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mercredi 29 mai 2024

Herman Melville : Billy Budd

 

Billy Budd est une jeune marin de vingt et un ans, dont la beauté attire l’attention. Ses camarades l’ont surnommé « le Beau Marin » ou encore « Bébé Budd ». Il est embauché d’abord dans la marine marchande où sa bonne humeur et sa belle mine lui attirent toutes les sympathies. Par la suite, il est enrôlé de force dans la marine de guerre sur le bateau le Bellipotent comme l’était grand nombre de jeunes gens à cette époque.

Gabier de misaine, Billy s’efforce d’accepter le changement qui vient d’intervenir dans sa vie sans protester et d’accomplir son travail correctement. Mais il va se heurter à la malveillance affichée du capitaine d’armes, John Claggart. Celui-ci n’a aucune raison d’en vouloir à Billy, et, nous dit Melville, ces sentiments ne sont pas rationnels mais liés à « une dépravation relevant de la nature. »  En fait, « la raison première de sa haine pour Billy, à savoir la remarquable beauté de ce personnage » semble être l’unique motivation de sa conduite.

L’homosexualité refoulée de Claggart qui nie son attirance pour le Beau Marin, prisonnier de sa conception de la virilité et des préjugés de l’époque, est précisée explicitement par ailleurs. Elle fait écho à l’homosexualité de Melville interdite par son éducation puritaine mais qui apparaît dans chacun de ses romans.

« Claggart apparaissait alors comme l’homme de douleurs. Oui, et parfois l’expression mélancolique se nuançait de tendre nostalgie, comme si Claggart aurait pu aimer Billy n’eut été l’interdit du destin ».

Claggart ne peut lutter contre cet amour qu’il juge coupable et qui le mettrait au ban de la société, qu’en cherchant à le nier et à en supprimer l’objet. Claggart est le Mal, le jeune homme représente le Bien, sa jeunesse se pare d’une innocence presque enfantine qui ne lui permet pas de discerner le Mal. Il est donc la victime toute désignée. Son seul défaut est un bégaiement qui l’affecte au cours d’une trop grande émotion. Aussi lorsque Claggart l’accuse injustement de fomenter une mutinerie devant le capitaine Edward Fairfax Vere, ne pouvant se défendre et exprimer son innocence, Billy frappe Claggart de son poing et le tue.

Le contexte historique a une grande importance dans le récit et d'ailleurs Melville y consacre plusieurs chapitres s'étendant, en particulier, sur  le mode de recrutement des marins et sur l'enrôlement forcé. Le drame se déroule au moment de la révolution française pendant l’été de 1797. Les marins anglais, cette année là, déclenchèrent une série de mutineries qui furent sévèrement réprimées. Pourtant le mécontentement couve toujours et les officiers sont à cran. C’est ce qui explique que le sort de Billy Budd accusé de meurtre, même si l’on reconnaît son innocence au sujet de la mutinerie, soit fixé d’avance. Le capitaine Vere, partisan de l’ordre et de la discipline militaire, le condamne à  la pendaison et il est exécuté dès le lever du soleil.
 
 Il y a quelque chose de christique dans la mort du Beau Marin. En mourant, alors qu’il est innocent, ce sont les péchés collectifs qu’il expie et non sa propre faute et, de même que le Christ, il meurt en pardonnant à celui qui l’a condamné : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere !», hissé sur la grande vergue, dans une symbolique de la lumière qui l’auréole et le transfigure :

« au même instant le hasard voulut que la toison vaporeuse suspendue bas à l’orient s’imprégnât d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’Agneau de Dieu, tandis que simultanément, suivi du regard par la masse compacte de visages torturés vers le haut, Billy s’élevait; et, s’élevant recevait en plein le rose de l’aube. »

On pourrait penser que la nouvelle, se terminant par le pardon et cette image du Christ, est finalement optimiste malgré le tragique du propos. C’est ce que je pensais, notant que le calviniste Melville semble dire que son héros est sauvé malgré sa prédestination au malheur, puisqu’il reçoit la promesse de l’aube, condamné par les hommes mais reçu par Dieu.  

Mais dans la préface, le traducteur Daniel Orme explique que de nombreux critiques s'interrogent sur le sens de cette nouvelle. Certains considèrent  le récit de Melville comme une parodie ironique et que c'est ainsi qu'il faudrait prendre la dernière phrase de Billy Budd, "Que Dieu bénisse le capitaine Vere".  La nouvelle témoignerait alors du rejet de la loi militaire qui n'hésite pas à sacrifier un innocent et d'une condamnation sans appel du capitaine Verre. Daniel Orme pense que c'est aller trop loin dans  l'interprétation de la pensée de Melville, petit-fils du Major Thomas Melville, qui n'a jamais cessé de respecter l'ordre militaire.
 
Pourtant, Rictor Norton va beaucoup plus loin dans son étude : "Herman Melville", Gay History and Literature, 9 janvier 2000. 

Il analyse l’entretien « secret » qui a lieu entre Billy Budd et le capitaine Vere avant la pendaison, l’auteur pose cette question : « Que s’est-il passé dans le placard du capitaine Vere ? » et il conclut  :

"Cela se termine par le triomphe stérile de l’autorépression. Le « Que Dieu bénisse le capitaine Vere » de Billy est plein de l'ironie la plus amère. Au moment où il prononce cette bénédiction, à laquelle fait écho l'équipage du navire, "le capitaine Vere, soit par maîtrise de soi stoïque, soit par une sorte de paralysie momentanée provoquée par un choc émotionnel, se tenait droit, rigide comme un mousquet, dans le râtelier de l'armure du navire". - c'est-à-dire : il devient un pénis en érection. La bénédiction et l'exécution sont suivies d'un très court chapitre intitulé "Une digression", dans lequel le commissaire de bord et le chirurgien ne parviennent pas à expliquer l'étrange absence du "spasme musculaire" dans le corps pendu de Billy, un "spasme" qui est " plus ou moins invariable dans ces cas-là. ». On se demande combien de lecteurs de Melville se rendent compte que ce dont il est question est de l'orgasme et de l'éjaculation qui se produisent habituellement lorsqu'un homme est pendu - une des raisons pour lesquelles les réformateurs estimaient que les pendaisons publiques étaient obscènes."

Billy Bud nous dit-on est l'une de des nouvelles les plus discutées, les plus controversées de Melville. Les interprétations qui en ont été données sont souvent complexes et contradictoires.

A vous de vous faire une idée en la lisant ! 




LC avec Keisha

Autre LC sur Melville prévu avec Fanja à une date non arrêtée


mardi 12 mars 2024

Jules Verne : Les forceurs de blocus

 


 

Les forceurs de blocus est une longue nouvelle de Jules Verne parue en 1871. La guerre de Sécession ou guerre civile américaine (1861 à 1865) eut de graves répercussions en Ecosse sur l’économie du textile. Pendant La famine du coton, six-cent vingt cinq mille métiers s’arrêtèrent, des milliers d’ouvriers sans travail furent réduits à la misère, les patrons subissant des revers de fortune importants. En effet, les Etats du Sud pourvoyeur du coton cultivé par les esclaves noirs subissaient un blocus de la part des fédérés et ne pouvait ni exporter leur coton, ni recevoir de l’aide extérieure.
Le jeune capitaine James Playfer dont l’oncle,Vincent Playfer, est un riche négociant de Glascow, décide de partir en mer avec un navire à vapeur d’une rapidité exceptionnelle, The Delphin, pour forcer le blocus de Charleston. Il partira chargé d’armes et, après avoir forcé le blocus il les échangera avec du coton.

