"Au
loin, de l'autre côté de la tourbière, il distingua une créature à
longues pattes et au cou interminable, comme un serpent. A y regarder de
plus près, elles étaient plusieurs. Grises et noires, elles
s'envolaient, leurs ailes déployées et leurs pattes oscillant dans les
airs.
Les grues cendrées dansaient sur la tourbière. Les ailes tendues les
unes vers les autres, le cou courbé, elles criaient et approchaient, le
garçon ne fit aucun bruit, retenant son souffle. Jamais il n'avait vu un
tel spectacle."
Nevabacka formé de deux mots, l’un finlandais neva, les marais, l’autre en suédois backa, la colline, désigne la ferme et la forêt où se déroule l’action du roman de Maria Turstschaninoff, en Ostrobotnie, à l’est de la Finlande.
Maria Turstschaninoff, finlandaise de langue suédoise, écrit un roman historique puisqu’il commence au XVII siècle et se termine de nos jours, mais qui est aussi un conte nourri de légendes traditionnelles, un poème en prose amoureux de la nature, des forêts et des animaux et qui plonge le lecteur au coeur même de la vie et de la beauté mystérieuse et sauvage.
Un soldat, Matts Rak, reçoit du roi, comme récompense de ses bons services militaires, une terre éloignée et sauvage qu’il appellera Nevabacka et qu'il s’efforcera de défricher, de labourer et de rendre fertile en bon fermier qu’il jamais cessé d’être malgré la guerre qui avait fait de lui un soldat. Sur son domaine s’étend une grande tourbière et des marais que le jeune paysan se propose d’assécher. Mais dans ces lieux se cache le peuple des forêts, celui qui échappe au christianisme et que le peuple révère et craint. La fée de la Tourbière - manifestation des croyances populaires, allégorie de la forêt et plus généralement de la nature toute puissante ? - lui interdit de toucher à la tourbière et lui donne un fils en cadeau comme une compensation pour son obéissance. Nous suivons les différents membres de la famille issus de ces deux ancêtres, au cours d’une longue remontée dans les siècles où l’on passe de croyances primitives en des éléments surnaturels qui imposent le respect, à un monde où L’Eglise combat le surnaturel, punit ceux qui y croient et, à notre monde contemporain qui maltraite la nature et l’exploite au nom d’une économie efficace et productive.
Le réalisme du récit nous amène à partager la dure vie de ces paysans dans la ferme Nevabacka, qui, pour être la plus grande et la plus riche de la région, n’en exige pas moins un travail pénible mais la présence de la nature, de sa beauté majestueuse, baigne le roman d’une aura magique.
"Je me suis installée sur un arbre couché et, ma chère Charlotte,
j'ai été saisie par la beauté de ce moment. D'abord, le ciel est devenu
rouge, presque écarlate, avec des tâches roses et jaunes. Puis le soleil
s'est levé à l'horizon et les rayons ont traversé la forêt, ornant les
ombres des arbres de gravures dorées. Je n'ai jamais écrit de poèmes,
mais à ce moment-là, mon âme en est devenu un."
Les personnages se succèdent dans des récits qui semblent indépendants les uns des autres mais qui sont reliés par des liens de parenté. L’existence éphémère de chacun forme un grand Tout, à la fois au niveau familial mais aussi à la dimension du pays, célébrant ainsi l’âpre beauté de la Finlande. Les personnages attachants et le style de l’auteure, poétique, font de ce roman une belle lecture.
Dans Chien sauvage de l'écrivain finlandais Pekka Juntti, paru aux éditions Gallmeister, le personnage principal, Samuel Somerniva -dit Samu- semble avoir un destin tout tracé, du moins aux yeux de son père. Son fils sera mineur : « C’est la place des hommes de notre famille, nous y appartenons ». Oui, mais Samu, avec la complicité silencieuse de sa mère, veut échapper à ce déterminisme. Il part dans le Nord, en Laponie, travailler chez Sanna et Matti dans un élevage de chiens de traîneaux. Le travail est rude, de longues journées sans repos, du matin jusqu’au soir. Il s’agit de nourrir les Huskys, de nettoyer les cages, de recevoir les groupes de touristes, de préparer les repas. Rien d’exaltant, mais avec la récompense, parfois, de courses de traîneau fabuleuses avec Matti pour apprendre le métier. Samu tient le coup car son rêve est de devenir musher, conducteur de traîneaux, parmi les plus grands, ceux qui accomplissent des exploits avec leur attelage sur des milliers de kilomètres.
Mais de la réalité au rêve, il y a loin. Les chiens de traîneaux coûtent cher, certains valent même des fortunes. Aussi lorsque les deux chiens d’un célèbre musher disparaissent, Nanok et Inuk, Samu se lance à leur poursuite. Si Inuk est retrouvé facilement, Nanok, lui, a repris goût à la liberté et est redevenu sauvage. Cependant, le propriétaire du chien promet au jeune homme que Nanok sera à lui s’il parvient à le capturer. Samu va partir de plus en plus loin dans le Nord, parmi les populations minoritaires qui semblent oubliées de tous sauf quand il s’agit de détruire leurs réserves naturelles et d'exploiter leur bois! Si les Samis l’aident au début, ils vont bientôt devenir hostiles, surtout les éleveurs de rennes, car le chien fait des ravages dans leurs troupeaux. L’entêtement de Samuel à chercher l’animal et à le protéger suscite la colère des éleveurs, son ignorance des coutumes de la population vont le mettre en danger.
Le roman est construit sur deux périodes : Il commence en 2008 et se déroule jusqu’en 2009 pour l’histoire de Samu et est daté de 1942 jusqu’en 1949 pour celle d’Aila et de sa famille qui vivent près de la rivière Tengelio. Les deux récits se rejoindront en 2009 quand Samu, arrivant dans la région tombe amoureux d’Avaa. Mais il y a encore une autre partie insérée entre ces deux périodes, sous la forme de pages numérotées indiquant le nombre de jours que Samuel passe dans une cabane, isolé, mourant de peur et de faim sans que le lecteur sache vraiment ce qu’il fait là ! J’avoue que cela m’a un peu déroutée au début avant de comprendre qu’il s’agissait d’un futur par rapport au présent de Samuel et, là aussi, les deux espaces temporels vont finir par coïncider. Une construction un peu complexe.
