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lundi 3 novembre 2025

Cédric Sapin-Defour : Où les étoiles tombent

 

 Où les étoiles tombent est le second livre de Cédric Sapin-Defour après Son odeur après la pluie, que je n’ai pas lu mais qui a obtenu un vif succès. J’ai donc eu envie de connaître l’auteur. 

J’ai hésité à écrire ce billet ne sachant pas trop comment aborder ce livre qui parle d’une histoire si douloureuse, si intime, que le traiter comme un objet littéraire me paraissait difficile. Et cependant il l’est comme n’importe quelle autre oeuvre, avec ses défauts et ses qualités, alors je vais essayer.

L’écrivain y raconte comment en Italie, dans la province de Bolzano, Cédric et Mathilde s’envolent en parapente pour éprouver une fois encore cette grisante sensation de liberté et de légèreté, et comment, cette fois-ci, le saut vire au drame, Mathilde s’écrasant en contrebas. Elle est amenée aux urgences, son pronostic vital engagé. Elle survit pourtant à ses multiples blessures et dès lors commence une suite d’opérations pour « réparer » un corps en miettes, pour soigner son polytraumatisme. L’histoire de la lente reconstruction de Mathilde, de ses souffrances et son courage ne peut évidemment que susciter l’admiration mais je me suis demandé pourquoi je n’ai pas ressenti plus d’émotion à cette lecture. C’est là qu’on remet en question sa propre sensibilité et son pouvoir d’empathie. 

Je crois que cela réside, en partie mais en partie seulement, dans la construction de l’ouvrage. On sait que, de nos jours, si l’on ne veut pas s’attirer l’ire des critiques, l’on ne peut pas écrire un récit linéaire, chronologique. La déconstruction est obligatoire, et Cédric Sapin-Defour obéit à ce principe, racontant sa propre quête, vers le lieu de la chute, vers l’hôpital, ses interrogations angoissées sur ce qui est arrivé à son épouse et parallèlement le parcours de Mathilde en ambulance, à l’hôpital, les soins qu’elle reçoit, la rééducation. Les deux récits s’imbriquent l’un dans l’autre. C’est un procédé de suspense mais assez factice quand il s'agit de la réalité et non d'un roman. A moment donné cela fonctionne tant que l’on ne sait pas ce qui est arrivé à Mathilde, ensuite cela paraît émoussé quand on a déjà la réponse à toutes les questions que se pose Cédric avant d’arriver à l’hôpital. 

De plus, on ne peut avoir que le point de vue de Cédric, forcément, puisque les personnages sont réels et non des héros de roman. On apprend tout des sentiments de Cédric, de son amour pour Mathilde, de son empathie pour les souffrances horribles de la blessée mais Mathilde reste un personnage extérieur, vu par lui. Si l’on comprend la peine de Cédric, on reste loin de Mathilde. On ne lutte pas avec elle pour se reconstruire, on ne sait pas ce qu’elle vit intérieurement, on ne peut qu’imaginer ce qu’elle ressent, d’où l’impression d’une certaine froideur, d’une distance, comme si entre le lecteur et le personnage un écran avait été dressé. Alors on compatit, oui, mais on "n’éprouve pas". Je sais bien que l’auteur affirme que « souffrir ne saurait être un spectacle » et c’est bien là que le bât blesse. Quand il s’agit de sa vie intime, il est légitime de ne pas se donner en spectacle mais alors, pourquoi l'écrire ? Et pour ne pas se donner en spectacle, on court le risque de se montrer trop froid, trop loin de son lecteur. 

Par contre j’ai apprécié les qualités littéraires de l’auteur et c’est là que j’ai ressenti de l’émotion dans certains passages du texte qui laissent filtrer des sentiments profonds et nous ramènent à l’universel. 
Par exemple quand il parle de la beauté, du corps humain, de la vie.

« Je vis entouré des forces de la beauté. S’il ne devait rester qu’une seule croyance, ce serait elle. La première fois, c’était le vent dans les herbes hautes, il coloriait le pré du Papou, du vert clair au vert foncé. Ca duré des secondes entières puis le vent s’en est allé. En même temps qu’apparaître, la beauté se retirait. Installée, ce n’est pas la beauté, c’est autre chose.
Puis on s’est revus, dans le ciel, dans les musées, dans les phrases et les pensées. La beauté c’est comme les chanterelles dans un sous-bois, quand on commence à la voir, on ne voit plus que ça. »


« Quelle invention le corps. Le plus évolué des outils n’atteint pas cette horlogerie, l’homme  n’atteindra jamais l’homme. »

« Moi, je croyais que c’était le coeur qui pensait, qui aimait, qui frémissait, qui en faisait trop ou pas assez. En réalité c’est le cerveau. Le coeur, c’est plus joli qu’un cerveau. C’est un oyas en peau d’argile blotti dans la terre et qui irrigue tout autour de lui, quand le cerveau, lui, on dirait le périphérique parisien. Mais c’est là-haut, dans ce lacis clignotant et selon un cadastre électronique rigoureux qu’habitent la gaieté, l’effroi, la tendresse, la poésie, l’émerveillement, la délicatesse, la possibilité de joie, les douces mélancolies, les forces de l’espoir, le don de la nuance, l’arbitrage des peurs, l’accueil de l’autre, les tentations de la violence, la soif de découvrir, le doute, l’imaginaire, les rêves oubliés, les vérités fragiles et toutes ces folies passionnantes qui rendent la vie respirable. »



 

lundi 27 octobre 2025

Jacques Prévert : La chanson des sardinières


Dans son blog Miriam raconte sa visite à Douarnenez et elle note que la ville s'est construite autour de la richesse locale, la sardine. Richesse mais pas pour tout le monde ! C'est là qu'a eu lieu la première grève féminine des Penn Sardin, surnom donné aux ouvrières qui travaillaient dans les usines de sardines. 