Il embarque à son bord, en plus de l’équipage, un nommé Crockston, un homme qui se dit excellent marin et son jeune neveu. Or, dès le début du voyage, Crockston se révèle complètement ignorant des choses de la marine et James Playfer comprend tout de suite que le jeune neveu est, en fait, une fille. Je pense que l’on peut le révéler tout de suite car l’intérêt du récit n’est pas là et il ne s’agit en aucune mesure d’une surprise ! En effet, si le lecteur, se doute tout de suite du travestissement, le capitaine n’est pas dupe non plus et traite avec beaucoup d’égard sa jeune et jolie passagère, Jenny Halliburtt.  
Celle-ci a embarqué avec son domestique pour rejoindre son père, journaliste des Etats du Nord, anti-esclavagiste convaincu, retenu prisonnier dans le Fort de Charleston pas les confédérés.
Et c’est là que réside l’intérêt de ce récit :  Le capitaine est avant tout un commerçant et il voit les fédérés et leur cause, l’abolition de l’esclavage, d’un mauvais oeil. Tout ce qui est néfaste au commerce attire son courroux. Face à ce matérialisme, la jeune fille, idéaliste, va plaider pour les Etats du Nord, montrer que la question de  l’esclavage prime dans cette lutte entre le Sud et le Nord,  et mettre en valeur la noblesse de la cause défendue par son père. Le jeune homme, d’abord commerçant dans l’âme, se laisse peu à peu gagner par les idéaux de la jeune fille. Les idéaux? ou les beaux yeux ? Un peu des deux mais les beaux yeux surtout ! 

Les forceurs de blocus est donc un récit d’aventure mais aussi d’amour et ne manque pas d’humour comme on le voit dans la chute de la nouvelle ! Comment les héros forceront-ils le blocus ? Echapperont-ils aux dangers de l’aventure ? Parviendront-ils à libérer le père de Jenny ? C’est ce que je vous laisse découvrir !
Un petite oeuvre peu connue de Jules Verne mais très agréable à lire et qui présente une vue originale de la guerre de Sécession vue du côté européen et des idées de Jules Verne opposé à l'esclavage.

LC  avec Violette ICI

 LC avec Fanja ICI


Chez Fanja
 


 

Chez Nathalie

dimanche 21 janvier 2024

Henrik Sienkiewicz : Hania


 

Dans la nouvelle de  Henrik Sienkiewicz, Hania, l’écrivain polonais nous transporte à la fin du XIX siècle dans une famille  polonaise noble, propriétaire d’un domaine rural.
Là, vit Henri, l’aîné des enfants, héritier du domaine, qui, en l’absence momentanée de son père, se voit confier la tutelle d’Hania, la petite-fille de Nikolaï, un vieux serviteur, juste avant la mort de celui-ci. Henri adore sa pupille et se sent investi d’une mission, il surveille son éducation, demande qu’elle soit instruite avec ses frère et soeurs et qu’elle soit considérée comme leur égale. Il commande déjà la maisonnée en petit seigneur.

Malgré la pensée de la mort du pauvre Nikolaï, que j’aimais de tout mon cœur, je me sentais fier et presque heureux de mon rôle de tuteur. Me voir ainsi, moi, garçon de seize ans, le soutien d’un être faible et malheureux, cela me relevait à mes propres yeux, et je me sentais plus homme.

 
Henri a pour ami Sélim, dont le père possède des propriétés voisines; ce dernier est d’origine Tatare. Les familles vivent en bon voisinage malgré des religions différentes, chrétienne et musulmane. Les deux amis s’entendent bien et partagent les mêmes jeux, les mêmes activités. Ils partent loin de chez eux pour poursuivre leurs études et après avoir réussi à leurs examens, tous deux reviennent chez leur père.
 Henri aimait déjà sa pupille avant de partir, son amour se décuple en retrouvant Hania qui a grandi et s’est épanouie, devenue une belle jeune fille. Mais il n’ose avouer ses sentiments à quiconque. Et bien sûr, Sélim tombe amoureux lui aussi d’Hania qui lui répond favorablement, le récit s’accélérant et se terminant, avec ses deux exaltés, en drame.
 

Dans cette nouvelle, Henrik Sienkiewicz place dans un cadre idyllique (ou presque), une famille qui s’aime, un père qui admire son fils aîné, un jeune homme, Henri, conscient de ses responsabilités, des nobles qui sont bons et justes avec leurs domestiques et qui en sont aimés, des voisins tolérants,  bref !  une société patriarcale telle que Sienkiewicz la voyait à la fin du XIX siècle et dont il regrettait la disparition progressive. 


Maman tenait dans la maison une petite pharmacie, et soignait elle-même les malades. Lors de l’épidémie de choléra, elle passa des nuits entières dans les cabanes de paysans avec le docteur, s’exposa à de grands dangers, et mon père qui tremblait à cette seule idée, n’osa pourtant s’y opposer et ne put que répéter :
— Que faire ? c’est son devoir !
Mon père lui-même, malgré son apparente sévérité, la démentit souvent ; il abolit les corvées, excusa facilement les coupables, paya les dettes des paysans, fit célébrer les noces et baptiser les enfants, nous enseigna à respecter les gens, à répondre aux saluts des vieillards, et en fit venir parfois pour prendre leurs conseils. Aussi les paysans s’attachèrent-ils à nous et nous prouvèrent-ils par la suite plus d’une fois leur reconnaissance.

 
L’écrivain sait aussi manier l’humour et nous faire rire avec ses portraits de la gouvernante française avec ses papillotes ou du prêtre Ludwig.


 La nouvelle pourrait donner de prime abord l’impression d’être un conte de fées, le noble épousant la servante au-delà de la disparité sociale, si l’auteur ne semait, de ci de là, des indices qui préparent au drame et qui paraissent inquiétants :  Ainsi les deux jeunes gens sont souvent en rivalité, chacun essayant de surpasser l’autre, à cheval, ou à l’épée. Tous deux sont fort orgueilleux, ont un sens de l’honneur chatouilleux. Le père d'Henri, d’ailleurs, ne supporte pas que Sélim soit supérieur à son fils et Henri n’hésite pas à risquer sa vie pour ne pas le décevoir. Peut-être une mère aurait-elle pu comprendre son fils et empêcher le drame ? Mais celle-ci est absente, malade, partie se soigner à l'étranger.
L’écrivain analyse la psychologie des personnages, en particulier,  le caractère d'Henri, son orgueil, son impossibilité d’avouer ses sentiments par peur de la moquerie, ses sautes d’humeur qui peuvent aller jusqu’à la méchanceté, sa jalousie féroce et son égoïsme car il ne peut accepter de savoir Hania heureuse avec un autre. 

