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mardi 14 janvier 2025

Fédor Dostoievski : l ’arbre de Noël et le mariage

 

A priori qu’y a-t-il de commun entre un arbre de Noël et un mariage ? C’est ce que va nous expliquer Dostoievski dans cette nouvelle qui ne manque pas de cruauté.

Le narrateur assiste à une fête donnée à l’occasion de Noël par un homme d’affaires. Cette réunion qui rassemble les enfants autour de l’arbre est, en fait, un prétexte pour les pères de discuter de leurs  affaires et le narrateur, peu intéressé, se retire dans un petit salon, derrière un massif de plantes qui lui permet d’observer sans être vu.
C’est la position idéale pour l’écrivain qui y va de sa verve satirique. Il y a l’invité de marque, Julian Mastakovitch, que l’on entoure de prévenances, que tous flattent  :  « un homme bien nourri, tout rouge de figure, avec une ventre rond sur des cuisses très grasses. »

Il y a aussi l’invité dont personne ne se soucie et qui  « était obligé pour se donner une contenance, de lisser ses favoris, d’ailleurs fort beaux. Mais il le faisait avec tant d’application qu’on aurait pu croire que les favoris étaient venus au monde d’abord et qu’ensuite on avait désigné ce monsieur pour les lisser »

J’adore ce genre de détail qui fait tout le sel de la nouvelle et porte la griffe d’un grand écrivain. Ou encore les petites notations sociales qui indiquent le rang des enfants et témoigne de la hiérarchie toujours marquée même en ce jour de fête chrétienne ! 

« la fillette aux trois cent mille roubles de dot reçut la plus belle poupée …  et ainsi de suite : la valeur du jouet diminuant en proportion de la moindre importance pécuniaire des parents »

La fillette (qui a 11 ans) vient se réfugier dans le salon avec sa poupée où notre narrateur est toujours dissimulé. Un garçon pauvre, modestement vêtu, qui n’a reçu qu’un petit cadeau et est rejeté par les autres, vient la rejoindre. C’est le fils de l’institutrice.
Mais soudain l’invité de marque, Julian Mastakovitch, s’introduit dans le salon et comptant à voix haute, calcule à combien montera la dot de la petite fille lorsqu’elle sera en âge de se marier, à seize ans. Puis il se dirige vers l’enfant et cherche à  l’embrasser  : « il se pouvait que le calcul sur les doigts l’ayant séduit, il eut agi comme un gamin en voulant aborder l’objet de ses rêves qui ne pouvaient devenir réalité que dans cinq ans. ».

La concupiscence de cet « homme respectable » qui passe sa honte et sa colère du refus de la fillette sur le fils de l’institutrice en dit long sur ses intentions et éclaire le titre. Mais je vous laisse découvrir la suite.

On remarquera que l'homme est le seul à être nommé, peut-être pour montrer le rang privilégié qu’il occupe dans cette société ? Peut-être pour dire que l’on ne peut avoir un nom que lorsque l’on est riche et de sexe masculin. On peut alors s’acheter les petites filles bien dotées. La jeune fille n’a pas de nom, elle est appelée la fillette aux trois cent mille roubles comme si elle n’avait pas d’individualité et d'autre intérêt que sa valeur marchande. Et c’est bien le cas ! Le fils de l’institutrice, outre cette périphrase manifestement dévalorisante, collectionne les termes dépréciatifs : mon petit, garnement, petit polisson. Ce sont les deux victimes, anonymes, l’une fille et riche, l’autre garçon et pauvre, de cette société mercantile.

Une petite nouvelle qui n’a l’air de rien mais en dit beaucoup !

 


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