 Lire le billet de Miriam Ici 

 En écho au billet de Miriam, Aifelle publie dans son Bon Dimanche, la chanson des Penn Sardin,  chantée pendant la grève de 1924-25 et qui a été reprise pendant la célébration du centenaire de la grève : "Pemp real a vo !" ( "cinq réaux ce sera")

 A écouter dans le blog Aifelle Ici 

Les Sardinières ont aussi chanté une chanson anarchiste de la Belle époque  qui est restée comme La chanson de sardinières et dont le refrain est : 

 Saluez, riches heureux,
Ces pauvres en haillons
Saluez, ce sont eux
Qui gagnent vos millions.

Des ouvrières furent licenciées après l'avoir chantée à l'usine en 1924. Cette chanson interdite est une sorte "d'hymne national" douarneniste.

La chanson de sardinières Voir ici

En  1905, il y avait eu une première grève des Penn Sardin pour obtenir d'être payées à l'heure et non au cent de sardines. En 1924, l'exploitation de ces ouvrières est telle qu'éclate la grande grève des sardinières qui a eu un écho national, entraînant la solidarité des travailleurs, partout en Bretagne et dans le reste de la France. 

Quel que soit l'âge, de 12 ans à 80 ans, ces femmes travaillent dans les conserveries à raison de 10 heures par jour et de 72 heures d'affilée. La loi de 1919 sur les 8 heures de travail n'est pas respectée. Elles réclament (entre autres) vingt centimes d'augmentation. Les heures passées à l'usine dans l'attente du poisson ne sont pas payées, les  heures supplémentaires ne sont pas majorées, les heures de travail de nuit (en principe interdit pour les femmes) ne sont pas majorées. Les revendications vont porter sur tous ces points. 

Enfin Ingammic a rédigé un billet sur un livre : Un belle grève de femmes d'Anne Grignon.

 Lire son billet Ici du 15 mars 2024   

"Elles sont ouvrières dès l’enfance, pour certaines à partir de huit ans -on contourne, quand le manque d’argent se fait trop criant, la loi qui impose d’en avoir au moins douze- dans des conditions difficiles. Le travail se fait debout et à un rythme infernal, dans des structures exhaussant l’inconfort des chaleurs estivales comme des froids hivernaux, chargées d’odeurs de saumure et d’entrailles. Et leurs journées se prolongent avec l’entretien de la maison -qui comme leurs tenues, se doit d’être impeccable-, le linge à laver (sans machine) mais aussi les tâches administratives comme la tenue des comptes dont elles s’occupent généralement, car la plupart maîtrisent mieux le français que leurs époux." Ingammic

 

Douarnenez : la grève de sardinières

"La grève, soutenue par le maire Daniel Le Flanchec, animée par un comité de grève et supportée entre autres par Lucie Colliard et Charles Tillon  pour la CGTU, commence le 21 novembre 2024 dans une fabrique des boîtes. Elle s'étend le 25 à toutes les usines du port. Les 1600 femmes (sur 2 100 grévistes), sont chaque jour en première ligne des manifestations, au cri de « Pemp real a vo ! » (« Cinq réaux ce sera , c'est-à-dire 25 sous, ou 1,25 franc). Les patrons sont intraitables. Et les choses s'enveniment dans la deuxième quinzaine de décembre lorsqu'ils font appel à seize "jaunes" (briseurs de grève), recrutés dans une officine spécialisée de la  rue Bonaparte à Paris. Le préfet destitue le maire communiste, Daniel Le Flanchec. La grève déborde Douarnenez.  Elle devient un enjeu national. Le , au débit  de L'Aurore, les jaunes tirent plusieurs coups de feu sur Le Flanchec, l'atteignant à la gorge, blessant grièvement son neveu et touchant quatre autres personnes.

On apprend que deux conserveurs, Béziers et Jacq, ont remis aux jaunes la somme de 20 000 francs (l'équivalent de 25 000 heures de travail de leurs ouvrières). Ils risquent la cour d'assises. Le préfet menace de porter plainte contre le syndicat des usiniers. Le 7 janvier, ce dernier pousse à la démission ses membres les plus durs. Le 8 janvier, après 46 jours de grève, des accords sont signés : toutes les heures de présence à l'usine sont désormais payées, les femmes obtiennent un relèvement de leur salaire horaire à un franc, une majoration de 50 % des heures supplémentaires et de 50 % pour le travail de nuit.  La grève est victorieusement terminée le alors que des briseurs de grève ont tiré sur le maire Daniel Le Flanchec le ." (wikipédia)



Quant à moi, j'ai tout de suite pensé à ce poème de Jacques Prévert que j'aime depuis longtemps :  une sorte de valse triste et lancinante qui raconte un conte de fées inversé avec le refrain qui revient en début et à la fin du poème comme s'il ne pouvait y avoir de fin à la misère des ouvrières. A tel point que cette danse avec la répétition de "tournez, tournez", évoquant un manège d'enfants plein de joie et d'insouciance, dépeint, au contraire, l'éternelle continuation du malheur.

 

Jacques Prévert, Chanson des Sardinières 

 

Paul Gruyer : conserverie de sardinières

Ce poème fut écrit par Jacques Prévert en 1935 à l'occasion d'une fête bretonne à Saint-Cyr, localité de Seine-et-Oise. Il a été publié en 1949 dans un recueil intitulé Spectacles.

 

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans


Les fées qui sont venues
autour de vos berceaux
les fées étaient payées
par les gens du château
elles vous ont dit l’avenir
et il n’était pas beau


Vous vivrez malheureuses
et vous aurez beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants...
 