Paysage finlandais
Chien sauvage est d’abord un hymne à la nature mais sans idéalisation. On peut facilement y mourir si l’on ne sait pas respecter sa puissance. Ne jamais se croire plus fort qu’elle ! Les paysages sont magnifiques mais les villages miséreux. Quand Samuel part vers le nord à la recherche de ses chiens, il parcourt d’abord des paysages de marais avec des pins rabougris, une forêt peu dense mais qui devient de plus en plus épaisse coupée çà et là de quelques villages.
J’avais l’impression de remonter dans le temps. C’étaient des villages oubliés. Il y avait de la pauvreté , mais aussi beaucoup de vie. (…) Ces villages me faisaient penser aux pins tordus de mont Ousnasvaaara sur lequel j’avais grimpé en route vers le nord. La vie y était fragile mais tenace. Le panneau indiquait Ylitornio.
Les Samis croient aux âmes des ancêtres incarnées dans les arbres. L’environnement, la forêt, les rivières et les lacs sont sacrés non seulement pour assurer leur subsistance mais aussi sur le plan spirituel. Aila fait des offrandes au sapin séculaire d’Arviitti qui les protège en retour. La famille a une ferme, cultive un champ, élève des vaches, vit aussi de la chasse et de la pêche.
Quand le père part à la guerre en 1942, il explique à sa fille :
… il est toujours agréable de rendre visite au sapin d’Arviitti. On y est seul et en même temps bien entouré : quand on raconte ce que l’on a sur le coeur, tout le monde nous écoute. Il y a le vieux Arviitti et Eevertti, Vänni et Liisi et tous les autres qui sont partis. Quand tu rends visite à l’arbre observe la rivière. Si tu l’écoutes bien, tu entendras les rapides chanter le chant de la liberté, les pins bouger au vent sur la colline et les saumons faire claquer leurs queues grandes comme des pelles dans les frayères. Il y en a un près de la rive, dans le contre-courant d’un rocher, là où le lac commence. Ma chère Aila, tu as bien constaté que sur la berge de la rivière, le rosier sauvage est encore en fleur. Il ne nous arrivera rien.
Pekka Halonen : peintre finlandais
Après la guerre, le gouvernement pour reconstruire le pays et relancer l’économie, ouvre de grandes campagnes de coupes forestières qui détruisent la forêt et ravagent des régions entières. Des chantiers pour construire des barrages et des centrales hydrauliques sur la rivière Tengelio voient le jour. Mais ce serait fatal aux saumons qui seraient dans l’impossibilité de remonter le cours d’eau. La colère des hommes s’éveille.
Ils trouvent toujours une bonne raison pour venir ici et tout détruire. Bon Dieu, on a vécu dans le sang et dans la merde à cause de ce satané état finlandais et voilà la récompense !
Des forestiers, des chefs de chantier, disparaissent mystérieusement. Nul ne peut les retrouver. On dit que la forêt se venge, qu’elle les a emportés. Et que signifient ces trois roses que certains se voient offrir car les roses poussent aussi sur les bords glacés de la Tengeliö ?
Chanson de la Tengeliö
Là où scintillent la Tingeliö,
ses miroirs, ses courants,
Tu peux trouver le bonheur
si tu découvres la fleur.
Pourtant, les jeunes, comme Vaïnö, le frère d’Aila, sont attirés par la grande ville, Helsinki, par l’argent gagné rapidement en s’engageant dans les chantiers bien payés, par le confort d’une maison avec l’électricité. Les femmes lancent des pétitions pour que leurs enfants aillent à l’école.
« D’après elle, puisque nos forêts et nos eaux leur plaisent tant, ils nous doivent bien ça en contrepartie. »
C’est le monde ancien et moderne qui s’affrontent. Finalement, Le président de la République Urho Kaleva Kekkonen préserve la région en faisant un parc national d’étude de la nature. Chien sauvage n’est pas un de mes coups de coeur, je n'ai peut-être pas été assez accrochée par les personnages qui me semblent parfois froids et un peu démonstratifs. Certains thèmes qui m'intéressaient comme celui de la réalisation du rêve de devenir musher est abandonné. Peut-être que mon attente était trop à la Jack London ou à la Oliver Curwood quand j'ai choisi ce livre ! Mais il présente de belles descriptions de la nature, une connaissance de la vie sauvage et de la vie des peuples du nord. Le propos écologique est intéressant. J'ai lu ce roman avec plaisir.
En 1918 a lieu en Finlande -qui est en train de conquérir son indépendance - une guerre civile qui oppose les blancs, conservateurs nationalistes, bourgeoisie et classe moyenne, et les Rouges composée d’ouvriers et de paysans. Les Rouges perdent et sont enfermés dans ces camps de prisonniers où règnent famine, maladies, sévices et humiliations. 39 000 personnes périssent pendant cette guerre.
Voir : Kjelle Westö : Un mirage finlandais
Saint Pétersbourg : palais de l'Ermitage
C’est lorsque son mari Ilia sort de ce camp en 1922 que Klara décide de partir avec lui en Russie, à Saint Pétersbourg, pour trouver la liberté. C’est ainsi que commence le roman de Sirpa Kähkönen : Ville au coeur de pierre. Le titre joue sur les mots, cette ville tour à tour Petrograd, Saint Pétersbourg, est la ville arrachée aux marais par le tsar Pierre le Grand, la ville de Pierre, avant de devenir Léningrad à la mort de Lénine en 1924. Et par la suite, la ville au coeur de pierre ou Klara va perdre ses illusions.
Klara, est la narratrice de la première partie Petrograd I et deuxième partie du roman Leningrad II. Quand elle arrive à Petrograd, la misère, le désordre règnent. La Révolution a emporté avec elle toutes les structures, le bouleversement est total et laisse tout à faire, tout à entreprendre, tout à construire pour espérer des jours meilleurs et il faut du coeur à l’ouvrage ! Klara n’en manque pas. Tout en s’intégrant dans un petit groupe d’exilés finlandais, en s’entourant d’amis, elle s’occupe des enfants de rue, orphelins, misérables, affamés et malades, vivant de vols, de prostitution, couchant dans des caves insalubres. Klara a foi en la Révolution, elle croit au progrès et ne se ménage pas.
"Dans ma confusion, je chantais tantôt en finnois tantôt en russe - les mots semblaient m’échapper -, j’étais émue et je pensais quelque chose comme : ces enfants verront le jour où l’esclavage, la faim, l’oppression auront disparu, où la fraternité entre les hommes sera réelle et banale et non plus le rêve d’une poignée de gens."
