sur la véritable identité du coupable, résolution de l’énigme.
Et comme dans tout bon roman policier, nous découvrons ici la société française de l’époque. Ainsi l’antagonisme plus ou moins larvé entre châtelains et villageois, entre maîtres et employés semble jouer une grand rôle. La misère est très répandue dans cette France de la province, les inégalités sociales très marquées. De plus tout est exacerbé par les privations dues à la guerre. L’occupation allemande et le gouvernement de Vichy servent de toile de fond à ce drame et entrent en ligne de compte dans les motivations des personnages. Quant à la justice française, j’espère qu’elle a fait des progrès car la manière de conduire une enquête à cette époque-là est extrêmement inquiétante !

Un  enquêteur  bourré d’humour

Philippe Jaenada (source)
L’inspecteur ? Allons, soyons bons ! Accordons lui le grade de commissaire! Le commissaire Jaenada ne peut s’empêcher de se glisser dans le récit et devient ainsi un personnage à part entière comme dans un roman de Fred Vargas.  Et ceci par le biais des fameuses digressions jaenadiennes.  Et bien oui, vous partagez tout de ses états d’esprit, de ses peurs bleues, de ses vagues-à-l’âme, de ses amours aussi, sa femme et son fils…   Et avec quel humour !
Ainsi,  vous saurez qu’il aime la solitude et la retraite, du moins c’est ce qu’il prétend ! Mais quand il part quinze jours en Périgord, c’est pire que s’il partait six mois en Sibérie au bord du lac Baïkal comme dans le dernier roman que  je viens de lire de Sylvain Tesson. Heureusement,  pour se coucher, il a emporté  son « doudou », euh! je veux dire le foulard de sa femme ! Il est vrai que l’épreuve est grande pour un Parisien comme lui de partir ainsi dans le Périgord, une région sauvage et désolée avec des autochtones peut-être hostiles, on ne sait jamais !
J’adore ce style d’humour ! Je m’arrête sur ce sujet, en précisant que l’humour permet de désamorcer la tension qui naît de l’atrocité et de la sauvagerie de ces assassinats qui nous sont décrits avec précision.

L’analyse psychologique et la structure du livre

Henri Girard  : Georges Arnaud
L’écrivain est excellent dans l’art de l’analyse psychologique à travers les lettres, les écrits, mais aussi les déclarations des uns et des autres car tout est consigné au cours du procès et les nombreux témoignages permettent de brosser un portrait du suspect assez complexe.
 Il y a, et c’est ce qui me passionne,  une mise en abyme de Henri Girard comme s’il était vu dans une succession de miroirs qui  renvoient des images contradictoires.  Par exemple, selon le point de vue, Henri Girard peut apparaître comme un sale gosse de riches, dépensier, caractériel, un individu méprisable, violent, capable de tous les crimes, plein de haine envers son père et sa tante. Mais aussi et en particulier à travers la correspondance qu’il entretenait avec son père, il peut être un enfant traumatisé par la mort de sa mère, mal dans sa peau,  arrogant, certes, mais un fils aimant et respectueux, un homme très intelligent et cultivé,  engagé contre le nazisme, un humaniste qui venait en aide aux plus pauvres.. 
La structure du livre en deux parties va jouer sur les deux facettes du personnage et nous amener à un dénouement inattendu mais spectaculaire !

 Prix Fémina 2017

Voir l'avis de Keisha  Ici  
Papillon Ici 
Yspaddaden Ici

mardi 3 novembre 2015

Philippe Jaenada : La petite femelle

Résumé de l'éditeur:

Au mois de novembre 1953 débute le procès retentissant de Pauline Dubuisson, accusé d'avoir tué de sang-froid son amant. Mais qui est donc cette beauté ravageuse dont la France entière réclame la tête ? Une arriviste froide et calculatrice? Un monstre de duplicité qui a couché avec les Allemands, a été tondue, avant d'assassiner par jalousie un garçon de bonne famille? Ou n'est-elle, au contraire, qu'une jeune fille libre qui revendique avant l'heure son émancipation et questionne la place des femmes au sein de la société? Personne n'a jamais voulu écouter ce qu'elle avait à dire, elle que les soubresauts de l'Histoire ont pourtant broyée sans pitié. Voir Editions Julliard ICI

Le livre de Philippe Jaenada, La petite femelle,  sur Pauline Dubuisson, cette jeune et belle meurtrière dont le procès a passionné la France en 1953, paraît en même temps que le roman de Jean-Luc Seigle sur le même sujet. Une occasion pour Jaenada de préciser dans un prologue ce qu’il ne veut pas faire : recréer une Pauline par l’imagination, comme on l’a déjà trop fait et dresser d’elle un portrait faux, « plus faux que faux » comme celui de Jean-Luc Seigle. 

