Pages

Affichage des articles dont le libellé est IBSEN Henrik. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est IBSEN Henrik. Afficher tous les articles

lundi 29 janvier 2018

Henrik Ibsen : Un ennemi du peuple



Dans Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen, le docteur Tomas Stockmann a été nommé directeur de l’établissement des Bains de sa ville natale par le préfet Peter Stockmann, son frère. Il découvre que les eaux sont polluées par les rejets toxiques des tanneries de la ville et propagent fièvre, dysenterie et typhus. Mais lorsqu’il révèle la vérité, tous, son frère, les journaux, les petits propriétaires et bientôt le peuple, se liguent contre lui. Les travaux concernant la réfection des conduites d'eau seraient trop coûteux, trop longs et la ville ne peut se passer des revenus des Bains qui assurent sa prospérité. Tomas Stockmann va mener la bataille épaulé par son épouse parfois défaillante, sa fille Petra, un ami, le capitaine Horster … Il rassemble tout le monde dans une assemblée générale qui tourne au pugilat.

L'inspiration


Un ennemi du peuple est inspiré semble-t-il par la personnalité et la lutte de Harald Thaulow, pharmacien diplômé, qui s’est efforcé de réformer le système d’attribution des pharmacies. Celles-ci étaient accordées par privilège, héritage ou vente sans tenir compte des connaissances et des diplômes. Un apothicaire était alors un simple vendeur de médicaments même s’il n’avait fait aucune étude médicale. Thaulow a provoqué un scandale lors d’une assemblée générale pour défendre ses idées. Il  a fini par l’emporter mais l’on s’en doute s’est fait de nombreux ennemis, parmi lesquels les apothicaires n’étaient pas les moindres !
Ibsen, lui aussi, a fait scandale avec sa pièce Les Revenants qui stigmatise l’hypocrisie sociale et religieuse et fait allusion à la syphilis, sujet tabou. De là à être traité d’ennemi du peuple, il n’y a qu’un pas.  Ibsen met beaucoup de lui-même dans le personnage principal de la pièce, le docteur Stockmann, qui va représenter ses idées politiques.

Un ennemi du peuple est considérée comme une grande pièce d’Ibsen après La Maison de poupée et Hedda Gabbler. Il paraît que le metteur en scène allemand Thomas Ostermeïr a fait une belle mise en scène de Un ennemi du peuple. Qui sait ? il m’aurait peut-être réconciliée avec la pièce ? Car je ne l’ai pas aimée.

Une pièce démonstrative

 

Mise en scène de Claude Stratz Théâtre national de la Colline
D’abord les personnages :  ou ils sont flous, peu développés tant au niveau psychologique qu’au niveau de l’intrigue comme Petra ou Horster, ou complètement inutiles comme les fils de Tomas Stockmann. Ils sont des fonctions et non des êtres de chair dans une pièce qui est avant tout démonstrative et porteuse d’un message.
Le personnage du docteur Stockmann lui-même est assez caricatural. Sa naïveté quand il pense être porté en triomphe par ses concitoyens est d'une stupidité confondante. Il paraît que c'est comique mais il ne m'a pas fait rire, au contraire ! Cependant, il ne faut pas oublier que Henrik Ibsen a voulu faire de Un ennemi du peuple une comédie.

Un thème très actuel mais ...

 

Au festival d'Avignon : Thomas Ostermeier

Rien n’est plus actuel que le thème de cette pièce à notre époque où la survie de la planète est en jeu ! On pourrait multiplier les exemples ! Je m'attendais donc à ce que Ibsen pourfende les gouvernants, le capitalisme,  tous ceux qui défendent leurs propres intérêts au détriment de la santé des autres et de l’environnement.  Mais  les propos tenus par le "bon"  docteur ont pris un autre tour et m'ont surprise. Certes, il est courageux et se sacrifie pour que la vérité éclate. Il se retrouve sans travail, sans logement dans une ville qui ne veut plus de lui. Mais sa conception de la démocratie est atterrante !

Premier choc : lorsqu’il considère que dans son poste précédent, dans le Norland, ( région norvégienne qui englobe Bodo, Troms, les îles Lofoten et Vesteralen …) les hommes sont  au niveau des animaux.

"J’ai passé plusieurs années dans un horrible trou perdu, là-haut dans le Nord. Parfois, en rencontrant les hommes qui y vivaient comme un amas de pierres, j’ai pensé qu’un vétérinaire leur aurait été plus utile qu’un homme comme moi" 

Deuxième choc : " La majorité n’a jamais le droit pour elle, vous dis-je !(…)  je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a une majorité écrasante d’imbéciles sur cette terre. Mais, nom d’un chien, on ne peut pas accepter que les imbéciles gouvernent les intelligents !
La majorité a le pouvoir - mais elle n’a pas raison. C’est moi qui ai raison, moi et quelques autres; de rares hommes isolés. La minorité a toujours raison."

Troisième choc : Stockmann compare les hommes au chiens et conclut que d’un corniaud, "vulgaire chien plébéien" "dégoûtants et mal élevés " et d'un caniche "descendant d’une belle lignée", c’est toujours le caniche qui l’emportera et sera le plus intelligent  !