Mon caractère d’ailleurs était dissimulé et de plus, une grande différence existait entre Sélim et moi : j’étais sentimental, tandis que Sélim ne l’était pas pour un sou. Mon amour ne pouvait être que triste. Chez Sélim, il eût été joyeux. Je cachai donc mon amour à tous, je me trompai moi-même, et effectivement nul ne le remarqua. 

Quant à Sélim, sa propension à tout prendre avec légèreté, en riant, ce qui ne ménage pas l’amour propre de son ami, ses colères qui le rendent semblables à ses ancêtres des steppes, et surtout son caractère impulsif le poussent à des actes irréparables.

Lorsque Sélim demandait quelque chose et regardait quelqu’un, il semblait le pénétrer jusqu’au cœur. Les traits de son visage étaient réguliers, nobles, comme dessinés par un burin d’artiste ; la couleur en était basanée, mais tendre ; les lèvres, un peu saillantes, étaient d’un rouge vif, et les dents comme une rangée de perles.
Quand, par exemple, Sélim se disputait avec un camarade, — et cela arrivait assez fréquemment, — alors cette grâce disparaissait comme un mirage trompeur ; il devenait effrayant : ses yeux se replaçaient de travers et brillaient comme ceux d’un loup ; sur son front rougissaient les veines ; la peau de la figure brunissait, — en lui se réveillait le vrai Tatar, tel que ceux avec qui eurent affaire nos ancêtres. Par bonheur, cela ne durait pas.


Ainsi le "conte de fées" n'en est pas un et avec ce premier amour disparaissent toutes les illusions du jeune homme et une partie de sa jeunesse, ce qui témoigne du pessimisme de l'écrivain.  Mais si  la leçon est amère pour les deux personnages masculins, je dois dire qu’elle l’est plus encore pour Hania, le dénouement de la nouvelle se révélant d’une grande cruauté envers la jeune fille.

Je me suis demandée dans quelle mesure ce récit était autobiographique mais je n'ai pas trouvé de réponses malgré des ressemblances dans l'origine sociale d'Henryk et d'Henri.


 Chez Je lis Je blogue



 

lundi 8 janvier 2024

Guy de Maupassant : Le Horla

 


Je viens de relire Le Horla de Maupassant pour accompagner le travail de ma petite-fille après avoir découvert cette nouvelle quand j’avais son âge, après l’avoir étudié avec mes élèves, lu et relu avec chacune de mes trois filles et enfin, vu au théâtre dans un seul en scène (festival off Avignon 2013)  ! Et bien, on le croira ou non, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, un thème différent, un détail qui vous accroche cette fois-ci plus que cette fois-là. C’est le propre des classiques, la richesse et la polyvalence de la lecture !

 Il y a en fait trois versions de l’histoire dont la première s’intitule Le journal d’un fou (1885) et les deux autres, (1886 et 1887) Le Horla. La dernière, celle que dont je parle ici, est présentée sous forme de journal intime. Cette oeuvre est écrite cinq années avant la mort de Maupassant qui, atteint de la syphilis, décède, en 1995, dans la maison psychiatrique du docteur Blanche, le cerveau ravagé par la maladie, en proie à des crises d’angoisse, à de terribles hallucinations, gagné par la folie après avoir tenté de se suicider en 1992.

Maupassant, quand il écrit Le Horla, est déjà atteint de troubles psychiatriques. Son personnage, bien que fictionnel, est donc très proche de lui et ce récit permet d’avoir la description précise,  sous la plume d’un écrivain talentueux, des troubles neurologiques et de leur évolution liés à ce fléau qui touche de nombreux hommes célibataires au XIX siècle. Les jeunes filles ne sont accessibles que par le mariage, enfermées dans des couvents, ou, à défaut, comme le dit Rimbaud, à l'abri «sous l’ombre du faux col effrayant de son père ». Reste la fréquentation des prostituées :  La maison Tellier, maison close de Maupassant reste célèbre !   On pense aussi à Gérard de Nerval qui décrit les troubles psychiatriques engendrés par la syphilis dans Aurélia, cette oeuvre devenue un classique des études de médecine, un passage obligé des étudiants en psychiatrie !

La structure de la nouvelle fantastique
 
 
Le Horla

 

Cette nouvelle  fantastique, le Horla, est  aussi classique par sa structure :  

 Le réalisme :  Dans un cadre réaliste, l’action se déroule du 8 mai au 10 Septembre, en Normandie, sur les bords de Seine, près de Rouen. Le narrateur vit paisiblement dans ce décor idyllique quand il commence à avoir de la fièvre, à se sentir triste, anxieux, à perdre le sommeil, l’appétit… Les détails réalistes créent un décor concret qui rend plus vraisemblable l'apparition du surnaturel et instaure le doute dans l’esprit du lecteur.

Le surnaturel : Ce malaise qui va tourner à l’angoisse est dû à un élément perturbateur, un être invisible qui surveille constamment le narrateur, l’épie, et vient même se coucher sur lui pour l’étrangler ou boire son âme sur ses lèvres ! Une sorte de Vampire  !  
 Le Horla, c’est ainsi qu’il se nomme, en référence, pensent les critiques car Maupassant ne donne pas d’explication, à un mot Normand le Horsain qui signifie l’étranger. Le nom semble désigner celui qui est à la fois Hors et Là, au dehors et au dedans, oxymore décrivant ce double vampirique qui a pris possession du personnage et qui s’efforce de l’effacer.

Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. »

Dès lors le narrateur se demande s’il n’est pas en train de devenir fou et va chercher des preuves de l’existence du Horla pour acquérir la certitude que celui-ci est bien réel : Des preuves ? Il en a et plusieurs ! le Horla boit l’eau et le lait qu’il pose sur sa commode, il tourne les pages d’un livre, il cueille une rose et la déplace, il empêche le miroir de réfléchir l’image du narrateur…
Des preuves de sa folie ? Il en a tout autant ! Ses maux physiques et mentaux ne cessent de s’aggraver, l’anxiété devient angoisse, la peur, épouvante, ses souffrances atteignent un paroxysme : troubles de la personnalité, dédoublement de la personnalité, effacement du moi,  hallucinations, paralysie du sommeil, paranoïa…
La présence du Horla ne cesse de s’affirmer détruisant le narrateur jusqu’à une sorte de crescendo au cours de laquelle la créature domine l’humanité et devient le maître de l’univers.

« Mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et  du boeuf ; sa chose, son serviteur, sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. »

La chute de la nouvelle : L’écrivain a amené le lecteur à douter : il nous a rappelé que nos sens ne sont pas capables de tout saisir. La vue, l’ouïe, l’odorat… nous induisent en erreur. Donc, peut-être Le Horla existe-t-il vraiment puisque l’on ne peut voir l’invisible, sinon pourquoi sévirait-il jusqu’au Brésil selon ce que rapporte la très sérieuse  Revue du Monde scientifique ?  Ou bien, le  narrateur a sombré dans la folie comme semble l’annoncer l’incendie de sa maison  qui entraîne la mort de ses domestiques et la dernière phrase du récit : "Il va donc falloir que je me tue, moi !"

