La Folie d'une femme séduite de Susan Fromberg Schaeffer raconte l'histoire d'une jeune fille, Agnès Dempster, inspirée d'un fait réel survenu à la fin du XIX ème siècle. A la mort de sa grand mère bien-aimée, Agnès quitte la ferme familiale du Vermont pour se rendre à la ville. Elle fuit une mère qui ne l'a jamais aimée, trop marquée par la mort accidentelle de sa première fille Majella et un père qui a toujours pris le parti de sa femme. Elle a seize ans. Arrivée à la ville de Montpelier, Agnès trouve du travail dans un atelier de couture après s'être installée dans une pension de famille. Là, elle rencontre Frank Holt, jeune sculpteur de pierre, dont elle va tomber amoureuse. Il s'agit pour elle d'une passion dévastatrice, bouleversante, qui l'accapare tout entière. Elle idéalise cet homme qu'elle voit doté de toutes les qualités, elle s'attache à lui avec tant d'emportement que le jeune homme prend peur et préfère rompre. Il retourne alors à ses anciennes amours, la sage et calme Jane qui lui apportera la paix et la sécurité. C'est alors que survient le drame qui a servi de point de part à S. Schaeffer pour imaginer ce récit.
L'histoire est racontée par Agnès, âgée, et s'adresse à son amie Margaret. Elle revient sur les évènements de sa vie pour essayer de les comprendre : ce qui m'intéresse, je crois, c'est de comprendre comment les gens se retrouvent là où ils en sont, quand tout est fini. Mais je suis sûre à présent que ça allait bien au-delà. Peut-être ai-je encore le besoin de savoir si ma vie devait nécessairement se passer ainsi. Le récit n'est pas linéaire mélangeant le passé et le présent de la jeune femme mais aussi de ses parents, et en particulier des femmes de la famille de sa mère, toutes dotée d'une beauté si parfaite que des générations d'artistes attirés par leur renom se succédèrent pour les peindre ou les sculpter. Mais la beauté semble être pour elles plus une fatalité qu'un atout pour réussir leur vie.
LA FOLIE, L'AMOUR, LA MORT
Pour moi le thème principal du roman n'est pas, comme on le pense souvent, l'amour mais la folie et d'ailleurs les deux thèmes sont indissolublement liés, tous deux inséparables de la Mort. La passion que vit la jeune fille est une manifestation de son délire, de son exaltation qui lui fait perdre pied avec la réalité, le concret : "Je n'adorais pas Frank comme un Dieu; il était un Dieu"."Il était la lumière du ciel. Il était le ciel.""Je baissais les yeux sur ma main et l'aimais, non parce que c'était ma main, mais parce que Frank l'aimait et la touchait". Peu à peu la jeune fille va se désintéresser de tout ce qui n'est pas Frank, refusant d'aller travailler pour rester avec lui : Quand il se retirait dans sa chambre, j'étais jalouse des meubles parce qu'ils étaient près de lui et moi pas, et quand il partait travailler, j'étais jalouse de ses compagnons de travail, des pierres et même du sol qu'il foulait.
Plus tard le docteur Parsons en parlera en ces termes : Elle le voulait tout entier en sa possession. D'après elle, il était son moi.
Elle va ainsi perdre sa propre identité pour se fondre en l'autre, ne plus exister en dehors de l'autre. Elle est d'ailleurs et paradoxalement très consciente de ce qu'il y a de déraisonnable et de mortifère dans ce qu'elle éprouve, elle se dit "malade d'amour" : .. parfois il lui semblait n'être pas dans son propre corps, qu'un visage étranger recouvrait le sien, qu'elle était mauvaise et que pour cela elle n'allait pas à l'église
La perte de son identité la conduit, lors de l'abandon de Frank, à une haine de soi qui ne peut que mener à la mort. Mais sous l'emprise d'un dédoublement de la personnalité, lorsqu'elle veut se supprimer, elle tuera une personne innocente, ce qui la conduira à l'asile psychiatrique. :
Mais n'oublions pas que nous sommes à la fin du XIX et que cette maladie n'était pas connue, aussi lorsque le juge somme le docteur Parsons de donner un nom à cette affection, il ne peut que répondre : La maladie de la femme séduite. Voilà comment il décrit cette maladie. : L'individu en question prend simplement un autre pour lui-même.... On peut observer de phénomène chez les amoureux également. Souvent, ils déclarent : "je t'appartiens" ou "tu m'appartiens" et ça ne pose aucun problème. Ce qui en détermine la nature pathologique, c'est l'importance et la qualité de l'erreur. Les amoureux sont malgré tout conscients d'être deux individus. A un certain moment, Mlle Dempster a perdu cette conscience"
Le thème de la mort est omniprésent aussi dans le roman. Elle commence par l'abattage par son père de son animal familier, sa vache préférée. Elle continue avec la mort violente de Mejella, la soeur d'Agnès ou le bébé mort trouvé dans les bois. Elle est là dans les carrières ou les sculpteurs de pierre fabriquent les stèles funéraires, dans l'avortement qui tue son enfant, dans l'image qui torture son esprit : Comme s'ils étaient dans la chambre, je vis les engrenages de l'énorme pendule de ma grand-mère qui tournaient contre le mur. Je me vis sur des roues dentées. Au fur et à mesure qu'elle tournait, ma robe se prenait dans les dents de roues plus petites, et je me vis déchiquetée.