De choc en choc, je n’ai plus trop su ce que Ibsen voulait défendre et j’ai trouvé très aristocratique et anti-démocratique sa vision du peuple. Contrairement à ce que je pensais au début de la pièce, effectivement Ibsen-Stockmann est un ennemi du peuple, non parce qu’il veut faire fermer les bains pour des raisons sanitaires mais parce qu’il est plein de mépris pour lui.
D’ailleurs la découverte qu’il révèle à la fin de la pièce est empreint de cette esprit élitiste et supérieur :

"Le fait est, voyez-vous  que l’homme le plus fort du monde est le plus seul"

Tout en moi s'est révulsé  à cette lecture même si, finalement, il décide d’éduquer le peuple et d’instruire "les corniauds" - "ils peuvent avoir des têtes remarquables"- pour leur donner les possibilités de "chasser les loups" .

Vous admettrez que la pensée de Ibsen est complexe, à la fois  conservateur et libéral. Il s’est mis à dos la gauche norvégienne par sa conception élitiste de l'homme supérieur et les classes dirigeantes et cléricales dont il dénonce l'égoïsme et l'hypocrisie.

A cette pièce politique, je préfère ses pièces psychologiques qui n’en sont pas moins inscrites dans une société et en dénonce les travers.

Mes billets

La maison de poupée ICI et ICI

La cane sauvage ICI

La dame de la mer ICI

Hedda Gabler ICI

Peer Gynt de Ibsen et Grieg ICI

dimanche 30 juillet 2017

Une maison de poupée de Henrik Ibsen mise en scène Philippe Person, festival OFF d'Avignon

Une maison de Poupée : Philippe Calvario et Florende Le Corre
Voilà la note d’intention du metteur en scène d'Une maison de poupée, Philippe Person, qui interprète aussi un des personnages, l’avocat Krogstad.

« C’est Noël chez Torvald et Nora Helmer et Monsieur vient d’être nommé directeur de banque. Mais son employé Krogstad, menace de révéler le lourd secret de Nora. La Maison de poupée se transforme en cage de verre, le drame bourgeois en thriller hitchcockien. »

J'ajouterai le résumé rapide de l'intrigue que j'ai publié dans mon blog pour ceux qui sont intéressés :

Dans Une maison de poupée, Nora est considérée par son époux Torvald Helmer comme une femme-enfant, jolie, délicieuse, gaie mais puérile et sans cervelle et surtout… très dépensière. Mais enfin, l’on ne demande pas à une femme d’être intelligente et le couple s’entend bien, le mari bêtifiant à qui mieux mieux avec son « petit écureuil »  et sa charmante «  alouette », bref sa poupée. Pourtant Nora quand elle se confie à son amie madame Linke, Christine, est beaucoup plus sérieuse qu’il ne paraît. Pour sauver son mari, malade et à qui il fallait un séjour dans un pays chaud, elle a emprunté en secret de l’argent à un avocat véreux, Krogstad. Et pour cela elle a fait une fausse signature, celle de son père, puisqu’elle n’a pas le droit en tant que femme de signer. .. Suite ICI

La pièce mise en scène par Philippe Person n’est pas intégrale. Le personnage du docteur Rank est supprimé ainsi que les scènes avec les enfants et la nourrice. Certaines répliques sont élaguées et j’ai trouvé que la pièce n’avait pas assez de continuité, le rythme étant coupé, haché, par une présentation en tableaux successifs. Ce qui m’a paru gênant pour voir l’évolution des personnages.

La manière de traiter certains personnages secondaires m’a surprise aussi : Christine et Krogstad. Christine (Nathalie Lucas) qui représente une autre facette de l’aliénation de la femme et mériterait, à ce titre, d’être plus mise en valeur est assez effacée. Et Philippe Person qui joue Krogstad paraît prendre de la distance par rapport à son personnage et ne pas y croire du tout. Le dénouement heureux pour eux qui se sont aimés dans leur jeunesse est traité avec dérision, semble-t-il, par le comédien et metteur en scène. Peut-être parce que cela arrive trop brutalement, sans transition. Si on s’intéresse à ces deux personnages, il faudrait leur laisser plus de temps.

Reste donc le couple principal : Nora et Torvald Helmer. C’est sur eux que le metteur en scène a resserré l’intrigue. La comédienne Florence Le Corre qui interprète la femme-enfant, Nora, charmante et mutine, est convaincante et la scène finale nous permet de découvrir un Torvald  humain (Philippe Calvario) qui comprend, mais trop tard, ses torts envers son épouse. Ce sont des moments qui m’ont touchée. Je l'avais jugé trop brutal dans les scènes précédentes.
La cage de verre dont parle Philipe Person est peut-être ce huis-clos du salon de Nora qui permet aux spectateurs de s’immiscer dans l’intimité du couple, c’est aussi cette vitre qui coupe le décor et derrière laquelle se cache la boîte à lettres fatale.  J’avoue, par contre, qu’à aucun moment, je n’y ai vu le thriller Hitchcockien annoncé par le metteur en scène.
 Je n’ai donc pas tout aimé dans cette version de la pièce mais le spectacle, comme je l’ai souligné, a des qualités, en particulier  le jeu de Florence Le Corre, Nora.

Une maison de poupée de Ibsen
Mise en scène de Philippe Person
Théâtre de l’Oulle
Durée : 1h20
à 15h10 : du 7 au 30 juillet
Compagnie Philippe Person
Interprète(s) : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario, Philippe Person



mardi 25 avril 2017

Le festival In d'Avignon 2017 : Avant- programme




Vous trouverez l'avant-programme du festival In d'Avignon  ICI  ou ICI
Quant à moi, je ne veux pas récapituler les différentes caractéristiques de ce nouveau programme, ni dresser la liste de tous les spectacles mais dire les pièces qui m'attirent à priori avant le difficile moment du choix définitif, sachant que mes priorités auront peut-être changé d'ici là sous l'influence de mes lectures et du bouche à oreille.