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans 

 

 Joséphine Pencalet

 

Première femme a être élue conseillère municpale
 

 

Joséphine Pencalet est l’un des visages de cette lutte victorieuse. En 1925, elle est élue conseillère municipale sur la liste présentée par le Parti communiste français. Election rapidement invalidée par le Conseil d'État, puisque les femmes n'ayant pas le droit de vote, elles ne sont pas considérées comme éligibles. Elle s'insurge contre cette annulation, mais le PC, qui avait pourtant fortement médiatisé sa candidature et son élection, ne la suit pas. Amère, s'estimant "utilisée", Joséphine Pencalet refusera de voter jusqu’à sa mort, en 1972. La petite sardinière bretonne reste cependant l'une des premières élues municipales en France." ( TV5 Ici

 

 Une autre chanson : Ecoutez le bruit de leurs sabots

 


 

Et même une BD : le choeur des sardinières

 


 
 
 Une autre BD : les Chasseurs d'écume
 
 

 
Ta loi du ciné signale une autre BD, Les chasseurs d'écume (Debois/Fino), qui raconte l'histoire de la sardine à Douarnenez et dans un des tomes la grève des Penn Sardin.

vendredi 24 octobre 2025

Séverine Cressan : Nourrices

 

En 2013, j’ai lu le très intéressant roman d’Isabelle Marsay Le fils de Jean-Jacques Rousseau. L’auteur de l’Emile malgré son traité d’éducation, a, en effet, abandonné ces cinq enfants aux Enfants trouvés, une sorte de mouroir où les bébés, non pas obligatoirement trouvés mais abandonnés légalement par leur famille, mouraient en grand nombre dès les premiers jours. A l’époque 90% des enfants de cette institution mouraient en bas âge. Les survivants étaient confiés à des nourrices, au sein d'un foyer misérable. Là, la malnutrition, le manque de soins et d'hygiène et les sévices achevaient de les tuer. 

Dans son roman Nourrices, Séverine Cressan nous place du point de vue des nourrices et décrit comment le «commerce du  lait» permettait d’exploiter odieusement ces femmes qui, poussées par la misère, donnaient leur lait en sevrant leurs propres enfants prématurément. Elles étaient à la fois exploitées par un homme, appelé le meneur, qui se chargeait de les amener à la ville chercher les bébés et prélevait une partie de leur gain mais exploitées, aussi, par leur mari qui empochait le reste de l’argent pour aller le boire. Les bébés confiés par des familles aisées ( les femmes de la bourgeoisie ne devaient pas allaiter) rapportaient plus que les nourrissons des Enfants trouvés.

Le personnage imaginé par Séverine Cressan, est une jeune femme aimante, Sylvaine, qui s’occupe consciencieusement et avec tendresse des enfants qui lui sont confiés. Ce n’est pas toujours le cas, certaines femmes sans scrupules prennent trop de nourrissons et les laissent mourir. Par une nuit de lune, Sylvaine, attirée par des pleurs, trouve près de sa chaumière un bébé abandonné sous un arbre. Près d’elle, un carnet écrit, on l’apprendra plus tard, par la jeune mère de l’enfant. Ce passage rappelle un peu les contes de fées traditionnels pas si « féériques », au fond, mais, au contraire, sombres et graves, où les enfants perdus dans les bois sont les proies de prédateurs en tout genre. Lors de cette découverte, Sylvaine cesse d’être humaine, elle est animal,  « à quatre pattes » « elle feule », « elle flaire», « félin », « hermine », « biche », ou « louve ». 
Cette comparaison de la femme avec l’animal apparaît sous une double forme dans le roman : maternité magnifiée dans la description de l’allaitement, avec cette étroite fusion des corps de la mère et de l’enfant, avec ce qu’elle représente ici d’instinctif, de primitif, de sensuel, mais aussi d’amour et de beauté, un peu comme les Maternités des peintres de la Renaissance ;  mais aussi maternité méprisée,  salie par les hommes qui en  font le « commerce » et  traitent les les femmes comme du bétail selon leur degré de rentabilité.

"Petit animal entêté, le nourrisson rampe vers la poitrine offerte, cherche le téton de ses lèvres ouvertes. Il le saisit à pleine bouche, aspire avec tant de force que c'en est douloureux. Le lait jaillit facilement. Pendant que le nouveau-né tête, la nourrice l'enveloppe de sa chaleur, le nourrit de ses caresses, le contient de ses mains câlines."

Sylvaine recueille l'enfant trouvée dans le bois et s’attache à elle.  Aussi quand la petite Gladie, l’autre nourrisson qui est sous sa garde, meurt,  Sylvaine l’enterre et lui substitue la fillette pour continuer à toucher l’argent de l’allaitement. Elle l'élève avec amour ainsi que ses deux garçons. 
Désormais deux récits alternent, celui de Sylvaine et celui de Zaïg, la mère de la petite fille, orpheline placée dans une ferme et abusée par le fermier.

Nourrices décrit une réalité sociale terrible dans un monde où la misère déshumanise et conduit à l’horreur face à ces hommes qui ne voient dans les femmes et les nourrissons qu’une marchandise pour laquelle on a droit à un pourcentage de perte.  

"Le meneur est revenu. Il avance à pas lourds en s'appuyant sur son bâton de marche. Son panier d'osier dans lequel sont entassés les nourrissons, formant dans son dos une excroissance difforme (...) Les nouveaux-nés sont-ils toujours en vie ? Combien ont survécu à ce voyage de plusieurs jours, à dos d'homme indifférent... Ils sont trois. L'un des nouveaux nés est mort. De froid ou de faim, peu importe. Il n'a pas supporté ce voyage éprouvant. L'autre est en piteux état : sa peau est recouverte par endroits de pustules. Il peine à ouvrir les yeux et n'émet qu'une faible plainte, semblable au miaulement d'un chaton perdu. Le dernier semble assez vigoureux."

