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vendredi 28 octobre 2011

Jacques Prévert : De la rue de Siam au bombardement de Marseille



 Prévert par Doisneau source

 Dans L'atelier du Skriban, Gwenaelle nous a proposé d'écrire un texte à partir de ce poème de Jacques Prévert que j'aime tant, Barbara du recueil Paroles.  
Choisissez un nom de rue et racontez ce qui s’est passé « ce jour-là… ». En poésie ou en prose, comme vous voulez… 
Elle a ajouté la consigne suivante Le poème de Prévert se réfère aux 165 bombardements de la ville de Brest entre le 19 juin 1940 et le 18 septembre 1944. Votre récit devra se situer quelque part entre ces deux dates. 
Je ne résiste pas au plaisir de publier ce magnifique poème que je fais suivre de mon exercice d'écriture sur le bombardement de Marseille : 84 rue Belle de Mai


Barbara

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.


Jacques Prévert


Marseille, le 27 Mai 1944, Les Réformés

84 rue Belle de Mai  : Ce jour-là…

Ce jour-là, la barque, toutes voiles dehors, entraînée par un vif courant, chahutée par les turbulences, allait de l’avant. Prise parfois dans le rets de branchages entremêlés, déjouant les pièges, elle se frayait alors un passage difficile parmi ces barrages impromptus puis, tel un bouchon propulsé du goulot d’une bouteille, jaillissait dans l’eau redevenue claire, et gagnait en vitesse, filait, filait, droit devant, sans entraves. Ses poursuivants étaient loin derrière elle, peinant à se dégager des embûches qui se dressaient sur le chemin liquide, véritable bourbier nauséabond à certains endroits. L’un d’eux avait déjà chaviré puis coulé. L’autre, pris dans un immense  tourbillon, frêle esquif sans gouvernail, exécutait une sorte de danse macabre, virevoltant dans un mouvement léger et rapide qui avait une certaine beauté mais qui le conduirait à une mort certaine. Je m’égosillais, sautait d’enthousiasme.  
Ce jour-là, j’allais gagner pour la première fois de ma vie! Petit garçon en culottes courtes, les genoux couronnés de bleus et de rouge, je me penchais au-dessus du caniveau où l’eau ruisselait. Le cantonnier venait juste d’ouvrir la vanne, et l’eau fusait, charriant tout un monceau d’immondices qu’elle entraînait vers la bouche d’égout..  Nous faisions l’école buissonnière et avions oublié toute prudence dans l’ardeur du jeu. Mon bateau, un bout de bois sur lequel j’avais attaché un mouchoir (volé à ma soeur) allait gagner! Devant le 84 rue Belle de Mai, il s’arrêta, vacilla, et, avant que j’eusse le temps de le repêcher, s’engouffra dans la gueule béante du collecteur. Je poussai un hurlement de dépit tandis que les copains s’esclaffaient. Il était 11h10, ce jour-là, le 27 Mai 1944, lorsque l’enfer se déchaîna sur Marseille.*

*Le bombardement américain du 27 mai 1944 sur Marseille, qui s'abat sur la ville précisément à 11h10, est particulièrement dévastateur. Si la gare centrale est bien rendue inutilisable, c’est tout autour la désolation. Le plateau Saint-Charles et la Belle-de-Mai sont saccagés, mais aucun quartier du centre n’est vraiment épargné. On le voit dans un reportage qui, sur un fond musical lugubre, fait le tour de la « France martyre ». Venant à Marseille, après Lyon et avant Mantes, il montre les destructions dans le quartier de l’Opéra, derrière le célèbre restaurant Basso, ou bien encore en haut de la Canebière, vers les Réformés. Le bombardement marseillais du 27 mai est l’un des plus meurtriers que la France ait subi : 1 752 morts, 2 760 blessés, 1 022 maisons détruites et 8 865 endommagées. Des dizaines de milliers de Marseillais vont fuir la ville dans les jours qui suivent pour se réfugier dans les villages de banlieue ou dans l’arrière-pays.


L'atelier du Skriban Gwenaelle