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mardi 8 mai 2012

David Lodge : La Vie en sourdine

La vie en sourdine est le dernier roman de David Lodge dans lequel il a mis beaucoup de lui-même à commencer par sa surdité et la mort de son père.
Le titre anglais Deaf Sentence de même que les  phrases mal comprises et déformées par la surdité (ce qui donne lieu à des quiproquos incessants) sont difficiles à traduire sinon intraduisibles, comme l'écrivain le reconnaît lui-même, d'où l'hommage à ses traducteurs Maurice et Yvonne Couturier.
Le titre joue en effet, sur le jeu de mot entre death : mort et deaf : sourd.* La surdité est bien une condamnation à mort : mort sociale d'abord puisque l'impossiblité de suivre une conversation oblige Desmond, le héros du livre, professeur de linguistique retraité, à renoncer à une vie mondaine mais aussi à des conférences internationales qui auraient donné sens à sa vie et maintenu intacts ses centres d'intérêt intellectuels. Mort aussi car en s'enfonçant dans la surdité, Desmond s'engage  dans la vieillesse, sur un chemin où il n'y plus de retour possible.

lodge-1.1243778203.jpgDe plus le tragique de cette infirmité réside paradoxalement dans le fait  qu'elle est ... comique! Dans la comparaison qu'il dresse entre cécité et surdité, lors d'une brillante, érudite  et humoristique démonstration, Lodge démontre, en effet, combien le sourd fait rire ou irrite alors que l'aveugle s'attire attention, aide et commisération.
Le tragique par opposition au comique. Le poétique par opposition au prosaïque. Le sublime par rapport au ridicule.
Les prophètes et les voyants sont aveugles -Tirésias par exemple- mais jamais sourds. Imaginez-vous en train de poser une question à la Sybille et recevant pour toute réponse un : "quoi? Quoi?" irascible.
C'est ainsi que David Lodge explore, avec un humour parfois grinçant et  par l'auto-dérision, cette tranche de vie  des plus de 60 ans, qui se manifeste à travers son personnage par le besoin de trouver un sens à sa vie, malgré la cessation d'activité - selon la périphrase pudique qui désigne la retraite-  cessation de vie pourrait-on dire- encore aggravée par la surdité, qui lui donne l'impression d'être mis au rencart; par la baisse de la libido surtout lorsqu'on a une femme plus jeune, résolument active, par les dernières tentations sexuelles sous les traits d'une jeune étudiante un peu spéciale; par une visite à Auschwitz  qui est un écho à la mort du père et de sa première femme, Maisie, par la naissance d'un petit-fils qui rétablit un instant l'équilibre précaire...
Et enfin, il décrit, autre thème majeur, les rapports avec son père dans toute leur complexité,  révélant le fossé  social et intellectuel qui s'est créé entre le vieil homme qui a quitté l'école à quatorze ans et dont il dresse un portrait haut en couleur et lui, le fils,  universitaire distingué, relations douloureuses entre amour et refus, entre amour et culpabilité jusqu'à la maladie qui occulte les facultés mentales du vieillard et enfin sa mort.
On le voit le roman traite de thèmes tragiques  et pourtant  l'écrivain avec pudeur, dignité, refus de l'attendrissement, nous amène à en rire.
Un très beau roman, donc, où David Lodge aborde les problèmes d'un homme de son âge dans un récit qui alterne la première et la troisième personne comme pour mieux affirmer qu'il s'agit bien de lui mais aussi d'un autre, d'un journal intime mais aussi d'un roman, et, somme toute, d'une histoire qui nous concerne tous, jeunes et vieux, et que nous serons tous amenés, un jour ou l'autre, à expérimenter.
Les évènements de ces deux derniers mois ne cessent de déclencher en moi des échos et des résonnances de ce genre : la bougie votive vacillant dans l'obscurité parmi les gravats du crématoire d'Auschwitz et la bougie que j'ai mise sur la table de chevet de Maisie lorsqu'elle s'est endormie définitivement; les pyjamas d'hôpital et les uniformes rayés des prisonniers; le spectacle du corps nu et ravagé de papa sur le matelas de l'hôpital lorsque j'ai aidé à le laver et les photos granuleuses de cadavres nus entassés dans les camps de la mort. L'expérience de ces dernières semaines m'a servi en queque sorte de leçon. "La surdité est comique, la cécité tragique", ai-je écrit  plus tôt dans ce journal intime, mais maintenant il me paraît plus significatif de dire que la surdité est comique et la mort tragique, parce que définitive, inévitable, impénétrable.

*Le titre français, s'il ne peut rendre compte entièrement de ce jeu de mot, est très habile : La vie en sourdine joue, en effet, sur le jeu entre les mots sourd et sourdine, ce dernier impliquant que la vie a perdu son éclat,  son retentissement, qu'elle va être jouée en demi-teintes, avec un bémol à la clef. C'est aussi une annonciation de la mort qui passe par de nombreux renoncements.

Republié de mon ancien blog