Qu’est-ce qui peut provoquer une telle addiction dans un livre de Philippe Jaenada ? C’est ce que je me suis demandé en lisant en deux jours La serpe, un pavé de plus de six cents pages. Les meurtres qui y sont relatés sont anciens, les coupables ont été jugés depuis longtemps et la plupart des protagonistes ont maintenant disparu !
Un vrai « polar »
Le château de l'Escoire |
Dans La Serpe, Philippe Jaenada enquête comme il sait si bien le faire sur un triple assassinat qui a eu lieu dans le château de l'Escoire en Périgord, pendant la guerre de 1940. J’ai eu envie de lire ce roman quand j’ai appris que Henri Girard accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne, n’était autre que Georges Arnaud, l’auteur de Le salaire de la peur. Ce livre paru dans les années 50, à l’écriture puissante, a donné lieu à plusieurs adaptations : celle de Clouzot, en particulier, avec Charles Vanel et Yves Montand.
Philippe Jaenada procède, quand il prend en charge une affaire, exactement comme le ferait un enquêteur chargé de trouver le criminel. Il retourne sur les lieux du crime, examine les indices, s’imprègne de l’atmosphère; et, puisqu’il s’agit d’un évènement ancien, consulte les archives, les minutes du procès, la correspondance des principaux personnages. Au lieu de remonter le temps, il le descend, il s’immerge dans l’époque. Pas étonnant qu’il soit alors habité par des fantômes et qu’il puisse éprouver la chair de poule en mettant son pas dans les traces de l’assassin. Chemin faisant il nous fait part de ses doutes, s’il en a (et c’est le cas pour cette enquête) puis il apporte sa propre vision de ce qui s’est passé.
Il s’agit donc pour le lecteur d’une véritable enquête policière dans lequel les ressorts romanesques sont les mêmes que ceux d’un bon vieux « polar » ! Empathie pour les victimes, frissons, horreur des crimes commis, curiosité et questionnement sur la véritable identité du coupable, résolution de l’énigme.
Et comme dans tout bon roman policier, nous découvrons ici la société française de l’époque. Ainsi l’antagonisme plus ou moins larvé entre châtelains et villageois, entre maîtres et employés semble jouer une grand rôle. La misère est très répandue dans cette France de la province, les inégalités sociales très marquées. De plus tout est exacerbé par les privations dues à la guerre. L’occupation allemande et le gouvernement de Vichy servent de toile de fond à ce drame et entrent en ligne de compte dans les motivations des personnages. Quant à la justice française, j’espère qu’elle a fait des progrès car la manière de conduire une enquête à cette époque-là est extrêmement inquiétante !
L’inspecteur ? Allons, soyons bons ! Accordons lui le grade de commissaire! Le commissaire Jaenada ne peut s’empêcher de se glisser dans le récit et devient ainsi un personnage à part entière comme dans un roman de Fred Vargas. Et ceci par le biais des fameuses digressions jaenadiennes. Et bien oui, vous partagez tout de ses états d’esprit, de ses peurs bleues, de ses vagues-à-l’âme, de ses amours aussi, sa femme et son fils… Et avec quel humour !
Ainsi, vous saurez qu’il aime la solitude et la retraite, du moins c’est ce qu’il prétend ! Mais quand il part quinze jours en Périgord, c’est pire que s’il partait six mois en Sibérie au bord du lac Baïkal comme dans le dernier roman que je viens de lire de Sylvain Tesson. Heureusement, pour se coucher, il a emporté son « doudou », euh! je veux dire le foulard de sa femme ! Il est vrai que l’épreuve est grande pour un Parisien comme lui de partir ainsi dans le Périgord, une région sauvage et désolée avec des autochtones peut-être hostiles, on ne sait jamais !
J’adore ce style d’humour ! Je m’arrête sur ce sujet, en précisant que l’humour permet de désamorcer la tension qui naît de l’atrocité et de la sauvagerie de ces assassinats qui nous sont décrits avec précision.
L’écrivain est excellent dans l’art de l’analyse psychologique à travers les lettres, les écrits, mais aussi les déclarations des uns et des autres car tout est consigné au cours du procès et les nombreux témoignages permettent de brosser un portrait du suspect assez complexe.