Antigone (source)
Et d'abord, en tête de toutes mes envies Antigone de Sophocle  : mise en scène par le japonais Satoshi Miyagi à la Cour d'Honneur.
Je choisis toujours, si je le peux un spectacle de la Cour d'Honneur, lieu magique, et quand il s'agit d'Antigone, une pièce que j 'aime beaucoup,  alors tout est réuni. La mise en scène est inspirée par le théâtre de marionnettes indonésien qui se joue sur l'eau. La Cour d'Honneur sera donc « noyée ».
 D'autre part, j'ai été déçue de ne pas avoir vu le Mahabharata de Satoshi Miyagi en 2014 si bien que je veux pas rater ce metteur en scène devenu légendaire à Avignon ! Enfin voir du théâtre grec-japonais-indonésien au festival d'Avignon, c'est en soi une grande aventure.

Le roman de monsieur Molière (source)
Le roman de monsieur Molière d'après Mikhaïl Boulgakov par le metteur en scène berlinois de Frank Castorf au Parc des Expositions. En allemand, donc. Je n'ai pas encore lu le roman mais je l'ai déjà à côté de moi dans ma PAL et je suis curieuse de découvrir l'oeuvre. Et puis je garde une si beau souvenir du Maître et la Marguerite du même auteur mis en scène par  Simon McBurney dans la cour d'honneur en 2012 !

Ramona (source)
Ramona spectacle de marionnettes de Rezzo Gabiradze à la maison Jean Vilar : parce que j'ai toujours trouvé les spectacles de marionnettes fascinants et celui-ci, si j'en juge par les photographies du spectacle, a l'air d'une grande beauté.

L'enfance à l'oeuvre (source)

 L'enfance à l'oeuvre d'après Romain Gary, Henri Michaux, Marcel Proust et Arthur Rimbaud : mise en scène de Robin Renucci et Nicolas Stavy spectacle itinérant. Pourquoi ce choix? Pour le thème et les écrivains qui l'ont nourri ! Dans le théâtre, j'aime le texte et les mots ! Robin Renucci, un comédien que j'aime beaucoup, propose un voyage littéraire et pose la question : qu'est-ce qui dans l'enfance forge l'inspiration et éveille des vocations ?


Impromptu 1663

Impromptu 1663 Molière et la querelle de l'école des femmes  mise en scène de Clément Hervieu-Léger avec le Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris. D'abord, j'ai envie de voir un des spectacles du Conservatoire. Enfin, si je connais bien La querelle pour l'avoir lue et étudiée, je ne l'ai jamais vue sur scène !

La fille de mars (source)  
La fille de Mars d'après le Penthésilée de Heinrich Von Kleist mise en scène François Matignon au Gymnase Paul Giera. Parce que je veux lire et voir cette pièce de Von Kleist.  Et puis je connais le metteur en scène avignonnais, François Matignon, qui a des mises en scène intéressantes.


Les Bonnes de Genêt  De meiden : (source)
 Les Bonnes (De meiden) de Genêt mise en scène de Katie Mitchell  metteur en scène britannique, très engagée dans la cause féministe. Cette pièce m'intéresse. Quant à Katie Mitchell, j'ai vu deux  mises en scène d'elle,  une que j'ai beaucoup aimée, une autre qui m'a ennuyée. Alors?

Dans les ruines d'Athènes (source)

 Le Birgit ensemble Dans les ruines d'Athènes : Julie Bertin et Jade Herbulot organisent une « Parthenon story » sur le modèle de Loft Story avec les héros grecs qui se racontent : Oreste, Cassandre, Ulysse et une jeune venue d'Europe… Dans les ruines d'Athènes.

Hamlet Shakespeare (source)
Hamlet de Shakespeare :  mise en scène de Olivier Py avec les hommes de la prison du Pontet. Là, j'ai peur mais c'est Shakespeare !

Un spectacle en relation avec l'Afrique ? Il y en a plusieurs. Pour le moment mon choix s'arrête à :

Rokia  Traor
Dream Mandje-Djata avec Rokia  Traore chanteuse malienne cour du musée Calvet

Angélique Kidjo, Isaac de Bankoré
 Femme noire de Leopold Sadar Senghor à la Cour d'Honneur avec la chanteuse béninoise Angélique Kidjo,  le comédien ivoirien Isaac de Bankoré  et leurs invités, le saxophoniste et chanteur camerounais Manu Dibango etc.. Cotonou – New York – Paris

Un spectacle jeune public :

L'imparfait (source)

  L' Imparfait de Olivier Balazuc à partir de 7 en pensant à ma petite fille :   à la chapelle des Pénitents blancs

C'est une légende

et C'est une légende danse pour jeune public à partir de 7ans

***

Et il y en a bien d 'autres encore qui pourraient me tenter ! Oui, je sais ! Je ne pourrai tout voir, il va falloir choisir ! La carte bleue ne suivrait pas !  Et ceci d'autant plus que je veux pas rater les spectacle du OFF. Mais avouez que cet avant-programme est bien alléchant !

