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dimanche 26 janvier 2025

Léon Tolstoï : L'histoire d'un pauvre homme ou Polikouchka

 

 

 

L’Histoire d’un pauvre homme de Léon Tosltoï est paru en 1860 sous le titre de Polikouchka. Une conversation entre la Barina, propriétaire du village, et son intendant nous apprend que celle-ci doit choisir trois recrues parmi ses serfs pour l’armée impériale.

« Ce jour-là, il s’agissait du recrutement. Le domaine devait trois hommes. Deux étaient désignés d’emblée, par la force des choses, par la réunion de certaines conditions de famille à la fois morales et économiques ; pour ceux-là, il n’y avait plus à hésiter ni à discuter : le mir, la barinia et l’opinion publique étaient d’accord sur ce point. C’était le troisième qui faisait l’objet de la discussion. Le gérant ne voulait pas qu’on touchât à aucun des trois Doutlov ; il eût préféré qu’on prît à la place le dvorovi chef de famille, Polikouchka, un garnement mal famé, surpris trois fois volant des sacs, des guides et du foin. » 
Les serfs constituaient la plus grande partie de l’armée et c’est, en effet, au seigneur qu’incombait ce choix qui n’était pas sans conséquence pour ceux qui étaient recrutés.  A l’origine, le service durait vingt cinq ans, le serf y était misérable, affamé, soumis à une discipline terrible. C’était une sorte de mort civile. Il ne revoyait plus sa femme qui, bien souvent était obligée de se prostituer pour vivre, ni  ses enfants, il perdait ses droits et ses biens s’il en avait, et lorsqu’il était libéré -s'il ne mourrait pas avant-, il n’avait comme recours que la mendicité. C’est pourquoi, bien souvent, le seigneur choisissait des hommes dont il était mécontent et en profitait pour se débarrasser des fortes têtes. C’était devenu un moyen de punition.
 

La Barina hésite, elle ne veut pas de mal aux Doutlov mais elle ne veut pas sacrifier Polikouchka qu’elle a converti elle-même et qui lui a promis d’être honnête :  sauver une âme, la ramener à Dieu, ce dont elle n’est pas peu fière ! Elle décide donc de laisser à l’assemblée rurale, le Mir, le soin de trancher. C’est Illyouchka, le neveu de la famille Doutlov qui est tiré au sort.
Pendant ce temps, la Barina met Polikouchka à l’épreuve en l’envoyant à la ville chercher une forte somme d’argent que lui doit un marchand, en charge au serviteur de lui ramener la somme intacte. Elle lui fait confiance.

Polikouchka va-t-il réussir son épreuve ? Le neveu va-t-il échapper à l’armée ? Je ne vous en dis pas plus mais sachez que l’histoire est tragique et que le dénouement est particulièrement cruel. Tolstoï décrit la vie russe, la pauvreté incommensurable des serfs et les mentalités. La nouvelle présente une critique sociale assez appuyée : la Barina pourrait racheter le serf mais cela ne lui vient pas à l’esprit malgré l’étalage de bons sentiments et le vieux paysan, le riche Semione Doutlov, pourrait faire de même pour son neveu bien qu’il prétende être pauvre mais il est trop avare. Tolstoï insiste bien sur ce point et réunit dans une même critique la maîtresse et le paysan, tous deux hypocrites et égoïstes. On lit le récit en état d’urgence tant on est angoissé de savoir ce qui va arriver. Une nouvelle très forte.  Du Tolstoï ! What else ?


Voir Keisha Ici

 

Chez Je lis je blogue

 

samedi 25 janvier 2025

Yordan Yovkov : Un compagnon


 

Un compagnon, nouvelle de Yordan Yovkov, raconte l’histoire d’un cheval gris vendu à l’armée et qui devient le cheval du capitaine pendant les guerres balkaniques. Si l’officier se préoccupe peu de son cheval, ses soldats sont très gentils avec lui et il finit par s’habituer à la vie militaire. C’est un animal paisible, doux, obéissant. Mais peu à peu il devient aveugle. Il est alors affecté à la tâche de porteur d’eau, ce dont il s’acquitte avec docilité malgré la peur de ne pas savoir où il se trouve. Un jour, il tombe dans une tranchée dont les soldats le tirent. Le capitaine suggère qu’on le tue. Les soldats lui demandent de l’épargner et de le leur donner. Après une trève, la guerre reprend et le capitaine est gravement blessé. On le hisse alors sur le dos du cheval, lui-même blessé, et celui-ci le ramène à l’arrière où il est soigné. Une fois guéri, le capitaine demande des nouvelles du cheval et on lui apprend qu’il est mort.

Cette courte nouvelle paraît si simple quand on la résume que l’on se demande pourquoi le lecteur ressent une telle tristesse mêlée pourtant de douceur après la lecture.
C’est que Un compagnon est écrit d’une manière simple, sobre, sans grands effets dramatiques, un peu comme la vie du cheval gris, une vie de dévouement et de travail, mais en même temps il nous fait partager les sentiments de l’animal, ses craintes, ses aspirations. L’on sent passer dans ce récit toute la tendresse de l’écrivain pour les êtres humbles mais qui font jusqu’au bout leur longue et lourde tâche. Même le plus modeste nous dit l’auteur, même un vieux cheval aveugle, a un rôle à jouer, ici, sauver la vie du capitaine. Il y a de la grandeur dans sa modestie.

On pense, non pour le style mais pour le personnage à la servante de Un coeur simple de Flaubert. Et puis aussi, comme il s’agit d’un cheval, à Coco de Maupassant mais la ressemblance s’arrête là. Coco montre  la bassesse et la cruauté d'un jeune paysan qui laisse mourir de faim le vieux cheval. Dans Un compagnon, au contraire, le cheval gris est entouré de soins et d’affection par les soldats. Si le capitaine ne s’intéresse pas sa monture, c’est qu’il est jeune, toujours occupé par sa mission, s’il veut le tuer quand il tombe dans la tranchée c’est pour qu’il ne souffre plus. Pourtant, lorsqu’il apprend la mort du cheval après avoir été sauvé par lui, il n’est pas insensible et son attitude réfléchie et pensive montre qu’il a intégré la leçon.

"Le capitaine ne dit rien mais frémit. Ce fut comme si toutes ses blessures, de nouveau le faisaient souffrir. Puis il mit ses mains sous la nuque et resta ainsi, pensif, le regard dans le vague."


Yordan Yovkov (1880-1937)


Yordan Yovkov est un écrivain bulgare considéré comme le grand maître de la nouvelle en Bulgarie à l'égal de Maupassant pour la France et de Tchekhov pour la Russie. Thomas Mann a inclus Le péché d’Ivan Béline dans son anthologie des meilleures nouvelles du monde.  Yovkov a été professeur dans sa région de Dobroujda où son père fut éleveur et qui inspira nombre de ses textes. Il est l'auteur de huit recueils de nouvelles,  deux romans, quatre pièces de théâtre et est traduit en trente langues. C'est un auteur encore peu connu en France.