Le roman révèle les pires instincts de ceux qui ont le pouvoir, le patron d’une grande ferme ou le père de famille bourgeois, qui violent les filles de ferme ou les jeunes servantes sans qu’elles puissent se protéger et se libérer. Il parle du statut de la femme à une époque qui n’est pas si lointaine.

Pourtant grâce au beau personnage de Sylvaine, grâce à son alliance avec la nature, naît la poésie. Ses enfants sont les enfants de la Lune, de la Terre et du Vent. C’est la Tempête, en effet, qui préside à la naissance de son petit dernier au cours de cette longue nuit d’accouchement où Sylvaine se retrouve seule dans la cabane secouée par le Vent. De même, la guérisseuse, la vieille Margot, représente  l’acceptation des forces de la nature, la sagesse et l’apaisement. La solidarité qui se crée entre les femmes face à l’adversité, face à l’exploitation, permet de donner une touche d’espoir au récit.
 

Ce roman  présente des qualités d’écriture et un sujet à la fois original et intéressant. 

lundi 15 septembre 2025

Jules Verne : Kereban le têtu

 

 

Avec Kereban le Têtu, Jules Verne concocte pour ses lecteurs un roman comique où les portraits de personnages tirant vers la caricature, les situations absurdes, l’avalanche d’aventures en tout genre s’accumulent pour former un récit pour le moins original, étonnant, amusant. Le contraste entre le têtu Kereban « Quand j’ai dit non, c’est non ! » et le trop conciliant et molasson Van Mitten, son ami, est l’une des constantes et l’un des ressorts comiques du roman. Et que dire du pauvre Bruno, le serviteur, si fier de son embonpoint acquis au service de son maître et qui voit avec consternation son ventre maigrir au cours de ce voyage fou, fou, fou !
Mais, bien sûr, sinon cela ne serait pas Jules Verne, il s’agit d’un roman instructif aussi ! Jules Verne, fidèle à ses habitudes, nous fait visiter les pays traversés et l’Histoire de toutes ses régions riches de leur passé glorieux et qui se rappellent à notre présent, notamment quand on traverse la Crimée, russe depuis la Tsarine Catherine II.

Jugez plutôt du point de départ : Kereban le Turc, richissime négociant en tabac, rencontre à Constantinople son ami, Hollandais, Van Mitten, qui exerce le même métier que lui mais est venu se réfugier en Turquie pour fuir son épouse et ses déboires matrimoniaux. Il paraît que Jules Verne, dans ce roman, règle ses comptes avec sa femme ! 

- …Vous savez, les affaires!… les affaires!… Je n'ai jamais trouvé cinq minutes pour me marier !
- Une minute suffit! répondit gravement Van Mitten, et souvent même … une minute, c'est trop!


Kereban invite son ami toujours suivi de son fidèle serviteur Bruno à venir manger chez lui, dans sa belle propriété à Scutari (l’actuel Üsküdar) sur la rive asiatique du Bosphore, juste en face de Constantinople. Pour cela, il faut traverser le détroit en caïque, ce qui n’est l’affaire que de peu de temps.

 

En l'absence de pont la traversée vers Scutari (Uskudar) se faisait en bateau

Mais voilà que les autorités de Constantinople déclarent que désormais il faudra acquitter un droit de péage pour la traversée. Bien qu’il s’agisse d’une somme dérisoire pour un homme aussi riche que lui, Keraban s’indigne, refuse de payer; il s’entête, Il y va de son honneur ! Il ne paiera pas ! Et pour arriver chez lui, le voilà qui entreprend un voyage autrement coûteux et autrement long (2800 kilomètres), faire le tour de la mer noire avec ses amis. Il lui faudra traverser la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine, la Russie, la Géorgie et revenir en Turquie sur la rive asiatique.



De plus, allergique au progrès, Kereban refuse d’emprunter des moyens de locomotion moderne comme le train et de s’aventurer sur la mer en bateau car il craint le mal de mer. Et comme vous le savez maintenant, Kereban est têtu ! Bruno résume  la situation ainsi : 

« De toutes les têtes de Turc dans lesquelles on tape dans les foires, je ne crois pas qu’il puisse jamais s’en trouver une aussi dure que celle-là !  « 
- «  Ta comparaison, si elle n’est pas respectueuse, est très juste, Bruno, réplique Van Mitten. Aussi comme je me briserai le poing sur cette tête, je me dispenserai, à l’avenir, de frapper dessus ! »

 Ajoutez à cela qu’il faudra accomplir ce voyage en un temps record car Kereban doit impérativement arriver à Scutari pour le mariage de son neveu Ahmet avec la charmante Amasia, fille de son ami banquier d'Odessa. De plus, le mariage ne peut être reporté car ce serait renoncer à un héritage subordonné à une date précise. Rien n’est simple, tout se complique et ceci d’autant plus que le jeune homme se voit obligé par son oncle de partir avec lui et que, pendant son absence, la jeune fille et sa suivante vont être enlevées par d’affreux bandits qui veulent les vendre à un harem. 
Ah! l’Horreur ! Vous allez en vivre des aventures rocambolesques, vous enliser dans le delta du Danube, échapper à une meute de sangliers, risquer la prison à maintes reprises ou une collision avec un train ( et toujours à cause de l’entêtement de Kereban, le bien nommé) ! Vous allez sauver des jeunes filles en détresse dans une tempête, faire un quasi mariage forcé avec une Kurde, trois fois veuve, la noble Sardapoul ! Pauvre Van Mitten qui fuit son mariage pour tomber entre les pattes de cette matrone ! 
Mais bon à savoir, tout va bien se terminer avec encore moult quiproquos et moult entêtements de la part de notre héros !

Un curieux roman qui m’a bien amusée !