PS : et déjà un regret ! Je viens de découvrir un spectacle sur Ibsen qui fait partie de mes auteurs de théâtre favoris : La maison d'Ibsen mis en scène par un jeune metteur en scène néerlandais : Simon Stone.

jeudi 9 juin 2016

Olav H. Hauge, poète norvégien : Nord profond

Parc de la maison d'Edvard Grieg :  Vue  sur le Nordasvatnet

 Parc de la maison d'Edvard Grieg :  Vue  sur le Nordasvatnet
Il y a une quinzaine de jours, nous étions assis au bord du Nordasvatnet, le lac de Nordas, à Bergen, dans le parc de la maison d'Edvard Grieg qui se dresse sur la Troldhaugen, La Colline des Trolls.

C'est là que Grieg a composé la musique de Peer Gynt d'après l'oeuvre de Henrik Ibsen. Ma petite-fille adore l'histoire, surtout quand le héros arrive dans l'antre du roi des Trolls et elle a chanté, une partie de la journée, le motif de ce passage si célèbre que Fritz Lang a repris dans M. Le Maudit ! Cela faisait un drôle d'effet !

Norvège Bergen :  Maison de Edvard Grieg :  Troldhaugen
Maison de Edvard Grieg :  Troldhaugen



Ensuite, Ma fille, ma petite-fille, mon mari et moi-même, nous nous sommes assis au bord du lac pour écouter les poésies de Olav H. Hauge, poète norvégien, lues par ma fille qui avait emporté avec elle le recueil Nord Profond. Un souvenir paisible et  doux dans un lieu idyllique.




Olav H. Hauge (1908-1994) écrit des poèmes simples et concis, très purs, qui font naître des images d'une grande beauté,  nous font basculer dans l'Ailleurs, parviennent à dire ce qu'il a derrière l'apparence des choses et à en dévoiler le mystère.

Nicolaï Astrup : pommiers en fleurs

 Printemps dans les montagnes

Aujourd'hui les flocons de neige
dansent comme de jeunes rennes
s'affrontant dans le soleil.
La rivière cravache
sur le chemin du retour
emportant l'hiver avec elle.
Le pluvier doré est là et, sur les pentes,
l'herbe verte.

Un mot

Un mot
-une pierre
dans une rivière froide
une autre pierre encore-
il me faut plus de pierres pour traverser.

 La nature, la solitude, son travail d'horticulteur à Ulvik, sur plateaux sauvages du Hardanger, au bord du fjord, dans ce pays glacial où il exploite les pommiers de son verger, le façonnent et sont à la source de son inspiration poétique.  

Hardanger fjord de Hans Gude,

"Les meilleurs de mes poèmes ont été faits dans une froide tranquillité, dans les bois; avec une chique de tabac dans la bouche et une hache à la main"  

Pommes vertes 
 L'été était froid et pluvieux.
Les pommes sont vertes et piquées.
Cependant je les cueille et je les trie
et je les range dans des caisses à la cave.
Des pommes vertes valent mieux
que pas de pommes
quand on vit ici , au 61e parallèle nord.

Sa maladie mentale, il est schizophrène, qui l'isole, le fait basculer vers le rêve, l'imaginaire, habité par la présence de son double, de "l'autre homme". Angoisse. Il vit seul avec ses livres, ses amis sont Thoreau, Ibsen, Hugo, Gide, Char, Michaud, Bachelard et bien d'autres... Il lit beaucoup.

Peinture norvégienne Oslo National galleriet : Christian Dahl : le vieux chêne peintre romantique
Christian Dahl : le vieux chêne


 Quand je me réveille

Quand je me réveille, un noir
corbeau frappe à mon coeur.
Ne vais-je jamais m'éveiller
à la mer et aux étoiles,
aux bois et à la nuit,
au matin,
avec des chants d'oiseaux.

Dans les années soixante son poème "c'est le rêve" devient l'heureux emblème de toute sa  génération.
musée des beaux-Arts de Bergen Kode 2 Rolf Aamot, peintre norvégien
Rolf Aamot, peintre norvégien

 C'est le rêve

C'est le rêve que nous portons
que quelque chose de merveilleux
va arriver,
que ça doit arriver-
que le temps va s'ouvrir
que le coeur va s'ouvrir
que la roche va s'ouvir
que les sources vont jaillir-
que le rêve va s'ouvrir,
qu'un beau matin, au point du jour, 
nous glisserons sur la vague
vers une anse dont nous ne savions rien.

Ce sont des années heureuses pour Hauge qui lie des amitiés et se marie en 1978; il trouve la sérénité. Dans sa préface, François Graveline qui le compare à Orphée, écrit  : "de sa plongée au plus profond de son être, dont il est revenu sans jamais se retourner, se détourner de son but, la poésie, il réapparaît métamorphosé. Hauge a réussi " à transformer son mal en lumière".


Peintre norvégien Nicolaï Astrup : labour
Nicolaï Astrup : labour

La faux

Je suis si vieux
que je m'en tiens à la faux,
et les pensées peuvent aller.
D'ailleurs, ça ne fait pas de mal,
dit l'herbe,
de tomber sous la faux.


Sommeil

Glissons
dans le sommeil, dans
le rêve paisible,
glissons-
deux boules de pâte dans 
le bon four de la nuit.
réveillons-nous
au matin,
deux pains de blé dorés.