 

 


 

mardi 14 janvier 2025

Fédor Dostoievski : l ’arbre de Noël et le mariage

 

A priori qu’y a-t-il de commun entre un arbre de Noël et un mariage ? C’est ce que va nous expliquer Dostoievski dans cette nouvelle qui ne manque pas de cruauté.

Le narrateur assiste à une fête donnée à l’occasion de Noël par un homme d’affaires. Cette réunion qui rassemble les enfants autour de l’arbre est, en fait, un prétexte pour les pères de discuter de leurs  affaires et le narrateur, peu intéressé, se retire dans un petit salon, derrière un massif de plantes qui lui permet d’observer sans être vu.
C’est la position idéale pour l’écrivain qui y va de sa verve satirique. Il y a l’invité de marque, Julian Mastakovitch, que l’on entoure de prévenances, que tous flattent  :  « un homme bien nourri, tout rouge de figure, avec une ventre rond sur des cuisses très grasses. »

Il y a aussi l’invité dont personne ne se soucie et qui  « était obligé pour se donner une contenance, de lisser ses favoris, d’ailleurs fort beaux. Mais il le faisait avec tant d’application qu’on aurait pu croire que les favoris étaient venus au monde d’abord et qu’ensuite on avait désigné ce monsieur pour les lisser »

J’adore ce genre de détail qui fait tout le sel de la nouvelle et porte la griffe d’un grand écrivain. Ou encore les petites notations sociales qui indiquent le rang des enfants et témoigne de la hiérarchie toujours marquée même en ce jour de fête chrétienne ! 

« la fillette aux trois cent mille roubles de dot reçut la plus belle poupée …  et ainsi de suite : la valeur du jouet diminuant en proportion de la moindre importance pécuniaire des parents »

La fillette (qui a 11 ans) vient se réfugier dans le salon avec sa poupée où notre narrateur est toujours dissimulé. Un garçon pauvre, modestement vêtu, qui n’a reçu qu’un petit cadeau et est rejeté par les autres, vient la rejoindre. C’est le fils de l’institutrice.
Mais soudain l’invité de marque, Julian Mastakovitch, s’introduit dans le salon et comptant à voix haute, calcule à combien montera la dot de la petite fille lorsqu’elle sera en âge de se marier, à seize ans. Puis il se dirige vers l’enfant et cherche à  l’embrasser  : « il se pouvait que le calcul sur les doigts l’ayant séduit, il eut agi comme un gamin en voulant aborder l’objet de ses rêves qui ne pouvaient devenir réalité que dans cinq ans. ».

La concupiscence de cet « homme respectable » qui passe sa honte et sa colère du refus de la fillette sur le fils de l’institutrice en dit long sur ses intentions et éclaire le titre. Mais je vous laisse découvrir la suite.

On remarquera que l'homme est le seul à être nommé, peut-être pour montrer le rang privilégié qu’il occupe dans cette société ? Peut-être pour dire que l’on ne peut avoir un nom que lorsque l’on est riche et de sexe masculin. On peut alors s’acheter les petites filles bien dotées. La jeune fille n’a pas de nom, elle est appelée la fillette aux trois cent mille roubles comme si elle n’avait pas d’individualité et d'autre intérêt que sa valeur marchande. Et c’est bien le cas ! Le fils de l’institutrice, outre cette périphrase manifestement dévalorisante, collectionne les termes dépréciatifs : mon petit, garnement, petit polisson. Ce sont les deux victimes, anonymes, l’une fille et riche, l’autre garçon et pauvre, de cette société mercantile.

Une petite nouvelle qui n’a l’air de rien mais en dit beaucoup !

 


samedi 11 janvier 2025

Nikolaï Gogol : La Perspective Nevski

 

La Perspective Nevski



Nikolaï Gogol

Comme le titre l’indique La Perspective Nevski de Gogol est le grand sujet de cette nouvelle ! Le récit commence par une longue description de cette immense artère : « Il n’y a rien de plus beau que la Perspective Nevski » qui nous décrit "la reine des rues" à tous les moments de la journée.
C’est là que nous rencontrons les deux personnages importants du récit, le doux et rêveur Piskariov, peintre pauvre, amoureux timide et idéaliste et le lieutenant Pirogov, officier bravache et superficiel, arrogant et brutal séducteur, deux hommes que tout oppose. C’est dans la Perpective Nevski que l’un rencontre une brune splendide dont il va s’éprendre, pour son malheur, l’autre une blonde jeune femme, mariée à un artisan allemand, qu’il va s’efforcer de séduire. Ce qu’il va advenir d’eux et de leur amour ? C’est ce que je vous laisse découvrir mais sachez que  le sort de chacun d'eux est aussi dissemblable que leur caractère respectif. L’art du portait satirique est, dans cette nouvelle,  comme toujours chez Gogol,  très réussi !
La nouvelle nous ramène ensuite sur la Perspective Nevski et sur une méditation sur l’injustice  du destin : « comme le destin se joue mystérieusement de nous ! Obtenons-nous jamais tout ce que nous désirons ? » et sur l’illusion de l’apparence : «  Tout n’est que rêve, et la réalité est complètement différente des apparences qu’elle revêt ».

A noter, au passage, de la part de ce brave Gogol des propos misogynes que je me fais un plaisir de rapporter ici tant il témoigne de l’outrecuidance et la sottise masculine. Il faudrait collecter tous les propos de ce style chez les écrivains, même les plus grands ! Il y aurait matière à un gros livre !

« D’ailleurs la bêtise ajoute un charme de plus à une jolie femme. Je connaissais, en effet, de nombreux maris qui étaient extrêmement satisfaits de la bêtise de leur épouse : Ils y voyaient une sorte d’innocence enfantine. La beauté produit de vrais miracles : tous les défauts moraux ou intellectuels d’une jolie femme nous attirent vers elle, au lieu de nous en écarter, et le vice même, acquiert un charme particulier, mais dès que la beauté disparaît, la femme est obligée d’être beaucoup plus intelligente que l’homme pour inspirer non pas l’amour mais simplement le respect. »

 

Dans le blog :  Je lis, je blogue


jeudi 9 janvier 2025

Ivan Sergueïevitch Tourguéniev : Fantômes


 


Cette nouvelle de Tourguéniev laisse la part belle au fantastique et au rêve tout en s'achevant sur un sentiment très fort d'angoisse métaphysique.

Chaque nuit une belle jeune femme mystérieuse, éthérée, vient visiter le héros du récit, un jeune aristocrate, (Tourgueniev ? Le récit est à la première personne) et lui donne rendez-vous au pied d'un vieux chêne foudroyé. Là, la visiteuse nocturne, Ellys, dont il croit vaguement reconnaître les traits de ce visage évanescent, le transporte en volant comme un oiseau, dans des contrées lointaines aussi bien dans l'espace que dans le temps. Mais que ce soit en Italie où les armées de César ivres de carnage acclament leur empereur, que ce soit en Russie où la foule menée par le cosaque Stenka Razine contre la noblesse, se déchaîne, allumant incendies, violences et meurtres, que ce soit à Paris où la ville des lumières s'efface bien vite et devient la ville des prostituées, "de l'ignorance et des calembours faciles" et "des verres d'absinthe troubles", tout dans ces survols lui paraissent terrifiants, négatifs, terre à terre ou encore ridiculement petits et insignifiants.