La Bulgarie

 


Comme j’ai lu ce livre non seulement dans le cadre du challenge de Jules Verne, de celui de la Carte d'Europe autour de la mer noire mais aussi de la Bulgarie, je me suis intéressée plus particulièrement à ce pays dans ce roman.
Le roman de Jules Verne  est écrit en 1883. Au début du voyage entrepris pas Kereban, l'écrivain écrit : « La Turquie d’Europe comprend actuellement trois divisions principales : la Roumélie (Thrace et Macédoine), l’Albanie, la Thessalie , plus une province Tributaire, la Bulgarie ».

La Bulgarie  après la victoire Russe contre  les  Ottomans en 1878  et le traité de San Stéfano devait devenir une grande principauté autonome mais la Grande Bretagne et l’Empire austro-Hongrois  s’y opposent  et le traité de San Stefano ne fut jamais appliqué.. 

«  La conséquence majeure, voulue par la diplomatie britannique, fut le traité de Berlin du 13 juillet 1878, qui eut pour but de contenir la Russie, et pour conséquence de réduire la Bulgarie de San Stefano à deux entités séparées : une « principauté de Bulgarie » vassale de l'Empire ottoman (entre le Danube et le Grand Balkan), et la « Roumélie orientale », province autonome de celui-ci (entre le Grand Balkan et le Rhodope). » « Ces deux petites principautés bulgares qui, malgré les réticences des puissances occidentales, parviennent à s'unir en 1885 en un royaume qui fait reconnaître son indépendance en 1908. Pour tenter de retrouver ses frontières de San Stefano, la Bulgarie s'allie à l'Allemagne durant les deux guerres mondiales. En 1946, elle est intégrée dans le « bloc de l'Est » qui se disloque en 1990. Elle est membre de l'Organisation mondiale du commerce depuis 1996, de l'OTAN depuis 2004, de l'Union européenne depuis 2007. (source Wikipédia)

Le soir du second jour les voyageurs atteignent Bourgas bâti sur le golfe du même nom en Roumélie  où ils dorment dans une auberge rudimentaire, puis  la route qui s’écarte du littoral, les ramène le soir à Aïdos jusqu’à Varna.

« Ils traversaient alors la province de Bulgarie, à l’extrémité sud de Dobroutchka, au pied des derniers contreforts des Balkans »
Jules Verne y décrit un passage difficile « dans des vallées marécageuses, tantôt  à travers de plantes aquatiques, d’un développement extraordinaire, dans lesquelles la chaise avait bien de la peine à ne pas glisser, troublant la retraite de milliers de pilets, de bécasses, de bécassines, remisés sur le sol de cette région accidentée. »

  



« On sait que les Balkans forment une chaîne importante. En courant entre la Roumélie et la Bulgarie vers la mer Noire, elle détache de son versant septentrional de nombreux contreforts, dont le mouvement se fait sentir jusqu’au Danube. »
 

Mais bien vite les voilà en Roumanie.


 

Chez Taloiduciné Dasola


Chez Cléanthe



mercredi 10 septembre 2025

Martine Carteron : Les autodafeurs


 

En arrivant en Lozère où je passe mes vacances d’été, je trouve sur ma table de chevet un livre  intitulé Les Autodafeurs de Martine Carteron. Comment est-il arrivé là ? C’est ce que je ne sais pas. Aucune de mes filles ni aucun de mes petits-enfants ne le reconnaît pour sien. Ce qui est sûr, c’est qu’un livre ne se carapate pas tout seul jusque dans ma chambre ! Les araignées, oui ( horreur !) mais les livres non ! Mais  il y a tant de copains invités que… un oubli est vite arrivé. En attendant de retrouver son propriétaire, ce sera le livre parfait pour le pavé de l’été. Trois tomes en un seul volume, 1050 pages.

Pour une fois j’aime le résumé de la quatrième de couverture, alors je le partage avec vous.
«Je m’appelle Auguste Mars, j’ai 14 ans et je suis un dangereux délinquant. Enfin, ça, c’est ce qu’ont l’air de penser la police, le juge pour mineur et la quasi-totalité des habitants de la ville. Évidemment, je suis totalement innocent des charges de «violences aggravées, vol, effraction et incendie criminel» qui pèsent contre moi mais pour le prouver, il faudrait que je révèle au monde l’existence de la Confrérie et du complot mené par les Autodafeurs et j’ai juré sur ma vie de garder le secret. Du coup, soit je trahis ma parole et je dévoile un secret vieux de vingt-cinq siècles (pas cool), soit je me tais et je passe pour un dangereux délinquant (pas cool non plus). Mais bon, pour que vous compreniez mieux comment j’en suis arrivé là, il faut que je reprenne depuis le début, c’est-à-dire, là où tout a commencé.» 


PS: Ce que mon frère a oublié de vous dire c’est qu’il n’en serait jamais arrivé là s’il m’avait écoutée; donc, en plus d’être un gardien, c’est aussi un idiot. "Césarine Mars

Il s’agit d’un livre pour la jeunesse à partir de 12 ans, paru en 2014, que l’auteure a écrit pour son fils et qui a obtenu le prix Les Mordus du Polar 2015.
Tome 1 : Mon frère est un gardien
Tome 2 : Ma soeur est une artiste de guerre
Tome 3 : Nous sommes tous des propagateurs.

Polar ? Je ne sais pas ? Mais pourquoi pas ? Pour moi il s’agit plutôt d’un livre d’aventures, d'Histoire, de science-fiction, que vont vivre Auguste Mars (14 ans), un garçon versé en arts martiaux (il en aura besoin!),  superficiel, accro à la mode, un peu snob,  (il va lui falloir mûrir !) et sa petite soeur Césarine, (7 ans) autiste, un génie qui éprouve quelques difficultés à comprendre la métaphore et les sentiments et qui prend tout au pied de la lettre, ce qui crée des situation pleines d’humour. Voilà pour les deux personnages principaux. 