Anna-Eva Bergman, peintre norvégienne : jeux de feuilles
Et j'étais triste

Et j'étais triste 
et je me terrais dans une grotte,
j'étais gonflé d'orgueil et bâtissais
au-delà des étoiles,
Maintenant
je construis dans l'arbre tout proche 
et le matin, quand je m'éveille,
le pin
enfile dans ses aiguilles
des fils d'or.

dimanche 1 mai 2016

Henrik Ibsen : Une maison de poupée


Dans Une maison de poupée, Nora est considérée par son époux Torvald Helmer comme une femme-enfant, jolie, délicieuse, gaie mais puérile et sans cervelle et surtout… très dépensière. Mais enfin, l’on ne demande pas à une femme d’être intelligente et le couple s’entend bien, le mari bêtifiant à qui mieux mieux avec son « petit écureuil »  et sa charmante «  alouette », bref sa poupée. Pourtant Nora quand elle se confie à son amie madame Linke est beaucoup plus sérieuse qu’il ne paraît. Pour sauver son mari, malade et à qui il fallait un séjour dans un pays chaud, elle a emprunté en secret de l’argent à un avocat véreux, Krogstad. Et pour cela elle a fait une fausse signature, celle de son père, puisqu’elle n’a pas le droit en tant que femme de signer. Elle rembourse chaque mois sa dette en rognant sur les dépenses du ménage et en se privant de tout. Mais l’avocat qui veut obtenir un poste dans la banque dont Helmer est devenu le directeur la menace de la poursuivre en justice si Helmer ne lui donne pas satisfaction. Nora désespérée pense que Helmer va vouloir prendre sa faute et se faire condamner à sa place. Elle est prête à mourir plutôt que d’envoyer son mari en prison. Mais lorsque celui-ci apprend la vérité, il accepte le chantage de Krogstad et condamne sévèrement la jeune femme. Furieux, il décide de la séparer de ses enfants car elle ne lui paraît pas digne de les élever. Aussi lorsque l’avocat renonce à la poursuivre, Nora refuse de jouer à nouveau à la maison de poupée, avec un mari redevenu indulgent; elle prend conscience qu’elle n’a jamais pu être elle-même et décide de partir pour être libre et devenir enfin adulte.

Jane Fonda dans le rôle de Nora

Une maison de poupée est ma pièce préférée de Henrik Ibsen. Le thème féministe qui m’intéresse particulièrement y est pour beaucoup évidemment. Il pose le problème de la liberté de la femme toujours considéré comme une mineure dans une société où elle doit tout attendre de son mari.
Le mot « féministe » nous explique Régis Boyer dans les notes écrites à propos de La maison de poupée n’est pas le terme qui convient précisément à Ibsen. Il était surtout moraliste et la double morale pratiquée en son temps entre l’homme et la femme, - douce et indulgente pour l’un et implacable pour l’autre-  le révoltait. Il écrivait : « Une femme ne saurait être elle-même dans la société de notre temps, c’est une société exclusivement masculine avec des lois écrites par des hommes et avec des accusateurs et des juges qui condamnent la conduite d’une femme d’un point de vue masculin. »
Or ce thème est traité ici d’une manière relativement optimiste, qui donne du baume au coeur, grâce au personnage de Nora. On sent toute la tendresse de Henrik Ibsen envers ce personnage qu’il a doté de grâce, de vivacité (écureuil, alouette), de sensibilité mais aussi d’intelligence et de courage. Elle dit adieu à son confort douillet, à ses enfants, car elle ne peut vivre dans le mensonge, continuer à faire semblant. Nora est une enfant qui devient une adulte devant nos yeux, qui prend conscience de la réalité et qui n’accepte pas les compromis. La conduite de son mari envers elle lui dessille les yeux, elle acquiert la lucidité et elle dénonce une société qui maintient les femmes dans l’ignorance et dans l’enfance mais qui les stigmatise quand elles ne connaissent pas les lois et commettent des erreurs. Ibsen signifie par là que tous les individus, femmes ou hommes, ont le droit d’être eux-mêmes, de chercher leur « vérité » et de refuser le « mensonge vital », celui de Peer Gynt ou des personnages de La cane sauvage.

Inutile de dire encore une fois que le dénouement de la pièce fit un scandale : une femme qui quitte son mari et qui abandonne ses enfants avait peu de chance de rencontrer la compréhension. D’ailleurs en est-il autrement aujourd’hui?






Bravo à : Aifelle, Eeguab, Keisha... et merci!

Une maison de poupée pièce de Henrik Ibsen
Le film : Une maison de poupée de Joseph Losey





vendredi 8 avril 2016

Henrik Ibsen : Hedda Gabler


Hedda Gabler, la fille du général Gabler, femme impérieuse, passionnée de tir aux pistolets qu’elle tient de son père, s’est mariée avec Jorgan Tesman. Celui-ci vient de finir sa thèse d’histoire de la culture et attend un poste à l’université. Au retour de leur voyage de noces, ils rentrent à Oslo. L’indifférence de Hedda pour son mari apparaît très vite. Elle ne supporte pas la vieille tante de Jorgan, Julia, qui a élevé le jeune garçon à la mort de sa mère, elle juge son mari peu brillant, terre à terre, ennuyeux, le méprise et refuse de participer à ses soucis lorsque sa nomination à l’université semble compromise.De plus, elle est peut-être enceinte et horrifiée de l’être. La visite de Thea Elvsted, une ancienne compagne de classe, qui va lui donner des nouvelles de Eijlert Lovborg, provoque le drame.
Eijlert Lovborg est un brillant écrivain que sa conduite a mis au ban de la société. Alcoolique, il est tombé dans la déchéance et c’est Thea Elvsted qui le sort de l’ornière en lui redonnant le goût du travail.  Thea est très attachée à cette résurrection morale qui est son oeuvre.  Hedda Gabler qui a été  la maîtresse de l’écrivain ne supporte pas que Thea joue un tel rôle auprès de Lovborg. Or, il est de retour à Oslo. Hedda décide de réapparaître dans la vie de l’écrivain et d’exercer son influence sur lui afin de diriger sa vie. Mais Lobvorg ne se montre pas à la hauteur de ce qu’elle attendait. Hedda Gabler se suicide en se tirant un coup de pistolet.