Le doute qui laisse planer le mystère en conclusion donne sa valeur a toute nouvelle fantastique.

 
Les qualités picturales des descriptions

 

La Seine vue sur Rouen

 Quand on lit la nouvelle pour la  première fois, c’est  l’aspect fantastique qui fascine le plus, bien sûr !  Mais il y a tout ce qui nourrit le texte et, en particulier, les qualités picturales de l'oeuvre ! 

Le narrateur vit dans une belle maison sur le bord de la Seine, près de Rouen «  la grande  et large Seine  qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux » qui passent devant la maison du narrateur composent un tableau riant et paisible de la Normandie.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques…. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées…
semblable à un tableau de Monet.


Le voyage au Mont Saint Michel qui arrache le personnage à la peur et la folie  est le prétexte à une  magnifique description de l’abbaye que Maupassant fait surgir au milieu de « cette baie démesurée » » « entre deux côtes écartées se perdant dans la brume » « sur l’horizon encore flamboyant » du soleil couchant  « le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. »

Du crépuscule à l’aurore,  la  vision lointaine se rapproche ensuite jusqu’aux détails :  « j’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées. »
Diffusion de la lumière comme dans un tableau impressionniste, contrastes de couleurs, beauté plastique des formes, nous ressentons comme un apaisement cet intermède de beauté qui permet au narrateur d’échapper à l’horreur du Horla.

J’ai aimé aussi ce récit dans le récit  pendant lequel le moine compte au personnage les légendes du pays ou lorsqu’il lui explique que nous pouvons être trompés par nos sens en lui donnant comme exemple le vent

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navire, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

 

 

Mais c'est par une seule phrase que Maupassant convoque, avec Bougival, ce lieu de divertissements populaires, guinguette, bal, canotage (on sait que Maupassant en est adepte),  non loin de Paris,  tous les peintres impressionnistes et c'est grâce à l'évocation de la fête et des plaisirs que le narrateur du Horla pense tenir la créature maléfique éloignée.

 

Auguste Renoir : Le Bal de Bougival

Auguste Renoir : Le déjeuner des canotiers

 

"J’ai été dîner à Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers... Croire au surnaturel dans l’île de la Grenouillère serait le comble de la folie."


Monet : La Grenouillère
Auguste Renoir : La Grenouillère


 
Canotage  : Berthe Morizot
 

Canotage :  Edouard Manet/ Gustave Caillebotte

 

Le théâtre est aussi un lieu où oublier la peur . Ainsi le personnage  se rend  à la Comédie française où l’on joue un pièce d’Alexandre Dumas fils et il assiste à la fête de la République le 14 juillet, « Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant."

 

Claude Monet : le 14 juillet

La fête nationale est d'ailleurs prétexte à un monologue pessimiste sur la sottise la nature humaine, que ce soit de la part du peuple,  "un troupeau imbécile" "on lui dit : «  amuse-toi ! ».  Il s’amuse" et "ceux qui dirigent sont de sots, ils obéissent à des principes qui ne peuvent être que niais... ».

 

Le XIX siècle, le siècle des sciences

L'influence de Mesmer (1730_1815)


La nouvelle traite aussi des préoccupations scientifiques de l’époque de Maupassant. Et pour justifier sa croyance dans des forces invisibles qui échapperaient à l’homme et ne seraient donc pas de l’ordre du surnaturel  le narrateur s’appuie sur  les théories de Mesmer,  médecin allemand qui soignait ses patients grâce à un « fluide animal » appelé magnétisme ou mesmérisme. Il fait allusion aussi  aux pratiques des  médecins de l’école de Nancy ou école de la suggestion, Hyppolite Berheim et Ambroise Liébeault,  que Maupassant connaissait et qui utilisaient l’hypnose pour guérir l’hystérie.
La thérapie de l'hypnose encore très mal définie par les  médecins eux-mêmes a donné lieu à des controverses entre l’école de Nancy et Charcot, de la Salpétrière. Elle  est encore plus mal connue du grand public pour qui ces pratiques  flirtent avec l’occultisme et le spiritisme dans le désir de faire parler les morts.

Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. (…) De là, sont nées les croyances populaires au surnaturel, la légende des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles vous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». « Mais depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur la une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ainsi dans Le Horla, le narrateur assiste à une séance d’hypnose au cours de laquelle sa cousine, hypnotisée, accomplit des actes qui lui ont été dictés par le praticien, sans que sa volonté soit sollicitée. Or, la conclusion du narrateur est que Mesmer  et ses successeurs, en jouant sur la faculté d'intervenir  par l'hypnose sur le psychisme de l'être humain, sont responsables de la montée en puissance du Horla,  ce « Seigneur » qui dominera le Monde.

"Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau (le Horla), la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... Que sais-je ?  Je les ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur à nous ! Malheur à l’homme !"

La nouvelle annonce donc la fin de l'être humain ! 





jeudi 16 novembre 2023

Fédor Dostoievsky : Le Petit Héros


 

Le petit Héros est une nouvelle écrite par  Dostoievsky en avril 1849 quand il était enfermé à la forteresse Pierre et Paul, accusé d’un complot contre le tsar.

Fédor Dostoïevsky fait partie d’un groupe de jeunes gens aux idées progressistes, réunis autour de la figure de Petravesky, mais plus bavards que révolutionnaires. Il n’était coupable, en fait, que d’avoir conservé chez lui un écrit interdit et une presse à imprimer pour éditer des textes anti-gouvernementaux. Il est condamné à mort avec ses compagnons en décembre 1849. Avec une perversité machiavélique, le tsar imagine alors une mise en scène macabre : le 22 Décembre, les condamnés sont alignés, la tête encapuchonnée, face au peloton d’exécution. Au dernier moment le tsar commue la peine de mort en quatre ans de  bagne. 

Bien longtemps après, Dostoievsky écrira dans L’idiot : Peut-être y-a-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture  et puis à qui on a dit : «  Va, tu es gracié. ». Cet homme là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et de cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a pas le droit d’agir ainsi avec un être humain. »

Le jour de Noël 1849, Dostoievsky part pour la Sibérie. Il y passera neuf ans, quatre au bagne, cinq dans l’armée comme simple soldat. Ce sont ces années que racontent Les souvenirs de la maison des morts.  voir mon billet ICI

Le petit héros


 

C’est donc dans sa cellule où il attend son jugement qu’il écrit, à la lueur de la bougie, Le Petit héros, un souvenir autobiographique échappé à son enfance.