Autour d’eux gravitent le père qui fait une apparition rapide puisqu’il est tué dès le premier chapitre dans un accident de la route criminel. On apprend qu’il compte sur ses enfants pour protéger le Livre. La mère, professeur d’histoire-géo, férue d’histoire romaine d’où les prénoms de ses enfants ! Elle se révèlera beaucoup moins sans défense que prévu. Et de même les grands-parents. C’est chez eux, en province, que les enfants et la mère vont se réfugier après la mort de leur père, dans une ancienne Commanderie qui est dans la famille depuis des siècles. Ajoutons- y, Marc, le prof de français « le plus cool de la terre », qui plait beaucoup à Auguste dans son nouveau collège, et qui se révèle être, à sa grande surprise, son parrain. Et puis un copain, Néné, un peu marginal, le seul avec qui il parvient à nouer des relations amicales. Enfin Bart, qui s’oppose à ses grosses brutes de frère et à son père, membres actifs des autodafeurs, et qui rejoint  la Confrérie.

La Confrérie lutte depuis des millénaires contre les autodafeurs, ennemis de la culture, destructeurs de livres. Ils ont bien compris que pour prendre le pouvoir et soumettre le peuple à la dictature, c’est au savoir et donc aux livres qu’il faut s’attaquer. C’est un combat toujours renouvelé que mènent tous les gouvernements autocrates, et si les livres, de nos jours, ne sont plus brûlés sur les places dans des autodafés publics, ils peuvent être détruits avec des moyens modernes encore plus performants. Le roman fait allusion, bien sûr, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.


Un livre pour la jeunesse qui montre l’importance des livres, voilà qui ne pouvait que me plaire !
Pourtant, j’ai trouvé que c’était parfois très violent. On y risque sa vie et on y meurt pour de bon et pas seulement les « méchants » ! Les « gentils » aussi peuvent devenir violents car la guerre n’est jamais positive et corrompt tous ceux qui y participent. Marc y perd son innocence et son âme d’enfant. Mais l’imagination de l’auteur est sans limite, les aventures se succèdent et entraînent loin dans le temps, avec des retours dans le passé et dans l’espace quand les membres de la Confrérie seront obligés de se cacher et de se réfugier dans les sous-sols d’une île. Bref ! La lecture est addictive et on lit le livre en un temps record, sans pouvoir s’arrêter !



 

Ta loi du ciné chez Dasola


Chez Sybilline La petite liste

Chez Moka


samedi 6 septembre 2025

Jules Verne : Le rayon vert

 

  

Dans son roman Le rayon vert Jules Verne imagine que son héroïne, la charmante écossaise Helena Campbell - orpheline élevée par ses deux oncles qui veulent la marier-  leur répond qu’elle ne se mariera que lorsqu’elle aura pu observer le rayon vert. Celui-ci est le dernier rayon que le soleil lance avant de se coucher sur la mer et de disparaître à l’horizon, dans un  ciel  pur, débarrassé de toutes particules et  nuages…
 Cette Écossaise, dont la « fibre patriotique vibrait comme la corde d’une harpe », est dotée d’un tempérament poétique et rêveur à l’extrême. Son caractère présente une dualité marquée : elle peut se montrer tantôt sérieuse et réfléchie, tantôt superstitieuse et fantasque. Bonne et charitable « elle s’appliquait à justifier le vieux proverbe gaélique : “Puisse la main qui s’ouvre être toujours pleine !” »

 

Le rayon vert du film de Rohmer

Pour moi Le rayon vert a une résonance particulière. Je me souviens d’avoir essayé, en vain, de l’observer en Lozère avec mes amis cinéphiles, tous amoureux d’Eric Rohmer dont nous aimions le film éponyme qui venait de sortir. Nous avions peu de chance de l’apercevoir en montagne, il faut bien le dire, mais cela avait peu d’importance puisque j’ai toujours cru que le rayon vert n’existait pas. Or, récemment, en cherchant des images du film sur le net,  je me suis aperçue que non seulement Rohmer ( ou plutôt son équipe) l’avait filmé ( au ralenti) et que ce n’était pas un trucage comme je l’avais cru jadis mais une réalité.  

Ainsi le « mythique »  rayon vert, qui donne un pouvoir exceptionnel de lucidité sur soi-même et sur les autres, celui qui permet d’y voir plus clair dans ses sentiments, est tout simplement un phénomène physique rare qui ne dure qu’une seconde ou deux d'où la difficulté de le saisir et encore plus de le filmer !
« Le rayon vert est  la combinaison de deux phénomènes différents, la dispersion et la diffusion de la lumière par l’atmosphère  terrestre (beaucoup plus épaisse à l’horizon) qui joue le rôle d’un prisme. »


 

Le rayon vert

Mais revenons à nos moutons ou plutôt au roman de Jules Verne qui a d’ailleurs inspiré Eric Rohmer !

Il faut bien l’avouer Sam et Sib Melvill adorent leur nièce et sont toujours prêts à faire ses quatre volontés, mais ils ne sont pas très au fait des sentiments féminins quand ils cherchent à la marier avec le savant (et prétentieux), insipide, pour ne pas dire définitivement rasoir, Aristobulus Ursiclos. Déjà avec un nom pareil, le lecteur le moins fûté comprend que le jeune homme est in-mariable. 

Si bien que nous nous lançons avec Helena et ses oncles à la recherche du rayon vert qui décidera de son mariage. Au cours de cette quête qui se passe en Ecosse nous sommes rejoints par le jeune et courageux Olivier Sinclair, dernier « rejeton d’une honorable famille d’Edimbourg », qui s’est illustré devant la jeune fille par un héroïque sauvetage en mer dans le gouffre de Corryvrekan.

 « Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, sur la côte de Bretagne, et au raz Blanchart, à travers lequel se déversent les eaux de la Manche, entre Aurigny et la terre de Cherbourg. La légende affirme qu’il doit son nom à un prince scandinave, dont le navire y périt dans les temps celtiques. En réalité, c’est un passage dangereux, où bien des bâtiments ont été entraînés à leur perte, et qui, pour la mauvaise réputation de ses courants, peut le disputer au sinistre Maelström des côtes de Norvège. »
 

Pas besoin du rayon vert pour savoir ce qui va arriver !

« Peintre distingué, qui aurait pu vendre ses œuvres à haut prix s'il l'eût voulu, poète à ses heures — et qui ne le serait à un âge où toute l'existence vous sourit ? —, cœur chaud, nature artiste, il était pour plaire et plaisait sans pose ni fatuité. (…) »

D’habitude, c’est le savant qui, dans Jules Verne, a le beau rôle. Ce n’est pas le cas ici ! Aristobulus va se rendre de plus en plus insupportable car le roman ne manque pas d’humour et chaque fois que les jeunes gens vont enfin pouvoir admirer le rayon vert, que toutes les conditions sont réunies, qui surgit entre eux et l’horizon ? Devinez ? Même le lecteur a envie que le fâcheux jeune homme reste définitivement suspendu à la souche qui l’arrête quand il tombe de la falaise et d’où Olivier, charitable, le décroche ! Qui plus est, l’explication qu’il donne du rayon vert est fausse… mais on ne le savait pas à l’époque ! Pardonnons-lui !

Le roman est aussi un prétexte à une visite de l’Ecosse, de son littoral et de ses îles, de la mer, qui donne lieu à des descriptions pittoresques et détaillées du pays, ce qui n’est pas l’un des moindres intérêts de la lecture.

« C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques. Entre elles, couché sur la litière verte, s’allonge le granit du roi d’Écosse, ce Duncan illustré par la sombre tragédie de Macbeth. De ces pierres, les unes portent simplement des ornements d’un dessin géométrique ; les autres, sculptées en ronde bosse, représentent quelques-uns de ces farouches rois celtiques, étendus là avec une rigidité de cadavre.
Que de souvenirs errent au-dessus de cette nécropole d’Iona ! Quel recul l’imagination fait dans le passé, en fouillant le sol de ce Saint-Denis des Hébrides ! »

 


 


 

vendredi 5 septembre 2025

Roger Vercel : La fosse aux vents Ceux de la Galatée, La peau du diable, Atalante

 

La fosse aux vents de Roger Vercel regroupe trois volumes respectivement appelés : Ceux de la Galatée, La peau du Diable, Atalante. Tous trois sont consacrés à un personnage récurrent, Pierre Rolland, la forte tête, l’orgueilleux, que l’on voit évoluer d’un roman à l’autre de simple matelot à capitaine, au cours de son embarquement sur trois voiliers différents « aux temps héroïque des Cap-Horniers. » comme l’annonce le sous-titre du roman. La trilogie s’étend de la fin du XIX siècle à la première guerre mondiale, à une époque où les splendides voiliers, fierté de leur équipage, vont être peu à peu supplantés par les bateaux à vapeur.   


 Ceux de la Galatée

En 1897, le long-courrier Galatée part du port de Dunkerque livrer du charbon au Chili et retournera en s’arrêtant à  San Francisco pour charger du grain.
Ce navire est commandé par  le capitaine Le Gaq et son second Monnard. Il y a aussi le pilotin Jean Marquet, un adolescent que son riche père oblige à embarquer pour lui forger le caractère. Pauvre gamin en butte aux railleries de l’équipage, et formé sur le tas, sans ménagement. Le marin Pierre Rolland le prend en grippe, haïssant sa faiblesse et plein de mépris pour son ignorance. Rolland  est responsable d’un accident qui risque de coûter la vie au jeune homme. Au cours du voyage au cours duquel le passage du Cap Horn se révèle être un morceau de bravoure, le second, Monnard, s'aperçoit que Pierre Rolland a l’étoffe d’un chef. Il lui propose de reprendre des études pour devenir capitaine. Il faudra vaincre l’orgueil de Rolland qui vient d’un milieu modeste, sa crainte qu’on lui fasse l’aumône, ses doutes et ses révoltes, pour que celui-ci accepte l’hospitalité du frère de Monnard, un curé, un beau personnage, et pour qu’il accepte de suivre des cours auprès du père Rémy… Mais là encore son caractère orgueilleux et peu conciliant blessent ceux qui pourtant l’ont l’aidé.


La peau du diable

Dans La peau du diable, Pierre Rolland est devenu second sur L’Antonine commandé par le capitaine Thirard. Il embarque à Port-Talbot près de Bristol, et se rend en Nouvelle-Calédonie pour charger du minerai de nickel. Le capitaine Thirard souffre d’un cancer de la gorge mais conserve jusqu’au bout sa dignité et assume ses responsabilités envers son navire malgré des souffrances atroces. Il gagne le respect de Rolland et de son équipage.


Atalante 

Le capitaine Pierre Rolland est d’abord commandant de l'Argonaute mais son second, Fourment, doit débarquer suite à un accident survenu lors du voyage aller. À l'arrivée en France, le lieutenant Gicquel qui a fait fonction de second depuis l'accident, invite le capitaine Rolland au mariage de sa soeur. C’est là que Rolland rencontre Geneviève, la soeur de la mariée. Rolland qui, jusqu’alors, n’estimait pas les femmes, est séduit par l’intelligence et la finesse de la jeune femme. Il l'épouse avant d'embarquer à bord de l'Atalante, en partance du Havre pour San Francisco. Malgré les réticences de Rolland, Geneviève embarque avec lui. Elle est persuadée que, comme sa mère l’a fait avant elle, elle pourra suivre son mari dans ses voyages au long cours et éviter les séparations et l’attente qui sont le sort habituel des femmes de marin.


