Qu’est-ce qui distingue l’esprit d’un homme de celui d’un animal ? La capacité de concevoir des outils ? La conscience de soi ? L’emprise sur le passé et le futur ? Au fil des dernières décennies, ces thèses ont été érodées ou même carrément réfutées par une révolution dans l’étude de la cognition animale.
Voici des pieuvres qui se servent de coques de noix de coco comme outils ; des éléphants qui classent les humains selon l’âge, le sexe et la langue ; ou Ayumu, jeune chimpanzé mâle de l’université de Kyoto, dont la mémoire fulgurante rivalise avec celle des humains. Sur la base de travaux de recherche effectués avec de nombreuses espèces, Frans de Waal explore l’étendue et la profondeur de l’intelligence animale, longtemps sous-estimée.
Dans ce livre passionnant, le célèbre éthologue invite à réexaminer tout ce que l’on croyait savoir sur l’intelligence animale… et humaine.
L’essai de l’éthologue Frantz de Waal. : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ? est, par bien des aspects, passionnant. (Quatrième de couverture)
Frantz de Waal, professeur de psychologie à l’université Emory, docteur en biologie est aussi directeur du Living Links Center au Yerkes National Primate Research Center à Atlanta. Spécialiste des primates qu’il a passé des dizaines d’années à étudier en laboratoire mais aussi parfois dans la nature, il s’est intéressé aussi de très près à de nombreuses autres espèces. Il rassemble ici les résultats des expériences qui ont lieu dans le centre dont il est le directeur et il recueille ceux de ses collègues dans le monde.
Ses recherches sur la cognition animale lui ont permis de faire des découvertes, de les vérifier, de les recouper avec celles d’autres chercheurs pour rester au plus près de la rigueur scientifique. Elles ont abouti à une constatation : oui, l’animal est intelligent, d’où ce titre provocateur : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ?
Provocateur, certes, mais justifié ! car il se heurte, et les autres chercheurs avec lui, au refus voire au rejet des philosophes, des scientifiques marqués par le behaviourisme ou partisans de l’animal-machine, il doit faire face aux accusations « d’anthropomorphisme, de romantisme, d’antiscience. »
Frans de Waall n’est pas un précurseur, il parle de ceux qui, avant lui, ont eu cette approche ouverte et sans préjugés de l’animal, à commencer par Charles Darwin, Konrad Lorenz, Jakob Von Uexküll, Donald Griffin et tant d’autres.
Quant à l’anthropomorphisme, nous dit Frans de Waal , c’est une notion dépassée. En réalité, « Il ne s’agit pas de comparer les humains aux animaux, mais une espèce animale - la nôtre- à une multitude d’autres espèces car « il est indéniable que les humains sont des animaux ». « Je considère la cognition humaine comme une variété de la cognition animale. »
La cognition correspond, en fait, à l’adaptation d’une espèce à son milieu. Elle sera donc différente selon les espèces. Dire que l’une est supérieur à l’autre ne tient donc pas compte de la nécessité pour chacune d’assurer sa survie selon son milieu. Certes les humains ont le langage mais les animaux aussi, l’éthologie a permis de l’étudier; certes, ils sont les seuls à avoir l’écriture et la pensée abstraite mais les autres animaux ont développé des qualités spécifiques, l'odorat pour certains, l’ouïe pour les chauves-souris, la mémoire pour le corbeau ou l’écureuil, - supérieure puisqu'il qui est capable de retrouver les 20 000 pignons qu’il a cachés pour l’hiver dans des centaines d'endroits différents - pour d'autres, les fourmis et les termites, la pensée collective, la cohésion de l’espèce…
Chaque espèce présente donc des qualités exceptionnelles que ne possèdent pas obligatoirement les autres.
Frans de Waal étudie donc les capacités cognitives des primates mais aussi des oiseaux et autres animaux… au point de vue de la socialisation, de la capacité d'empathie, d’émotion, du deuil, de la transmission des savoirs inter-espèce, de l'utilisation des outils, de la mémoire, de l’aptitude à acquérir de nouveaux savoirs, de leur habileté avec les nombres, de leur anticipation du futur ... L’essai s’appuie sur de nombreuses expérimentations qui sont souvent accompagnées de croquis pour plus de clarté. Et c'est bluffant ! Oui, bluffant de voir de quoi sont capables les animaux !
Mais il constate que, chaque fois que l'on découvre une compétence à un animal, compétence considérée jusqu'alors comme le propre de l'Homme, les détracteurs sont nombreux. Puis, lorsqu'ils sont obligés de s’incliner devant l’évidence, ils s’efforcent de redéfinir ce qui fait l'humain par d'autres compétences. Tout se passe comme s'il leur était insupportable de faire tomber les barrières qui séparent les espèces et de reconnaître que nous sommes des animaux parmi les autres ! Il n’y a plus de science qui tienne face à l’obscurantisme religieux, aux préjugés, à l’orgueil démesuré de l’homme.
J'aime beaucoup les conclusions qu'en tire Frans de Waal
" Redéfinir l'homme ne passera jamais de mode, et on saluera chaque nouvelle définition d'un : "mais oui, c'est ça!". Il y a encore plus honteux que cette manie humaine de se frapper orgueilleusement la poitrine - autre comportement typique des primates - c'est la tendance à dénigrer les autres. Et pas seulement les autres espèces : pensons à la longue histoire du mâle "caucasien" qui se déclare génétiquement supérieur à tout le monde. Le triomphalisme ethnique franchit les frontières de notre espèce lorsque nous décrivons les Néandertaliens comme des brutes épaisses...."
Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ? est donc très intéressant et novateur. Il enrichit notre connaissance du monde animal et en cela, il est passionnant. Par contre j’ai trouvé la structure du livre un peu répétitive et touffue.
Lire aussi Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ? de Carl Safina. Voir ICI
Le chimpanzé Ayumu
Frans de Waal présente l'expérience réalisée par le primatologue Tetsuro Matsuzawa à Tokyo avec un chimpanzé nommé Ayumu dont la mémoire étonnante rivalise avec celle des humains et la surpasse. Il n'a jamais été battu !
Ayumu est un jeune mâle qui, en 2007, a ridiculisé la mémoire humaine. Entraîné sur un écran tactile, il arrive à se souvenir d'une série de chiffres de 1 à 9 et à la taper dans l'ordre correct bien qu'ils apparaissent sur l'écran dans une disposition aléatoire et soient remplacés pas des carrés blancs dès qu'il commence à taper. Ayant mémorisé les chiffres, Ayamu touche les carrés dans le bon ordre. La réduction de la durée d'apparition des chiffres à l'écran ne semble pas le perturber, alors que les humains deviennent d'autant moins précis que le laps de temps raccourcit.
Si vous avez le temps, n'hésitez pas à regarder Ayumu et à vous mesurer à lui !