 "Tout notre globe avec ses habitants éphémères, sa population infirme, écrasée par le besoin, le chagrin, la maladie, enchaînée à une masse de poussière méprisable; l'écorce fragile et rugueuse enveloppant ce grain de sable qu'est notre planète (...); les hommes- ces moucherons mille fois plus insignifiants que les vrais moustiques-; leurs habitacles modelés dans la boue, les traces imperceptibles de leur agitation monotone, de leur lutte ridicule contre l'inéluctable et le préétabli- tout cela me donnait subitement  la nausée..."

Mais peu à peu, le jeune homme constate que le visage d'Ellys devient plus consistant, plus visible, tandis que ses propres forces s'amenuisent et le narrateur s'interroge : Qui était-elle cette Ellys? Un fantôme? Une émanation du Malin ? Une sylphide ? Un vampire ? Par moments, il me semblait qu'elle était une femme que j'avais connue autrefois....". 

Je ne vous en dirai pas plus  !

Ou plutôt, je dirai que la force de Tourguéniev vient de ce qu'il retombe sur ses pieds dans cette haute voltige de voyages vertigineux et nous ramène à la plate réalité et au sentiment de la petitesse de l'homme.

PS :  Je viens de voir le récapitulatif de Bonnes nouvelles dans le blog de Je lis Je blogue alors que je pensais que le défi commençait en Janvier !  Je crois que j'ai tout faux !








mercredi 29 mai 2024

Herman Melville : Billy Budd

 

Billy Budd est une jeune marin de vingt et un ans, dont la beauté attire l’attention. Ses camarades l’ont surnommé « le Beau Marin » ou encore « Bébé Budd ». Il est embauché d’abord dans la marine marchande où sa bonne humeur et sa belle mine lui attirent toutes les sympathies. Par la suite, il est enrôlé de force dans la marine de guerre sur le bateau le Bellipotent comme l’était grand nombre de jeunes gens à cette époque.

Gabier de misaine, Billy s’efforce d’accepter le changement qui vient d’intervenir dans sa vie sans protester et d’accomplir son travail correctement. Mais il va se heurter à la malveillance affichée du capitaine d’armes, John Claggart. Celui-ci n’a aucune raison d’en vouloir à Billy, et, nous dit Melville, ces sentiments ne sont pas rationnels mais liés à « une dépravation relevant de la nature. »  En fait, « la raison première de sa haine pour Billy, à savoir la remarquable beauté de ce personnage » semble être l’unique motivation de sa conduite.

L’homosexualité refoulée de Claggart qui nie son attirance pour le Beau Marin, prisonnier de sa conception de la virilité et des préjugés de l’époque, est précisée explicitement par ailleurs. Elle fait écho à l’homosexualité de Melville interdite par son éducation puritaine mais qui apparaît dans chacun de ses romans.

« Claggart apparaissait alors comme l’homme de douleurs. Oui, et parfois l’expression mélancolique se nuançait de tendre nostalgie, comme si Claggart aurait pu aimer Billy n’eut été l’interdit du destin ».

Claggart ne peut lutter contre cet amour qu’il juge coupable et qui le mettrait au ban de la société, qu’en cherchant à le nier et à en supprimer l’objet. Claggart est le Mal, le jeune homme représente le Bien, sa jeunesse se pare d’une innocence presque enfantine qui ne lui permet pas de discerner le Mal. Il est donc la victime toute désignée. Son seul défaut est un bégaiement qui l’affecte au cours d’une trop grande émotion. Aussi lorsque Claggart l’accuse injustement de fomenter une mutinerie devant le capitaine Edward Fairfax Vere, ne pouvant se défendre et exprimer son innocence, Billy frappe Claggart de son poing et le tue.

Le contexte historique a une grande importance dans le récit et d'ailleurs Melville y consacre plusieurs chapitres s'étendant, en particulier, sur  le mode de recrutement des marins et sur l'enrôlement forcé. Le drame se déroule au moment de la révolution française pendant l’été de 1797. Les marins anglais, cette année là, déclenchèrent une série de mutineries qui furent sévèrement réprimées. Pourtant le mécontentement couve toujours et les officiers sont à cran. C’est ce qui explique que le sort de Billy Budd accusé de meurtre, même si l’on reconnaît son innocence au sujet de la mutinerie, soit fixé d’avance. Le capitaine Vere, partisan de l’ordre et de la discipline militaire, le condamne à  la pendaison et il est exécuté dès le lever du soleil.
 
 Il y a quelque chose de christique dans la mort du Beau Marin. En mourant, alors qu’il est innocent, ce sont les péchés collectifs qu’il expie et non sa propre faute et, de même que le Christ, il meurt en pardonnant à celui qui l’a condamné : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere !», hissé sur la grande vergue, dans une symbolique de la lumière qui l’auréole et le transfigure :

« au même instant le hasard voulut que la toison vaporeuse suspendue bas à l’orient s’imprégnât d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’Agneau de Dieu, tandis que simultanément, suivi du regard par la masse compacte de visages torturés vers le haut, Billy s’élevait; et, s’élevant recevait en plein le rose de l’aube. »

On pourrait penser que la nouvelle, se terminant par le pardon et cette image du Christ, est finalement optimiste malgré le tragique du propos. C’est ce que je pensais, notant que le calviniste Melville semble dire que son héros est sauvé malgré sa prédestination au malheur, puisqu’il reçoit la promesse de l’aube, condamné par les hommes mais reçu par Dieu.  

Mais dans la préface, le traducteur Daniel Orme explique que de nombreux critiques s'interrogent sur le sens de cette nouvelle. Certains considèrent  le récit de Melville comme une parodie ironique et que c'est ainsi qu'il faudrait prendre la dernière phrase de Billy Budd, "Que Dieu bénisse le capitaine Vere".  La nouvelle témoignerait alors du rejet de la loi militaire qui n'hésite pas à sacrifier un innocent et d'une condamnation sans appel du capitaine Verre. Daniel Orme pense que c'est aller trop loin dans  l'interprétation de la pensée de Melville, petit-fils du Major Thomas Melville, qui n'a jamais cessé de respecter l'ordre militaire.
 
Pourtant, Rictor Norton va beaucoup plus loin dans son étude : "Herman Melville", Gay History and Literature, 9 janvier 2000. 

