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jeudi 19 septembre 2013

Gyles Brendeth : Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles



Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles est le premier livre d'une série policière dont le personnage principal et le détective est Oscar Wilde. Gyles Brandeth qui a concocté pour nous cette histoire est un spécialiste de l'écrivain et de l'époque victorienne. Il fait revivre avec brio et érudition ce personnage haut en couleur  ainsi que celui de Conan Doyle, de Constance Wilde, son épouse, et de son ami Robert H. Sherard  qui est devenu, par la suite, son biographe enthousiaste et inconditionnel.

Oscar Wilde découvre dans un appartement en location un jeune homme assassiné. Le meurtre semble rituel puisque le corps est disposé sur le sol, entouré de chandelles. Billy Wood,  la victime, est d'un milieu modeste et d'une grande beauté et sa mort bouleverse Wilde. Mais, le lendemain, lorsqu'il se décide à aller à voir le commissaire Fraser à Scotland Yard, le corps a disparu et aucune trace du meurtre ne subsiste. L'enquête est abandonnée avant d'avoir commencé. Oscar Wilde décide alors, aidé de son ami Robert Sherard, de tout mettre en oeuvre pour retrouver le meurtrier.

Gyles Brandeth place Robert Sherard dans le rôle du narrateur alors que devenu vieux, à la veille de la seconde guerre mondiale, il se souvient de cette affaire survenue en 1889.  Ce choix est habile  car il permet un va-et-vient entre ce que voit le jeune narrateur ignorant et ce que le narrateur âgé sait de Wilde, de son l'homosexualité, de ses rapports avec sa femme Constance, son procès, sa fin tragique et désargentée à Paris. L'un éclairant l'autre.

Plus que l'histoire policière elle-même, j'ai beaucoup apprécié  le portrait que Brandeth brosse de Wilde, un homme brillant, érudit, spirituel qui exerçait sur son entourage une véritable fascination. L'écrivain introduit avec habileté des pensées de Wilde, des extraits de son oeuvre, au cours de conversations qui paraissent prises sur le vif. Le caractère de l'écrivain victorien, ses idées sur l'esthétique, son refus de la morale dans l'art, son esprit, sa prodigalité, son dandysme,  nourrissent la lecture et suscitent un vif plaisir. La références à l'art, la littérature, l'apparition d'artistes, de peintres, de directeurs de théâtre, d'écrivains célèbres font de ce roman policier un agréable moment de lecture.

Quelques maximes d'Oscar Wilde ou qui lui sont attribuées dans le roman de Gyles Brandeth

Le mariage est aussi démoralisant que les cigarettes et bien plus coûteux.

On ne peut rien apprécier sans avoir auparavant souffert de  son excès.

J'ai des goûts simples, je ne prends que ce qu'il y a de meilleur.

Les femmes sont faites pour être aimées, non comprises. 

La caricature est l'hommage que la médiocrité paie au génie.

Vivre est la chose la plus rare au monde; Beaucoup de gens ne se contente que d'exister.

Les acteurs sont vraiment des gens heureux ; ils peuvent choisir de jouer soit la tragédie soit la comédie, de souffrir ou d’égayer, de faire rire ou de faire pleurer. Mais dans la vie réelle, c’est différent.




samedi 14 septembre 2013

Elizabeth Gaskell : Les amoureux de Sylvia



Pour ceux qui pensent, trompés par le titre, que le roman d'Elizabeth Gaskell Les amoureux de Sylvia est une gentille histoire d'amour, détrompez-vous tout de suite. Le livre est noir et le destin de  la jeune Sylvia s'englue bien vite dans cette Angleterre de la fin du XVIII siècle, aux lois féroces, implacables pour les humbles, et au passé tragique sur fond de guerre napoléonienne.

Un roman historique noir
Nous sommes en 1796. Sylvia, une jolie paysanne, fille unique, gâtée et adulée par ses parents, aperçoit pour la première fois Kinraid, le harponneur, de retour de la campagne de pêche sur le baleinier qui le ramène dans sa ville de de Monkshaven. Elle est immédiatement séduite par ce jeune homme qui a une belle prestance, au grand dam de son cousin Philippe qui l'aime passionnément et est prêt à tout pour obtenir sa main. Située sur les côtes Nord-est de l'Angleterre, la ville est un port dont l'activité principale est  l'industrie de la pêche à la baleine. Rien d'étonnant à ce que la majorité des jeunes gens y fassent leur carrière. Ils peuvent même s'ils sont travailleurs et intelligents faire leur fortune. Mais l'Angleterre est en guerre et ses maudits français menés par Bonaparte la menace. Aussi les engagements forcés font-ils rage! Il s'agit de recruter le plus d'hommes sur les navires de sa majesté et bien souvent les baleiniers qui reviennent chez eux après de longs mois d'exil en mer tombent dans les filets des recruteurs qui les contraignent à les suivre à peine ont-ils mis le pied sur la terre ferme. Cette situation va entraîner bien des malheurs : Kinraid n'y échappera et le père de Sylvia qui ose se révolter et aider les garçons ainsi enlevés à leur famille en fera les frais. Le temps de l'insouciance et de l'amour est fini pour Sylvia.
Ancré dans une époque chaotique, le roman d'Elizabeth Gaskell a le mérite de faire revivre, à la fin du XVIII siècle, la société d'une province anglaise, dans des milieux modestes, les activités liées à la pêche, à la terre et au commerce et d'évoquer l'irruption tragique de l'Histoire.

Des personnages contrastés
L'un des intérêts de ce beau roman sont d'abord les personnages dont Gaskell mène l'analyse comme toujours avec finesse. La transformation de Sylvia, jeune coquette, heureuse de vivre,  légère voire un peu égoïste, confrontée au malheur est saisissante. Dans les romans d'initiation, les jeunes gens évoluent progressivement et la leçon qu'ils reçoivent de la vie, si elle est irréversible, est cependant plus étalée dans le temps. Dans le roman de Gaskell, la transformation de Sylvia est soudaine, violente et emporte tout sur son passage, la jeunesse et les rêves de bonheur.
Comme toujours aussi, l'écrivaine évite le manichéisme. Ses personnages ont tous des qualités et des zones d'ombre. L'attitude de Philip envers Sylvia est basse, cruelle et impardonnable mais son amour est indéfectible. Ce sentiment fait la grandeur de ce personnage par ailleurs terne, sans panache et coincé par la religion. A côté, le brillant Kinraid paraît bien léger et peu constant. Pourtant il est capable, contre tout attente, de fidélité. Mais il n'a pas, au niveau des sentiments, l'étoffe d'un héros à la différence de Philip qui paiera de ses souffrances et de sa vie l'offense faite à Sylvia.
Le pardon ne semble possible qu'à ce prix et il semble que le sentiment religieux et l'idée de la prédestination soient très présentes ici,  plus je crois que dans les autres oeuvres de Gaskell.

Un roman très pessimiste donc, avec des personnages attachants dans un contexte historique passionnant, c'est ainsi que l'on peut résumer ce livre que j'ai beaucoup aimé.