Les personnages

Vercel a le don de créer des personnages complexes, vrais, rudes, parfois primitifs, et de nous faire partager leur vie, comprendre leur mentalité. 
Je dois dire que j’ai trouvé Pierre Rolland extrêmement antipathique. Il méprise les femmes tout en se servant d’elles pour ses besoins sexuels. Et même lorsqu’il trouve une femme qu’il admire assez pour l’épouser, il la méprisera dès qu'elle lui paraît en état de faiblesse, victime du mal de mer et sa santé s’étiolant. Et que dire du racisme manifesté par Rolland envers les canaques que les missionnaires s’efforcent d’instruire - en vain-  d’après lui : « Tout ce qu’ils parvenaient à loger dans ces cervelles primitives leur demeurait aussi étranger que le dressage des chiens savants ». C’est assez abject ! 

Il a, bien sûr, des qualités, sa compétence, son endurance, son courage et sa loyauté envers ses chefs, ses hommes et son navire mais comme le disent ses pairs, capitaines comme lui, même s’ils le respectent, ils ne pourront jamais se lier d’amitié avec lui.
L’épouse de Pierre Rolland qui embarque avec lui sur l’Atalante est une belle figure féminine, fine, intelligente, courageuse, qui fait ressentir d’autant plus l’incapacité de son mari à éprouver de l’empathie, et met en relief d'une manière révoltante son égoïsme, son mépris des femmes et des faibles. 


Un roman d’aventure et un hommage aux marins disparus 

Les trois volumes se lisent comme des romans d’aventures et, si l’on est parfois noyé sous le flot du vocabulaire de la navigation à voile, la narration, vivante,  nous entraîne dans des aventures  dangereuses et passionnantes.
 Vercel décrit la vie des Cap-Horniers, et la richesse de la description, la connaissance des manoeuvres complexes à effectuer, tout donne au lecteur l’impression que l’auteur est un marin chevronné, qui a vécu bien des aventures extrêmes en haute mer. Or, il n’en est rien, il n’est allé qu’une fois en mer sur un bateau de pêche et n’a jamais effectué de voyages au long cours, ce qui rend encore plus incroyable sa maîtrise de la navigation à voiles, sa documentation des conditions de travail effroyables des Caps-Horniers, sa compréhension de la mentalité des marins du bas de l’échelle à la fonction la plus haute de capitaine. C’est que pour écrire ces romans il a rencontré de vieux marins qui ont vécu la fin de ces temps héroïques, collecté leurs souvenirs, leurs aventures, il s’est nourri de leurs récits, de leurs croyances, de maintes anecdotes. Il a  vécu à travers eux les difficultés du métier mais aussi ressenti la fierté de ces hommes qui étaient conscients de la beauté et des qualités de leur navire qu’ils aimaient d’amour et qu’ils voyaient sur le point de disparaître au profit de la navigation à vapeur qui allait les remplacer. Ils étaient à la fois victimes de conditions de vie éprouvantes, de l’exploitation exercée sur eux par des armateurs qui les payaient mal et les accablaient de travail. Ils étaient parfois révoltés, ombrageux, prompts à prendre la mouche. Ils étaient aussi les héros orgueilleux d’un quotidien qui ressemblait bien à une épopée que Roger Vercel a su rendre d’une manière magistrale.


 


Chez Moka 540 pages


Chez Sibylline  540 pages


dimanche 27 juillet 2025

Charlotte d'après le roman de David Foenkinos

 

 

 CHARLOTTE mise en scène de Thierry Surace


La résistance par l'art : le destin de Charlotte Salomon
Tout part du portrait de Charlotte. Lentement, il s’anime et nous dit : « C’est ma vie ». Le ton est donné. Nous serons les témoins de son histoire, à travers ses envies, ses tourments, son parcours artistique, jusqu’à sa déportation à Auschwitz.

Notre adaptation du roman de David Foenkinos, au-delà de son aspect historique, est avant tout, une pièce où l’émotion du vivant prime sur la simple reconstitution des faits. L’auteur, envoûté par l’œuvre et la vie de Charlotte Salomon, a su transposer dans son récit, toute la force de vie de cette jeune peintre juive, son histoire intense et bouleversante.
Cette pièce est un devoir de mémoire, une leçon émotionnelle à partager entre générations, mais surtout un roman d’exception, au théâtre.

Après le succès de « La délicatesse », la Compagnie Miranda présente sa nouvelle création « Charlotte » d’après le roman de David Foenkinos.

Prix Goncourt des lycéens 2014
Prix Renaudot 2014

Avec le soutien de : Région SUD PACA, Département des Alpes-Maritimes, Ville de Nice, Fondation pour la Mémoire de la Shoah






CHARLOTTE LE BALCON
informations
du 5 au 26 juillet relâche les 10, 17, 24 juillet
16h45 1h20
BALCON (THÉÂTRE DU)
Public : Tout public à partir de 11 ans

auteur
D'après David Foenkinos
équipe artistique
Thierry Surace - Mise en scène
Jessica Astier - Interprétation
Julien Faure - Interprétation
Sylvia Scantamburlo - Interprétation
Jérôme Schoof - Interprétation
Jonathan Silve - Interprétation
Thierry Surace - Interprétation
Catherine Eschapasse - Production
Bastien Forestier - Scénographie
Anne-Laure Mas - Production
Pierrick Quenouille - Diffusion
Thierry Surace - Adaptation théâtrale
Alice Touvet - Costumes
Jean Vignal-Laudy - Vidéo
 
compagnie MIRANDA
Compagnie française
Compagnie professionnelle
Description :
La compagnie Miranda a été créée en 1993 par Thierry Surace, directeur artistique de la compagnie, metteur en scène, auteur et comédien.
Elle compte aujourd’hui 28 intermittents et 3 permanents.
Elle a créé plus de 55 spectacles tout public et 28 jeune public. Elle a adapté des textes du grand répertoire ainsi que des auteurs contemporains.