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mardi 18 octobre 2011

Anne-Marie Garat : Nous nous connaissons déjà


Dans le roman de Anne-Marie Garat, Nous nous connaissons déjà, la narratrice se rend dans le sud-ouest de la France pour examiner des plaques photographiques découvertes dans les combles d'un vieux château en restauration. C'est dans ce paysage de vignoble qu'elle rencontre Laura, une jeune femme qu'il lui semble déjà connaître. Désormais, leur route ne va  pas cesser de se croiser au hasard des rencontres spontanées ou voulues.
La construction du récit est habile et c'est peu à peu que toutes les pièces se mettent en place jusqu'à la révélation du dénouement. Le récit est mené en parallèle :  la  narratrice cherche à percer le mystère des photographies retrouvées au château, particulièrement horribles, qui révèlent un crime de guerre, ce qui l'entraîne d'un lieu à l'autre en France et à l'étranger. Laura, dans une vieille école abandonnée, classe des archives, à la recherche d'un petite fille disparue. Et leur quête respective les amène sur les traces de leur passé personnel et du secret familial qui pèse sur chacune d'elle. Le roman se révèle être une interrogation sur la mémoire collective et historique d'abord mais aussi individuelle, personnelle, réflexion aussi sur le rôle de la photographie dans la conservation du souvenir et comme substitut de la mémoire ou encore sur la littérature et l'art :
Parce que les mots sont plus forts que le monde, ils sont dangereux, ils nous obligent. A ce prix l'art est l'exacte vérité du monde, l'impudeur extrême des constructions de notre imaginaire, qui est la forme sous laquelle nous instruisons la réalité, aussi pouvons-nous dormir les yeux grand ouverts, le roman est un représentation vraie et nous y courons des dangers extrêmes, parce que nous sommes d'intelligence avec nous-mêmes.
Quand je cherche les mots qui pourraient le mieux qualifier ce roman, me viennent ces qualificatifs : intelligent, brillant. Le style de l'écrivain que l'on peut qualifier de proustien semble épouser les circonvolutions de la pensée, tel un long  fleuve déroulant ses méandres.
Pourtant, malgré ces qualités, je n'ai pas totalement adhéré à ce récit même si j'ai éprouvé de l'admiration pour le talent de l'écrivain et si j'ai aimé, par exemple, ce voyage  dans l'Italie érudite du vieux Battistini.  Cependant, je n'ai pas eu l'impression de rencontrer de véritables personnages mais plutôt des idées, non "l'exacte vérité du monde". Pour moi qui aime les romans où la société apparaît, où les gens se collètent avec la vie parce qu'ils sont intégrés dans un tissu social, je ne me suis pas sentie complètement concernée.  Je suis en grande partie restée extérieure à l'histoire sauf à plusieurs moments très forts où j'ai ressenti une profonde émotion.
Par exemple, lorsque les personnages cessent d'être des idées pour devenir des êtres vivants, déchirés, tourmentés,  la réflexion intellectuelle laisse alors place au récit.
Il en est ainsi lors de la dernière rencontre entre Laura et son père. Celui-ci fait un long détour pour venir lui parler et lui dire peut-être enfin le secret qui a pesé sur leurs relations et les a empêchés de communiquer. Mais Laura, cadenassée en elle-même, refuse cet échange :

Il semblait si vulnérable, hésitant sur le pas de la porte à la quitter, s'y résolvant cependant, et la réalité dormait devant la porte, elle attendait son heure. Laura n'avait pas retenu son père, et vers midi il avait quitté la longue voie rapide dans une embardée que seule expliquait le sommeil ou un malaise.

Et encore à la fin du récit lorsque l'on apprend "la réalité", pourquoi le père a agi ainsi ..  ou  bien  quand la narratrice rencontre l'auteur des photographies, le criminel de guerre dans un hospice pour vieillards indigents :

... mais sa face à la mâchoire décrochée par la sénilité, ses yeux larmoyants sans paupières s'apparentaient à la figure universelle du délabrement séculaire d'un corps humain, et rien ne laissait à penser qu'il avait pu être un échantillon de cette humanité qui ne s'est pas rencontrée ni connue, qui est peut-être restée au coeur des ténèbres dont parle Conrad, pour qui l'histoire n'a pas commencé et qui erre en liberté dans notre imaginaire comme une bête d'épouvante, dont la dérisoire réalité ne résout rien, n'annonce rien, reste sans guérison ni rédemption, et qui pousse ce cri inarticulé, inaudible, du crime immémorial.

Pour résumer, disons que ce livre, malgré ses qualités évidentes et abouties, ne me touche pas entièrement parce que j'attends encore autre chose d'un roman, celui de coller à la réalité.

Ceci est une lecture commune avec L'Or des chambres dont vous trouverez le billet ICI. Voir aussi celui de Lire au jardin ICI