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jeudi 24 mars 2011

Nouvelles grecques : Alexandros Papadiamantis (2)




 Alexandre Papadamiantis (1851-1911) né et mort dans l'île de Skiathos (Sporades du nord), traducteur de l'anglais et du français dans des revues littéraires, Papadiamantis est un grand romancier connu en Grèce mais aussi à l'étranger. C'est aussi un nouvelliste de premier plan. Ce recueil présente trois de ces nouvelles : La traversée du mort; A Notre-dame de Kreschia; La glaneuse. Elles sont rédigées, nous dit-on, dans un grec savant, la kathéverousa, plus proche de la langue d'Eglise que du grec ancien, ce qui leur donne beaucoup de  charme.  Les dialogues sont souvent écrits pourtant en langue démotique ( populaire). Il s'intéresse à la vie des milieux modestes dans son île et intervient souvent au cours du récit en tant que que observateur.


A Notre-dame de Kreshia est une des rares nouvelles du recueil qui ne soit pas tragique (comme celle de Jean Kondylakis : L'éloge funèbre). Papadiamantis y raconte un souvenir personnel, celui d'une excursion un peu mouvementée (il se perd dans la montagne, la nuit) pour aller chanter des psaumes dans l'église de Kréchia pendant la neuvaine de l'Assomption. Le tout finit par un éclat de rire. L'intérêt vient du récit de cette nuit si particulière raconté avec vivacité et humour,  et de la description de l'île, Skiathos, des superstitions, des coutumes et de la mentalité de ce peuple attaché à la religion orthodoxe.

La maison de Papadiamantis à Skiethos (source)

La glaneuse peut paraître optimiste si l'on juge par sa fin heureuse. Et pourtant! Elle parle de l'horrible misère du peuple, du froid glacial qui rend ce dénuement encore plus terrible, de la faim qui taraude le ventre, d'enfants qui n'ont que la glace formée sur le toit à sucer pour tout repas. Il y peint le portrait admirable d'une vieille femme, Achtitsa, la grand mère, qui élève toute seule ses deux petits-enfants après la mort en couches de sa fille, du combat quotidien pour glaner quelques miettes qui les empêchent de mourir de faim ou de froid. Le fait qui va permettre à Achtitsa de vêtir les enfants et de leur donner à manger peut-être vu comme une sorte de miracle en ce jour de Noël. Un peu de bonheur fortuit et passager qui n'atténue pas la dureté de l'existence et ne modifiera pas fondamentalement  le destin de la pauvre femme.
La traversée du mort fait partie des nouvelles fantastiques où sont relatés des faits extraordinaires qui demeurent inexpliqués. Il y est raconté comment un marin disparu en mer pendant une tempête, se noie loin de sa terre natale. Or quelques jours après, le corps du noyé est retrouvé sur le rivage de son île. Les autorités suspectent un crime et échafaudent toutes sortes d'hypothèse mais la famille du défunt et tous les habitants savent bien que le mort, Costas, n'avait jamais demandé qu'une chose dans sa vie à la Vierge-à-la-Balançoire : être enterré dans sa patrie, dans le cimetière du petit Ermitage qui domine la mer. Nul doute donc que le corps du noyé après être remonté à la surface, "a mis le cap" vers son pays et  après avoir parcouru des dizaines de milles a échoué sur ses rivages. Le récit oscille entre réalisme et fantastique. Réalisme de la description de la vie de marins, du sort de Costas et son frère Yannis accablés par les usuriers, ne possédant rien en propre et dont le destin "-comme tant d'autres malheureux- ç'avait été de courir la mer, d'être trinqueballés, d'endurer les pires épreuves par tous les temps, la mort entre les dents, "de repasser tous les jours à l'abattoir comme des bêtes de boucherie". La fatalité  pèse sur eux.
Le fantastique chrétien est d'autant plus saisissant qu'il est raconté non d'une manière épique mais modestement comme s'il s'agissait d'un fait somme toute banal :
sa traversée avait été d'environ quarante milles marins durant tous ces jours. Il n'allait pas vite, mais lentement dans sa navigation. Il ne se rendait pas à sa noce mais à son enterrement. (...) Il alla droit à la colline du cimetière marin, à l'ouest du bourg. Il aborda la petite grève; Là, il s'arrêta. A sa mort, il ne voulait donner aucun tracas.
Peut-être  faut-il voir dans cette mort si discrète et silencieuse, la métaphore de la vie du marin et de tous ces pauvres gens qui vivent en silence, sans éclats, dans l'indifférence générale et meurent de la même manière.


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