Dans Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen, le docteur Tomas Stockmann a été nommé directeur de l’établissement des Bains de sa ville natale par le préfet Peter Stockmann, son frère. Il découvre que les eaux sont polluées par les rejets toxiques des tanneries de la ville et propagent fièvre, dysenterie et typhus. Mais lorsqu’il révèle la vérité, tous, son frère, les journaux, les petits propriétaires et bientôt le peuple, se liguent contre lui. Les travaux concernant la réfection des conduites d'eau seraient trop coûteux, trop longs et la ville ne peut se passer des revenus des Bains qui assurent sa prospérité. Tomas Stockmann va mener la bataille épaulé par son épouse parfois défaillante, sa fille Petra, un ami, le capitaine Horster … Il rassemble tout le monde dans une assemblée générale qui tourne au pugilat.
L'inspiration
Un ennemi du peuple est inspiré semble-t-il par la personnalité et la lutte de Harald Thaulow, pharmacien diplômé, qui s’est efforcé de réformer le système d’attribution des pharmacies. Celles-ci étaient accordées par privilège, héritage ou vente sans tenir compte des connaissances et des diplômes. Un apothicaire était alors un simple vendeur de médicaments même s’il n’avait fait aucune étude médicale. Thaulow a provoqué un scandale lors d’une assemblée générale pour défendre ses idées. Il a fini par l’emporter mais l’on s’en doute s’est fait de nombreux ennemis, parmi lesquels les apothicaires n’étaient pas les moindres !
Ibsen, lui aussi, a fait scandale avec sa pièce Les Revenants qui stigmatise l’hypocrisie sociale et religieuse et fait allusion à la syphilis, sujet tabou. De là à être traité d’ennemi du peuple, il n’y a qu’un pas. Ibsen met beaucoup de lui-même dans le personnage principal de la pièce, le docteur Stockmann, qui va représenter ses idées politiques.
Un ennemi du peuple est considérée comme une grande pièce d’Ibsen après La Maison de poupée et Hedda Gabbler. Il paraît que le metteur en scène allemand Thomas Ostermeïr a fait une belle mise en scène de Un ennemi du peuple. Qui sait ? il m’aurait peut-être réconciliée avec la pièce ? Car je ne l’ai pas aimée.
Une pièce démonstrative
Mise en scène de Claude Stratz Théâtre national de la Colline |
D’abord les personnages : ou ils sont flous, peu développés tant au niveau psychologique qu’au niveau de l’intrigue comme Petra ou Horster, ou complètement inutiles comme les fils de Tomas Stockmann. Ils sont des fonctions et non des êtres de chair dans une pièce qui est avant tout démonstrative et porteuse d’un message.
Le personnage du docteur Stockmann lui-même est assez caricatural. Sa naïveté quand il pense être porté en triomphe par ses concitoyens est d'une stupidité confondante. Il paraît que c'est comique mais il ne m'a pas fait rire, au contraire ! Cependant, il ne faut pas oublier que Henrik Ibsen a voulu faire de Un ennemi du peuple une comédie.
Un thème très actuel mais ...
Au festival d'Avignon : Thomas Ostermeier |
Rien n’est plus
actuel que le thème de cette pièce à notre époque où la survie de la
planète est en jeu ! On pourrait multiplier les exemples ! Je m'attendais donc à ce que Ibsen pourfende les gouvernants, le capitalisme, tous
ceux qui défendent leurs propres intérêts au détriment de la santé des
autres et de l’environnement. Mais les propos tenus par le "bon" docteur ont pris un autre tour et m'ont surprise. Certes, il est courageux et
se sacrifie pour que la vérité éclate. Il se retrouve sans travail,
sans logement dans une ville qui ne veut plus de lui. Mais sa conception de la démocratie est atterrante !
Premier choc
: lorsqu’il considère que dans son poste précédent, dans le Norland, (
région norvégienne qui englobe Bodo, Troms, les îles Lofoten et
Vesteralen …) les hommes sont au niveau des animaux.
"J’ai
passé plusieurs années dans un horrible trou perdu, là-haut dans le
Nord. Parfois, en rencontrant les hommes qui y vivaient comme un amas de
pierres, j’ai pensé qu’un vétérinaire leur aurait été plus utile qu’un
homme comme moi"
Deuxième choc : " La
majorité n’a jamais le droit pour elle, vous dis-je !(…) je pense que
nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a une majorité écrasante
d’imbéciles sur cette terre. Mais, nom d’un chien, on ne peut pas
accepter que les imbéciles gouvernent les intelligents !
La majorité a le pouvoir - mais elle n’a pas raison. C’est moi qui ai raison, moi et quelques autres; de rares hommes isolés. La minorité a toujours raison."
La majorité a le pouvoir - mais elle n’a pas raison. C’est moi qui ai raison, moi et quelques autres; de rares hommes isolés. La minorité a toujours raison."
Troisième choc : Stockmann compare les hommes au chiens et conclut que d’un corniaud, "vulgaire chien plébéien" "dégoûtants et mal élevés " et d'un caniche "descendant d’une belle lignée", c’est toujours le caniche qui l’emportera et sera le plus intelligent !
De
choc en choc, je n’ai plus trop su ce que Ibsen voulait défendre et
j’ai trouvé très aristocratique et anti-démocratique sa vision du peuple. Contrairement à ce que je pensais au début de la
pièce, effectivement Ibsen-Stockmann est un ennemi du peuple, non parce qu’il veut faire fermer les
bains pour des raisons sanitaires mais parce qu’il est plein de mépris
pour lui.
D’ailleurs la découverte qu’il révèle à la fin de la pièce est empreint de cette esprit élitiste et supérieur :
"Le fait est, voyez-vous que l’homme le plus fort du monde est le plus seul"
Tout en moi s'est révulsé à cette lecture même si, finalement, il décide d’éduquer le peuple et d’instruire "les corniauds" - "ils peuvent avoir des têtes remarquables"- pour leur donner les possibilités de "chasser les loups" .
Vous admettrez que la pensée de Ibsen est complexe, à la fois conservateur et libéral. Il s’est mis à dos la gauche norvégienne par sa conception élitiste de l'homme supérieur et les classes dirigeantes et cléricales dont il dénonce l'égoïsme et l'hypocrisie.
A cette pièce politique, je préfère ses pièces psychologiques qui n’en sont pas moins inscrites dans une société et en dénonce les travers.
Mes billets
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