Ingrid Bergman dans le rôle de Hedda Gabler

Toutes les grandes actrices ont rêvé d’interpréter le rôle de Hedda Gabler car ce personnage aux motivations difficiles à comprendre, qui paraît irrationnelle et peu adaptée à l’étroitesse et au puritanisme de la société dans laquelle elle vit, exige des prouesses d’interprétation. Il faut dire que sa complexité déroute et passionne à la fois.
 Ce qui a retenu mon attention c’est la volonté de Henrik Ibsen de donner, dans le titre de la pièce, le nom de jeune fille et non le nom d’épouse : Hedda Gabler et non Hedda Tesman. Il insiste ainsi sur le fait que la jeune femme reste la fille de son père plus que l’épouse de son mari. Définir ainsi le personnage permet de mettre en relief l’origine sociale de Hedda, la grande bourgeoisie, et une éducation qui a dû être moins conformiste que celle des autres jeunes filles de sa classe, témoin les pistolets dont Hedda adore se servir et le caractère capricieux et libre de la jeune femme. Son dédain des autres, la haute opinion qu’elle a d’elle-même, son désir de s’affranchir des contraintes sociales, se heurtent à un obstacle majeur dans la société de son temps. Elle est femme et ne peut donc se réaliser par elle-même. Elle qui est éprise de liberté et d’absolu, n’a d’autre échappatoire que le mariage. C’est pourquoi elle décide de faire un fin : épouser Jorgan Tesman. Lui ou un autre, cela n’a pas d’importance. Hedda Gabler symbolise l’emprisonnement moral et social de la femme dans une société qui la cantonne au rôle d’épouse et de mère. C’est insupportable pour une femme qui n’en a pas la vocation! Elle est elle aussi la soeur de  la Nora de La maison de poupées, mais une soeur négative et malfaisante. Hedda ne peut prouver sa valeur et trouver un sens à sa vie qu’en manipulant les hommes, en les tenant sous sa coupe, non sans machiavélisme!  C’est pourquoi elle est condamnée à mourir.
Ceci est une interprétation sociale et psychologique du personnage mais il y a en a beaucoup d’autres. Elle a souvent été étudiée par le biais de la psychanalyse à la lumière de Freud ou bien sous l’influence de la philosophie de Nietzsche qu’évoque la volonté de puissance de Hedda. Elle fait le régal des metteurs en scène et suscite les analyses les plus diverses depuis sa création en 1890. Hedda Gabler est  l'une des oeuvres la plus célèbre de Henrik Ibsen.



Henrik Ibsen

Henrik Johan Ibsen est un dramaturge norvégien. Il se présente comme un « anarchiste aristocrate». Fils de Marichen Ibsen et de Knud Ibsen, Henrik Johan Ibsen naît dans un foyer que la faillite des affaires paternelles, en 1835, désunit rapidement.…
Ses œuvres les plus connues sont Une maison de Poupée, La cane sauvage,  Rosmershom, Hedda Gabler, Peer Gynt... Certaines pièces plus politiques, comme Les prétendants à la couronne , les Revenants, Un ennemi du peuple ont souvent heurté l'opinion progressiste ou de la gauche norvégienne. Cependant, selon Jeanne Pailler, Henrik Ibsen est un «auteur de drames historiques et de pièces intimistes, considéré comme un réformiste acharné par les uns, comme un conservateur par les autres » Hostile aux partis cléricaux et au traditionalisme de la monarchie norvégienne de son temps, il est souvent vu comme un libéral en Norvège. ( source wikipedia)



dimanche 27 mars 2016

Henrik Ibsen : La dame de la mer

Chagall : La Baie des Anges  NIce sirène
Chagall : La Baie des Anges

La dame de la mer est une des pièces d’Ibsen paru en 1888 qui est de loin l'une des plus optimistes  des pièces de Henrik Ibsen.

L'intrigue 

Jean-Francis Auburtin : Sirènes peintre breton 1920
Jean-Francis Auburtin : Sirènes
Le docteur Wangel, un homme bon et sincère, a deux filles, Bolette et Hilde, de sa première épouse. Veuf, il se remarie avec Ellida, une jeune femme étrange qui vit mal son implantation au bord d'un Fjord, trop loin de la mer dont elle n’a jamais été éloignée jusqu’alors. Elle a besoin de cet  élément  pour vivre d’où son surnom La dame de la mer. La pièce commence avec l’arrivée d’Arnholm, ancien professeur de Bolette qui revient la voir, elle et sa famille, après des années d’absence. Il y a aussi la présence d’un jeune artiste malade, Lyngstrand, dont les bavardages parfois importuns vont apporter des éléments nouveaux à l’action.
  Ellida se confie d’abord à Arnholm qui est son ami, puis à son mari. Peu à peu l’on apprend que la dame de la mer est marquée par le souvenir du passé et d’un homme à qui elle a été promise. Il l’a quittée, après avoir commis un crime, en s’embarquant sur un navire non sans lui avoir fait  jurer de l’attendre. Il a scellé ce serment en jetant leurs bagues à la mer. Cet homme a appris son mariage et Ellida sait qu’il reviendra la chercher pour l’amener. L’aime-t-elle? Non, semble-t-il, car elle  se sent très attachée à son mari Wangel malgré la différence d’âge. Pourquoi cet aventurier de la mer exerce-t-il alors sur elle une telle fascination? S’agit-il d’une fatalité à laquelle elle ne pourrait échapper? Est-elle vraiment libre?