Mais elle est déjà consciente des failles du système. Pour nourrir la ville, l’armée réquisitionne le bétail, les récoltes des paysans qui, bientôt, réduits à la misère, sont obligés de laisser partir leurs enfants à la ville, ceux-ci venant grossir le flot incessant d’enfants des rues. C’est la révolution elle-même qui nourrit ses propres faiblesses. C’est ce qu’explique son beau-frère Lavr qui s’est d’abord engagé dans l’armée rouge pour défendre la révolution :
« Tu sais contre qui nous dirigeons nos armes en premier ? Contre les ouvriers et les paysans. Ceux pour qui tu as fait la lutte des classes en Finlande. Nos propres ouvriers, nos propres paysans. L’ouvrier gréviste qui se crève à un boulot de misère, le paysan à qui on saisit sa récolte jusqu’au dernier grain. »
Les Bourgeois et, parfois, les profiteurs, il y a en a encore dans cette société comme partout ailleurs. Ainsi ceux, hommes d’affaires qui ont servi le tsar, continuent à faire fortune et à jouir de privilèges, belles maisons, riches vêtements, voyages, spectacles et fêtes. On les laisse faire ! Du moins tant qu’on a besoin d’eux ! Parmi eux Henrik et l’amie de Klara, Ielena, jeune et jolie finlandaise ambitieuse qui épouse Henrik. Mais c’est à la mort de Lénine que peu à peu les choses se gâtent, le conformisme et l’autoritarisme se renforcent, la surveillance des moindres faits et gestes, la suspicion aussi. Les finlandais sont accusés d’espionnage. Chacun se méfie du voisin et n’ose exprimer à voix haute sa pensée. Torture, disparitions, exécutions sommaires. Klara, elle-même est suspecte : n’a-t-elle pas fait chanter à ses enfants un poème de Maikowsky sur la Russie « pays d’abricots et de puces »?
Les autres parties du roman de III à la partie V qui va jusqu’après la deuxième guerre mondiale devant Leningrad assiégée par les Allemands, donnent d’autres points de vue et éclairent les autres personnages, Dounia et Guénia, les enfants adoptifs de Klara, Ilia son mari, Henrik et Ilena, Tom, Choura, Galkin. Tous ces personnages tournent autour de Klara et leurs faiblesses, leurs compromissions, parfois, mettent en valeur la beauté et la pureté du personnage. On voit comment elle a idéalisé ses amis sans voir leurs défauts, leur égoïsme, elle a donné tout son amour, toute sa force aux enfants, à ses amis et à la croyance en une vie meilleure.
Le récit se fait celui du désenchantement, de la fin du rêve :
Je voulais savoir comment on peut vivre sans joie et sans espoir demande Ielana. « La prison te l’apprend, dit Galkin. La prison, c’est le meilleur creuset pour faire des hommes nouveaux. Il n’y a rien de tel. »
Encore un beau livre sur un sujet historique intéressant dans une langue pleine de nostalgie et avec un personnage féminin très fort.
Le roman, Un pays de neige et de cendres de Petra Rautiainen, se situe au nord de la Finlande, en pays sami, à Inari en 1944 et Enontekio de 1947 à 1950 (une carte nous permet de situer ces lieux en début de livre). Les deux époques se chevauchent et le lecteur passe ainsi du passé à présent, celui-ci encore marqué par la guerre.
1944 : Le narrateur Vaino Remes arrive dans un centre pénitentiaire pour y servir d’interprète auprès des prisonniers de différentes nationalités, Russes, Ukrainiens, Serbes, Polonais, Roumains. Il s’agit d’un camp allemand en Finlande placé sous la haute autorité de la gestapo. Les conditions de vie y sont inhumaines, le froid, la neige et l’obscurité des nuits d’hiver rendent fous les gardiens allemands eux-mêmes, la faim et la maladie font des ravages. Vaino Remes qui a eu des activités dans des commandos d’extermination en Finlande est aussi affecté à la détermination des races. Il croit à la Grande Finlande et à la race finnoise épurée. Il fait connaissance de l’autre interprète finlandais avec qui il travaille, Olavi Heiskanen. De plus, il s’intéresse à un prisonnier nommé Kalle qui jouit d’un statut privilégié. Ses recherches dans le dossier de cet homme lui permettent de savoir qu’il se nomme Kaarlo Linqvist. Tous ces faits et bien d’autres sont consignés dans son journal de bord.
1947 : Inkeri Lindqvist arrive à Enontekio près de Inari. Elle est photographe et journaliste et est là pour faire une enquête sur la reconstruction de la Finlande. En vérité, elle est à la recherche de son mari qui a disparu. Elle ne sait pas s’il est encore vivant. Elle fait la connaissance d'Olavi Heiskanen et aussi de Piera, un vieux sami et de sa petite-fille Bigga-Marja mais son enquête avance difficilement. Tous sont réticents à évoquer le passé. Le camp a disparu. Personne ne veut en parler, sentiment de honte, de culpabilité ? Tout en faisant la connaissance des Sames et de leurs coutumes et en se liant d’amitié avec Bigga-Marja, Inkeri en apprend plus sur les secrets du camp. Mais elle découvre en même temps que la discrimination, les humiliations et le racisme que subit le peuple sami n’ont pas disparu même après la guerre.
-Ils envisagent de créer un registre des Sames - C’est quoi ? - Ils recensent toute la population. Qui sont les Sames. Combien ils sont. Où ils habitent. -Ah. L’Etat veut s’approprier ces forêts, cette tourbe, ces marais et tout le reste mais ça pose un problème avec ces ploucs de Lapons.
Ce roman parle d’un réalité très dure et un malaise règne tout au cours de la lecture. Non pas seulement à cause du camp et des crimes qui y sont perpétrés mais aussi parce que l’on sent que tout n’est pas dit, que l’on nous cache quelque chose. En fait, on se retrouve dans la même position que la photographe Inkeri à qui il manque beaucoup d’éléments pour tout comprendre. On le découvrira peu à peu avec elle.
J’ai aimé l’amitié qui lie Inkeri aux Samis et en particulier à la jeune Bigga-Marja, personnage attachant comme son grand-père Pietra. J’ai eu plaisir à découvrir avec elle leurs croyances et leurs traditions. Mais j’ai appris avec horreur l’existence de ces camps de concentrations avec la participation de la Finlande sous l’autorité allemande. Je savais pourtant que la Finlande s’était alliée à l’Allemagne nazie, la préférant à son ennemi héréditaire, le Russe. Mais je savais pas qu’elle avait abrité de telles abominations sur son sol.