Il y a, et c’est ce qui me passionne, une mise en abyme de Henri Girard comme s’il était vu dans une succession de miroirs qui renvoient des images contradictoires. Par exemple, selon le point de vue, Henri Girard peut apparaître comme un sale gosse de riches, dépensier, caractériel, un individu méprisable, violent, capable de tous les crimes, plein de haine envers son père et sa tante. Mais aussi et en particulier à travers la correspondance qu’il entretenait avec son père, il peut être un enfant traumatisé par la mort de sa mère, mal dans sa peau, arrogant, certes, mais un fils aimant et respectueux, un homme très intelligent et cultivé, engagé contre le nazisme, un humaniste qui venait en aide aux plus pauvres..
La structure du livre en deux parties va jouer sur les deux facettes du personnage et nous amener à un dénouement inattendu mais spectaculaire !
Prix Fémina 2017
Voir l'avis de Keisha Ici
Papillon Ici
Yspaddaden Ici
Prix Fémina 2017
Voir l'avis de Keisha Ici
Papillon Ici
Yspaddaden Ici
bon, faudra que je m'y mette :-)
RépondreSupprimerOui si tu aimes les intrigues historico-policières et les digressions à la Jaenada. C'est spécial ! Moi j'aime beaucoup en général !
Supprimerle héros ne m'attire pas plus que ça et malgré tous les billets positifs je résiste ! heureusement pour ma malheureuse PAL
RépondreSupprimerLe héros (mais ce n'est pas un personnage fictif) est très complexe et c'est pour cela qu'il finit par être intéressant !
SupprimerJe vais le lire, c'est certain.
RépondreSupprimerJ'espère que tu aimeras et je viendrai lire ton billet.
SupprimerLes deux faces du 'héros', oui. La première partie, c'était plié, MAIS!
RépondreSupprimerOh tu as trouvé une photo du château, très bien.
Oui, il a un art pour retourner le lecteur et pour le convaincre !! Bon, j'ai toujours des doutes mais de toutes façons, on peut dire que les enquêtes étaient menées d'une manière peu scientifique et peu équitable !
SupprimerTu donnes vraiment envie!Je le note ds un coin pour le retour de Tunisie mais là j ai de la tout un programme
RépondreSupprimerTunisie ? Donc, on va encore pouvoir lire de belles aventures dans ton blog.
SupprimerJe suis comme Dominique, je vois les billets positifs sur ce roman, mais je n'arrive pas à aller vers cet écrivain et les histoires qu'il raconte. Il faudrait peut-être que je commence par l'un de ses premiers livres.
RépondreSupprimerC'est pourtant un plaisir de lecture comme quand tu lis un bon polar ! Mais effectivement il faut aimer le style jaenada et je ne sais pas si cela te plairait.
SupprimerJe ne connais pas le style de Jaenada, mais ton billet est une véritable tentation.
RépondreSupprimerJe vais donc aller dans ma librairie préférée, lire quelques débuts de chapitre (technique éprouvée !) et voir, si c'est oui ou non ! Merci de toute façon pour ce billet entraînant !
Très bonne technique, en effet. Tu verras que jaenada, pour raconter quelque chose, n'emploie jamais la ligne droite!
SupprimerPunaise ! tu me donnes vraiment envie de le lire... je me suis retenue ce matin au lycée pour ne pas l'emprunter car entre cartons et occupations diverses, j'essaie de ne pas cumuler les emprunts et achats nouveaux de livres. Je dis bien, "j'essaie" ;-)
RépondreSupprimerMais je crois qu'il va aussi falloir que j'arrête de lire vos billets !
Oh! que je comprends ce "j'essaie" ! On peut dire que c'est le plus souvent misssion impossible !
SupprimerJ'ai lu un Jaenada il y a très longtemps, et je n'avais pas trop aimé, mais ce titre a l'air vraiment très très bien. Je pense le piquer à une copine un de ces jours.
RépondreSupprimerBonne idée ! Tu verras il est très intéressant ; c'est une vraie enquête policière .
Supprimer