 Et un roman  d'un écrivain victorien pour le challenge d'Aymeline-Arieste


Ce roman avec ses 670 pages est digne de figurer dans le challenge Pavé de l'été




samedi 3 août 2013

L'importance d'être Wilde de Philippe Honoré au festival Off D'Avignon 2013


Emmanuel Barrouyer, Anne Priol et Pascal Thoreau  dans L'importance d'être Wilde

 L'importance d'être Wilde, une pièce de Philippe Honoré mise en scène par Philippe Parson, était donnée au théâtre du Balcon pendant le festival Off d'Avignon... Le titre joue bien sûr sur celui d'une des plus célèbres pièces d'Oscar Wilde  : "L'importance d'être Constant".
L'importance d'être Wilde  présente la vie et l'oeuvre de cet auteur provocateur et non-conformiste qui a payé durement le fait d'être homosexuel et surtout de ne pas s'en cacher. Le personnage apparaît donc dans toute sa complexité, un homme supérieurement doué, à l'humour lapidaire, intelligent, spirituel,  mais aussi  un dandy  qui attache beaucoup d'importance au paraître, volontiers méprisant et convaincu de sa supériorité à la fois sociale et intellectuelle. Pas toujours sympathique donc mais tellement brillant! Pas assez prudent et trop sûr de lui, pourtant, pour comprendre qu'il ne pouvait se permettre de braver la morale victorienne à une époque où l'homosexualité était interdite et passible de prison.
 Les moments clefs de sa vie s'animent devant le spectateur grâce au jeu des trois bons comédiens,  Emmanuel Barrouyer, Anne Priol et Pascal Thoreau  :  ainsi  son procès qui le met au ban de la société et non seulement lui mais aussi sa femme et ses deux enfants, la prison, l'exil en France, sa rencontre avec Gide, sa mort à Paris, solitaire et démuni,  et son enterrement à la sauvette, sans amis ni famille,  au Père Lachaise. Ces scènes alternent avec des extraits de ses oeuvres, des aphorismes pleins d'humour, réjouissants, ou profonds et désabusés,  qui sont une gourmandise pour le spectateur. La mise en scène est enlevée. La pièce,  sans être être pour moi un coup de coeur, m'a permis de vivre un moment de théâtre très agréable.


Oscar Wilde né à Dublin en 1854
Le public est extrêmement tolérant. Il pardonne tout sauf le génie . ( Le critique en tant qu’artiste )

Perdre un parent c'est un malheur mais les deux, c'est de la négligence (L'importance d'être constant)

L'appellation de livre moral ou immoral ne répond à rien. Un livre est bien écrit ou mal écrit et c'est tout. (préface Dorian Gray

Les femmes se divisent en deux catégories : les laides et les maquillées, les mères étant à part.

Les enfants commencent à aimer leurs parents; devenus grands, ils le jugent; quelquefois, ils leur pardonnent. (Dorian Gray)

Qu'on parle de vous, c' est affreux mais  il y a une chose pire : qu'on n'en parle pas!

Une chose n'est pas nécessairement vraie parce qu'on meurt pour elle.


Chez Aymeline


Chez Eimelle

lundi 15 juillet 2013

Robert Louis Stevenson : Le maître de Ballantrae


Le maître de Ballantrae de Robert Louis Stevenson est un superbe roman qui se déroule en Ecosse, au XVIII siècle et commence avec la bataille de Culloden en 1745 qui vit l'écrasante défaite des écossais, partisans des Stuart, battu par les anglais. Du côté des écossais, le prince Charles, descendant du roi catholique Jacques II Stuart s'oppose au  roi George, descendant de la dynastie des Hanovre, protestant…

Cette tragédie retentit dans tous les foyers écossais déchirés entre le passé et le présent, la fidélité aux Stuart ou la nécessité de faire allégeance au roi George, et marque plus profondément encore la noble famille des Durrisdeer puisqu'il consacre la fracture entre les deux frères, l'aîné, Sir James, le Maître de Ballantrae, et Henry, le cadet .

James, l'héritier, est le préféré de son père et de sa cousine Alison qui doit l'épouser. James a toutes les séductions, racé, élégant, il est intelligent, cultivé, brillant et beau parleur. Il séduit tous les coeurs et jouit d'un immense prestige dans le pays. Mais toutes ses qualités sont au service du mal : il aime trop  l'alcool et l'argent; il est dissimulé,  malhonnête, rusé et sans scrupules, violent, habile manipulateur car très bon connaisseur de l'âme humaine. Tout le contraire de son frère, Henry qui est terne, sans culture, ennuyeux mais  honnête, bon fils et bon gestionnaire du domaine, ce qui le fait considérer par rapport à son frère dissipé et prodigue, comme un avare. Deux personnalités entièrement opposées. 
En 1745, le maître de Ballantrae  décide de rejoindre le prince Charles alors que son père ordonne qu'il reste au domaine puisqu'il est l'aîné. Quant à Henry, il désire partir. Il sait que sa position en tant que cadet sera délicate dans le pays si ce n'est pas lui qui part. Une violente dispute éclate entre les deux frères et James l'emporte. Il part et sa mort est annoncée après la défaite de Culloden. Henry devient l'héritier du domaine  mais il passe pour traître et est très impopulaire auprès de la population. Il  épouse Alison qui continue à vouer un culte à son cousin, un héros qui a donné sa vie pour une noble cause.  Pourtant, James n'est pas mort. Il ne supporte pas la perte de son titre et de son héritage. Dès lors, une lutte féroce va opposer les deux frères.

Le roman de Stevenson est d'abord un magnifique récit d'aventures (même s'il n'est pas que cela). Si nous sommes plongés dans l'Ecosse du XVIII siècle, nous voyageons bien loin à la suite du maître de Ballantrae, dans les sauvages contrées d'Amérique du Nord peuplées d'indiens féroces, où anglais et français s'affrontent dans des guerres meurtrières, en France mais aussi dans les  Indes orientales en proie à la révolte des Cipayes. Nous partageons la vie de pirates dont le capitaine sanguinaire, sorte de psychopathe sans cervelle, passe allègrement à la planche ou au fil de l'épée tous ses ennemis voire aussi ses amis s'ils le contrarient!  Certaines moments du roman, marquants, sont des scènes de bravoure parfois hallucinantes et inoubliables comme celle du duel qui oppose les deux frères dans la nuit à la lueur des chandelles, celles réitérées où Henry va s'asseoir  sans mot dire sur un banc devant la porte de son frère devenu tailleur pour mieux savourer la déchéance de celui-ci, ou encore la scène où l'on sort de sa tombe le maître de Ballantrae enterré vivant…  Le roman oscille ainsi sans cesse entre réalisme (la situation historique) et fantastique (le maître de Ballantrae laissé pour mort renaît plusieurs fois de ses cendres comme le phoenix! Il semble parfois doté d'une force ou d'une habileté satanique)  et la puissance du style donne à sentir et à partager ces courants de haine fulgurants qui circulent entre les deux hommes.

La structure du roman vient ajouter à la complexité du récit.  Le narrateur est Mackellar, l'intendant, qui entre au service de la famille peu de temps après 1745. Il devient un fidèle de Henry dont il raconte l'histoire en prenant fait et cause pour lui.  C'est aussi un personnage à part entière qui joue un rôle dans le récit, intervient et modifie le destin des deux frères en prenant des initiatives et en révélant la vérité à Lady Alison au sujet de James. Un narrateur qui est aussi témoin de l'histoire. Les aventures du Maître sont complétées par les mémoires du chevalier Burke, irlandais, lui aussi rescapé de Culloden, qui partage un moment la fuite du Maître et subit son influence, tout en éprouvant envers lui un curieux mélange de répulsion et d'admiration.