Il analyse l’entretien « secret » qui a lieu entre Billy Budd et le capitaine Vere avant la pendaison, l’auteur pose cette question : « Que s’est-il passé dans le placard du capitaine Vere ? » et il conclut  :

"Cela se termine par le triomphe stérile de l’autorépression. Le « Que Dieu bénisse le capitaine Vere » de Billy est plein de l'ironie la plus amère. Au moment où il prononce cette bénédiction, à laquelle fait écho l'équipage du navire, "le capitaine Vere, soit par maîtrise de soi stoïque, soit par une sorte de paralysie momentanée provoquée par un choc émotionnel, se tenait droit, rigide comme un mousquet, dans le râtelier de l'armure du navire". - c'est-à-dire : il devient un pénis en érection. La bénédiction et l'exécution sont suivies d'un très court chapitre intitulé "Une digression", dans lequel le commissaire de bord et le chirurgien ne parviennent pas à expliquer l'étrange absence du "spasme musculaire" dans le corps pendu de Billy, un "spasme" qui est " plus ou moins invariable dans ces cas-là. ». On se demande combien de lecteurs de Melville se rendent compte que ce dont il est question est de l'orgasme et de l'éjaculation qui se produisent habituellement lorsqu'un homme est pendu - une des raisons pour lesquelles les réformateurs estimaient que les pendaisons publiques étaient obscènes."

Billy Bud nous dit-on est l'une de des nouvelles les plus discutées, les plus controversées de Melville. Les interprétations qui en ont été données sont souvent complexes et contradictoires.

A vous de vous faire une idée en la lisant ! 




LC avec Keisha

Autre LC sur Melville prévu avec Fanja à une date non arrêtée


mardi 12 mars 2024

Jules Verne : Les forceurs de blocus

 


 

Les forceurs de blocus est une longue nouvelle de Jules Verne parue en 1871. La guerre de Sécession ou guerre civile américaine (1861 à 1865) eut de graves répercussions en Ecosse sur l’économie du textile. Pendant La famine du coton, six-cent vingt cinq mille métiers s’arrêtèrent, des milliers d’ouvriers sans travail furent réduits à la misère, les patrons subissant des revers de fortune importants. En effet, les Etats du Sud pourvoyeur du coton cultivé par les esclaves noirs subissaient un blocus de la part des fédérés et ne pouvait ni exporter leur coton, ni recevoir de l’aide extérieure.
Le jeune capitaine James Playfer dont l’oncle,Vincent Playfer, est un riche négociant de Glascow, décide de partir en mer avec un navire à vapeur d’une rapidité exceptionnelle, The Delphin, pour forcer le blocus de Charleston. Il partira chargé d’armes et, après avoir forcé le blocus il les échangera avec du coton.

Il embarque à son bord, en plus de l’équipage, un nommé Crockston, un homme qui se dit excellent marin et son jeune neveu. Or, dès le début du voyage, Crockston se révèle complètement ignorant des choses de la marine et James Playfer comprend tout de suite que le jeune neveu est, en fait, une fille. Je pense que l’on peut le révéler tout de suite car l’intérêt du récit n’est pas là et il ne s’agit en aucune mesure d’une surprise ! En effet, si le lecteur, se doute tout de suite du travestissement, le capitaine n’est pas dupe non plus et traite avec beaucoup d’égard sa jeune et jolie passagère, Jenny Halliburtt.  
Celle-ci a embarqué avec son domestique pour rejoindre son père, journaliste des Etats du Nord, anti-esclavagiste convaincu, retenu prisonnier dans le Fort de Charleston pas les confédérés.
Et c’est là que réside l’intérêt de ce récit :  Le capitaine est avant tout un commerçant et il voit les fédérés et leur cause, l’abolition de l’esclavage, d’un mauvais oeil. Tout ce qui est néfaste au commerce attire son courroux. Face à ce matérialisme, la jeune fille, idéaliste, va plaider pour les Etats du Nord, montrer que la question de  l’esclavage prime dans cette lutte entre le Sud et le Nord,  et mettre en valeur la noblesse de la cause défendue par son père. Le jeune homme, d’abord commerçant dans l’âme, se laisse peu à peu gagner par les idéaux de la jeune fille. Les idéaux? ou les beaux yeux ? Un peu des deux mais les beaux yeux surtout ! 

Les forceurs de blocus est donc un récit d’aventure mais aussi d’amour et ne manque pas d’humour comme on le voit dans la chute de la nouvelle ! Comment les héros forceront-ils le blocus ? Echapperont-ils aux dangers de l’aventure ? Parviendront-ils à libérer le père de Jenny ? C’est ce que je vous laisse découvrir !
Un petite oeuvre peu connue de Jules Verne mais très agréable à lire et qui présente une vue originale de la guerre de Sécession vue du côté européen et des idées de Jules Verne opposé à l'esclavage.

LC  avec Violette ICI

 LC avec Fanja ICI


Chez Fanja
 


 

Chez Nathalie

dimanche 21 janvier 2024

Henrik Sienkiewicz : Hania


 

Dans la nouvelle de  Henrik Sienkiewicz, Hania, l’écrivain polonais nous transporte à la fin du XIX siècle dans une famille  polonaise noble, propriétaire d’un domaine rural.
Là, vit Henri, l’aîné des enfants, héritier du domaine, qui, en l’absence momentanée de son père, se voit confier la tutelle d’Hania, la petite-fille de Nikolaï, un vieux serviteur, juste avant la mort de celui-ci. Henri adore sa pupille et se sent investi d’une mission, il surveille son éducation, demande qu’elle soit instruite avec ses frère et soeurs et qu’elle soit considérée comme leur égale. Il commande déjà la maisonnée en petit seigneur.

Malgré la pensée de la mort du pauvre Nikolaï, que j’aimais de tout mon cœur, je me sentais fier et presque heureux de mon rôle de tuteur. Me voir ainsi, moi, garçon de seize ans, le soutien d’un être faible et malheureux, cela me relevait à mes propres yeux, et je me sentais plus homme.

 
Henri a pour ami Sélim, dont le père possède des propriétés voisines; ce dernier est d’origine Tatare. Les familles vivent en bon voisinage malgré des religions différentes, chrétienne et musulmane. Les deux amis s’entendent bien et partagent les mêmes jeux, les mêmes activités. Ils partent loin de chez eux pour poursuivre leurs études et après avoir réussi à leurs examens, tous deux reviennent chez leur père.
 Henri aimait déjà sa pupille avant de partir, son amour se décuple en retrouvant Hania qui a grandi et s’est épanouie, devenue une belle jeune fille. Mais il n’ose avouer ses sentiments à quiconque. Et bien sûr, Sélim tombe amoureux lui aussi d’Hania qui lui répond favorablement, le récit s’accélérant et se terminant, avec ses deux exaltés, en drame.
 

Dans cette nouvelle, Henrik Sienkiewicz place dans un cadre idyllique (ou presque), une famille qui s’aime, un père qui admire son fils aîné, un jeune homme, Henri, conscient de ses responsabilités, des nobles qui sont bons et justes avec leurs domestiques et qui en sont aimés, des voisins tolérants,  bref !  une société patriarcale telle que Sienkiewicz la voyait à la fin du XIX siècle et dont il regrettait la disparition progressive. 


