Il y a dans Esprit d'hiver des thèmes, entre autres, qui me touchent beaucoup, c'est celui de l'enfance maltraitée, mise au rebut, celui de l'adoption, des difficultés et des souffrances qui lui sont liées : le désir d'enfant et l'impossibilité d'en avoir, les conditions de vie des enfants dans les orphelinats et pire encore de ceux qui vivent dans les rues; le fait aussi que les enfants malades ou déficients sont rejetés et le sentiment de culpabilité de ceux qui ont le pouvoir de décision. Quelle justification morale peut-il y avoir quand on décide que tel enfant a ou non le droit de vivre et celui d'être heureux?
Quand Holly décident d'adopter un bébé dans un orphelinat russe, ses collègues n'ont de cesse de lui rappeler que l'enfant peut avoir des gènes défectueux, des maladies mentales ou physiques, des dégenérescences liés au passé de leurs parents, drogués, alcooliques, des séquelles d'une enfance traumatique dans une institution sinistrée où le manque de nourriture allié au manque de personnel entraînent des déficiences et une mortalité importante. Holly, elle, porteuse comme sa mère d'un gène entraînant la mort a dû subir des opérations qui ne lui permettent plus d'avoir d'enfants :
Ce type d'interrogations et de raisonnements avait mis Holly hors d'elle et, après la seconde ou la troisième suggestion de ce style, elle avait rétorqué : "Eh bien, je suppose que si mon patrimoine génétique était parfait, comme le vôtre, j'aurais bien des raisons de m'inquiéter. Mais puisque le mien est tissé de mutations génétiques mortelles, j'ai plus de compassion dans ce domaine que d'autres personnes. Je veux dire, vous sous-entendez que ceux qui auraient de mauvais gènes ne devraient pas avoir de parents, ou bien que les gens ayant de mauvais gènes ne devraient pas avoir d'enfants.
En Sibérie personne n'avait été en mesure (ni même désireux?) d'aborder avec Holly et Eric le sujet des parents biologiques de Tatiana... Evidemment peu importait à Eric et Holly. Leur seule inquiétude à ce stade - après ce premier aperçu des yeux noirs gigantesques de Tatty/Sally, après être tombés amoureux d'elle- était de savoir s'il y avait quelque chose d'elle qu'il devait connaître concernant ses gènes afin de l'aider non de la rejeter.
Pourtant Holly et Eric malgré ces beaux sentiments qui demandent en fait beaucoup de courage et d'abnégation font comme les autres! Et l'on ne saurait les en condamner : avoir le désir d'un bébé en bonne santé est en somme bien naturel! Mais ce qui est pire, c'est qu'ils le font en se mentant par une sorte de déni de la vérité. Ils savent tous deux que Tatiana n'est pas le bébé qu'ils ont choisi et Holly sait ce que la vraie Tatiana est devenue depuis qu'elle a poussé la porte interdite.
(Si vous
n'avez pas lu le livre, attention à partir de là spoiler*)
Pourtant Holly et Eric malgré ces beaux sentiments qui demandent en fait beaucoup de courage et d'abnégation font comme les autres! Et l'on ne saurait les en condamner : avoir le désir d'un bébé en bonne santé est en somme bien naturel! Mais ce qui est pire, c'est qu'ils le font en se mentant par une sorte de déni de la vérité. Ils savent tous deux que Tatiana n'est pas le bébé qu'ils ont choisi et Holly sait ce que la vraie Tatiana est devenue depuis qu'elle a poussé la porte interdite.
Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération.
C'est alors que l'élastique que doit tirer Holly sur les conseils de la psychiatre pour oublier la douleur ressentie chaque fois qu'elle pense à la mort de sa mère et ses soeurs prend toute sa signification. Une métaphore de l'oubli ou plus précisément du déni puisque Holly finit même par tirer l'élastique mentalement, dans sa tête. Et bien non! En cette journée d'hiver très particulière où tout va basculer pour Holly, le sentiment de culpabilité envers l'autre bébé va ressurgir plus fort que jamais. Ce n'était pas une libération mais du refoulement!
Je crois que ce roman est un concentré de souffrance, que toutes les pages en sont imprégnées ; c'est pour cela qu'il m'a autant touchée et je me demande aussi si les lecteurs qui rejettent ce livre ne le font pas par un sentiment d'auto-défense? (je ne peux répondre à leur place, évidemment mais vous le pouvez si vous êtes dans ce cas dans les commentaires)
*Comme je cherchais l'équivalent français de Spoiler voilà ce que je lis sur Wikipedia :
Cependant, il est à préciser que cette recherche d'équivalents
français à ce terme prétendument anglais n'aurait pas véritablement lieu
d'être étant donné que ce mot "spoiler" est en fait issu en totalité de
l'Ancien français "espoillier" (qui donnera "spolier" en français moderne), verbe provenant du latin
"spoliare" signifiant "ruiner", "piller". Le terme "spoiler" n'est donc
pas à proprement parler un mot anglais mais bien un dérivé direct du
français (ancien français en l'occurence).
On nomme « spoil » le fait de donner des éléments de l'intrigue.