Ce qu’il veut?
Pour essayer de ne trahir ni Pauline ni mon projet, il faut que je sois rigoureux et -comme un petit chercheur en blouse blanche (au coeur tendre, allez) qui baisse le nez sur son microscope- soucieux des détails. Où se trouve le diable, paraît-il.

Et en effet, Philippe Jaenada  a étudié au microscope la vie de Pauline, lisant toutes les archives la concernant, tous les articles des journaux, menant une enquête auprès de ceux qui l’ont connue, se rendant dans tous les lieux où elle a habité… Une enquête minutieuse que l'on suit avec intérêt. Une étude rigoureuse qui exclut tout ce qui n’est pas avéré, comme le viol qu’elle aurait subi à la libération après avoir été tondue pour avoir couché avec des allemands, viol dont on n’est pas sûr qu’il a eu lieu.
Une analyse soucieuse des détails, effectivement mais… car il y a un mais! Les petits chercheurs en blouse blanche s’éprennent-ils de leur sujet d’étude, tombent-ils amoureux des petites cellules, des  beaux virus qu’ils observent? L’écrivain lui, le fait, on sent que le personnage le passionne, l’obsède et son étude est avant tout une réhabilitation de Pauline, un cri de révolte contre les mensonges qui l’ont discréditée aux yeux de l’opinion publique et surtout des jurés, une dénonciation de ceux, qui, par parti pris, par étroitesse d'esprit, par bégueulerie, par haine de l'indépendance féminine, médias ou officiers de justice, ont falsifié les dossiers, faisant disparaître les témoignages en sa faveur pour ne retenir que ceux qui aggravent son cas.
Pourtant, l'écrivain est parfois obligé quand il n’y pas d’autres possibilités d’imaginer ce qui a dû se passer, s’il ne trouve pas de preuves. Objectif, Philippe Jaenada? Non! trop « coeur tendre, allez! » rigoureux dans ses recherches mais sincère, passionné; parfois son tempérament prend le dessus et devient une déclaration d’amour à Pauline et une vocifération contre tous ceux qui lui ont fait du mal! Il faut dire que le personnage de Pauline est fascinant non seulement parce que la jeune fille est d'une beauté, d'une distinction bien au-dessus de la moyenne mais aussi d'une intelligence remarquable. Elle fait des études de médecine à une époque ou peu de femmes pouvaient arriver jusque là! Et son père lui donne à lire Nietzsche au biberon, ce qui crée bien des ravages dans sa tête mais en fait quelqu'un de peu banal.

Finalement, Pauline ne sera pas jugée pour son crime -elle a tué son amant qui allait se marier avec une autre -mais pour avoir été, selon la morale de l'époque, une femme de mauvaise vie, dévergondée, trop libre, pensez donc! elle a eu jusqu’à six amants! Jugée aussi pour avoir eu des relations avec des allemands pendant la guerre, alors que son père qui faisait ami-ami avec les nazis, la poussait, elle, petite Lolita de 14 ans, dans leur lit. A noter que le père, important industriel, n’a jamais été inquiété mais sa fille, oui. C’est la thèse que veut démontrer l’auteur. En ce sens son livre est une revendication féministe que j'ai entièrement suivie.
Ce qui m’a le plus bufflée,  c’est le style de l’écrivain avec toutes ses digressions qui abordent toutes sortes de sujets y compris sur sa vie privée… Et que dire de ses apostrophes et ses injures à tous ceux qui se sont laissés égarer par leur haine de Pauline et ceci au détriment de la vérité! Un livre surprenant par certains de ces aspects, plein de fougue, de passion, et incontestablement intéressant.