Le garçon a onze ans il est envoyé pour les vacances d’été près de Moscou, chez un parent qui reçoit beaucoup. Dans la grande maison de campagne, les invités se pressent, toute la bonne société moscovite qui aime briller et qui se rassemble pour faire assaut de bel esprit, montrer ses toilettes et raconter des méchancetés : "les ragots allaient leur train, puisque, sans eux, le monde ne serait plus lui-même et des millions de personnes mourraient d’ennui comme des mouches."
Les belles dames lui caressent distraitement les cheveux, c’est encore un enfant …  et pourtant plus tout à fait ! Il est à cet âge charnière où l’enfant n’est pas encore homme mais où la sensualité s’éveille et où il ressent les premiers émois amoureux sans qu’il sache vraiment leur donner un nom : «Il y avait quelque chose au fond de mon coeur, quelque chose que le coeur ne connaissait pas, qu’il n’avait encore jamais senti, mais qui le faisait parfois brûler et battre, comme effrayé, et souvent une rougeur inattendue inondait mon visage. Parfois je me sentais comme honteux et blessé de tous les privilèges enfantins dont je jouissais. ».
Parmi ces grandes dames, une jeune femme blonde, coquette, joyeuse, un peu « toquée » se moque de ses timidités, l’humilie en public à un âge où la susceptibilité est à fleur de peau, et elle devient vite son « ennemie ». La naïveté de l’enfant attise les moqueries suscitant son angoisse, sa honte et son désespoir.  C’est pour faire cesser ses rires qu’il enfourche un cheval sauvage et dangereux, qu’aucun cavalier aguerri ne veut monter, ce qui lui vaut le respect et l’amitié de la blonde rieuse et son surnom de « Petit héros ». 

Le chevalier servant
 
Grande dame de la noblesse russe

 
 Mais le coeur du « Petit héros » va à l’amie de la belle Blonde, Mme M* dont la beauté et tristesse le touchent. L’enfant devient peu à peu son chevalier servant. Il lui sert d’alibi. Il lui vient en aide dans les rapports ombrageux qu’elle entretient avec Mr M*, son mari jaloux"non par amour mais par amour-propre", sans trop comprendre les enjeux mais avec une intuition due à la délicatesse de ses sentiments : "je me trouvais dans un étonnement étrange devant tout ce qui m’avait été donné de voir ce matin-là." C’est d’un oeil  attentif qu’il observe la société, à la fois séduit par ce qui brille mais déjà critique, sans percevoir, parfois, les non-dits et  les drames vécus par les adultes.

Comment comprendre, en effet, ces joute oratoires où la Blonde pour défendre son amie cherche à ridiculiser M.M* et "à faire revêtir au mari jaloux le costume le plus comique et le plus bouffon, et, je suppose, celui de Barbe bleue.".  Pourquoi  Mme M* fait-elle savoir à son mari qu'elle ne désire pas dire au revoir à Mr N*  ? Mais pourquoi voit-elle celui-ci en secret avec la complicité du jeune garçon ?

 Le point de vue de l'enfant, le jugement de l'adulte

Cette nouvelle initiatique assez cruelle est d’une grande finesse psychologique. L’enfant qui raconte son histoire à la première personne est un jouet dans les mains des adultes qui le manipulent et se moquent de lui. Le jeune garçon en est conscient mais ne peut rien faire si ce n'est souffrir et s'indigner. Mais c'est de sa propre initiative, pourtant, qu'il  vient au secours de Madame M*.

En prenant le point de vue de l’enfant qui ne comprend pas tout mais devine et ressent, Dostoievsky laisse au monde des adultes un aura de mystère. C’est au lecteur de compléter ce qui n’est pas dit explicitement. 

Mais l’écrivain adulte qui s’efface derrière le petit garçon, reprend la parole lorsqu’il présente une critique de cette société oisive, frivole et factice. Ainsi à propos du mari de Madame M*, sa plume se fait féroce :

  On le disait un homme intelligent. C’est ainsi que, dans certains cercles, on appelle une race particulière, engraissée sur le compte d’autrui, qui ne fait absolument rien, qui ne veut absolument rien faire, a un morceau de gras  à la place du  coeur.

Puis passant de l’individu à toute une classe sociale : « Dans leur orgueil démesuré, ils n'admettent pas qu'ils auraient des défauts.  Ils ressemblent à cette race de filous de l'existence, des Tartufes et Falstaffs congénitaux, qui se sont tellement pris dans leurs propres  filouteries qu’à la fin ils arrivent à se persuader qu’il doit en être ainsi, ils vont répétant si souvent qu’ils sont honnêtes, qu’ils finissent par croire que leur friponnerie est de l’honnêteté. Incapables d’un jugement quelque peu consciencieux ou d’une appréciation noble, trop épais pour saisir certaines nuances, ils mettent toujours au premier plan et avant tout leur précieuse personne, leur Moloch et Baal, leur cher moi. La nature, l’univers n’est pour eux qu’un beau miroir qui leur permet d’admirer sans cesse leur propre idole et de n’y rien regarder d’autre ;"

Dans cette belle nouvelle, Dostoievsky peint avec précision et sensibilité la révélation de l’amour, ce moment si émouvant et exaltant mais aussi si troublant et délicat  où l’enfant se dépouille de sa chrysalide et prend conscience de ce qu’il éprouve et il conclut : « Ma première enfance venait de s’achever. »


jeudi 27 juillet 2023

Stefan Zweig : La peur mise en scène par Elodie Menant à la Scala de Provence

 

A la Scala de Provence

 

 LA SCALA DE PROVENCE : LA PEUR

Présentation du programme du Off

 Un univers à la Hitchcock.

Dans les années 50, Irène, mère au foyer, trompe son mari, Fritz, avocat pénal. Un soir, une femme l’interpelle à la sortie de chez son amant. Elle prétend être la petite amie de ce dernier, interdit à Irène de revenir le voir et lui réclame de l’argent en échange de son silence. Dès lors, Irène vit dans la hantise que son mari apprenne sa liaison et s’enferme dans le mensonge. Entre Hallucinations, manipulations, quête de la vérité, cette pièce nous tient en haleine de bout en bout… jusqu’au dénouement final saisissant, véritable renversement de situation. Du grand Stefan Zweig !

 

Mon avis

 Non, ce n'est pas du grand Stefan Zweig ! C'est tout autre chose que Stefan Zweig ! C'est du Elodie Menant, la metteuse en scène, qui a tiré à soi l'oeuvre de l'écrivain pour en faire une pièce féministe ! Donc, on peut même dire que c'est tout à l'opposé de la nouvelle et des idées de Stefan Zweig.

En fait, dans la nouvelle, Irène, la femme adultère, est soulagée, heureuse et reconnaissante à son mari quand elle est pardonnée et que le cauchemar se termine. (voir ci-dessous mon billet que je republie). Quand j'ai lu le livre, cela m'a d'ailleurs un peu choquée qu'elle réagisse ainsi et qu'elle accepte ce que son mari lui avait fait ... Je ne développe pas plus pour vous laisser l'effet de surprise du dénouement. Puis, je me suis dit qu'il ne fallait pas juger avec la mentalité de mon époque. En 1920, date de la publication de la nouvelle, une femme de ce milieu ne pouvait penser autrement!  