 Stevenson en reprenant l'image biblique de Cain et Abel,  explore à travers les deux frères comme il l'a fait dans L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde le dualisme entre le Bien et le Mal. Mais ici, ce n'est pas un seul personnage qui incarne, par un dédoublement de la personnalité, à la fois le mal et le bien. James et Henry sont comme les deux côtés d'une pièce, pile ou face, cette même pièce que James va jeter pour décider lequel d'entre eux va rejoindre l'insurrection de 1745 remettant au hasard, comme s'il s'agissait d'un jeu, une décision qui va provoquer au-delà de la tragédie nationale, une tragédie familiale. L'un, James semble représenter le mal, l'autre, Henry, le Bien, un manichéisme qui va pourtant être bouleversé par l'intelligence de l'analyse. Car si l'on y regarde près, Henry ne représente le Bien que parce qu'il est terne, sans élévation, sans  désir et sans grande passion. Même l'amour qu'il éprouve pour sa  cousine, ne fait pas de lui un amant romantique et prêt à tout. La raison guide Henry, alors que la démesure caractérise le maître de Ballantrae et c'est à lui que va notre admiration. C'est, pour l'auteur, l'occasion de révéler à travers ce personnage la fascination exercée par le Mal, les séductions qu'il présente et qui le rend mille fois plus attirant que la grise sagesse. Le maître de Ballantrae peut séduire même ceux qui lui sont le plus farouchement opposés comme l'intendant, Mackellar, fidèle partisan de Henry, le chevalier de Burke, ou le lecteur lui-même qui est amené à apprécier les qualités brillantes de cet homme extraordinaire. Et de même que le mal séduit, de même le Bien peut être sapé peu à peu et détruit. Henry corrompu par la haine, tombe dans une déchéance mentale proche de la folie et ne peut penser qu'à la vengeance.

Un très grand roman dont on dit à juste titre qu'il est le chef d'oeuvre de Stevenson.


Lecture commune   du maître de Ballantrae avec Nathalie et Ys :


Voir Nathalie : Chez Mark et Marcel 



 Chez Aymeline

Chez Lili Galipette

lundi 8 juillet 2013

Rappel : La LC de Stevenson Le maître de Ballantrae





Ys a lancé une LC  : Le maître de Ballantrae de Stevenson  dont je vous avais parlé sans préciser la date : Le 15 Juillet. Pour celles qui se sont inscrites chez moi mais pour qui la date serait trop rapprochée, vous pouvez prendre plus de temps, du 15 Juillet au 29 Juillet. Cette lecture rejoint le challenge victorien d'Aymeline .
Si vous n'êtes pas inscrit vous pouvez toujours nous rejoindre. 






Quant à moi, je suis absente dans mon blog - en dehors des LC - et dans les vôtres pour quelque temps pour cause de petite fille et de festival d'Avignon...

A bientôt... Bonnes vacances à tous!

jeudi 27 juin 2013

Kate Summerscale : L'affaire de Road Hill House

Le mois anglais de Lou et Titine

Le livre de Kate Summerscale L'affaire de Road Hill House est une lecture très intéressante. J'attendais un roman, je découvre un reportage historique selon les mots d'une journaliste, sur un meurtre commis en 1860 et analysé par une écrivaine du XXI ème siècle.

En 1860, en effet, le corps d'un petit garçon, Saville Kent, est retrouvé, la gorge tranchée. Qui a pu commettre un acte aussi barbare dans une maison qui était fermée pour la nuit et d'où l'on ne pouvait pénétrer de l'extérieur? Seul un membre de la maisonnée peut être coupable. Les soupçons se portent tour à tour sur la nurse, le père, la soeur, les domestiques… Le célèbre détective de Scotland Yard, Jack Witcher qui a réellement existé, mène l'enquête. Mais  l'affaire est passablement embrouillée…

Le roman est intéressant parce qu'il nous fait pénétrer dans l'intimité d'une famille de l'époque victorienne et révèle ainsi l'envers du décor, les atteintes à la morale sous la respectabilité, les cruautés ensevelies sous le secret, la vérité sous l'apparence. Dans un siècle où la famille est considérée comme le fondement inaltérable de la société, où le mariage est une institution sacrée, l'affaire de Road Hill House lève le voile et la réalité qu'elle reflète crée un séisme dans le pays. Kate Summerscale s'appuie sur  les archives du procès, les rapports des détectives qui se sont succédés, les articles des journaux, des documents précis qui explorent les moindres détails même ceux les plus intimes concernant la vie de la famille et de son entourage.
Les procédés policiers donnaient nécessairement dans le sordide : on mesurait les tours de poitrine, on examinait le linge de nuit en quête de sueur et de sang, on posait des questions indélicates à des jeunes femmes respectables.
Une image bien trouble de cette société apparaît dans laquelle l'homme peut non seulement pratiquer l'adultère avec la gouvernante de ses enfants mais encore reléguer sa femme à un rang subalterne, la priver de l'amour de ses enfants et la faire passer pour folle si elle le dérange dans sa vie sexuelle, un monde où la gouvernante devenue la nouvelle épouse peut privilégier ses propres enfants au détriment des premiers nés comme la marâtre des contes. Kate Sumerscale ressuscite ainsi les protagonistes de l'histoire en brossant des portraits psychologiques complexes et tourmentés où les zones d'ombre recouvrent bien trop souvent les espaces de clarté.
Un meurtre tel que celui-ci pouvait révéler ce qui avait pris forme à l'intérieur du foyer claquemuré de la classe moyenne. Il apparaissait que la famille cloîtrée, tant vantée par la société victorienne, pouvait entretenir un refoulement nocif et nauséabond des affects, un miasme tant sexuel qu'émotionnel.
En même temps, Kate Sumerscale nous fait découvrir les balbutiements des méthodes des enquêteurs, le vocabulaire qui se crée pour donner un nom à ses nouvelles formes d'investigation; elle nous fait pénétrer dans le milieu des détectives de Scotland Yard, un corps de police qui vient d'être créé et dont certains éléments, brillants, (comme Jack Witcher que Dickens admirait) vont servir de modèle à la vogue des grands détectives de l'histoire de la littérature.
Ce qui ajoute, en effet, à l'intérêt de ce reportage historique, c'est que l'écrivaine met en liaison les différents faits de cette enquête avec la littérature : Ainsi Witcher inspira à Collins le personnage du sergent Cuff, le détective de Pierre de lune, amateur de roses. La première Mrs Kent considérée comme folle est enfermée comme l'épouse de Rochester dans Jane Eyre mais peut-être ne l'est-elle pas comme La dame en blanc de Wilkie Collins? Dans Bleak House, Dickens imagine ce que ressent sir Leicester Deadlock lorsqu'on fouille son domicile, en référence avec ce qu'a dû éprouver Mr Kent, le père de Saville. Le secret de lady Audley d'Elizabeth  Braddon est directement inspiré de l'affaire de Road Hill House avec le personnage de la gouvernante ayant épousé un homme de qualité et  un assassinat brutal et mystérieux :
Ses personnages étaient fascinés par le travail du détective et, terrifiés à l'idée d'une révélation publique. L'histoire de Braddon formulait l'inquiétude et le bouleversement suscités par le meurtre de Saville Kent.
Le roman de Kate Sumerscale dresse donc à travers l'enquête policière et le mystère un  panorama de la société victorienne et de ses moeurs et un portrait réussi de personnes disparues depuis longtemps mais représentatifs de cette société; elle peint aussi d'une manière plus générale - l'affaire Saville  Kent passionnera Freud en 1907-  les tourments  et les noirceurs de l'âme humaine.