Maman tenait dans la maison une petite pharmacie, et soignait elle-même les malades. Lors de l’épidémie de choléra, elle passa des nuits entières dans les cabanes de paysans avec le docteur, s’exposa à de grands dangers, et mon père qui tremblait à cette seule idée, n’osa pourtant s’y opposer et ne put que répéter :
— Que faire ? c’est son devoir !
Mon père lui-même, malgré son apparente sévérité, la démentit souvent ; il abolit les corvées, excusa facilement les coupables, paya les dettes des paysans, fit célébrer les noces et baptiser les enfants, nous enseigna à respecter les gens, à répondre aux saluts des vieillards, et en fit venir parfois pour prendre leurs conseils. Aussi les paysans s’attachèrent-ils à nous et nous prouvèrent-ils par la suite plus d’une fois leur reconnaissance.

 
L’écrivain sait aussi manier l’humour et nous faire rire avec ses portraits de la gouvernante française avec ses papillotes ou du prêtre Ludwig.


 La nouvelle pourrait donner de prime abord l’impression d’être un conte de fées, le noble épousant la servante au-delà de la disparité sociale, si l’auteur ne semait, de ci de là, des indices qui préparent au drame et qui paraissent inquiétants :  Ainsi les deux jeunes gens sont souvent en rivalité, chacun essayant de surpasser l’autre, à cheval, ou à l’épée. Tous deux sont fort orgueilleux, ont un sens de l’honneur chatouilleux. Le père d'Henri, d’ailleurs, ne supporte pas que Sélim soit supérieur à son fils et Henri n’hésite pas à risquer sa vie pour ne pas le décevoir. Peut-être une mère aurait-elle pu comprendre son fils et empêcher le drame ? Mais celle-ci est absente, malade, partie se soigner à l'étranger.
L’écrivain analyse la psychologie des personnages, en particulier,  le caractère d'Henri, son orgueil, son impossibilité d’avouer ses sentiments par peur de la moquerie, ses sautes d’humeur qui peuvent aller jusqu’à la méchanceté, sa jalousie féroce et son égoïsme car il ne peut accepter de savoir Hania heureuse avec un autre. 

Mon caractère d’ailleurs était dissimulé et de plus, une grande différence existait entre Sélim et moi : j’étais sentimental, tandis que Sélim ne l’était pas pour un sou. Mon amour ne pouvait être que triste. Chez Sélim, il eût été joyeux. Je cachai donc mon amour à tous, je me trompai moi-même, et effectivement nul ne le remarqua. 

Quant à Sélim, sa propension à tout prendre avec légèreté, en riant, ce qui ne ménage pas l’amour propre de son ami, ses colères qui le rendent semblables à ses ancêtres des steppes, et surtout son caractère impulsif le poussent à des actes irréparables.

Lorsque Sélim demandait quelque chose et regardait quelqu’un, il semblait le pénétrer jusqu’au cœur. Les traits de son visage étaient réguliers, nobles, comme dessinés par un burin d’artiste ; la couleur en était basanée, mais tendre ; les lèvres, un peu saillantes, étaient d’un rouge vif, et les dents comme une rangée de perles.
Quand, par exemple, Sélim se disputait avec un camarade, — et cela arrivait assez fréquemment, — alors cette grâce disparaissait comme un mirage trompeur ; il devenait effrayant : ses yeux se replaçaient de travers et brillaient comme ceux d’un loup ; sur son front rougissaient les veines ; la peau de la figure brunissait, — en lui se réveillait le vrai Tatar, tel que ceux avec qui eurent affaire nos ancêtres. Par bonheur, cela ne durait pas.


Ainsi le "conte de fées" n'en est pas un et avec ce premier amour disparaissent toutes les illusions du jeune homme et une partie de sa jeunesse, ce qui témoigne du pessimisme de l'écrivain.  Mais si  la leçon est amère pour les deux personnages masculins, je dois dire qu’elle l’est plus encore pour Hania, le dénouement de la nouvelle se révélant d’une grande cruauté envers la jeune fille.

Je me suis demandée dans quelle mesure ce récit était autobiographique mais je n'ai pas trouvé de réponses malgré des ressemblances dans l'origine sociale d'Henryk et d'Henri.


 Chez Je lis Je blogue



 

lundi 8 janvier 2024

Guy de Maupassant : Le Horla

 


Je viens de relire Le Horla de Maupassant pour accompagner le travail de ma petite-fille après avoir découvert cette nouvelle quand j’avais son âge, après l’avoir étudié avec mes élèves, lu et relu avec chacune de mes trois filles et enfin, vu au théâtre dans un seul en scène (festival off Avignon 2013)  ! Et bien, on le croira ou non, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, un thème différent, un détail qui vous accroche cette fois-ci plus que cette fois-là. C’est le propre des classiques, la richesse et la polyvalence de la lecture !

 Il y a en fait trois versions de l’histoire dont la première s’intitule Le journal d’un fou (1885) et les deux autres, (1886 et 1887) Le Horla. La dernière, celle que dont je parle ici, est présentée sous forme de journal intime. Cette oeuvre est écrite cinq années avant la mort de Maupassant qui, atteint de la syphilis, décède, en 1995, dans la maison psychiatrique du docteur Blanche, le cerveau ravagé par la maladie, en proie à des crises d’angoisse, à de terribles hallucinations, gagné par la folie après avoir tenté de se suicider en 1992.

Maupassant, quand il écrit Le Horla, est déjà atteint de troubles psychiatriques. Son personnage, bien que fictionnel, est donc très proche de lui et ce récit permet d’avoir la description précise,  sous la plume d’un écrivain talentueux, des troubles neurologiques et de leur évolution liés à ce fléau qui touche de nombreux hommes célibataires au XIX siècle. Les jeunes filles ne sont accessibles que par le mariage, enfermées dans des couvents, ou, à défaut, comme le dit Rimbaud, à l'abri «sous l’ombre du faux col effrayant de son père ». Reste la fréquentation des prostituées :  La maison Tellier, maison close de Maupassant reste célèbre !   On pense aussi à Gérard de Nerval qui décrit les troubles psychiatriques engendrés par la syphilis dans Aurélia, cette oeuvre devenue un classique des études de médecine, un passage obligé des étudiants en psychiatrie !

La structure de la nouvelle fantastique
 
 
Le Horla

 

Cette nouvelle  fantastique, le Horla, est  aussi classique par sa structure :  

 Le réalisme :  Dans un cadre réaliste, l’action se déroule du 8 mai au 10 Septembre, en Normandie, sur les bords de Seine, près de Rouen. Le narrateur vit paisiblement dans ce décor idyllique quand il commence à avoir de la fièvre, à se sentir triste, anxieux, à perdre le sommeil, l’appétit… Les détails réalistes créent un décor concret qui rend plus vraisemblable l'apparition du surnaturel et instaure le doute dans l’esprit du lecteur.