LA FEMME
La description de la condition féminine est aussi très intéressante. La mère et la grand mère d'Agnès ont toujours rêvé de quitter le Vermont, d'être libres mais n'y sont jamais parvenues. Agnès réalise ce rêve mais elle n'en est pas plus libre. Les femmes sont soumises à leur condition biologique et dans cette fin du XIX siècle, elles sonc cnsées ne pouvoir se réaliser qu'en ayant un enfant. Ne pas en vouloir c'est être anormale. Se faire avorter, c'est risquer sa vie, subir des souffrances et des violences atroces. On voit aussi la condition de la femme ouvrière dans l'atelier de couture où travaille Agnès.
J'ai parfois éprouvé quelques moments de lassitude au cours de ce roman de 800 pages lors de la description de la passion amoureuse. La jeune femme avec ses idées fixes, son amour maladif qui exclut tout autre intérêt, ses brusques moments de dépression est un personnage qui tourne en rond. C'est normal puisqu'elle est obsessionnelle et finalement c'est une qualité de l'auteur de nous la peindre ainsi.. Mais l'on n'en prend conscience qu'après lorsque son mal est analysé. Sur le moment, on subit comme le font ses amis et son amoureux ses variations d'états d'âme, son instabilité, ses angoisses et c'est parfois pénible et même insupportable tant que l'on ne comprend pas que c'est lié à sa maladie. Ce que j'ai le plus apprécié, c'est le procès, tout ce qui a trait aux balbutiements de la psychiatrie et de la psychanalyse et la vie de la jeune femme à l'asile. Le roman est superbement écrit dans une langue très belle, avec des temps forts, la vie dans les Hauts pâturages en est un, aussi. Un beau livre.
Notons la ressemblance de Folie d'une femme séduite avec Captive de Margaret Atwood. A partir d'un fait divers un peu semblable, les deux écrivains ont pourtant réalisé deux oeuvres très personnelles.
L'histoire est racontée par Agnès, âgée, et s'adresse à son amie Margaret. Elle revient sur les évènements de sa vie pour essayer de les comprendre : ce qui m'intéresse, je crois, c'est de comprendre comment les gens se retrouvent là où ils en sont, quand tout est fini. Mais je suis sûre à présent que ça allait bien au-delà. Peut-être ai-je encore le besoin de savoir si ma vie devait nécessairement se passer ainsi. Le récit n'est pas linéaire mélangeant le passé et le présent de la jeune femme mais aussi de ses parents, et en particulier des femmes de la famille de sa mère, toutes dotée d'une beauté si parfaite que des générations d'artistes attirés par leur renom se succédèrent pour les peindre ou les sculpter. Mais la beauté semble être pour elles plus une fatalité qu'un atout pour réussir leur vie.
LA FOLIE, L'AMOUR, LA MORT
Pour moi le thème principal du roman n'est pas, comme on le pense souvent, l'amour mais la folie et d'ailleurs les deux thèmes sont indissolublement liés, tous deux inséparables de la Mort. La passion que vit la jeune fille est une manifestation de son délire, de son exaltation qui lui fait perdre pied avec la réalité, le concret : "Je n'adorais pas Frank comme un Dieu; il était un Dieu"."Il était la lumière du ciel. Il était le ciel.""Je baissais les yeux sur ma main et l'aimais, non parce que c'était ma main, mais parce que Frank l'aimait et la touchait". Peu à peu la jeune fille va se désintéresser de tout ce qui n'est pas Frank, refusant d'aller travailler pour rester avec lui : Quand il se retirait dans sa chambre, j'étais jalouse des meubles parce qu'ils étaient près de lui et moi pas, et quand il partait travailler, j'étais jalouse de ses compagnons de travail, des pierres et même du sol qu'il foulait.
Plus tard le docteur Parsons en parlera en ces termes : Elle le voulait tout entier en sa possession. D'après elle, il était son moi.