Lecture commune avec Lou, Miss Leo, Valou, Adalana, Syl, Titine

Dasola



Challenge d'Aymeline

jeudi 20 juin 2013

Anne Brontë : La dame du manoir de Wildfell Hall





Quatrième de couverture : La dame du manoir de Wildfell Hall de Anne Brontë
 L'arrivée de Mrs Helen Graham, la nouvelle locataire du manoir de Wildfell, bouleverse la vie de Gilbert Markham, jeune cultivateur.
Qui est cette mystérieuse artiste, qui se dit veuve et vit seule avec son jeune fils? Quel lourd secret cache-t-elle? Sa venue alimente les rumeurs des villageois et ne laisse pas Gilbert insensible. Cependant, la famille de ce dernier désapprouve leur union et lui-même commence à douter de Mrs Graham... Quel drame s'obstine-t-elle à lui cacher ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle?
Publié en 1848, La Dame du manoir de Wildfell analyse la place des femmes dans la société victorienne.

Décidément les soeurs Brontë  ont toutes du talent et ce n'est pas le roman d' Anne La dame du manoir de Wildfell Hall qui me fera changer d'avis. D'Anne Brontë, j'avais lu Agnès Grey, un premier roman prometteur. Celui-ci qui est le second, paru en 1848, est bien supérieur, plus élaboré, et, s'il ne se hisse pas au rang de chef d'oeuvre comme Les Hauts de Hurlevent et  Jane Eyre, il faut lui reconnaître de solides qualités. Il n'y aura pas de troisième roman. Anne meurt à son tour de la tuberculose en 1849. Si La dame du manoir connut un immense succès, il provoqua un scandale car il montre une jeune femme mariée à un homme alcoolique et dépravé qui décide de se séparer de son mari, se heurtant ainsi aux lois sociales et religieuses de la famille victorienne. A la mort d'Anne, Charlotte, elle-même, empêchera la republication de ce roman, ce qui en dit long sur le caractère et les préjugés de la "grande" soeur.  Emily meurt en Décembre 1848. Heureusement que Charlotte ne nous a pas fait "ça" avec Les Hauts de Hurlevent!

 
Anne Brontë dessin de Charlotte

La technique romanesque

Dès son deuxième roman, Anne Brontë maîtrise la technique romanesque à un tel point qu'elle ne suit pas le schéma narratif habituel et multiplie les points de vue  :

Gilbert Markham, maître d'une grosse ferme, raconte son histoire à un ami. Il décrit la jeune dame du manoir de Wildfell Hall, Helen Graham, qui vient d'arriver dans le pays et c'est par ce regard extérieur - jamais neutre pourtant - que nous l'apercevons. Il commence d'abord par la trouver antipathique puis peu à peu tombe sous son charme. La jeune femme  nous apparaît donc comme un être mystérieux qui veille jalousement à ce que l'on ne sache rien de son passé. Le lecteur est placé à l'intérieur  de la conscience du jeune homme et suit de près l'évolution de ses sentiments, l'admiration, l'amour puis les doutes qui l'assaillent, la jalousie qui va finir par le dévorer. A travers l'observation du jeune homme apparaît aussi toute une société campagnarde, sa mère, sa soeur et son frère, le pasteur, Michaël Millward et sa jeune fille à marier, toute une société avec ses faiblesses, ses petitesses d'esprit, son amour des commérages et des médisances qui ne permettent pas à Helen Graham de vivre en paix .

La seconde partie du roman nous permet de découvrir le secret de la jeune femme par l'intermédiaire de son journal qu'elle confie à Gilbert pour se disculper. Il s'agit d'un roman dans le roman, une oeuvre en miroir, qui nous permet la fois de connaître son passé mais aussi de voir, de son point de vue, le récit conté par Gilbert à son ami. Une sorte de reflet inversé des personnages et des évènements. Le jeune homme reprend ensuite le récit entrecoupé cette fois par des lettres d'Helen qui ne sont pas toujours complètes, ce qui maintient des zones d'ombre autour du personnage. On voit que la technique d'Anne est extrêmement complexe et les personnages et l'intrigue en paraissent plus profonds, comme mis en abyme dans un miroir.

Les trois soeurs Brontë par Branwell


 Le féminisme de La dame du manoir de Wildfell Hall

Le roman d'Anne Brontë est résolument féministe. Elle dénonce une société où la femme n'a aucun droit, aucune liberté. Helen est obligée de fuir son mari avec son enfant  et  de se cacher si elle veut conserver le droit de garder son fils. Anne s'éloigne du romantisme exacerbé d'Emilie, du romantisme gothique de la Charlotte de Jane Eyre.  Le frère d'Anne, Branwell, a servi de modèle au personnage du mari de Helen, Arthur Huntington, et elle sait de quoi elle parle quand elle décrit les scènes de beuverie et d'adultère. Mais Anne a la finesse de ne pas tomber dans le manichéisme. Arthur, dit-elle,"n'est pas réellement mauvais" mais il se laisse aller à son goût du plaisir, à sa veulerie.Tout en écrivant le premier roman féministe et en dénonçant l'asservissement de l'épouse à son mari,  Anne Brontë montre aussi les perversions et les roueries des femmes à travers la figure d'Annabella, la maîtresse d'Arthur . Elle décrit aussi les faiblesses d'Helen qui a choisi Arthur pour époux alors qu'elle savait qui il était. La femme est donc responsable de ses propres choix. 

Pour ma part, j'ai trouvé Helen Graham un peu trop moralisatrice. Elle épouse Arthur malgré ses défauts parce qu'elle entend le réformer. Elle est souvent donneuse de leçon et par là même on comprend que son mari la fuit et la laisse à la campagne quand il va faire la noce à Londres!  Mais bien entendu, c'est une opinion personnelle. Anne Brontë est fille de pasteur, elle souffre trop de voir son frère détruire toutes ses capacités intellectuelles et sa santé physique . Elle veut donc montrer la vérité nue, dans toute son horreur, pour  la réformer : Si je puis empêcher la chute d'un jeune homme trop léger ou d'une jeune fille trop étourdie, alors je n'aurais pas écrit en vain, écrit-elle. Le roman est publié en Juin 1848.  Branwell meurt, alcoolique et tuberculeux, en septembre 1848.

Un style d'homme?
Le  roman  est écrit d'une plume ferme, sobre qui évite l'emphase et le pathétique et qui est même assez brutale. Un style d'homme? Le fait ce soit une femme qui ait écrit ainsi, avec autant de réalisme, sur l'alcoolisme et la débauche heurte d'autant plus les mentalités de l'époque victorienne.  Alors, laissons la parole à Anne Brontë qui répond ainsi à ses détracteurs :  Je suis convaincue que lorsqu'un livre est bon, il l'est quelque soit le sexe de son auteur. Tous les romans sont ou devraient être écrits pour les hommes comme pour les femmes. J'ai de la peine à concevoir comment un homme pourrait se permettre d'écrire quoi que ce soit qui puisse être véritablement déshonorant pour une femme, ou pourquoi une femme devait être censurée pour avoir écrit quoi que ce soit qui puisse être considéré comme approprié ou bienséant pour un homme.
Lecture commune  avec Gaëlle  ICI

Avec Alexandra

Chez Aymeline

dimanche 16 juin 2013

Thomas Hardy : Jude l'Obscur

Le mois anglais initié par Lou et Titine

Thomas Hardy publie le roman Jude l'Obscur, un roman pessimiste, l'un  des plus noirs de toute son oeuvre, en 1895. Le livre fait scandale. On accuse Hardy d'immoralité et sa critique de la religion, de l'institution du mariage, soulèvent l'indignation à tel point que l'évêque d'Exeter fait publiquement brûler le livre.

