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dimanche 20 novembre 2011

Un livre, un Jeu : réponse à l'énigme n° 11 David Goodis : cauchemar/ dark passage


Nos perspicaces gagnants ont pour nom : Aifelle, Eeguab, Jeneen, Sabbio,  ...  

 Et merci à Maggie, Dasola, K'agire, Asphodèle, Lireau jardin qui ont eu le courage de participer même si le roman noir n'est pas leur tasse de thé!
Avez-vous trouvé l'énigme soulevée par Sabbio dans ses commentaires? Moi non!!
"Et bien le film à trouVer aujourd'hui et "Rebecca" ont une actrice en commun! Et c'est fou car elle a participé à de très grands projets (ciné ou radio) mais elle a aussi été la fameuse Endora dans une série de qualité moyenne, tout à la fin de sa carrière ."

 

Le roman de David Goodies et le film de Delmer Daves ont le même titre en anglais : Dark passage
Le titre français du Roman est cauchemar et le titre français du film est : Les passagers de la nuit.

Dark passage est paru en 1946. David Goodies,  traduit en français par Cauchemar, est un roman noir, le second de cet écrivain, et s'il a eu une renommée fulgurante c'est que la Warner a acheté les droits du roman tout de suite. Le film paraît dès 1947 avec Humphrey Boggart et Lauren Bacall.

Vincent Parry est accusé d'avoir tué son épouse Gert. Magda, l'ancienne maîtresse de Parry, qui a découvert Gert encore vivante, affirme, en effet, que cette dernière a désigné son mari comme meurtrier avant de mourir. Au pénitencier, Parry sait qu'il n'a aucune chance de sortir un jour de prison. Il s'évade caché dans des barils transportés par un camion de livraison. Alors qu'il est poursuivi par la police, il va être secouru par une jeune femme, Irène Jansen, qui l'amène dans son luxueux appartement à San Francisco.  Malgré l'aide de la jeune femme, Vincent Parry  va devoir lutter contre une série d'évènements qui le dépassent et l'entraînent dans une spirale tragique digne du pire cauchemar.

 Contrairement à de nombreux romans noirs qui règlent leur compte à la société et en font le sujet du récit, le roman de Goodis parle d'un destin individuel. Cependant si la société n'est pas le sujet du roman, elle existe pourtant en filigrane. Le récit se déroule en 1945, il y est question de démobilisation et les hommes sont jugés en fonction de leur rôle dans la guerre. Ainsi Vincent Parry qui n'a pas été mobilisé pour des raisons de santé, est traité "d'embusqué", ce qui influence négativement le jury et pèse lourdement dans sa condamnation pour un meurtre qu'il n'a pas commis.  Les thèmes de l'injustice sociale et de l'inégalité sont aussi présents mais apparaissent sous une forme visionnaire, comme une image qui oppose l'Humanité travailleuse et opprimée enfermée dans une cage et la riche Humanité dont la vie brillante se déroule loin au-dessus de Vincent, hors de sa  portée. On a l'impression que la vision de Parry est celle d'un conte merveilleux dont il aurait été exclu.

Et un jour ces clients revenaient chez leur argent de change, ils revenaient dans des limousines étincelantes, hâlés, souriants. Lui, Parry, dans sa cage, les regardait et déplorait que ces gens aussi heureux fussent mortels, parce que la vie valait vraiment la peine d'être vécue pour ceux qui étaient riches et qui  trouvaient plaisir à tant de choses. Il aimait les voir rentrer dans la salle des cours, vêtus de complets coûteux fumant de cigares chers et parlant avec des voix de gens riches. Les observer le ravissait, parce que rien qu'à les regarder il sentait son existence tout embellie par mimétisme. Parfois, il avait envie de leur parler et regrettait de ne pas être assez hardi pour le faire.