Quant aux Samis, dans tous les pays nordiques, Norvège, Suède et Finlande, ils ont eu à subir les violences d’une assimilation forcée accompagnée de mépris. Le mot lapon qui les désignait jadis est d'ailleurs un terme péjoratif abandonné de nos jours. Ils sont désormais reconnus comme une nation autonome constitutionnelle même si leur nomadisme, pour certains, est encore source de conflits.
Merci à Miriam pour cette lecture qui m’a appris beaucoup sur ce pays.
Ekseli Gallen Kallela : La rivière de Tuoneli, le royaume de la Mort : l'embarquement des âmes
Voilà le dernier billet consacré à l’épopée finlandaise de Elias Lonnrott, Le kalevala, écrit à partir d’une collecte de chants et de contes traditionnels remontant jusqu’au XIII siècle.
Il faut savoir qu’au XIII siècle, la Finlande est déjà christianisée, aussi les anciens dieux sont parfois très influencés par le christianisme et les distinctions entre paganisme et christianisme s’effacent ou se diluent quelquefois.
UKKO, le dieu des dieux
Ukko, qui signifie « vieillard » est le dieu suprême, le dieu du ciel, assimilable aux deux dieux scandinaves Odin et Thor et aussi dans la mythologie grecque à Zeus. Comme Odin, Ukko possède le pouvoir suprême, la sagesse et le savoir et il est aussi le dieu de la guerre et celui de l'orage. Comme Thor, Ukko tient un marteau nommé Unkonvasara qui le rend maître du tonnerre, de la foudre. Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », « l’orage ».
Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.
Unkonvasara
Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », veut dire « l’orage ».
Symbole d'Ukko
Rauni ou Akka, l'épouse d'Ukko
Ukko est l’époux de Rauni ou Akka qui signifie vieille femme, « la petite mère de la terre ». Elle a donné aux humains la possibilité de lutter contre la malfaisance des gnomes de montagne. Si Akka et Ukko s'unissent l'orage se déclenche ! Le passage du char de Ukko dans le ciel provoque le tonnerre. Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.
Lemminkaïnen s'adresse à Ukko
Prière de Lemminkainen à Ukko p158
Je m’adresserai bien plus haut, Au puissant Ukko dans le ciel, Qui gouverne sur les nuages, Maître souverain des nuées.
O puissant Ukko, dieu suprême, Père céleste et secourable, Qui parles à travers les nues, Qui lances les mots dans l’espace, Donne-moi ton glaive de feu Placé dans un fourreau de feu, Pour disperser tous les obstacles, Pour écarter les maléfices.
ILMATAR
Ilmatar Robert Wilheem Erkman
Nous avons déjà parlé d'Ilmatar ou Luonnotar, déesse de l'air et des ondes, qui a créé la terre à partir d'oeufs de canard, Voir ICI
TAPIO
Voilà comme l'artiste finlandaise Eva Ryynänen l'a représenté au musée de la nature près de Savonlinna :
Tapio représenté par l'artiste finlandaise Eva Ryynänen
Tapio, le dieu finnois de la nature, le dieu des forêts et des arbres. C'est est l'un des dieux les plus importants pour un pays aussi boisé que la Finlande. Les divinités et les esprits des forêts sont d'ailleurs les plus nombreuses du folklore finlandais. Tapio est souvent représenté à moitié humain, à moitié arbre, avec des sourcils de mousse et une barbe de lichens. Les chasseurs s’adressent à lui pour qu’il favorise leur chasse.
Tapio prière de Lemminkainen p173
Je quitte les gens pour les bois Vais seul aux travaux en plein air Par les domaines de Tapio (…)
Forêt montre-toi bienveillante, Eternel Tapio, sois propice, Conduis-moi dans l’ilôt boisé, Mène- moi sur une colline Où je trouverai du gibier Où je lancerai quelque proie !
Son épouse (ou parfois sa bru) est la belle Mikkieli,déesse de la forêt, dont le vieux nom finnois Mielu signifie chance. Elle a présidé à la naissance de l’ours, animal sacré en Finlande, roi de la forêt. Otso est l’esprit de l’ours. Elle protège le bétail, aide les bêtes sauvages traquées par les hommes. C'est elle qui permet la cueillette et le pâturage du bétail. Guérisseuse, elle soigne les animaux et, avec les plantes médicinales, elle guérit aussi les humains qui la respectent et veillent à se concilier ses bonnes grâces.
Dans Le Kalevala, le héros Lemminkaïnen lui adresse des prières ainsi qu’à Tapio et lui offre de de l'or et de l'argent pour capturer l'élan d’Hiisi, animal maléfique du folklore finnois. Dans un autre passage, Mielikki est priée de protéger le bétail qui paît dans la forêt. Elle reçoit également les prières de ceux qui chassent le petit gibier et de ceux qui cueillent des champignons et des baies.
Prière de Lemminkaïnen
Mielikki, patronne des bois, Pure femme, charmant visage, Laisse ton argent se répandre Au-devant de l’homme qui cherche, sous les pas de ton suppliant !
Tapio et Mikkieli ont pour enfants leur fils Nyyriki , dieu de la forêt, de la chasse et du bétail.
P 462
Nyyriki, bon fils de Tapio, Enfant des bois, beau manteau bleu, Prends la base des beaux sapins, La couronne des pins touffus, Pour faire un pont sur les bourbiers Pour amender les mauvais lieux…
Nyyrikki, fils de Tapio Noble héros au bonnet rouge, Trace des marques sur le sol, Taille des signes sur les rocs Pour conduite l’homme stupide, Montrer la voie à l’ignorant, Tandis qu’il cherche le gibier, Qu’il pourchasse le cher butin !
Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo, les filles de Tapio
Leurs filles, déesse des forêts, de la végétationsont Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo
Prière de la femme de Ilmataren P 456
Tellervo, fille de Tapio, Vierge aux joues rondes des forêts, Beau tablier, fine chemise, Superbe chevelure d’or, Toi qui protèges les troupeaux, Qui garde le bétail des fermes Dans le propice Matsola, Dans le vigilant Tapiola
O Suvetar, femme excellente, Etelätär, belle nature, Hongatar, bénévole hôtesse, Katjar, superbe vierge, Pihlajatar, fille de Tapio, Mielikki, bru de la forêt, Tellervo vierge de Tapio, protégez toutes mon troupeau.