Le surnaturel : Ce malaise qui va tourner à l’angoisse est dû à un élément perturbateur, un être invisible qui surveille constamment le narrateur, l’épie, et vient même se coucher sur lui pour l’étrangler ou boire son âme sur ses lèvres ! Une sorte de Vampire  !  
 Le Horla, c’est ainsi qu’il se nomme, en référence, pensent les critiques car Maupassant ne donne pas d’explication, à un mot Normand le Horsain qui signifie l’étranger. Le nom semble désigner celui qui est à la fois Hors et Là, au dehors et au dedans, oxymore décrivant ce double vampirique qui a pris possession du personnage et qui s’efforce de l’effacer.

Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. »

Dès lors le narrateur se demande s’il n’est pas en train de devenir fou et va chercher des preuves de l’existence du Horla pour acquérir la certitude que celui-ci est bien réel : Des preuves ? Il en a et plusieurs ! le Horla boit l’eau et le lait qu’il pose sur sa commode, il tourne les pages d’un livre, il cueille une rose et la déplace, il empêche le miroir de réfléchir l’image du narrateur…
Des preuves de sa folie ? Il en a tout autant ! Ses maux physiques et mentaux ne cessent de s’aggraver, l’anxiété devient angoisse, la peur, épouvante, ses souffrances atteignent un paroxysme : troubles de la personnalité, dédoublement de la personnalité, effacement du moi,  hallucinations, paralysie du sommeil, paranoïa…
La présence du Horla ne cesse de s’affirmer détruisant le narrateur jusqu’à une sorte de crescendo au cours de laquelle la créature domine l’humanité et devient le maître de l’univers.

« Mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et  du boeuf ; sa chose, son serviteur, sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. »

La chute de la nouvelle : L’écrivain a amené le lecteur à douter : il nous a rappelé que nos sens ne sont pas capables de tout saisir. La vue, l’ouïe, l’odorat… nous induisent en erreur. Donc, peut-être Le Horla existe-t-il vraiment puisque l’on ne peut voir l’invisible, sinon pourquoi sévirait-il jusqu’au Brésil selon ce que rapporte la très sérieuse  Revue du Monde scientifique ?  Ou bien, le  narrateur a sombré dans la folie comme semble l’annoncer l’incendie de sa maison  qui entraîne la mort de ses domestiques et la dernière phrase du récit : "Il va donc falloir que je me tue, moi !"

Le doute qui laisse planer le mystère en conclusion donne sa valeur a toute nouvelle fantastique.

 
Les qualités picturales des descriptions

 

La Seine vue sur Rouen

 Quand on lit la nouvelle pour la  première fois, c’est  l’aspect fantastique qui fascine le plus, bien sûr !  Mais il y a tout ce qui nourrit le texte et, en particulier, les qualités picturales de l'oeuvre ! 

Le narrateur vit dans une belle maison sur le bord de la Seine, près de Rouen «  la grande  et large Seine  qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux » qui passent devant la maison du narrateur composent un tableau riant et paisible de la Normandie.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques…. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées…
semblable à un tableau de Monet.


Le voyage au Mont Saint Michel qui arrache le personnage à la peur et la folie  est le prétexte à une  magnifique description de l’abbaye que Maupassant fait surgir au milieu de « cette baie démesurée » » « entre deux côtes écartées se perdant dans la brume » « sur l’horizon encore flamboyant » du soleil couchant  « le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. »

Du crépuscule à l’aurore,  la  vision lointaine se rapproche ensuite jusqu’aux détails :  « j’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées. »
Diffusion de la lumière comme dans un tableau impressionniste, contrastes de couleurs, beauté plastique des formes, nous ressentons comme un apaisement cet intermède de beauté qui permet au narrateur d’échapper à l’horreur du Horla.

J’ai aimé aussi ce récit dans le récit  pendant lequel le moine compte au personnage les légendes du pays ou lorsqu’il lui explique que nous pouvons être trompés par nos sens en lui donnant comme exemple le vent

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navire, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

 

 

Mais c'est par une seule phrase que Maupassant convoque, avec Bougival, ce lieu de divertissements populaires, guinguette, bal, canotage (on sait que Maupassant en est adepte),  non loin de Paris,  tous les peintres impressionnistes et c'est grâce à l'évocation de la fête et des plaisirs que le narrateur du Horla pense tenir la créature maléfique éloignée.

 

Auguste Renoir : Le Bal de Bougival

Auguste Renoir : Le déjeuner des canotiers

 

"J’ai été dîner à Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers... Croire au surnaturel dans l’île de la Grenouillère serait le comble de la folie."


Monet : La Grenouillère
Auguste Renoir : La Grenouillère


 
Canotage  : Berthe Morizot
 

Canotage :  Edouard Manet/ Gustave Caillebotte

 

Le théâtre est aussi un lieu où oublier la peur . Ainsi le personnage  se rend  à la Comédie française où l’on joue un pièce d’Alexandre Dumas fils et il assiste à la fête de la République le 14 juillet, « Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant."

 

Claude Monet : le 14 juillet

La fête nationale est d'ailleurs prétexte à un monologue pessimiste sur la sottise la nature humaine, que ce soit de la part du peuple,  "un troupeau imbécile" "on lui dit : «  amuse-toi ! ».  Il s’amuse" et "ceux qui dirigent sont de sots, ils obéissent à des principes qui ne peuvent être que niais... ».

 

Le XIX siècle, le siècle des sciences

L'influence de Mesmer (1730_1815)


La nouvelle traite aussi des préoccupations scientifiques de l’époque de Maupassant. Et pour justifier sa croyance dans des forces invisibles qui échapperaient à l’homme et ne seraient donc pas de l’ordre du surnaturel  le narrateur s’appuie sur  les théories de Mesmer,  médecin allemand qui soignait ses patients grâce à un « fluide animal » appelé magnétisme ou mesmérisme. Il fait allusion aussi  aux pratiques des  médecins de l’école de Nancy ou école de la suggestion, Hyppolite Berheim et Ambroise Liébeault,  que Maupassant connaissait et qui utilisaient l’hypnose pour guérir l’hystérie.
La thérapie de l'hypnose encore très mal définie par les  médecins eux-mêmes a donné lieu à des controverses entre l’école de Nancy et Charcot, de la Salpétrière. Elle  est encore plus mal connue du grand public pour qui ces pratiques  flirtent avec l’occultisme et le spiritisme dans le désir de faire parler les morts.

Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. (…) De là, sont nées les croyances populaires au surnaturel, la légende des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles vous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». « Mais depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur la une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ainsi dans Le Horla, le narrateur assiste à une séance d’hypnose au cours de laquelle sa cousine, hypnotisée, accomplit des actes qui lui ont été dictés par le praticien, sans que sa volonté soit sollicitée. Or, la conclusion du narrateur est que Mesmer  et ses successeurs, en jouant sur la faculté d'intervenir  par l'hypnose sur le psychisme de l'être humain, sont responsables de la montée en puissance du Horla,  ce « Seigneur » qui dominera le Monde.

"Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau (le Horla), la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... Que sais-je ?  Je les ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur à nous ! Malheur à l’homme !"

La nouvelle annonce donc la fin de l'être humain ! 





jeudi 16 novembre 2023

Fédor Dostoievsky : Le Petit Héros


 

Le petit Héros est une nouvelle écrite par  Dostoievsky en avril 1849 quand il était enfermé à la forteresse Pierre et Paul, accusé d’un complot contre le tsar.

Fédor Dostoïevsky fait partie d’un groupe de jeunes gens aux idées progressistes, réunis autour de la figure de Petravesky, mais plus bavards que révolutionnaires. Il n’était coupable, en fait, que d’avoir conservé chez lui un écrit interdit et une presse à imprimer pour éditer des textes anti-gouvernementaux. Il est condamné à mort avec ses compagnons en décembre 1849. Avec une perversité machiavélique, le tsar imagine alors une mise en scène macabre : le 22 Décembre, les condamnés sont alignés, la tête encapuchonnée, face au peloton d’exécution. Au dernier moment le tsar commue la peine de mort en quatre ans de  bagne. 

Bien longtemps après, Dostoievsky écrira dans L’idiot : Peut-être y-a-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture  et puis à qui on a dit : «  Va, tu es gracié. ». Cet homme là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et de cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a pas le droit d’agir ainsi avec un être humain. »

Le jour de Noël 1849, Dostoievsky part pour la Sibérie. Il y passera neuf ans, quatre au bagne, cinq dans l’armée comme simple soldat. Ce sont ces années que racontent Les souvenirs de la maison des morts.  voir mon billet ICI

Le petit héros


 

C’est donc dans sa cellule où il attend son jugement qu’il écrit, à la lueur de la bougie, Le Petit héros, un souvenir autobiographique échappé à son enfance.

Le garçon a onze ans il est envoyé pour les vacances d’été près de Moscou, chez un parent qui reçoit beaucoup. Dans la grande maison de campagne, les invités se pressent, toute la bonne société moscovite qui aime briller et qui se rassemble pour faire assaut de bel esprit, montrer ses toilettes et raconter des méchancetés : "les ragots allaient leur train, puisque, sans eux, le monde ne serait plus lui-même et des millions de personnes mourraient d’ennui comme des mouches."
Les belles dames lui caressent distraitement les cheveux, c’est encore un enfant …  et pourtant plus tout à fait ! Il est à cet âge charnière où l’enfant n’est pas encore homme mais où la sensualité s’éveille et où il ressent les premiers émois amoureux sans qu’il sache vraiment leur donner un nom : «Il y avait quelque chose au fond de mon coeur, quelque chose que le coeur ne connaissait pas, qu’il n’avait encore jamais senti, mais qui le faisait parfois brûler et battre, comme effrayé, et souvent une rougeur inattendue inondait mon visage. Parfois je me sentais comme honteux et blessé de tous les privilèges enfantins dont je jouissais. ».
Parmi ces grandes dames, une jeune femme blonde, coquette, joyeuse, un peu « toquée » se moque de ses timidités, l’humilie en public à un âge où la susceptibilité est à fleur de peau, et elle devient vite son « ennemie ». La naïveté de l’enfant attise les moqueries suscitant son angoisse, sa honte et son désespoir.  C’est pour faire cesser ses rires qu’il enfourche un cheval sauvage et dangereux, qu’aucun cavalier aguerri ne veut monter, ce qui lui vaut le respect et l’amitié de la blonde rieuse et son surnom de « Petit héros ». 

Le chevalier servant
 
Grande dame de la noblesse russe

 
 Mais le coeur du « Petit héros » va à l’amie de la belle Blonde, Mme M* dont la beauté et tristesse le touchent. L’enfant devient peu à peu son chevalier servant. Il lui sert d’alibi. Il lui vient en aide dans les rapports ombrageux qu’elle entretient avec Mr M*, son mari jaloux"non par amour mais par amour-propre", sans trop comprendre les enjeux mais avec une intuition due à la délicatesse de ses sentiments : "je me trouvais dans un étonnement étrange devant tout ce qui m’avait été donné de voir ce matin-là." C’est d’un oeil  attentif qu’il observe la société, à la fois séduit par ce qui brille mais déjà critique, sans percevoir, parfois, les non-dits et  les drames vécus par les adultes.

Comment comprendre, en effet, ces joute oratoires où la Blonde pour défendre son amie cherche à ridiculiser M.M* et "à faire revêtir au mari jaloux le costume le plus comique et le plus bouffon, et, je suppose, celui de Barbe bleue.".  Pourquoi  Mme M* fait-elle savoir à son mari qu'elle ne désire pas dire au revoir à Mr N*  ? Mais pourquoi voit-elle celui-ci en secret avec la complicité du jeune garçon ?

 Le point de vue de l'enfant, le jugement de l'adulte

Cette nouvelle initiatique assez cruelle est d’une grande finesse psychologique. L’enfant qui raconte son histoire à la première personne est un jouet dans les mains des adultes qui le manipulent et se moquent de lui. Le jeune garçon en est conscient mais ne peut rien faire si ce n'est souffrir et s'indigner. Mais c'est de sa propre initiative, pourtant, qu'il  vient au secours de Madame M*.

En prenant le point de vue de l’enfant qui ne comprend pas tout mais devine et ressent, Dostoievsky laisse au monde des adultes un aura de mystère. C’est au lecteur de compléter ce qui n’est pas dit explicitement. 

Mais l’écrivain adulte qui s’efface derrière le petit garçon, reprend la parole lorsqu’il présente une critique de cette société oisive, frivole et factice. Ainsi à propos du mari de Madame M*, sa plume se fait féroce :

  On le disait un homme intelligent. C’est ainsi que, dans certains cercles, on appelle une race particulière, engraissée sur le compte d’autrui, qui ne fait absolument rien, qui ne veut absolument rien faire, a un morceau de gras  à la place du  coeur.

Puis passant de l’individu à toute une classe sociale : « Dans leur orgueil démesuré, ils n'admettent pas qu'ils auraient des défauts.  Ils ressemblent à cette race de filous de l'existence, des Tartufes et Falstaffs congénitaux, qui se sont tellement pris dans leurs propres  filouteries qu’à la fin ils arrivent à se persuader qu’il doit en être ainsi, ils vont répétant si souvent qu’ils sont honnêtes, qu’ils finissent par croire que leur friponnerie est de l’honnêteté. Incapables d’un jugement quelque peu consciencieux ou d’une appréciation noble, trop épais pour saisir certaines nuances, ils mettent toujours au premier plan et avant tout leur précieuse personne, leur Moloch et Baal, leur cher moi. La nature, l’univers n’est pour eux qu’un beau miroir qui leur permet d’admirer sans cesse leur propre idole et de n’y rien regarder d’autre ;"

Dans cette belle nouvelle, Dostoievsky peint avec précision et sensibilité la révélation de l’amour, ce moment si émouvant et exaltant mais aussi si troublant et délicat  où l’enfant se dépouille de sa chrysalide et prend conscience de ce qu’il éprouve et il conclut : « Ma première enfance venait de s’achever. »


jeudi 27 juillet 2023

Stefan Zweig : La peur mise en scène par Elodie Menant à la Scala de Provence

 

A la Scala de Provence

 

 LA SCALA DE PROVENCE : LA PEUR

Présentation du programme du Off

 Un univers à la Hitchcock.