Cette arrière-fond  souligne la tristesse et la noirceur de ce destin individuel. Vincent Parry, le héros, est pris dans un engrenage auquel il ne peut échapper. Il sort à peine d'une situation désespérée qu'il retombe dans une autre. Les morts se multiplient sur sa route. Il en vient à penser qu'il représente un danger pour ses  proches, ses amis et il en est tellement persuadé qu'il préfère éloigner de lui la femme qu'il aime pour lui éviter de partager son destin tragique. Tout ce qu'il entreprend est condamné à l'échec. On a l'impression qu'une fatalité pèse sur lui! Il pourrait être par excellence le type du héros tragique antique poursuivi par le fatum ou celui du héros romantique condamné d'avance par le destin.  Mais Pour David Goddies la fatalité n'est que sociale. On ne peut s'évader de sa cage. Les hommes sont conditionnées par le milieu dans lequel ils vivent. Pour le reste et quant à l'avalanche de cadavres, David Goodis ne croit pas à la fatalité et nous verrons qu'il nous ne proposera une explication tout à fait rationnelle. Le dénouement nous apprendra, en effet, qui s'acharne à faire condamner Vincent Parry et pourquoi. 
D'autre part, le personnage n'a rien d'un héros. Au contraire, c'est un modeste employé qui travaille dans une agence de change et qui gagne de quoi vivre très humblement, en calculant pour arriver à la fin du mois.  Il n'a pas fait d'études et quand il essaie de passer un concours pour doubler son misérable salaire, il échoue. Il n'a pas d'ambition, ni de rêves mirobolants, seulement le désir d'avoir une femme qu'il aime et qui l'attend avec amour dans leur modeste appartement. Il n'a pas non plus un physique de héros, de petite taille, il manque de force,  il n'a aucune prestance dans ses vêtements mal coupés :  l'anti-héros par excellence, le looser à qui rien ne réussit.
Comment expliquer alors qu'il puisse attirer une femme aussi riche et cultivée que Irène Jansen? On peut reprocher au roman ses invraisemblances. Irène se met en danger parce qu'elle croit Parry innocent mais elle ne le connaît pas vraiment. D'ailleurs, elle a peur de lui, au début de leur rencontre, quand elle constate que la prison l'a rendu violent. Malgré cela, elle est prête à risquer sa réputation, à faire des années de prison pour un personnage qui, à première vue, paraît bien falot. Il est vrai qu'il est innocent, ce que le lecteur sait avec certitude dès la première page, mais cela ne suffit pas à expliquer l'attitude et le dévouement d'Irène qui, elle, n'a aucune preuve.. On peut chercher, bien sûr, l'explication dans le passé de la jeune femme, dans ce père injustement accusé du meurtre de sa femme et qui est mort en prison. Mais ce n'est pas suffisant. Goodis sème des indices subtils qui montrent que les deux  personnages sont en adéquation, comme si certains signes secrets, symboliques, ne pouvaient tromper sur la personnalité profonde. Les couleurs préférées d'Irène, le mauve et le jaune, sont aussi celles de Vincent alors que l'orange est la couleur des personnages négatifs. Tous deux aiment le Jazz et Count Basie, le musicien,  les fait vibrer de la même émotion. Tous deux ont un rapport désintéressé à l'argent, Irène est riche et donne de l'argent à Vincent. Mais nous avons vu celui-ci, au début de sa vie de couple avec Gert, malgré ses difficultés financières, s'endetter pour offrir une bague à sa femme que celle-ci jette avec mépris estimant qu'elle n'a pas de valeur.  Et c'est par ce don, geste  généreux et sans calcul, que Vincent échappe à la médiocrité de sa vie. La valeur des gens est souterraine, image inversée de celle que la société nous donne en exemple.
Sur sa route, Vincent Parry rencontre des personnages qui sont prêts à l'aider, son ami George qui l'accueille chez lui malgré les risques, le chauffeur de taxi qui l'amène chez le chirurgien  esthétique sans accepter de contrepartie financière. Le monde semble divisé entre les bons et les méchants, ces derniers étant prêts à tuer soit pour de l'argent soit par vengeance. On a l'impression parfois d'être dans un univers de conte ou "les fées" viennent aider la victime mais ne sont pas assez puissantes pour luttrer contre les forces du mal.  On ne peut pas croire, non plus, à cette opération du visage faite à la sauvette et si réussie!  En fait, David Goodis s'intéresse peu à la vraisemblance du récit.  Le récit glisse même parfois vers le fantastique, Vincent parle avec les morts, avec son ami George quand il le retrouve assassiné, gisant sur le sol ou encore avec le maître chanteur qu'il vient de tuer...
Le roman baigne dans la mélancolie poignante d'une existence ratée et a des accents poétiques qui échappent ainsi au réalisme. David Goodis nous conte une belle histoire d'amour hors des contingences matérielles et si le récit est noir il est à noter qu'il se termine par une touche d'espoir. L'amour pourra peut-être triompher.


Le roman/ le film
Dans le film ( WENS) le héros est incarné par Humphrey Boggart. Même si l'on ne le voit pas pendant une partie du film, la caméra étant subjective jusqu'au moment où il apparaît avec son nouveau visage, il est sûr que l'acteur donne une prestance au personnage que celui-ci n'a pas dans le livre. On comprend que la belle Lauren Bacall puisse en tomber amoureuse! D'ailleurs, toute allusion à la différence sociale entre les deux personnages est gommée. On n'insiste pas non plus sur le fait que Vincent Parry accepte de l'argent de la jeune femme. La fin est légèrement différente. Dans le livre, Vincent est amené à tuer pour sauver sa vie, dans le film c'est tout à fait impossible (voir ce qui a été dit samedi dernier sur Rebecca et la censure). Dans le roman, Davis Goodis laisse un espoir, le film, lui, se termine par un happy end.
 Malgré ces quelques différences, les deux oeuvres ont toutes deux un charme fou alors même que l'on ne peut croire à l'histoire.