L'histoire
Jude Fawley, un orphelin vit à la campagne; il est très marqué par son instituteur qui lui ouvre les portes du savoir et lui donne l'ambition de continuer ses études. Il apprend tout seul le latin et le grec pour partir étudier à l'université mais il tombe dans les filets de la séduisante Arabella qui se dit enceinte et l'oblige à l'épouser. Le mariage est un échec, la jeune femme part en Australie et Jude à la ville pour y poursuivre ses études, cependant, il ne peut entrer à l'université qui reste fermée à un autodidacte sans le sou. Il devient tailleur de pierre et rencontre Sue Bridehead, sa cousine, qui est contre le mariage. Les deux jeunes gens vont s'aimer et décider de vivre ensemble mais un couple non-marié constitue un scandale dans la société victorienne puritaine. Ils devront en subir les tragiques conséquences.

Jude l'Obscur
Si Tess d'Uberville porte le sous-titre : Une femme pure, Jude est qualifié d'obscur au sens de humble, sans notoriété. Car c'est bien de cela qu'il s'agit! Jude est condamné dès le départ par sa naissance "obscure" et toutes les qualités qu'il manifeste, son intelligence, sa soif de savoir, ses capacités intellectuelles, son courage ne sont rien à côté de ce fait : l'on ne peut sortir de sa classe sociale. Ceux qui ont le pouvoir et l'argent font barrière.
L'autre tort de Jude, c'est de céder au désir sexuel dans une société qui réprouve le corps et la sexualité. En ayant des relations en dehors du mariage avec Arabella, il est obligé de l'épouser sans amour.  En divorçant puis en vivant sans être marié avec Sue, il se perd complètement.  Etre mis au ban de la société, c'est en effet, se condamner à ne plus trouver de travail ni de logement. La misère s'ajoute donc à l'isolement et à la souffrance morale. Ce sont donc les moeurs sexuelles de l'époque victorienne, le puritanisme et la rigidité de la société, le poids de la religion que dénonce Thomas Hardy. Ses positions contre le mariage et pour l'amour libre échappant aux notions d'obligation, sa critique sans concession de la religion, témoignent d'un esprit ouvert et libre, très en avance sur son temps comme ses personnages.

Sue Bridehead
Sue Bridehead est un personnage complexe; on comprend qu'elle ait provoqué le scandale et pas seulement à la fin du XIX siècle. C'est une femme extrêmement intelligente et instruite, d'esprit ouvert. Par la pensée, elle est très en avance sur les moeurs de son époque et elle cherche à s'affranchir des règles que la société impose aux femmes comme l'obligation du mariage. Mais la pression sociale, morale et religieuse qui s'exerce sur elle, la rend vulnérable. Mise au ban de la société parce qu'elle vit en femme libre, elle finira par être rattrapée par les préjugés et la morale. En se tournant vers la religion et en se persuadant qu'elle est coupable, qu'elle a vécu dans le péché, elle aliène ce qui faisait sa personnalité. Elle prouve tout comme le personnage de Jude  qu'il n'y a pas de possibilité pour la femme comme pour l'homme d'échapper au déterminisme social et à la religion présentée comme une drogue et une déchéance quand elle s'oppose à la liberté individuelle et qu'elle obscurcit les esprits.

Un immense roman, un des plus poignants, des plus cruels, écrit par ce grand auteur qui est un de mes écrivains préférés.

Voir Editions Archipel pour Jude l'Obscur


 
 Résultat de l'énigme n°70


Le roman Jude l'obscur de Thomas Hardy

le film : Jude l'obscur de Michale Winterbottom; l'actrice kate Winslet

Les vainqueurs du jour  : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Pierrot Bâton, Marie Josée, Nanou, Somaja, Syl...  Merci à tous et à toutes et bon dimanche!




Chez Aymeline



vendredi 15 mars 2013

Elizabeth Gaskell : Cranford et les confessions de Mr Harrison




Pour cette lecture commune je présente deux livres d'Elizabeth Gaskell : Cranford et Les confessions de Mr Harrisson.
Cranford

Dans Cranford, comme dans la plupart de ses romans, Elizabeth Gaskell prend pour cadre une petite ville qu'elle oppose d'une manière ironique à Londres pour mieux souligner le calme de cette vie provinciale pour ne pas dire la platitude.  Même si l'on est en pleine révolution industrielle, en pleine période de mutation avec l'arrivée du chemin de fer, les journées suivent un train train quotidien monotone relevé simplement par des rencontres entre amies autour d'une tasse de thé et d'une partie de cartes. A la simplicité voire la naïveté de cette modeste bourgeoisie villageoise, Gaskell oppose la vie trépidante mais snob de Londres où l'on pense plus à paraître qu'à être..
Une narratrice extérieure  (qui sait peut-être l'auteure elle-même?) vient visiter ses amies à Cranford et  raconte ce qu'elle voit. Elle apporte une vision lucide et pleine d'humour sur les habitantes de Cranford car là-bas il n'y a que des femmes :

.. d'une manière ou d'une autre, le monsieur disparaît; tantôt, finit par mourir tout simplement de peur, à l'idée d'être le seul homme à fréquenter les soirées de l'endroit; tantôt il a une bonne raison d'être absent, puisqu'il se trouve qui avec  son régiment, qui sur son navire, qui tout à fait accaparé par ses affaires.

Aussi l'arrivée d'un homme, le capitaine Brown, nanti de deux filles, et qui n'observe pas le code de bienséance en vigueur à Cranford va révolutionner la petite ville. Ce n'est pourtant pas le personnage principal et l'on peut dire que l'on passe d'un récit à l'autre, ce qui permet de mettre en valeur des personnages différents, le cadre de la ville servant d'unité de lieu.
Tous les petits travers de ces femmes, leur sens strict de la hiérarchie qui confine parfois au ridicule, le snobisme entre classes sociales, les commérages incessants, nous sont dévoilés. Mais le regard porté sur elles, s'il est lucide, est aussi plein d'affection. Leur générosité malgré la modestie des revenus, la solidarité qui s'exerce en secret pour éviter de froisser celle à qui l'on porte secours, la dignité face à la pauvreté et au malheur, tout concourt à faire de ce roman une galerie de portraits pleins de vie. On rit souvent de la maladresse des personnages, de leurs petites ruses, de leurs superstitions, et certains épisodes sont franchement comiques mais la nostalgie naît devant la vie de ses femmes qui sont souvent passées à côté de leur amour et de leurs désirs, menant une vie étriquée, dictée par les convenances, la religion et le diktat de l'opinion publique. De beaux personnages apparaissent comme Mathilda Jenkins, Miss Matty, petite femme fragile et effacée, qui a toujours vécu sous la coupe de son père puis de sa soeur aînée sans jamais oser exprimer sa pensée ni ses sentiments. C'est ainsi qu'elle n'a pu épouser celui qu'elle aime et qu'elle rêve toujours d'une petite fille qui lui tendrait les bras et l'appellerait maman.
Une chronique donc tout en demi-teinte et en finesse que j'ai appréciée même si je préfère toujours Nord et sud et Femmes et filles, ce dernier bâti sur une structure identique à partir de l'observation de la vie en Province et des différentes classes sociales, mais plus développé.


