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jeudi 2 mai 2013

Nathalie Sarraute : Tropismes


Tropismes de Nathalie Sarraute réunit une série de textes très courts autour d'un thème résumé par le titre : Tropismes.

Il faut d'abord comprendre le titre pour accéder au sens du texte. Tropisme provient du grec qui signifie « donner une direction ». Chez les végétaux le tropisme est une réaction d'orientation des organes au milieu, la lumière et la gravité étant les principaux facteurs.
Dans la préface de L'ère du soupçon Nathalie Sarraute explique ce que signifie pour elle le mot tropisme :
J'ai commencé à écrire Tropismes en 1932. Les textes qui composaient ce premier ouvrage étaient l’expression spontanée d’impressions très vives, et leur forme était aussi spontanée et naturelle que les impressions auxquelles elle donnait vie.
Je me suis aperçue en travaillant que ces impressions étaient produites par certains mouvements, certaines actions intérieures sur lesquelles mon attention s’était fixée depuis longtemps. En fait, me semble-t-il, depuis mon enfance.
Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence. […]
A travers les textes qui composent le recueil, les Tropismes (on notera le pluriel), ce sont toutes les forces qui s'exercent sur l'individu sans qu'il en soit toujours conscient, les contraintes sociales, les pressions liées à la religion, à l'éducation, l'affectivité, toutes constructions mentales et sociales qui s'unissent pour le priver de sa liberté. Comme l'héliotrope est soumis à la lumière du soleil et s'oriente dans l'espace en fonction de l'astre, l'être humain ne peut échapper aux règles de la société dans laquelle il vit. Il est brisé, robotisé, déshumanisé et ne peut jamais être vraiment lui-même. C'est peut-être pour cela que les personnages de Tropismes n'ont pas de noms, ce sont des silhouettes qui ne sont désignés que par des pronoms.
On lui offrait une existence à la fois dépouillée et protégée, une existence semblable à une salle d'attente dans une gare de banlieue déserte, une salle nue, grise et tiède, avec un poêle noir au milieu des banquettes en bois le long des rues. (texte III)
De tous ces textes naît un sentiment de tragique, quelque chose de bouleversant, de poignant :
Texte X : Elles allaient dans les thés
Et elles parlaient, parlaient toujours, répétant les mêmes choses, les retournant , puis les retournant encore, d'un côté puis de l'autre, les pétrissant, roulant sans cesse entre leurs doigts cette matière ingrate et pauvre qu'elles avaient extraite de leur vie (ce qu'elles appelaient "la vie", leur domaine), la pétrissait, la tirant, la roulant jusqu'à ce qu'elle ne forme plus entre leurs  doigts qu'un petit tas, une petite boulette grise.
L'écriture est riche, métaphorique. Elle vous prend au piège, vous englue, vous implique irrémédiablement car, bien sûr, selon les mots de Montaigne, c'est  la peinture de "l'humaine condition".
 Texte IV Le maître de ballet
 Là, là, là, elles dansaient, tournaient et pivotaient, donnaient un peu d'esprit, un peu d'intelligence,  mais comme sans y toucher, sans jamais passer sur le plan interdit qui pourrait lui déplaire.