Dans la pièce de théâtre, non seulement Irène n'est pas soulagée mais, encore, elle est révoltée et s'indigne. Elle juge que son mari, aussi, a mal agi envers elle, que les torts sont partagés et que le pardon doit être réciproque. C'est pourquoi Elodie Menant a transposé sa pièce dans les années 50, à l'aube de la timide et très relative indépendance de la femme.

Et pourquoi pas ? Peut-être est-ce dommage que le personnage du mari soit plus violent qu'il ne l'est dans la nouvelle. Il n'est pas nécessaire de le rendre antipathique. Le procédé qu'il emploie pour obtenir l'aveu de sa femme est déjà assez cruel !  Stefan Zweig est plus subtil dans l'analyse de ses personnages.

L'interprétation est bonne, la peur, les tourments des personnages sont bien rendus.

 Je n'ai pas trop aimé le décor, les murs très hauts de cet appartement, enserrant les personnages, m'ont gênée.

Un pièce intéressante !

 

PS :  Ma petite-fille (13 ans) s'est ennuyée. Elle dit que les personnages font beaucoup d'histoires pour pas grand chose ! L'adultère ?  Après tout, une femme a  bien le droit d'avoir un autre amoureux si elle ne veut plus de son mari ! 2023 ! Et oui, nous ne sommes plus en 1920 ni même en 1950 !

 

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Elodie Menant
  • Interprète(s) : Hélène Degy, Aliocha Itovitch, Ophélie Marsaud, Elodie Menant
  • Régisseur : Damien Peray
  • Costumière : Cecile Choumiloff
  • Créateur lumière : Olivier Drouot
  • Constructeur : Olivier Defrocourt
Compagnie Carinae

 

LA SCALA DE PROVENCE

La peur
Durée : 1h15
du 7 au 29 juillet - Relâches : 10, 17, 24 juillet

à 19h30

 

 

LA PEUR  de Stefan Zweig

La peur est une nouvelle de Stefan Zweig  dans laquelle l’écrivain analyse les sentiments d’une femme infidèle en butte à un chantage.

Irène Wagner a un amant, un pianiste de milieu modeste. Un jour qu’elle sort de chez lui, elle est abordée par une femme d’apparence vulgaire qui lui reproche de lui avoir pris son amant. Désormais la peur s’empare de la jeune femme. L’inconnue la suit et la fait chanter, lui extorque de l’argent. Un jour, elle va jusqu’à s’introduire chez elle en présence de son mari et ses enfants. La peur devient  obsession, vire au cauchemar dans une sorte de crescendo étouffant malgré les tentatives de son mari qui s’aperçoit de son trouble et semble prêt à l’écouter. Elle n’ose plus sortir de chez elle, vit dans l’attente d’une catastrophe, se sent constamment menacée.

"Elle se sentait malade. Elle devait parfois s'asseoir subitement, tant son coeur était pris de palpitations violentes ; le poids de l'inquiétude répandait dans tous ses membres le suc visqueux d'une fatigue presque douloureuse, qui refusait pourtant de céder au sommeil;"

Stefan Zweig analyse les sentiments de cette grande bourgeoise, femme de magistrat, qui toujours eu une vie protégée et facile. N’est-ce pas par ennui et non par passion qu’elle a pris un amant ?

"Blottie paresseusement dans la tranquillité d’une existence bourgeoise et confortable, elle était tout à fait heureuse aux côtés d’un mari fortuné, qui lui était intellectuellement supérieur, et de leurs deux enfants. Mais il est une mollesse de l’atmosphère qui rend plus sensuel que l’orage ou la tempête, une modération du bonheur plus énervante que le malheur. La satiété irrite autant que la faim, et la sécurité, l’absence de danger dans sa vie éveillait chez Irène la curiosité de l’aventure."

Elle prend alors conscience de tout ce qu’elle va perdre si son mari découvre son infidélité :  ses enfants, un mari qu’elle aime, une vie aisée… Il se passe peu de choses dans cette nouvelle, tout tient dans l’intensité dramatique que Stefan Zweig a su créer. C’est avec une rare maîtrise qu’il analyse la psychologie de ce personnage féminin dont on l’impression qu’il a le pouvoir de pénétrer la conscience et de la mettre à nue devant nous.

Une lecture prenante, d’une telle force et d’une telle acuité que l’on ne peut s'arrêter dans la lecture jusqu’au dénouement. Pourtant celui-ci ne m'a pas surprise car je m’y attendais un peu mais, à mon avis, ce n'est pas ce qui est important. 

 J’ai lu cette nouvelle parce que je vais assister à la pièce adaptée à la scène  au festival d’Avignon le 16 juillet à La Scala de Provence. Je vous dirai ce que j’en pense en temps voulu. Je dois dire que je suis curieuse de voir comment on peut rendre au théâtre cette urgence de la lecture qui s'empare du lecteur et cette profondeur dans l’analyse.

 

samedi 1 juillet 2023

Stefan Zweig : La peur et adaptation de La peur au théâtre par la

 

 

La peur est une nouvelle de Stefan Zweig  dans laquelle l’écrivain analyse les sentiments d’une femme infidèle en butte à un chantage.

Irène Wagner a un amant, un pianiste de milieu modeste. Un jour qu’elle sort de chez lui, elle est abordée par une femme d’apparence vulgaire qui lui reproche de lui avoir pris son amant. Désormais la peur s’empare de la jeune femme.  L’inconnue la suit  et la fait chanter, lui extorque de l’argent. Un jour, elle va jusqu’à s’introduire chez elle en présence de son mari et ses enfants. La peur devient  obsession, vire au cauchemar dans une sorte de crescendo étouffant malgré les tentatives de son mari qui s’aperçoit de son trouble et semble prêt à l’écouter. Elle n’ose plus sortir de chez elle, vit dans l’attente d’une catastrophe, se sent constamment menacée.

"Elle se sentait malade. Elle devait parfois s'asseoir subitement, tant son coeur était pris de palpitations violentes ; le poids de l'inquiétude répandait dans tous ses membres le suc visqueux d'une fatigue presque douloureuse, qui refusait pourtant de céder au sommeil;"

Stefan Zweig analyse les sentiments de cette grande bourgeoise, femme de magistrat, qui toujours eu une vie protégée et facile. N’est-ce pas par ennui et non par passion qu’elle a pris un amant ?

"Blottie paresseusement dans la tranquillité d’une existence bourgeoise et confortable, elle était tout à fait heureuse aux côtés d’un mari fortuné, qui lui était intellectuellement supérieur, et de leurs deux enfants. Mais il est une mollesse de l’atmosphère qui rend plus sensuel que l’orage ou la tempête, une modération du bonheur plus énervante que le malheur. La satiété irrite autant que la faim, et la sécurité, l’absence de danger dans sa vie éveillait chez Irène la curiosité de l’aventure."

Elle prend alors conscience de tout ce qu’elle va perdre si son mari découvre son infidélité :  ses enfants, un mari qu’elle aime, une vie aisée… Il se passe peu de choses dans cette nouvelle, tout tient dans l’intensité dramatique que Stefan Zweig a su créer. C’est avec une rare maîtrise qu’il analyse la psychologie de ce personnage féminin dont on l’impression qu’il a le pouvoir de pénétrer la conscience et de la mettre à nue devant nous.