Les confessions de Mr Harrison


Les confessions de Mr Harrison est un court roman qui ressemble à Cranford par le sujet même s'il s'en éloigne par d'autres aspects. 

Un jeune médecin, William Harrison raconte à son ami qui revient des Indes, comment il a rencontré son épouse Mary : Tout jeune médecin, il vient s'installer dans une petite ville de province pour aider le docteur en place, Mr Morgan, afin de lui succéder à la longue. A peine arrivé, il excite la convoitise de toutes les jeunes filles à marier et de leurs parents qui cherchent un bon parti. Will tombe très vite amoureux de Mary, la fille du pasteur et pour lui tout est clair mais... c'est un jeune homme très (trop?) poli! je vous laisse découvrir dans quelle situation il va se mettre ou plutôt dans quel guêpier il va tomber!

 On y retrouve les ingrédients qui font le succès de Gaskell, la description des particularités de la vie de province, les portraits aigres-doux de certains de ces habitants, l'ironie de la plume mais le ton est résolument celui de la comédie, les quiproquos se succèdent, et l'on sourit devant les ennuis de ce pauvre jeune homme! Un agréable roman!


Lecture commune du 15 Mars sur Cranford d'Elizabeth Gaskell et/ou sur deux autres de ses romans Les Confessions de Mr Harrison et Lady Ludlow avec :


et George :
Céline avec Les Confessions de Mr Harrison
Titine avec Lady Ludlow


lundi 11 février 2013

Elizabeth Gaskell : Femmes et filles



Femmes et filles d'Elizabeth Gaskell est le deuxième roman que je lis de cette écrivaine après Nord et Sud dont j'avais déjà apprécié l'analyse psychologique et sociale. Comme le titre l'indique, le livre offre une galerie de portraits de femmes et de filles qui révèle de la part de l'auteur une finesse de plume, une acuité du regard et une vive intelligence dans la peinture de la société victorienne d'une petite ville de la province anglaise. Elizabeth Gaskell refuse tout manichéisme et sait peindre d'un trait précis et pourtant subtil toutes les nuances de l'âme humaine.

Le personnage principal est Molly Gibson, fille du médecin de la ville, une jeune fille douce et gentille, "docile" comme disent les gens autour d'elle, qualité éminemment recommandable pour une femme dans la société victorienne!  Ce qui ne l'empêche pas d'avoir du caractère et de savoir, à l'occasion, affronter l'opprobre générale si elle est consciente de son bon droit. Courageuse donc, altruiste, elle a un petit rien de méchanceté qui lui permet parfois de prendre plaisir à avoir raison sur ses détracteurs. Face à elle, sa belle mère, la second épouse de son père et la fille de celle-ci, Cynthia, sont des personnages plus négatifs.
Hyacinth Clare, Mrs Kirkpatrick du nom de son premier mariage, devient donc Mrs Gibson. Elle est le type de la femme de condition modeste qui ne doit sa fortune qu'à sa beauté. Pour le reste, elle est sotte et superficielle, inculte, snob, monstrueusement égocentrique, incapable d'amour vrai mais très habile pour défendre ses intérêts. Si Elizabeth Gaskell ne l'aime pas, elle ne l'accable pas. A travers elle, elle peint les humiliations que doit subir une femme sans fortune, engagée comme gouvernante dans une noble famille, à la merci des sautes d'humeur, des revirements de sa patronne et devant avaler en silence toutes les vexations. Malgré ses défauts, Hyacinth Clare sait faire preuve de dignité quand elle essaie de cacher sa pauvreté, ses dettes et raccommode ses toilettes pour se rendre présentable.
Cynthia sa fille, qui n'a jamais reçu d'amour de sa mère, est un curieux mélange de qualités et de faiblesses. Son charisme et sa beauté agissent sur tout son entourage et lui ouvrent les coeurs, mais son désir de plaire, sa coquetterie désespèrent maints jeunes gens et la mettent dans une situation épouvantable aux yeux de la société. Elle est parfois égoïste, légère, vaniteuse mais elle peut être aussi dévouée et sincère.
Autour des trois personnages centraux, il y a les vieilles filles, les miss Browning, un peu ridicules mais attendrissantes qui veillent sur Molly comme sur leur fille, Mrs Hamley, la charmante et languissante épouse du squire, la redoutable et autoritaire Lady Cumnor et sa fille Harriet, l'insubordonnée qui refuse d'obéir aux règles imposées aux femmes mais peut se le permettre parce qu'elle est fille de lord. Et puis, autour de toutes ces femmes, des hommes, qui sont les pères, les fiancés, les maris, les soupirants, les amants, les amis, ce qui permet de brosser un tableau complet des classes sociales de l'époque (l'action se situe dans les années 1820 alors que Gaskell écrit à la fin de sa vie en 1865; elle n'aura pas le temps de terminer son roman). La condition féminine dans toutes les couches sociales est ainsi évoquée par une écrivaine qui possède à la fois  une culture et un esprit indépendant et a donc le possibilité de dénoncer et de critiquer le pouvoir dominateur exercé par les hommes sur l'éducation des filles, leur mariage, leur place dans la société. Elizabeth Gaskell est donc une femme à l'esprit critique, à la conscience sociale affirmée et ce n'est pas étonnant que certaines de ses oeuvres aient fait scandale..
C'est aussi une excellente écrivaine qui sait par touches légères et ironiques montrer les défauts et les faiblesses de ses personnages, les hiérarchies sociales, les travers d'une grande noblesse encore féodale et tyrannique, ceux aussi d'une bourgeoisie vaniteuse, prise entre son admiration pour les grands de ce monde et son mépris des plus humbles, microcosme obéissant à des règles précises, à des conventions, des préjugés, société corsetée dans ses principes, ses certitudes religieuses et sa bonne conscience. Le trait est parfois acéré qui décrit les mesquineries de la vie provinciale, la méchanceté, la médisance, la jalousie. Mais il est pourtant adouci par l'humour et la tendresse que Gaskell porte à ces personnages!
Un très bon roman!






Avec mes remerciements à la librairie Dialogues

dimanche 20 janvier 2013

Un livre/ Un film : Jane Eyre de Charlotte Brontë




Résultat de l'énigme n°54
Bravo à : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Keisha, Pierrot Bâton, Shelbylee, Syl.

Le roman :  Jane Eyre de Charlotte Brontë
Le film  :  Jane Eyre de Cary Fukunaga





Le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre est peut-être l'un de plus grands titres de la littérature anglaise du XIX siècle. Paru en 1847, sous le pseudonyme masculin de Currer Bell pour éviter de choquer la bonne société, il peut être classé par la date dans les oeuvres de l'époque victorienne qui s'appuient sur le réel et décrivent la société de leur temps. Mais il est appartient encore largement par la sensibilité, l'esprit, l'imagination et le style  au mouvement romantique.