Suvetar la déesse du printemps (Gjallarhorn-Suvetar with english lyrics)
Etelätär, personnification du vent invoquée par les vétérinaires pour soigner les chevaux.
Hongatar est la nymphe du pin, Katjar (Katajatar) celle du genévrier, Pihlajatar la nymphe du sorbier, Lemmes celle de l'aune, et Remunen du houblon.
Pellervoou Pekko (ou Sampsa Pellervoinen) est le dieu des champs, des graines et des moissons
Melhiainen est l'abeille. La mère de Lemminkainen envoie Melhiainen chercher du miel pour faire revenir son fils à la vie. Elle a reconstitué le corps de son fils en le cherchant dans le fleuve noir de Tuonela où ses morceaux avaient été dispersés après avoir été assassiné.
p196 prière de la mère Melhiainen, mon cher oiseau, Reine des fleurs et de la forêt, Pars maintenant chercher du miel, Va recueillir de l’hydromel Dans le propice Metsola, Au fond de l’exact Tapiola, dans le calice des fleurettes.
A ces divinités étaient opposés des esprits malicieux, fourbes et méchants : Lempo le dieu du mal associé à Hiisi ou Paha . Il commande les démons de la forêt. Il est aussi singulièrement l'ancien dieu de l'amour comme si l'amour et la haine étaient les deux facettes d'un même sentiment. En lapon Sieita, est aussi appelé Paha (le Malin) et Juutas (Judas), Piru , Perkele ...
Chant ôde à la terre mère suèdois - Gjallarhorn-Suvetar
TUONI
Tuonela : Tuoni et Tuonatar, deux de leurs filles
Tuoni est le dieu de la mort et des enfers. Son domaine est Tuonela, le sombre pays d'où l'on ne peut revenir vivant à part le héros Vaïnomömoinen. Les âmes partent sur la noire rivière de Tuonela pour gagner le séjour des morts, dans l'abîme de Manola.
Louhi, patronne de Pohja ( P 183), dit à Lamminkaïnen qui veut obtenir la main de sa fille :
Je ne te donnerai ma fille, La belle jeune fiancée, Que si tu peux tuer le cygne, du noir rapide de Tuoni, Des flots du tourbillon sacré, En l’abattant du premier coup, En ne décochant qu’une flèche.
Tuonetar, l'épouse de Tuoni
Tuonetar, la bonne patronne, femme de Tuoni, accueille les morts à Tuonela. Dans Le kalevala, elle offre à Vaïnämöinen qui s'est introduit vivant à Tuonela, un gobelet d’or rempli de poison, de serpents et de grenouilles pour le tuer. Mais celui-ci déjoue la ruse et s'échappe en usant ses pouvoirs de métamorphe et en se tranformant en loutre. C'est ainsi qu'il parvient à échapper au filet qui obstruait l'issue de la rivière hors des enfers.
Tuoni et Tuonetar ont pour filles les divinités de la souffrance et de la Maladie comme Kalma, Vammatar, Kivutar, Kippu-Tyttö, ou Loviatar, "la plus méprisable des filles de Tuoni" qui était aveugle.
Kipu-tyttö, l'une des filles de Tuoni
Kipu-tyttö , déesse de la souffrance,, Kipu-tyttö, Laura Rantanen
Kipu-tyttö dont le nom se traduit par « petite fille de la douleur » est la divinité de la maladie dans son degré terminal. Elle est d'une
apparence terrifiante, son visage est sombre, rongé par la variole et
son corps est légèrement déformé. Comme sa sœur Lovatiar elle est mère de neuf enfants, qui ont des noms aussi évocateurs que le cancer, la goutte, les ulcères, le chancre et la gale.
Kalma , une des filles de Tuoni et Surma
Surma
Kalma est la déesse de la mort, des chairs corrompues, de la pourriture. Son nom veut dire : "la puanteur des cadavres"! Elle a donné son nom au mot finnois kalmisto qui signifie cimetière. Kalma vit à Tuonela et son antre est gardé par Surma. Celui-ci est décrit comme un chien énorme avec une queue de serpent et son regard est pétrifiant. Surma signifie "mort" et il est usité quand il s'agit d'un personne morte assassinée et non de mort naturelle.
Loviatar, la plus méprisable des filles de Toni
Akseli Gallen Kallela : Loviatar filant sur la montagne
Chez Tuoni vivait une aveugle, Loviatar, la vieille mégère, La pire fille de Tuoni, La plus méchante Manatar, L’origine de tous les maux, La cause de mille fléaux; Elle avait la figure noire Son teint était très repoussant.
P593 Loviatar
Elle mit au monde neuf fils, Elle baptisa ses enfants, Prépara sa progéniture L’un fut appelé Pleurésie L’autre se vit nommer Colique, L’un reçut le prénom de Goutte, l’autre fut nommé rachitisme, L’un fut désigné comme ulcère, L’autre s’appela Cicatrice; L’un fut affublé du nom gale, l’autre répondit au mot peste
ou encore selon les versions : Loviatar donna naissance à neuf enfants :Pistos (phtisie), Ahky (coliques), Luuvalo (goutte), Riisi (rachitisme), Paise (ulcère), Rupi (gale), Syöjä (cancer), Rutto (peste) et un neuvième, une fille, qui n'est pas nommée mais qui était la pire.
Louhi la patronne de Pojhala, qui veut se venger des héros qui lui ont volé le Sampo, envoie les enfants de Loviatar sur le Kalevala. Mais Vaïnämöinen parvient à les vaincre tous.
AHTI ou ATHO
Athi ou Atho, le dieu de l'eau
Athi est le Dieu de l'eau, de la mer, des rivières et des lacs. Il vit dans une sombre et humide caverne ouverte dans une falaise, frappée par les vagues, entourée de nuages. Il est jaloux du dieu du ciel car il pense que son pouvoir n'est pas assez apprécié des humains et qu'il n'obtient pas assez de prières. Mais il n'essaie pas de se rendre plus populaire et emploie toutes sortes de mauvais esprits malfaisants, envoie des tempêtes, crée des tourbillons.