vendredi 28 novembre 2008

Yasmina Khadra : Ce que le jour doit à la nuit



Ce que le jour doit à la nuit est le premier roman que je lis de Yasmina Khadra. Je sais que les avis sont partagés sur ce livre et que certains jugent que ce n’est pas le meilleur.
Le récit se déroule dans l'Algérie coloniale de 1936 à 1962 et conte l'histoire de Younes, petit garçon que son père est obligé de confier à son oncle pour le soustraire à une vie misérable dans un des quartiers les plus pauvres d'Oran, Jenane Jato. Elevé par son oncle, Mahi, pharmacien, et par sa tante Germaine, qui le prénomme Jonas, il  fait son apprentissage d'écolier à Oran.  Là, il est confronté pour la première fois au racisme anti-arabe. Après l'arrestation de son oncle suspecté d'épouser la cause des nationalistes, la famille va habiter Rio Salado, une petite ville où Jonas va grandir, se faire des amis, pour la plupart français de la même classe sociale que lui, et connaître l'amour... S'il prend conscience de l'exploitation  des algériens  pauvres à travers le personnage de Jelloul, factotum et souffre-douleur de son ami André, Jonas s'en accommode sans trop de peine. Une adolescence somme toute assez banale jusqu'au moment de la guerre d'indépendance où il devra choisir son camp.
Le roman m'a intéressée car il présente un point de vue original, celui d'un algérien d'une classe aisée. Il montre que finalement, il y avait plus d'affinités entre les français et les algériens de la bourgeoisie  qu'entre un algérien riche et un pauvre. Quand Younes-Jonas, - ses deux prénoms sont les deux facettes de son identité- doit prendre parti, il est dans la même situation que ceux qui vivent une guerre civile et qui sont déchirés par leur appartenance aux deux parties qui s'affrontent.. de même qu’il devait y avoir plus de points communs entre le petit Albert Camus et les enfants algériens des quartiers pauvres d’Alger, qu’entre lui et les riches français chez qui il  n’était pas reçu.
J'ai été moins convaincue, cependant, par la grande réconciliation finale, après la guerre, réunissant en France, Younes, ses amis français, son ennemi harki... On dirait que le ton  modéré de Yasmina Khadra gomme tout ce qui a fait l'horreur de la guerre d'Algérie, les violences dont le sujet a été tabou pendant si longtemps en France. Témoin le film de Vautier Avoir vingt ans dans les Aurès qui connut des difficultés à sa sortie en 1972 et même 25 ans après en 1997, attaqué par le Front National au festival de Tourcoing. Le style aussi du roman ne m'enthousiasme pas. Il y a un curieux mélange entre de grands passages lyriques assez faciles, qui ne me paraissent pas adaptés au sujet  .. bref! qui tombent à plat et des expression familières qui détonent dans un style qui se veut soutenu. Le roman reste cependant intéressant dans la présentation des sentiments du personnage principal qui porte comme une blessure le souvenir de son enfance et de ses parents disparus, victimes de la misère.
Il y a eu à partir d'un commentaire que j'ai fait sur ce roman dans le blog de Silouane Entre les Livres  une longue discussion non seulement sur Yasmina Khadra mais aussi sur la notion de nation algérienne.
Un des correspondants Wen Dao écrivait à  propos  de Yasmina Khadra  et du patriotisme algérien :
"Et ce Yasmina Khadra (pur produit de l’état algérien, en tant que “cadet de la révolution”) vient pleurer chez Thierry Ardisson de ne pas avoir de prix. On sait pourquoi certains écrivent. Le livre de YK n’est qu’à des années lumières de ce qui se passait à cette époque. Peut être justifie- t-il son (ses) attitude de nouveau notable. "
"Qu’on m’apporte un seul document officiel historique  attestant de l’existence d’un état ou d’une “nation” algérienne antérieur à la présence française. Qui ici peut nier le fait que la colonisation a saucissonné l’Afrique (du nord au sud) à sa guise? Ca ne s’enseigne pas? On peut en revanche, trouver nombre d’archives écrites, récits de soldats, décrets, lois ou discours politiques, en langue française attestant de la fabrication de l’Algérie après l’année 1830."
Un correspondant L'algérien réagit de cette manière :
"L’Algérie en tant que telle maintenant, est une création de l’état français malgré lui. Par le temps, ça a créé un sentiment d’appartenance à une seule nation.
Est-ce pour celà, que vous devez nier ce sentiment ? "
Longue discussion intéressante et qui dépasse le propos du livre . Je vous invite à vous y reporter.