Le récit :
Orpheline, Jane Eyre est élevée par sa tante Madame Reed qui ne l'aime pas. Enfant sensible, imaginative et fière, elle se révolte contre son cousin qui la maltraite et est envoyée en pension.
Au pensionnat de Lowood, Jane Eyre connaît brimades, humiliations, mauvais traitements. Elle voit mourir sa jeune amie Helen Bruns. Mais grâce à la sympathie d'un de ses professeurs et à  son amour de l'étude, elle acquiert une solide instruction et devient institutrice. Elle est engagée à sa majorité comme gouvernante de la petite Adèle chez le riche Edward Rochester à Thornfield Hall. Edward, tourmenté, secret, mystérieux, semble cacher un secret et une lourde peine. Il ne tarde pas à être s'intéresser à Jane qui, elle, se sent attirée par ce ténébreux personnage.


Un roman réaliste : Ce roman est largement autobiographique et s'appuie donc sur la réalité  en présentant une étude de la société. 
La pension: Charlotte Brontë a mis, en effet, beaucoup de sa vie, dans le récit de Jane Eyre. Comme Jane, Charlotte a été envoyée en pension, à l'école de Cowan Bridge, avec ses soeurs, comme elle, elle  a eu  à subir les mauvais traitements, le froid, le manque de nourriture, les punitions corporelles, la maltraitance inhérents à  ce genre d'établissement qui se proposait de sauver l'âme en matant le corps. On sait comment les soeurs aînées de Charlotte, Maria et Elizabeth, ont contracté la tuberculose et en sont mortes. Charlotte et Emily sont alors retirées du pensionnat. L'amie de Jane, Helen Burns, qui meurt de consomption sous les yeux de la petite fille, a eu pour modèle Maria. L'odieux directeur de la pension dans le roman, Monsieur Brocklehurst,  n'est autre que le Révérend Carus Wilson.  Mais c'est aussi dans un de ces pensionnats pour jeunes filles que Charlotte (comme Jane) a pu acquérir une instruction solide, basée sur l'étude de l'anglais, des langues étrangères, du latin, de l'art, du dessin et de la musique. Jane Eyre est donc bien Charlotte Brontë, institutrice, comme le fut aussi sa soeur cadette Anne.
La misère : La société du XIX siècle apparaît avec sa terrible misère. Lorsque Jane erre dans les landes et les villages après son départ de chez Rochester, elle est obligée de mendier son pain et de coucher dans la lande. Elle se voit refuser tout aide de la part de gens qui sont plus pauvres qu'elle et qui se méfient des mendiants comme des voleurs, la misère conduisant souvent de l'un à l'autre. 
La hiérarchie sociale :Nous voyons aussi la stricte hiérarchie sociale à travers la famille de Madame Reed, la tante de Jane, qui l'a recueillie par charité mais lui fait sentir sans cesse le poids de sa supériorité. 
La religion : Réalisme aussi dans l'analyse des mentalités. Jane décrit une Angleterre pliant sous le joug de la religion puritaine, qui brime le corps, va même jusqu'à lui refuser les soins nécessaires, pour fortifier l'âme. Un puritanisme qui tient en bride les sentiments, considère l'amour charnel comme secondaire  et impur par rapport à l'amour divin. C'est le discours du pasteur Saint-John qui demande à Jane de l'épouser pour le suivre dans son sacerdoce aux Indes et estime qu'elle n'est pas née pour l'amour mais pour servir.

Un roman romantique
Un roman gothique : Jane Eyre s'apparente au roman gothique anglais qui  dès la fin du XVIII siècle répond à un goût pour le sentimental et le mystère et à un engouement pour l'architecture médiévale que l'on redécouvre à l'époque. Ces écrivains, Walpole, Radcliffe, Lewis …  sont les précurseurs du romantisme. Thornfield Hall est un immense château, mystérieux, sombre et austère, situé dans un paysage désolé, au milieu de la solitude, du froid et du brouillard. Dans le roman gothique  il est peuplé d'âmes errantes, en proie au remords et au désespoir. Ici, il ne s'agit pas d'un fantôme mais d'une folle, enfermée dans une pièce secrète, gardée par une femme effrayante elle-même, dont l'antre rappelle l'antichambre de l'Enfer. Le feu, la destruction du château par l'incendie, toutes ces péripéties, participent à l'imagination débridée du romantisme. Charlotte et ses soeurs ont été marquées par les écrivains romantiques, Lord Byron ou Walter Scott…

Conception de l'amour romantique :  Dans le roman de Jane Eyre, Charlotte Brontë développe sa conception de l'amour. Il présente les critères propres au romantisme :  éternel,  l'amour  est l'union de deux êtres qui sont faits l'un pour l'autre; il résiste à l'usure du temps mais ne peut se réaliser que dans la vertu, un amour sanctifié et voulu par Dieu. Un sentiment désintéressé et si fort qu'il peut conduire à la rédemption de l'être le plus méprisable et le plus avili. C'est la cas d'Edward Rochester qui a une vie dissolue, allant de maîtresse en maîtresse, méprisant les femmes et se méprisant lui-même. Le Mal s'est emparé de lui puisqu'il s'expose à la damnation en décidant de contracter un double mariage. Lorsqu'il cherche à entraîner Jane dans sa déchéance en en faisant sa maîtresse, il perd tout sens moral car il risque de détruire ce qu'il aime dans la jeune femme,  la luminosité qui permet à Jane de préserver cette dignité qui est sa force. Il doit, par une descente aux Enfers, obtenir le pardon divin, purifier son âme  et se libérer du Mal.. Ses souffrances morales, la perte de Jane qui s'enfuit pour lui échapper s'allient à la douleur physique. Il risque sa vie pour sauver son épouse de l'incendie, frôle la mort et se retrouve infirme, diminué, mais digne de Jane.

Recours au surnaturel, au Merveilleux chrétien:  Jane  entend la voix de son Bien-aimé qui l'appelle au-delà des montagnes et il a lui aussi la même sensation. Nonobstant la distance, la voix et l'âme de ceux qui s'aiment peuvent se rejoindre.

Un roman féministe

Jane Eyre est un personnage apparemment faible. Orpheline, elle est méprisée et mal aimée par sa famille; pauvre, elle ne peut prétendre  à la considération des autres. Chez sa tante, même les servantes la traitent comme une inférieure car elles gagnent leur vie, disent-elles, mais pas Jane; sans dot, elle n'a pas droit à l'amour et au mariage. De plus, la condition de gouvernante s'accompagne souvent d'humiliations et de rebuffades.  Tout ceci va la placer tour à tour sous la coupe d'hommes qui cherchent à la dominer voire à la briser. C'est le cas du directeur de la pension qui lui inflige brimades et vexations. Ce sera ensuite Monsieur Rochester qui est son maître et à qui elle doit obéir. Il  cherche à la manipuler, ne reculant pas devant le mensonge, au risque de la compromettre, de perdre son âme et de la pousser au désespoir : il la conduit à l'autel alors qu'il est déjà marié! Plus tard, il veut faire d'elle sa maîtresse, jouant sur ses sentiments, employant tour à tour, la séduction, la colère, les pleurs. Elle tombe enfin sous la coupe du pasteur Saint-John qui exercera sur elle, grâce à son ministère, une autorité  incontestable sur son âme mais n'en cherchera pas moins à  la dominer et la forcer au mariage avec lui sous prétexte de devoir religieux. Cependant Jane parviendra à tenir tête à tous ces hommes et à gagner sa liberté. Elle possède une valeur morale, une conception de l'honneur et un sens de sa dignité qui en font une héroïne à part entière. Elle force l'admiration et représente une conception de la femme libérée du pouvoir masculin, ne rendant des comptes qu'à elle-même et en paix avec sa conscience.