Vellamo ou Wellamo, épouse de Ahti
Vellamo est la déesse de l'eau, de la mer et des lacs. Son nom vient du mot finnois « velloa », qui signifie « mouvement de l'eau et des vagues ». Elle est belle et grande, porte une robe bleu vert faite de mousse de la mer. Elle sait contrôler les vents, apaiser les tempêtes. C'est pourquoi, elle est très respectée par les pêcheurs qui la prient pour qu'elle protège leur navire et leur donne une bonne pêche.Elle est aussi la maîtresse de vaches magiques qui vivent sous l'eau et paissent dans des prairies sous-marines.
Il y a encore beaucoup de dieux et de déesses dans la mythologie finnoise et dans Le Kalevala mais je m'en tiendrai là, à ceux que j'ai remarqués pendant ma lecture de l'illustre épopée finlandaise.
"L’homme se relevait et allait s’en aller lorsqu’il aperçut au fond, à l’écart, dans le coin le plus obscur de l’âtre, un autre objet. Il regarda, et reconnut un sabot, un affreux sabot de bois le plus grossier, à demi brisé et tout couvert de cendre et de boue desséchée. C’était le sabot de Cosette. Cosette, avec cette touchante confiance des enfants qui peut être trompée toujours sans se décourager jamais, avait mis, elle aussi, son sabot dans la cheminée. C’est une chose sublime et douce que l’espérance dans un enfant qui n’a jamais connu que le désespoir. Il n’y avait rien dans ce sabot. L’étranger fouilla dans son gilet, se courba et mit dans le sabot de Cosette un louis d’or. Puis il regagna sa chambre à pas de loup."
Colette
Carl Larsson : roses de Noël (Hellebore)
Sido, la mère de Colette est athée. On ne fête donc pas Noël chez elle .
"Il vous paraîtra étrange que mes Noëls d'enfant -là-bas on dit "nouel"-
aient été privés du sapin frais coupé, de ses fruits de sucre, de ses
petites flammes. Mais ne m'en plaignez pas trop, notre nuit du vingt
quatre était quand même une nuit de célébration à notre silencieuse
manière. Il était bien rare que Sido n'eut pas trouvé dans le jardin,
vivaces, épanouies sous la neige, les fleurs de l'ellébore que nous
appelions roses de Noël. En bouquet au centre de la table, leurs
boutons clos, ovales, violentés par la chaleur du beau feu, s’ouvraient
avec une saccade mécanique qui étonnait les chats et que je guettais
comme eux.
Nous n’avions ni boudin noir, ni boudin blanc, ni dinde aux marrons, mais les marrons seulement, bouillis et rôtis, et le
chef-d’œuvre de Sido, un pudding blanc, clouté de trois espèces de
raisins – Smyrne, Malaga, Corinthe – truffé de melon confit, de cédrat
en lamelles, d’oranges en petits dés.
Puis, comme il nous était loisible de veiller, la fête se prolongeait en veillée calme, au chuchotement des journaux froissés, des
pages tournées, du feu sur lequel nous jetions quelque élagage vert qui crépitait sur la braise comme une poignée de gros sel...
Quoi, rien de plus ? Non rien. Aucun de nous ne souhaitait davantage, ne se plaignait."
Tove Jansson
Tove Jansson : Noël
"Plus on est petit, plus Noël est important. Sous le sapin, Noël est énorme. C’est une jungle verte avec des pommes rouges et des anges tristes qui tournent sagement sur eux-mêmes au bout de leur fil et surveillant l’entrée de la forêt primitive. Celle-ci s’étend à l’infini dans les boules en verre. Grâce au sapin, à Noël, on se sent protégé de tout.
Noël est toujours empli de bruissements. Chaque fois, il y a des bruissements mystérieux avec du papier argenté, du papier doré, et du papier de soie, tout plein de papier brillant qui entoure tout et dissimule tout, et donne l'impression que l'on peut gaspiller tant qu'on veut.
Parfois on se réveille la nuit et l'on entend le bruissement agréable que maman fait en emballant les cadeaux. Une nuit, elle a peint le poêle de petits paysages et des bouquets sur tous les carreaux jusqu'en haut.
Elle prépare des rennes en pain d'épice avec des têtes rigolotes, enroule les biscuits en forme de chat, avec un raisin de Corinthe au milieu du ventre. Lorsqu'elles sont arrivées en Suède, ces pâtisseries n'avaient que quatre pattes mais au fil des ans, elles en ont eu un nombre de plus en plus important, ce qui donnait aux chats un air sauvage et décoratif. " (recueil : L'art de voyager léger)
Carl larsson
Je suis en Creuse pour les fêtes avec mes enfants et petits-enfants. Je vous souhaite à toutes et à tous un joyeux Noël et beaucoup de joie.
Robert Wilhem Ekman Vaïnämöinen jouant du Kantele charme animaux et humains
Le Kalevala, long poème épique que Elias Lönnrot a écrit après avoir collecté des contes et chants oraux traditionnels remontant jusqu'au XIII siècle, raconte l'histoire de quatre héros finnois, à la fois hommes et dieux, histoire qui nourrit la mémoire collective du peuple Finlandais.
Ilmatar, la déesse mère
Robert Wilhem Ekman : Ilmatar musée Ateneum Helsinki
Vaïnämöinen est né de la Vierge Ilmartar (La fille de l’air) qui, venue se poser sur les vagues, bercée par le vent, devient enceinte. Elle porte son enfant pendant 700 ans dans son ventre. Et oui! Et cela n’a pas été facile !
Malheureuse, quelle est ma vie !
Pauvre enfant, quel est mon destin !
M'en voici réduite à ceci :
A jamais sous le ciel profond,
Je serais bercée par les vents
et ballotée au gré des vagues,
Au milieu de ces flots immenses,
Au sein de l'onde infinie.
Il aurait mieux valu pour moi
Vivre en pure Vierge de l'air
Qu'errer ainsi que je le fais,
Comme mère des vastes ondes !
Elle s'occupe, pendant ce temps, de créer la
terre, avec des coquilles d'oeufs cassées ("Six de ces oeufs étaient en or, Mais le septième était en fer") pondues par une cane (un
canard, disent-ils !) venue se poser sur ses genoux.
Le bas de la coque de l'oeuf,
Fut le fondement de la terre,
Le haut de la coque de l'oeuf
Forma le firmament sublime.