Une femme venue de la mer : le Folklore scandinave

Mairmaid : Waterhouse
 Cette femme venue de la mer et ce mariage symbolique qui placent la nature au centre la pièce nous plongent au coeur des vieilles légendes nordiques. Telle une banshee des légendes celtiques ou une sirène  à queue de poisson du folklore scandinave, Ellida semble sortie de la mer pour épouser un homme de la Terre. La mer possède une telle une attraction qu’il semble inutile de vouloir lui résister. Ellida se sent marquée par la fatalité et quand elle se confie à son mari c’est pour recevoir son aide. Mais elle reste persuadée qu’elle ne saura pas résister à l’homme qui va venir l’enlever à son mari.  C’est ce qui a permis d’interpréter la pièce d’Ibsen comme une exploration de la folie; de quelle maladie mentale souffre cette femme affligée, quelle névrose la ronge? Les critiques de l’époque, rejetant l'interprétation issue de la légende, ont pensé qu’elle était sous influence hypnotique (l’hypnose est très à la mode à cette époque), comme envoûtée par cet homme qui possède une pouvoir anormal sur elle.

Une femme privée de liberté

La dame de la mer entre son mari Wangel et le marin mise en scène Claude Baqué (Paris Les bouffes du Nord 2012)

Mais une autre explication psychologique me paraît très intéressante. Ellida n’a jamais été libre de penser et d’agir par elle-même, il y a d’abord eu son père, gardien de phare, puis ce marin auréolé de mystère qu’elle a cru aimer, puis son mari. Quand elle a épousé le docteur Wangel à la mort de son père, elle était seule, sans ressources, elle n’avait pas d’autre choix. L’attachement est venu après, grâce à la bonté et l’amour de son mari. Pour moi, Ellida est une soeur de la Nora de La maison de poupées. C’est le sort des femmes, en général, au XIX siècle. La loi les maintient sous tutelle, elles restent d’éternelles mineures, doivent obéissance à leur mari. La fatalité qui pèse sur Ellida n’en est pas une, c’est surtout l’incapacité de choisir, l’impossibilité de dire non, l’ignorance de son moi profond. Il n’est pas étonnant donc que les mots d’amour de Wangel la libèrent quand il lui donne le choix, lui dit qu’elle est libre, qu’elle seule peut décider. Une interprétation réaliste, donc, d'un thème cher à Ibsen, une revendication en faveur des femmes que l’on retrouve aussi avec le personnage de Bolette.

Un relatif optimisme 

Bolette et le professeur Arnholm :  Source
C’est la première fois que je rencontre chez Ibsen autant de personnages positifs, sincères et désintéressés. Ellida est une victime et une femme attachante, intéressante. Le docteur Wangel sait s’oublier soi-même pour aider son épouse. Il n’est pas sans faiblesse. Il néglige ses filles en faveur de sa toute jeune femme même s’il les aime profondément. Mais il est prêt à sacrifier son bonheur pour sauver Ellida.
Bolette et Hilde Wangel sont des jeunes filles charmantes, intelligentes et elles ont du caractère. Quant à Arnholm, l’amour qu’il éprouve pour Bolette, est si sincère qu’il se montre grand et généreux envers elle. Lui aussi donne la liberté du choix à la jeune fille.
Une belle pièce et qui pour une fois se termine bien! On comprend que la diversité des interprétations entre romantisme, symbolisme, réalisme, soit un vrai bonheur pour les metteurs en scène!


Ellida. — Écoute, Wangel, il est inutile, à l’heure qu’il est, de nous mentir.

Wangel. — Nous nous sommes donc menti, jusqu’à présent ?

E. — Oui. Ou, du moins, nous nous sommes dissimulé la vérité. La vérité, la vérité pure et sans fard, c’est que tu es venu là-bas m’acheter…

W. — T’acheter ! Tu dis que je t’ai… achetée !

E. — Oh ! je ne me fais pas meilleure que toi. J’ai consenti. Je me suis vendue.

W, la regardant douloureusement. — Ellida, as-tu vraiment le coeur de parler ainsi ?

E. — De quel nom veux-tu donc que j’appelle ce qui s’est passé ? La solitude te pesait, tu as cherché une autre femme.

W. — J’ai cherché une seconde mère pour les enfants, Ellida.

E. — Oui, par surcroît. Peut-être. Et, encore, tu ne pouvais pas savoir si je convenais à ce rôle. Tu m’avais vue. Tu m’avais parlé deux ou trois fois. C’est tout. Je te plaisais, et alors…

W. — Bien, appelle cela comme tu voudras.

E. — De mon côté j’étais seule, sans ressources, sans soutien. Rien d’étonnant à ce que j’aie accepté l’offre que tu m’as faite d’assurer mon avenir.

W. — Ce n’est vraiment pas ainsi que j’ai envisagé la question, chère Ellida. Il ne s’agissait pas d’assurer ton avenir, il s’agissait, je te l’ai loyalement déclaré, de partager avec les enfants et moi le peu que je possède.