Dans les années 50, Irène, mère au foyer, trompe son mari, Fritz, avocat pénal. Un soir, une femme l’interpelle à la sortie de chez son amant. Elle prétend être la petite amie de ce dernier, interdit à Irène de revenir le voir et lui réclame de l’argent en échange de son silence. Dès lors, Irène vit dans la hantise que son mari apprenne sa liaison et s’enferme dans le mensonge. Entre Hallucinations, manipulations, quête de la vérité, cette pièce nous tient en haleine de bout en bout… jusqu’au dénouement final saisissant, véritable renversement de situation. Du grand Stefan Zweig !

 

Mon avis

 Non, ce n'est pas du grand Stefan Zweig ! C'est tout autre chose que Stefan Zweig ! C'est du Elodie Menant, la metteuse en scène, qui a tiré à soi l'oeuvre de l'écrivain pour en faire une pièce féministe ! Donc, on peut même dire que c'est tout à l'opposé de la nouvelle et des idées de Stefan Zweig.

En fait, dans la nouvelle, Irène, la femme adultère, est soulagée, heureuse et reconnaissante à son mari quand elle est pardonnée et que le cauchemar se termine. (voir ci-dessous mon billet que je republie). Quand j'ai lu le livre, cela m'a d'ailleurs un peu choquée qu'elle réagisse ainsi et qu'elle accepte ce que son mari lui avait fait ... Je ne développe pas plus pour vous laisser l'effet de surprise du dénouement. Puis, je me suis dit qu'il ne fallait pas juger avec la mentalité de mon époque. En 1920, date de la publication de la nouvelle, une femme de ce milieu ne pouvait penser autrement!  

Dans la pièce de théâtre, non seulement Irène n'est pas soulagée mais, encore, elle est révoltée et s'indigne. Elle juge que son mari, aussi, a mal agi envers elle, que les torts sont partagés et que le pardon doit être réciproque. C'est pourquoi Elodie Menant a transposé sa pièce dans les années 50, à l'aube de la timide et très relative indépendance de la femme.

Et pourquoi pas ? Peut-être est-ce dommage que le personnage du mari soit plus violent qu'il ne l'est dans la nouvelle. Il n'est pas nécessaire de le rendre antipathique. Le procédé qu'il emploie pour obtenir l'aveu de sa femme est déjà assez cruel !  Stefan Zweig est plus subtil dans l'analyse de ses personnages.

L'interprétation est bonne, la peur, les tourments des personnages sont bien rendus.

 Je n'ai pas trop aimé le décor, les murs très hauts de cet appartement, enserrant les personnages, m'ont gênée.

Un pièce intéressante !

 

PS :  Ma petite-fille (13 ans) s'est ennuyée. Elle dit que les personnages font beaucoup d'histoires pour pas grand chose ! L'adultère ?  Après tout, une femme a  bien le droit d'avoir un autre amoureux si elle ne veut plus de son mari ! 2023 ! Et oui, nous ne sommes plus en 1920 ni même en 1950 !

 

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Elodie Menant
  • Interprète(s) : Hélène Degy, Aliocha Itovitch, Ophélie Marsaud, Elodie Menant
  • Régisseur : Damien Peray
  • Costumière : Cecile Choumiloff
  • Créateur lumière : Olivier Drouot
  • Constructeur : Olivier Defrocourt
Compagnie Carinae

 

LA SCALA DE PROVENCE

La peur
Durée : 1h15
du 7 au 29 juillet - Relâches : 10, 17, 24 juillet

à 19h30

 

 

LA PEUR  de Stefan Zweig

La peur est une nouvelle de Stefan Zweig  dans laquelle l’écrivain analyse les sentiments d’une femme infidèle en butte à un chantage.

Irène Wagner a un amant, un pianiste de milieu modeste. Un jour qu’elle sort de chez lui, elle est abordée par une femme d’apparence vulgaire qui lui reproche de lui avoir pris son amant. Désormais la peur s’empare de la jeune femme. L’inconnue la suit et la fait chanter, lui extorque de l’argent. Un jour, elle va jusqu’à s’introduire chez elle en présence de son mari et ses enfants. La peur devient  obsession, vire au cauchemar dans une sorte de crescendo étouffant malgré les tentatives de son mari qui s’aperçoit de son trouble et semble prêt à l’écouter. Elle n’ose plus sortir de chez elle, vit dans l’attente d’une catastrophe, se sent constamment menacée.

"Elle se sentait malade. Elle devait parfois s'asseoir subitement, tant son coeur était pris de palpitations violentes ; le poids de l'inquiétude répandait dans tous ses membres le suc visqueux d'une fatigue presque douloureuse, qui refusait pourtant de céder au sommeil;"

Stefan Zweig analyse les sentiments de cette grande bourgeoise, femme de magistrat, qui toujours eu une vie protégée et facile. N’est-ce pas par ennui et non par passion qu’elle a pris un amant ?

"Blottie paresseusement dans la tranquillité d’une existence bourgeoise et confortable, elle était tout à fait heureuse aux côtés d’un mari fortuné, qui lui était intellectuellement supérieur, et de leurs deux enfants. Mais il est une mollesse de l’atmosphère qui rend plus sensuel que l’orage ou la tempête, une modération du bonheur plus énervante que le malheur. La satiété irrite autant que la faim, et la sécurité, l’absence de danger dans sa vie éveillait chez Irène la curiosité de l’aventure."

Elle prend alors conscience de tout ce qu’elle va perdre si son mari découvre son infidélité :  ses enfants, un mari qu’elle aime, une vie aisée… Il se passe peu de choses dans cette nouvelle, tout tient dans l’intensité dramatique que Stefan Zweig a su créer. C’est avec une rare maîtrise qu’il analyse la psychologie de ce personnage féminin dont on l’impression qu’il a le pouvoir de pénétrer la conscience et de la mettre à nue devant nous.

Une lecture prenante, d’une telle force et d’une telle acuité que l’on ne peut s'arrêter dans la lecture jusqu’au dénouement. Pourtant celui-ci ne m'a pas surprise car je m’y attendais un peu mais, à mon avis, ce n'est pas ce qui est important. 

 J’ai lu cette nouvelle parce que je vais assister à la pièce adaptée à la scène  au festival d’Avignon le 16 juillet à La Scala de Provence. Je vous dirai ce que j’en pense en temps voulu. Je dois dire que je suis curieuse de voir comment on peut rendre au théâtre cette urgence de la lecture qui s'empare du lecteur et cette profondeur dans l’analyse.