Le dessus de la partie jaune
Devint le soleil rayonnant,
Le dessus de la partie blanche
fut au ciel la lune luisante;
Tout débris taché de la coque
Fut une étoile au firmament,
Pendant cette longue attente, elle
peaufine son oeuvre, notre terre. Quand il naît enfin, Vaïnämöinen tombe dans la mer et il y reste encore huit ans. Enfin il gagne le rivage.
Ainsi naquit Vaïnämöinen
Apparut le barde éternel,
Enfant d’une mère divine,
Issu de la vierge Ilmatar
Les Héros
Väinämöinen le barde et son kantele
Nicolaï Kochergin : Vaïnämöinen, le barde éternel
Dans Le Kalevala, Vaïnämöinen, toujours flanqué de ces épithètes homériques, le ferme et vieux Vaïnämöinen, est doté de pouvoirs magiques. Certainement, ancien dieu des eaux, devenu héros dans Le Kalevala, il est plus homme que dieu, musicien et chanteur. Il a fabriqué un instrument de musique avec des arêtes et la mâchoire d'un brochet gigantesque, le Kantelé, avec lequel il ensorcelle bêtes et humains. Il est assimilé à Orphée. Comme lui, musicien il est revenu vivant des Enfers. Il disparaît, chassé par le Christ, et donne le Kantélé aux Finlandais qui utilisent toujours cet instrument ancestral de nos jours. Vaïnämoïnen n’a pas de chance en amour ! Quand un blanc-bec vaniteux et outrecuidant, Joukaheinen, vient le défier au chant, le barde éternel gagne, forcément. Le jeune homme est obligé de lui promettre sa soeur Aino en mariage. Celle-ci refuse d’épouser un barbon et préfère se noyer.
Elle revenait au logis,
Trottinait dans le bosquet d'aunes
Quand vint le vieux Väinämöinen;
Il vit la vierge dans le bois,
la robe fine parmi l'herbe,
Il parla de cette façon :
Vierge, ce n'est pas pour les autres,
jeune fille, c'est pour moi seul
Que tu portes au cou des perles
Qu'une croix orne ta poitrine,
Que tes cheveux sont mis en nattes,
Noués par un ruban de soie.
La jeune fille répondit :
"Ce n'est pas pour toi, ni pour d'autres
Qu'une croix orne ma poitrine
Et qu'un ruban noue mes cheveux!
Je fais fi des beaux habits bleus,
J'aime mieux les robes étroites,
Préfère des croûtons de pain,
dans le logis de mon bon père,
Avec ma mère bien-aimée."
Plus tard, quand le ferme et vieux Vaïnämoïnen pêche un grand poisson et le laisse échapper, c'est
la jeune fille qu'il perd encore une fois et sans espoir de la revoir.
Akselis Gallen kallela : Aino échappe à Vaïnämoïnen
Il se rend alors chez la vieille Louhi, puissante magicienne, "patronne" du Pohjola, pour lui demander l'une de ses filles en mariage, échoue dans la conquête de
la jeune fille et doit promettre pour pouvoir rentrer chez lui que son frère Le Forgeron éternel Ilmaren viendra prendre sa place pour forger le Sampo.
Mais qu'est-ce que le Sampo ?
Le Sampo
Mais qu'est-ce que le Sampo ? Il occupe un place centrale dans le récit du Kalevala. Cet objet magique, mystérieux, assure la prospérité de celui qui le détient. D'après Lönnrot, c'est un moulin qui produit un tiroir par jour de farine, un de sel et un d'or. Il est source de richesse et donc de pouvoir. Il a donné lieu à de nombreuses interprétations, coffre magique, trésor volé par les vikings, corne d'abondance, mais aussi astrolabe, boussole... J'ai lu ici, qu'il pouvait être aussi, symboliquement, le trésor de chants et de contes traditionnels réunis patiemment par Elias Lönnrot pour reconstituer l'épopée du peuple finlandais et lui rendre son identité. Trésor matériel ou spirituel, si l'on ne sait pas trop exactement ce qu'est le Sampo, tous les artistes se sont plu à l'imaginer ! Or, seul Ilmarinen est capable de forger cette pure merveille.
Le Sampo
Le Sampo
Il paraît que Sampo est un prénom largement donné en Finlande, qu'une fabrique d'allumettes porte son nom en allusion au feu qui l'a forgé, que de nombreuses marques, sociétés, entreprises, en particulier, une assurance, se nomment ainsi.
Le Sampo au couvercle orné
Le Forgeron éternel Ilmaren
Nicolai Kochergin : Ilmarinen, le marteleur éternel.
Ilmarinen, le forgeron éternel, est donc obligé de partir à Pojolha pour fabrique le Sampo et, lui aussi, espère bien recevoir en mariage, une des filles de Louhi, réputée pour sa beauté. Il n'y parviendra pas, du moins cette fois-ci ! Mais il réussira par la suite.
La fabrication du Sampo vue par Vainö Blomstedt
Le forgeron Ilmarinen,
Le grand marteleur éternel,
Se mit à battre le métal,
A le frapper avec prestesse,
Il forgea le fameux Sampo,
D'un côté moulin à farine,
d'un autre moulin pour le sel,
du dernier moulin à monnaie.
La fabrication du Sampo vue par Akseli Gallen Kallela :
Igor Boranov : le Sampo fabriqué par Ilmarinen
Pohjola devient riche grâce au Sampo, ce qui explique que lorsque Väinämöinen, Lemminkainen et Ilmaren décident de le voler, Louhi les poursuit, ivre de fureur. Transformée en griffon ou en aigle, elle attaque la barque. Le Sampo est brisé et des éclats tombent dans la mer. Vainominen en recueillera les morceaux déposés sur la grève par les vagues et ceux-ci vont assurer à eux seuls la richesse du Kalevala. Louhi ne leur pardonnera pas et s'ensuit une guerre qui déchire les deux pays. Louhi déchaîne sur Kalevala toutes sortes de fléaux.
Vainö Blomstedt : Le vol du Sampo
Louhi et la bataille pour le Sampo vue par Igor Baranov peintre russe
Louhi et la bataille pour le Sampo par Akselis Gallen Kallela
Le léger Lemminkäinen, séducteur et guerrier
Lemminkäinen et le cygne noir
Le léger Lemminkäinen, est aussi le superbe, le beau Kaukomieli ou encore Ahti, le gai compère, le luron aux pommettes rouges, tous ces noms et ces épithètes désignent un même personnage.