E. — Oui, tu me l’as déclaré. Et moi, j’aurais dû dire non ! Jamais, à aucun prix, je n’aurais dû me vendre! Plutôt le travail le plus humble, les conditions les plus misérables, librement acceptées, librement choisies !




mardi 15 mars 2016

Henrik Ibsen : la cane sauvage


Dans la collection de la Pléïade, Régis Boyer explique que les pièces de Henrik Ibsen sont parfois difficiles à comprendre pour un esprit latin mais beaucoup moins, en général, pour un scandinave. Pourtant il constate que même les norvégiens ont paru désorienté par la pièce d’Ibsen La Cane sauvage et il écrit :
« Cette histoire de cane sauvage désarçonnait au risque de masquer le véritable tragique du sujet. Qu’est-ce que ce bric-à-brac où évoluent une petite fille presque aveugle, une femme qui ne cesse de dire un mot pour un autre, un pleutre grotesque qui est fatigué avant d’avoir entrepris quoi que ce soit, le tout sur un arrière plan de grenier-forêt sauvage où roucoulent des pigeons « culbutants » ou caquètent des poules et dont sort un prétendu lieutenant, en képi, tenant dans la dextre un lapin écorché? C’est pourquoi les représentations ne furent pas aussi nombreuses ni applaudies que pour d’autres pièces. »

Hjalmar et sa fille Hedvig dans le fim La cane sauvage

Et oui, surprenant ce résumé, non? Et pourtant, c’est bien ça!
La petite fille qui devient aveugle c’est Hedvig, quatorze ans, fille de Gina et Hjalmar Ekdal, une délicieuse fillette qui adore et admire son père. Sa mère, la femme qui dit un mot pour l’autre, Gina, de condition modeste, joue à la bourgeoise en employant des mots qu’elle ne connaît pas et qu’elle déforme. Mais si elle a bien des travers, le mensonge et une conscience peu chatouilleuse, Gina est sincère dans son dévouement et son amour envers son mari.
Le pleutre grotesque, paresseux et de faible intelligence, qui se prend pour un génie et fait travailler sa femme et sa fille, c’est Hjalmar. Le lieutenant en képi est le vieil Ekdal, le grand père de Hedvig. Personnage pathétique, sénile, alcoolique, il considère le grenier comme une forêt et un terrain de chasse. Il a été officier, grand chasseur, mais il est déshonoré et ruiné après avoir été grugé par Werle, grand bourgeois, richissime propriétaire d’usines. Enfin, n’oublions pas le fils Werle, Gregers, un imbécile puritain, exalté, qui va mettre le feu au ménage des Ekdal sous prétexte de purification, à la recherche de la vérité absolue qu'il appelle "la créance idéale".

Hedvig Ibsen* de Grandjean (1840)

Voilà les personnages d’Ibsen et, jamais, le dramaturge n’a été aussi noir et aussi pessimiste. On sent en lui un mépris de la nature humaine, une féroce ironie envers ces  personnages qui sont des imbéciles, dangereux pour Gregers, et tout aussi condamnable pour Hjalmar suffisant, égoïste et veule, deux personnages pour qui le spectateur ne peut éprouver que de la répulsion. Enfin, c'est ce que j'ai éprouvé à la première lecture car je comprends que les personnages sont plus complexes et qu'ils portent en eux, l'un la faute de son père, l'autre le déshonneur du sien. Ils ont besoin de se mentir à eux-mêmes pour vivre, Gregers en se croyant investi d'une mission, Hjalmar en pensant être un génial inventeur.
 Le docteur Reilling, leur voisin, affirme d'ailleurs: "Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur ».

Le reste de la compagnie est en grande partie composée d’égoïstes, de débauchés, de jouisseurs sans âme. Mais la tendresse d’Ibsen se réveille quand il parle de la petite  Hedvig, la seule capable d’aimer autrui plus qu’elle-même, la seule qui ne mente pas,  qui ne triche pas avec elle-même. La cane sauvage blessée par les chasseurs qu’elle a recueillie dans le grenier est la représentation symbolique de Hedvig. Un oiseau sauvage qui ne sait pas feindre et qui ne peut être que la victime du monde qui l’entoure.
 
La cane sauvage mise en scène au Théâtre de la Colline en 2014
Le grenier où l'on élève des poules et des lapins, devenu forêt profonde dans le fantasme du grand père mais aussi de toute la famille, est un lieu de rêve, un échappatoire à la vie réelle, mensonge nécessaire au bonheur de la famille, "le mensonge vital". Il peut être aussi interprété par la psychanalyse comme les replis profonds de la conscience, la part obscure de l'être humain, le ça.
On a beaucoup glosé aussi sur la signification érotique du canard et oui! Manque de chance c'est d'une cane qu'il s'agit (voir ci-dessous)
  Une pièce étrange, déroutante, et qui pourtant émeut!

Le titre français retenu traditionnellement est : Le canard sauvage. Dans son analyse de la pièce, Régis Boyer explique que cette traduction est erronée. Ibsen joue en effet, en norvégien, sur l'article indéfini en employant parfois le neutre lorsqu'il s'agit de l'animal, parfois le féminin pour signifier la similitude avec la fillette. Il ne peut donc s'agir que d'une cane.

* Hedvig Ibsen, la soeur de Henrik, donne son nom à la petite Hedvig de La cane sauvage. Elle a huit ans dans le tableau peint par Grandjean.