Elle va ainsi perdre sa propre identité pour se fondre en l'autre, ne plus exister en dehors de l'autre. Elle est d'ailleurs et paradoxalement très consciente de ce qu'il y a de déraisonnable et de mortifère dans ce qu'elle éprouve, elle se dit "malade d'amour" : .. parfois il lui semblait n'être pas dans son propre corps, qu'un visage étranger recouvrait le sien, qu'elle était mauvaise et que pour cela elle n'allait pas à l'église
La perte de son identité la conduit, lors de l'abandon de Frank, à une haine de soi qui ne peut que mener à la mort. Mais sous l'emprise d'un dédoublement de la personnalité, lorsqu'elle veut se supprimer, elle tuera une personne innocente, ce qui la conduira à l'asile psychiatrique. :
Je tirai une fois et la balle entra dans la tempe. je la regardai fascinée, tomber sur le sol. C'était moi qui glissais dans le vide, du sang ruisselant de ma tempe, pour m'étendre dans la neige. Et quand je baissai les yeux sur elle, je vis qu'elle me souriait, tendant les bras vers moi, mon double, mon ombre, et je sus que c'était là le sommeil, que c'était l'étreinte que j'avais toujours recherchée...
Tout le roman prépare à ce dénouement. La folie hante ce livre. On s'aperçoit qu'elle est déjà présente chez la grand mère Eurydice qui devient folle lorsqu'elle sait son mari atteint d'une maladie irréversible et qu'elle s'exile dans la porcherie. Elle est présente chez sa mère, Helen, qui n'est jamais plus la même après la mort horrible de son fille aînée brûlée par une lessiveuse d'eau bouillante. Déjà, enfant, Agnès était victime d'hallucinations, des ombres venaient la visiter dans sa chambre, des visages la regardaient du haut du plafond. Elle a essayé de se suicider à l'âge de treize ans. Elle pouvait passer d'une joie excessive à un abattement sans égal en un instant.Mais n'oublions pas que nous sommes à la fin du XIX et que cette maladie n'était pas connue, aussi lorsque le juge somme le docteur Parsons de donner un nom à cette affection, il ne peut que répondre : La maladie de la femme séduite. Voilà comment il décrit cette maladie. : L'individu en question prend simplement un autre pour lui-même.... On peut observer de phénomène chez les amoureux également. Souvent, ils déclarent : "je t'appartiens" ou "tu m'appartiens" et ça ne pose aucun problème. Ce qui en détermine la nature pathologique, c'est l'importance et la qualité de l'erreur. Les amoureux sont malgré tout conscients d'être deux individus. A un certain moment, Mlle Dempster a perdu cette conscience"
Le thème de la mort est omniprésent aussi dans le roman. Elle commence par l'abattage par son père de son animal familier, sa vache préférée. Elle continue avec la mort violente de Mejella, la soeur d'Agnès ou le bébé mort trouvé dans les bois. Elle est là dans les carrières ou les sculpteurs de pierre fabriquent les stèles funéraires, dans l'avortement qui tue son enfant, dans l'image qui torture son esprit : Comme s'ils étaient dans la chambre, je vis les engrenages de l'énorme pendule de ma grand-mère qui tournaient contre le mur. Je me vis sur des roues dentées. Au fur et à mesure qu'elle tournait, ma robe se prenait dans les dents de roues plus petites, et je me vis déchiquetée.
LA FEMME
La description de la condition féminine est aussi très intéressante. La mère et la grand mère d'Agnès ont toujours rêvé de quitter le Vermont, d'être libres mais n'y sont jamais parvenues. Agnès réalise ce rêve mais elle n'en est pas plus libre. Les femmes sont soumises à leur condition biologique et dans cette fin du XIX siècle, elles sonc cnsées ne pouvoir se réaliser qu'en ayant un enfant. Ne pas en vouloir c'est être anormale. Se faire avorter, c'est risquer sa vie, subir des souffrances et des violences atroces. On voit aussi la condition de la femme ouvrière dans l'atelier de couture où travaille Agnès.
J'ai parfois éprouvé quelques moments de lassitude au cours de ce roman de 800 pages lors de la description de la passion amoureuse. La jeune femme avec ses idées fixes, son amour maladif qui exclut tout autre intérêt, ses brusques moments de dépression est un personnage qui tourne en rond. C'est normal puisqu'elle est obsessionnelle et finalement c'est une qualité de l'auteur de nous la peindre ainsi.. Mais l'on n'en prend conscience qu'après lorsque son mal est analysé. Sur le moment, on subit comme le font ses amis et son amoureux ses variations d'états d'âme, son instabilité, ses angoisses et c'est parfois pénible et même insupportable tant que l'on ne comprend pas que c'est lié à sa maladie. Ce que j'ai le plus apprécié, c'est le procès, tout ce qui a trait aux balbutiements de la psychiatrie et de la psychanalyse et la vie de la jeune femme à l'asile. Le roman est superbement écrit dans une langue très belle, avec des temps forts, la vie dans les Hauts pâturages en est un, aussi. Un beau livre.
Notons la ressemblance de Folie d'une femme séduite avec Captive de Margaret Atwood. A partir d'un fait divers un peu semblable, les deux écrivains ont pourtant réalisé deux oeuvres très personnelles.