Lemminkainen a trop de succès auprès des femmes pour ne pas s'attirer des ennuis et il aime trop la guerre pour vivre en paix. Quand il épouse Kyllikki, tous deux se font une promesse : l'une de ne jamais aller s'amuser en ville, l'autre de ne plus partir à la guerre. Mais lorsque Kyllikki trahit sa promesse, Lemminkaïnen part batailler et va jusqu'à Pohjola pour demander une autre épouse à Louhi. Celle-ci lui fait subir des épreuves qu'il réussit, la dernière étant de tuer le cygne noir de Tuonela, le domaine des morts. Mais Lemminkäinen est tué et coupé en morceaux par un vieux berger jaloux et disparaît dans le fleuve noir de l'Enfer. Sa mère (telle Isis), munie d'un rateau, récupère les morceaux de son fils et reconstitue son corps et lui redonne vie en faisant appel aux dieux.
Robert William Eckmann : La mère de Lemminkäinen recueille les morceaux de son fils
Alaksi Gallen Kallela : La mère de Lemminkäinen redonne la vie à son fils
Lors le léger Lemminkäinen
Regagna vite son pays
Avec sa mère bien-aimée,
Chez la fameuse vieille femme.
Je laisse à présent mon Kauko,
Notre léger Lemminkäinen,
Pour longtemps hors de mes chansons;
Je change le cours de mes vers,
Dirige en d'autres lieues mon chant,
J'entre dans une voie nouvelle.
Kullevo, le fils de Kalervo
Akselis Gallen Kallela : la colère de Kullervo
Kullervo, le fils de Kalervo Le jeune garçon aux bas bleus La belle chevelure blonde La superbe chaussure en cuir...
On remarque dans les vers précédents l'une des caractéristiques du style épique du Kalevala qui consiste à désigner les êtres selon une particularité physique, ce qui est courant dans l'épopée, mais aussi par une partie de leurs vêtements, ce qui est rare. Ici, "la superbe chaussure de cuir" introduit une note étrange pour le lecteur étranger. Akselis Gallen Kallela le représente, à l'inverse, pieds nus, en haillons, comme l'être misérable et rejeté par tous qu'il est.
Kullervo, le fils de Kalervo, a un destin tragique ! Son père Kalervo, en guerre contre son propre frère Untamo, est tué et sa mère, amenée en captivité chez Untamo, meurt à sa naissance. Il est recueilli comme serf à la ferme de son oncle Untamo et élevé par une nourrice qui ne lui donne aucun amour. D'une force exceptionnelle, il se révèle incapable de réussir dans n'importe quelle voie et accumule les calamités. Il est violent et sa force extraordinaire le rend dangereux. Aussi, après avoir cherché à le tuer, mais en vain, son oncle le vend au forgeron Ilmarinen. C'est ainsi que ce personnage (qui a été ajouté dans la deuxième édition du livre, en 1849) se rattache à l'épopée en rejoignant l'un des héros essentiels. Là aussi, il est inapte à tous les travaux. Finalement, la femme de Ilmarinen lui confie la garde du troupeau. Il s'agit d'une des magnifiques filles de Louhi qu'Ilmarinen a conquise en sortant victorieux des épreuves imposées par la sorcière. L'épouse, pour se moquer de Kullervo, lui prépare son repas et glisse une pierre dans son pain. En coupant le pain, Kullervo casse son couteau, seul souvenir de son père. Sa colère est immense. Par un sortilège, il transforme ses brebis en ours et en loups et les jette contre la fermière qui est déchiquetée par les bêtes. Il s'enfuit et sa plainte s'élève dans la forêt :
Les autres rentrent au logis,
Regagnent leur foyer chéri;
Le bois lugubre est ma demeure,
La bruyère mon seul domaine,
Mon foyer est au gré des vents,
Mon étuve est dans les averses.
Ne crée jamais, Dieu de bonté,
Un enfant sans aucun appui,
Tout à fait privé de secours,
Sans père dans le vaste monde,
Et surtout sans mère ici-bas,
Comme tu m'as créé moi-même,
Plus tard, il retrouve ses parents qui ne sont pas morts. Ceux-ci lui apprennent que sa soeur a disparu. Kullervo, après s'être montré toujours aussi incapable de mener un travail à son terme chez ses parents, est envoyé en voyage. Il rencontre un jeune fille, la viole et découvre qu'elle est sa soeur. Cette dernière ne survit pas au déshonneur et se noie dans un lac. Kullevo est désavoué par sa famille. Plein de remords, il décide de venger la mort de ses parents, tue Untamo et se suicide en se jetant sur son épée.
Akselis Gallen Kallela : Kullervo part en guerre
Plus que dans les autres chants, on sent, ici, des contradictions dans le récit. Les parents sont morts puis ils ne le sont pas, puis ils meurent à nouveau. L'épouse d'Ilmaren est une ravissante jeune femme ou bien elle est une vieille mégère. Ceci nous rappelle que Le Kalevala a été construit selon des récits provenant de différentes origines et qui devaient présenter des versions différentes, ce qui arrive souvent lorsque les sources sont de tradition orale.
Akselis Gallen Lallela : Kullervo , enfant, grave des mots sur l'écorce avec le couteau de son père.
L'histoire de Kullervo a inspiré de nombreux artistes, des musiciens dont Sibélius qui a écrit une symphonie sur lui. Opéra, tragédie, danse, le célèbrent. Les peintres ont maintes fois illustré son histoire. Des statues de lui ornent les places dans les villes. L'ancien conte de Kullervo aurait inspiré Shakespeare pour sa tragédie d'Hamlet. Tolkien s'est inspiré de ce personnage dans son oeuvre The story of Kullervo.
Sculptures sur un immeuble à Helsinki
Il s'agit d'un drame d'une noirceur absolue dans lequel le héros, solitaire, mal aimé, n'apprend dans son enfance que la haine et la révolte. Il y a un passage étonnant dans le Kalevala où Elias Lönnrot commentant le destin de Kullervo donne une conception moderne de l'éducation des enfants.
Gardez-vous bien, races futures,
D'élever l'enfant durement
Chez une nourrice bornée,
Auprès d'une femme étrangère !
Le fils durement élevé
L'enfant bercé stupidement
Ne devient pas intelligent,
Ne prend pas un esprit adulte,
Même s'il vit longtemps,
Si son corps devient vigoureux.
Il nous reste à parler des dieux finlandais dans un billet : le Kalevala 3