Le film de Cary Fukunaga

Il s'agit d'une adaptation très proche et très respectueuse du roman et j'ai apprécié les belles images montrant ces paysages désolés, la lande interminable, déserte et inhospitalière, le château imposant et noir.  C'est très beau. En discutant avec Wens, pourtant, j'ai été d'accord avec lui pour dire que l'image est peut-être, en effet, trop sage, trop bien léchée, cherchant l'esthétisme plutôt que la vérité des passions, le bouleversement, la violence des évènements et des personnages. C'est vrai que l'errance de Jane dans la lande où elle subit la faim, la peur, la souffrance morale et physique, où elle échappe de bien peu à la mort dans un pays où la solidarité n'a pas cours est très édulcoré par rapport au roman. Le personnage de Rochester est également affadi soit par la volonté du réalisateur ou le jeu trop retenu de l'acteur, Michael Fassbender. Certes celui-ci peut faire rêver les jeunes filles romantiques mais.. il ne rend pas la violence de cet homme, son dégoût de lui-même, ses luttes intérieures, le déchirement de sa conscience face au choix qu'il a devant lui : renoncer à Jane donc au bonheur ou devenir parjure et hors la loi en l'épousant, enfin sa révolte contre Dieu qui le voue à la damnation. Par contre j'ai beaucoup aimé l'interprétation de Jane et cette force intérieure que l'actrice Mia Wasikowka parvient à faire apparaître en opposition avec sa fragilité physique.  

Jane Eyre de Robert Stevenson



De même le récit dans la pension dans le film de Cary Fukunaga manque de relief et est filmé d'une façon assez plate. Je m'en suis rendue compte en revoyant l'adaptation de Robert Stevenson avec Orson Wells et Joan Fontain  dans les rôles principaux. La scène de la pension est magiquement filmée, le style impressionniste accentuant les contrastes entre l'ombre et la lumière, entre le Bien et le Mal  lorsqu'apparaît  la petite Helen Burns (Elizabeth Taylor), symbole de la pureté et de la bonté, apportant du pain à Jane. Le film présente de très beaux passages dans ce film que je préfèrerais à celui de Cary  Fukunaga… mais à qui je reproche un manque de sobriété  encore accentué par une musique assez pompier dans les scènes tragiques.





jeudi 22 novembre 2012

Dickens et Collins : L'abîme





Je pensais lire un livre de Dickens en choisissant ce titre L'abîme  et je m'aperçois que c'est un livre rédigé à quatre mains puisqu'il s'agit d'une collaboration entre Dickens et Wilkie Collins, ce dernier étant à la fois l'ami mais aussi le disciple admiratif de son illustrissime aîné et grand écrivain. Mais ici ils signent tous les deux!
L'histoire? Elle pourrait être à la fois de Dickens ou de Collins puisque l'on y retrouve des thèmes chers à l'un et à l'autre traités cependant différemment : chez Dickens un enfant orphelin ou abandonné ou chez Collins une innocente victime - plus souvent une femme- spoliée et sur laquelle plane un mystère. Ils sont aux prises avec un homme machiavélique - la figure du méchant- et rejetés par la société. S'ensuivent des aventures qui tiennent en haleine le lecteur et l'amène à un dénouement souvent heureux pour les plus faibles.

Un enfant  a été confié à l'Hospice des enfants trouvés. Quelque temps après, une inconnue aborde Sally, une jeune employée qui travaille à l'hospice et lui demande quel est le nom de baptême donné à ce bébé, avouant qu'elle en est la mère et qu'elle a été contrainte à l'abandonner. Sally, touchée par sa détresse, lui donne le nom du petit garçon : Walter Wilding. Quelques années après, la mère enfin libre, revient chercher son enfant. Tous deux vivent quelques années de bonheur, rapprochés par une affection commune. A sa mort, la mère lègue à son fils une maison d'habitation et un commerce de vin. Mais Walter en mauvaise santé doit s'associer avec George Vendale, un de ses amis, charmant et sympathique jeune homme. Ce dernier est amoureux d'une jeune suissesse, Marguerite, nièce d'un certain Obenreizer. Les deux histoires, celle de Walter et de George,  sont étroitement liées. Mais Walter Wilding engage pour gouvernante madame Goldstraw qui n'est autre que Sally. Celle-ci lui apprend un terrible secret....

L'oeuvre est assez bizarre dans la mesure où elle est  divisé en quatre actes comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre avec une scène de début intitulé  : le rideau se lève et une autre, en clôture, le rideau tombe mais elle a le plus souvent les caractéristiques du roman. D'autre part, cette collaboration entre Dickens et Collins est assez surprenante car on à l'impression que les deux hommes n'ont pas écrit ensemble mais à la suite l'un de l'autre, un peu comme dans le jeu des cadavres exquis. Si bien que nous ne savons plus trop parfois où le roman va nous entraîner, du Londres pauvre et sordide aux montagnes suisses dangereuses avec leurs abîmes vertigineux. Il semble que les deux écrivains aient rivalisé d'imagination, et l'intrigue tire un peu à hue et à dia. Notons au passage que Marguerite cesse d'être la potiche qu'elle paraît être au début du roman pour se révéler ensuite forte et audacieuse pour sauver celui qu'elle aime. Intéressant aussi le fait que l'on parvienne à discerner quelle est la griffe de l'un ou de l'autre selon les chapitres. Wilkie Collins dans les scènes qui se passent en Suisse, se révéle un maître du suspense, du retournement de situations. Charles Dickens excella dans les portraits satiriques et caricaturaux comme celui de Joey Laddle ou de monsieur Obenreiser ou de sa gouvernante Madame Dor.
Ainsi pour donner un exemple précis la scène  intitulée Le rideau se lève évoque le commerce dont a hérité Walter Wilding dans un quartier sordide de Londres. C'est une description réaliste à la Dickens
Au fond d'une cour de la Cité de Londres, dans une petite rue escarpée, tortueuse, et glissante, qui réunissait Tower Street à la rive de la Tamise, se trouvait la maison de commerce de Wilding et Co., marchands de vins. L'extrémité de la rue par laquelle on aboutissait à la rivière (si toutefois on avait le sens olfactif assez endurci contre les mauvaises odeurs pour tenter une telle aventure) avait reçu le nom d'Escalier du Casse-Cou. La cour elle-même n'était pas communément désignée d'une façon moins pittoresque et moins comique: on l'appelait le Carrefour des Éclopés.

L'ironie de Dickens s'exerce jusque dans le nom qu'il donne aux rues mais atteint son apogée quand il prête à Walter Wilding, après cette description répugnante, ces quelques mots  :
 "Pensez-vous qu'un jeune homme de vingt-cinq ans qui peut se dire en mettant son chapeau : ce chapeau couvre la tête du propriétaire de cette propriété...., pensez-vous que cet homme n'ait point le droit de se déclarer satisfaits de lui-même, sans être orgueilleux? Le pensez-vous?"

En conclusion L'abîme n'est certainement la meilleure oeuvre de Charles Dickens ni de Wilkie Collins mais c'est un curiosité littéraire  amusante.


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Chez Aymeline