Une lecture prenante, d’une telle force et d’une telle acuité que l’on ne peut s'arrêter dans la lecture jusqu’au dénouement. Pourtant celui-ci ne m'a pas surprise car je m’y attendais un peu mais, à mon avis, ce n'est pas ce qui est important. 

 J’ai lu cette nouvelle parce que je vais assister à la pièce adaptée à la scène  au festival d’Avignon le 16 juillet à La Scala de Provence. Je vous dirai ce que j’en pense en temps voulu. Je dois dire que je suis curieuse de voir comment on peut rendre au théâtre cette urgence de la lecture qui s'empare du lecteur et cette profondeur dans l’analyse.

dimanche 26 mars 2023

Honoré de Balzac : Autre étude de femme

 

Dans Autre étude de femme, l'écrivain réunit autour d'une table ses personnages préférés chez la marquise d'Espard : le ministre Henri de Marsay, Emile Blondet, le docteur Bianchon, la princesse de Carignan, Delphine de Nucingen, son mari le banquier Nucingen, le marquis de Vandenesse, le général de Montriveau...

La haute noblesse, donc  : le gouvernement, la banque, l'armée ...  Tiens, il ne manque que le curé ! L'église, la quatrième assise du pouvoir !

La conversation entre personnes du beau monde, tourne autour du thème de la femme et de l'amour et sert de prétexte à Balzac pour insérer des textes écrits en 1831 et entre 1838 et 1842 dans le tome II des Scènes de la vie privée de La Comédie humaine.


Comte Henri de Marsay

Le texte écrit en 1831 est le récit du comte Henri de Marsay, devenu ministre, qui raconte son premier amour. Il a dix sept ans, il est amoureux d'une jeune veuve de six ans son aînée, et l'aime avec l'idéalisme et la fougue de la jeunesse. Mais la trahison de son amante qui projette de se marier avec un duc et voit ce dernier en secret, lui suggère une vengeance subtile qui le laisse apparemment triomphant. Cependant, cette expérience cruelle lui fait perdre sa foi en l'amour d'une femme et fait de lui un être froid, à jamais incapable de passion.

Quant à mon esprit et mon coeur, ils se sont formés là pour toujours, et l'empire qu'alors j'ai su conquérir sur les mouvements irréfléchis qui nous font faire tant de sottises, m'a donné ce beau sang-froid que vous connaissez.

Le dénouement de cette nouvelle rejeté à la fin du recueil et raconté par le docteur Bianchon clôt le recueil. Celui-ci assiste en tant que médecin à la mort de cette femme devenue duchesse, victime d'une grave maladie, et rapporte le mot sublime de la mourante à son mari, preuve qu'elle était capable d'aimer vraiment.

"Mon pauvre ami, qui donc maintenant te comprendra ? Puis elle mourut en le regardant."

 

La duchesse de Langeais, un femme comme il faut ?

 

Que la femme française s'appelle Femme comme il faut ou grande dame, elle sera toujours la femme par excellence.

Les textes suivant sont des considérations sur la femme de la noblesse. Ceci pour regretter que la grande dame de l'Ancien Régime dont le mari bénéficiait d'une richesse sans limite ait disparu. Regret que le code Napoléon en ne privilégiant pas le droit d'aînesse ait dissous ces formidables richesses en obligeant le partage entre les héritiers. De ce fait, la grande dame n'est plus ! Elle a donné naissance à la femme comme il faut, femme du monde au goût exquis, mais qui n'a plus le luxe dispendieux, la grandeur, la folie, la démesure et aussi l'érudition des femmes d'autrefois. Regret de la voir concurrencer par la bourgeoise, issue cette classe montante de nouveaux riches qui ne lui arrive pas à la cheville et encore plus par la femme comme il n'en faut pas ! Heureusement, les femmes de cette assemblée  finissent par se révolter  :

"Sommes-nous donc aussi diminuées que ces messieurs le pensent ? dit la princesse de Cadignan en adressant aux femmes un sourire à la fois douteur et moqueur.

Il était temps !

Au cours de cette soirée, chacun y va de son lamento et déplore la perte du cher passé induite par la révolution. On a envie de leur dire, à tous ces nobles méprisants, arrogants, frivoles et futiles, encore immensément privilégiés malgré leurs doléances et leurs soupirs, que, et oui ! La révolution est bien heureusement passée par là et a donné de grands coups de pieds dans le jeu de quilles ! Bon d'accord, comme d'habitude, ce sont d'autres qui ont pris leur place, qui ne sont pas meilleurs, et cela n'a pas rétabli l'égalité ni permis de  lutter contre le paupérisme. Personnellement  j'ai trouvé assez ennuyeux toutes ces considérations mais je reconnais qu'elles ont un intérêt historique pour connaître la mentalité de la noblesse. Et dire que Balzac, le conservateur, est en admiration devant ces gens-là ! 

 

Le général Armand de Montriveau
 

Enfin vient un bref récit fascinant, très ramassé, au dénouement glaçant, qui, a mon avis, est le plus fort du recueil. Le général de Montriveau raconte comment, après le passage de la Bérézina, pendant la campagne de 1812, cherchant un abri pour la nuit, il est chassé de maison en maison par les soldats de l'armée en déroute qui n'obéissent plus à aucune discipline, ni même à des règles de solidarité. Le général finit par être accueilli dans une ferme délabrée où le feu qui brûle dans la cheminée et la nourriture redonnent un semblant d'humanité aux hommes qui sont là. Parmi eux, un femme, Rosina et son mari, un capitaine, italiens tous deux. Rosina est manifestement la maîtresse d'un colonel qui lui ordonne de venir la rejoindre dans son lit, devant le mari. Ce qui fait rire Montriveau et le reste de la compagnie et blesse l'amour propre de l'Italien. Le lendemain, la vengeance de l'homme humilié sera horrible. Je vous la laisse découvrir !

Il n'y a rien de plus terrible que la révolte d'un mouton, dit de Masay.

Ne serait-ce que pour ce dernier récit (mais lire aussi L'Adieu sur la même période historique ) il ne faut pas rater Autre étude de femme !

LC initiée par Maggie : ICI  avec   Miriam Ici

PS : D'après Maggie, il manque une nouvelle dans le recueil de Kindle. Et d'après Wikipédia ce serait la nouvelle intitulée La grande Bretèche déjà parue dans les Contes bruns. 



dimanche 29 janvier 2023

Balzac : Les secrets de la princesse de Cadignan


La nouvelle Les secrets de la princesse de Cadignan est parue en 1839 dans Etudes de moeurs, scènes de la vie parisienne. Cette princesse que sa vie fastueuse et dissolue a ruinée, n’est autre que la duchesse Diane de Maufrigneuse, belle et brillante dame de la haute société parisienne, collectionneuse d’amants, croqueuse de fortunes, personnage récurrent de la Comédie humaine.

« La belle Diane est une de ces dissipatrices qui ne coûtent pas un centime mais pour laquelle on dépense des millions."

 Pendant que son mari est en exil auprès du roi Charles X, après la révolution de Juillet, la duchesse de Maufrigneuse essaie de faire oublier ses revers de fortune et sa vie scandaleuse en mettant en avant son autre titre, celui de princesse de Cadignan. Elle se retire dans une demeure plus modeste, en réduisant son train de vie, évitant de se produire dans le monde, afin de bien marier son fils…  richement s’entend ! Avec l'aide de son amie,  la marquise d’Espard, autre grande dame de La Comédie humaine, elle garde un pied à l’opéra et un dans le Faubourg Saint Honoré pour ne pas se faire totalement oublier. C’est grâce à la marquise que la princesse de Cadignan fait connaissance de Daniel d’Arthez, écrivain, qu’elle a décidé de séduire.

 

Diane de Maufrigneuse


A travers cette nouvelle, Balzac livre une étude de femmes du monde qui n’ont pour but que d’être admirées et de briller en société. Proches de la quarantaine - Diane a trente-sept ans- toutes deux sont bientôt à l’âge où les femmes cessent de plaire et comme le dit Balzac assez méchamment :

« En voyant venir la terrible faillite de l’amour, cet âge de la quarantaine au-delà duquel il y a si peu de choses pour la femme, la princesse s’était jetée dans le royaume de la philosophie. » ou encore «  Elle aima d’autant mieux son fils, qu’elle n’avait plus autre chose à aimer ».

Musset dans Les Caprices de Marianne ne disait pas autre chose à propos de Marianne qui a dix-huit ans : Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée, huit ou dix pour aimer vous-même, et le reste pour prier Dieu.. C'est une constante au XIX siècle, donc ce doit être vrai à cette époque ! Mais la princesse confie à son amie qu’elle n’a jamais aimé. Malgré tous les amants qu’elle a eus, elle n’a jamais trouvé un homme qui ne lui inspire pas du mépris. En quête de l’amour et comme elle se juge encore assez belle pour séduire, elle demande à la marquise de lui présenter Daniel d’Arthez.

 

Michel Chrestien, ami de d'Arthez, membre du cénacle

 

C'est la mort de Michel Chrestien, ami de d'Arthez, qui sert de prétexte à la princesse pour se rapprocher de l'écrivain. Personnage récurrent de La comédie humaine, Michel Chrestien est l'un des amoureux transi et respectueux de la princesse de Cadignan à qui il n'a jamais avoué son amour.  

 

Daniel d'Arthez et les membres du cénacle
 


Or, il se trouve que l’écrivain Daniel d’Arthez, homme de génie, rendu célèbre par ses écrits, fortuné après avoir hérité de son oncle, est une proie facile. Consacrant sa vie à l’étude et l’écriture, n’ayant pour maîtresse qu’une femme « banale », « vulgaire » (il faut voir le dédain de Balzac pour les femmes du peuple !), Daniel d’Arthez est prêt à tout gober même les mensonges les plus criants. Et comme ses amis l’ont mis au courant des aventures et des frasques de la princesse de Cadignan, cette dernière va habilement se refaire une virginité, si j’ose dire, en se posant en victime des racontars et des rumeurs, injustement salie par la méchanceté du monde. Elle va trouver en Daniel son plus fervent défenseur et ils fileront le parfait amour !  Oui, enfin c’est ce que laisse entendre Balzac mais…

 

La princesse et Daniel d'Arthez de Alcide Robaudi


Dans cette nouvelle, apparaît l’admiration éperdue que Balzac éprouve pour la femme du monde, un monde de raffinement auquel il aspire. On sait qu’il est criblé de dettes tant il aime le luxe. Il dépense sans compter pour son habillement ou pour meubler et décorer de tentures somptueuses et coûteuses son appartement. Bien au-delà de la beauté, il est en admiration devant la richesse des étoffes des robes et des dentelles, devant la coquetterie, le geste étudié, la voix suave, l’esprit, la distinction et même la morgue de ces grandes dames. Tout lui plaît dans la femme du monde, ravit son goût du luxe et des choses élégantes, aristocratiques. On sait que la duchesse de Castrie a servi de modèle à ces portraits de femmes du Monde (la duchesse de Langeais) et qu’elle a eu avec Balzac, sans fortune et roturier, des relations très tendues.

Alors qui peut avoir servi de modèle à Daniel d’Arthez, cet homme de génie « qui est resté l’enfant le plus candide, en se montrant l’observateur le plus instruit » et qui va être le jouet de la princesse de Cadignan? Qui ?  Certes, Daniel d'Arthez est trop  idéaliste, trop désintéressé, pour être vraiment le double de Balzac mais qu'en est-il de ses rapports aux femmes ?  Et n’est-ce pas pour se venger que l’écrivain brosse un portrait féroce de Diane, un portrait où la plus grande admiration, toujours, se mêle à l’acidité. Il étudie l’art de la princesse de se mettre en valeur, son habileté pour détourner les soupçons et se faire voir comme vertueuse. Il peint une femme froide, fausse, rusée mais intelligente, immensément belle et sûre d’elle et effectivement Balzac nous apparaît bien ici comme  "l'observateur le plus instruit" .

« La princesse est une de ces femmes impénétrables, elle peut se faire ce qu’elle veut être :  folâtre, enfant, innocente à désespérer; ou fine, sérieuse, profonde. »

Puis, à la fin de la nouvelle, il abandonne les amants en nous laissant croire que la princesse est vraiment amoureuse et que tous deux vivent le parfait amour ? Je n’y crois pas un seul instant, contrairement à ce qui est généralement admis !  

En effet, elle se dit amoureuse,  mais, jusqu'à la fin, elle ne cesse de le manipuler et confie à la marquise :  « Mais c’est un adorable enfant, il sort du maillot ». Une femme qui est décrite comme une excellente comédienne, un femme si calculatrice, si attachée à plaire par tous les moyens, si narcissique, peut-elle être sincère ?

« Ce manège froidement convenu mais divinement joué, gravait son image plus avant dans l’âme de ce spirituel écrivain, qu’elle se plaisait à rendre enfant, confiant, simple et presque niais auprès d‘elle. » 

Disons - c'est du moins ce que je pense -  que Balzac imagine pour son personnage la fin qu’il aurait souhaité pour lui. Il peint avec brio et férocité une scène de la comédie humaine et combat ainsi, peut-être, l’humiliation qui a été la sienne, lui qui n'a jamais été véritablement admis dans ce milieu qu’il admire tant mais qui ne le considère pas comme un pair ! D’ailleurs je trouve que Balzac se débarrasse du dénouement par une pirouette, légère, certes, mais désinvolte !

« Est-ce une dénouement ? Oui, pour les gens d’esprit; non, pour ceux qui veulent tout savoir. »

Autrement dit, n'allez pas voir plus loin ! Ne fouillez pas trop dans les sentiments !



Prochaine LC avec Maggie : Le recherche de l'absolu de Balzac le 19 Février
 
 
 Les livres de Balzac dans ce blog :
 
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