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samedi 29 janvier 2011

Anne Percin : Bonheur fantôme

 

Dans Bonheur fantôme, Pierre, un jeune homme de 28 ans, en proie à une grande souffrance morale, quitte Paris et part s'installer à la campagne, plus exactement dans une petite ville provinciale, dans La Sarthe. Sa beauté exceptionnelle lui a permis de travailler comme mannequin afin  de payer ses études et  de faire assez d'économie pour acheter une maison et louer un atelier dans la Sarthe. Comment vivra-t-il?  Il est assez doué pour la brocante et gagnera (mal )sa vie en vendant des vieux objets et en cultivant son jardin. Mais il est libre de se consacrer à sa souffrance et à ses fantômes.

A priori, le livre de Anne Percin ne correspond pas à ce que je recherche dans un roman. Ce qui m'intéresse avant tout c'est la rencontre avec des personnages ancrés dans la société et qui se collettent avec les problèmes de la vie au jour le jour, avec des difficultés matérielles, économiques, sociales et pas seulement psychologiques. J'en ai un peu assez de ces êtres d'exception qui n'ont aucune difficulté à se soustraire aux contingences matérielles, parce qu'ils sont fortunés, ou, comme ici, dotés d'une beauté remarquable.
J'ai été pourtant sensible à la qualité de l'écriture. Il y a dans ce roman de beaux passages  analysés avec finesse (les relations avec les parents de Pierre ou avec la voisine Paulette) avec humour (le "déshabillage"  du lapin quand R. vient rendre visite à Pierre. Ah! ces parisiens en visite à la campagne!). Anne Percin sait parler avec délicatesse et sans tabou de l'amour homosexuel et des sentiments sincères éprouvés par Pierre et R.
Tout ceci est rythmé par chanson nostalgique de Mouloudji, Fantôme de bonheur :
je ne crois plus en rien, que veux-tu que j'espère?
la ronde continue mais je ne puis m'y faire
Si j'ai été entièrement convaincue par l'un des fantômes de Pierre, celui de son frère jumeau mort à l'âge de dix ans dont Anne Percin décrit l'absence qui hante l'esprit de Pierre sans pouvoir jamais s'effacer, j'ai été peu sensible par contre aux raisons qui le poussent à l'exil. Son histoire d'amour avec R. est  belle, sincère mais les causes de la rupture me rappellent le titre d'une tragédie de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien. C'est d'ailleurs ce que pense la mère de Pierre elle-même quand il lui explique pourquoi il a fui Paris et abandonné R. sans explication.
Finalement, ce que j'ai préféré dans le roman, c'est l'histoire de  Rosa Bonheur, peintre animalier à qui Pierre consacre un ouvrage, une femme qui, comme George Sand, a eu à lutter contre les préjugés de son temps, une de ces fortes personnalités qui ne se laissent pas enfermer dans un carcan social. J'ai aimé aussi la manière dont l'auteur parle de cette peinture considérée de nos jours comme de "mauvais goût".  A moment donné, Pierre dit : "je respire le  XIXème siècle" en se comparant à Rosa Bonheur qui comme lui a fui Paris, à Adèle Hugo qui a souffert de la disparition de sa soeur Léopoldine. C'est, à mon avis, dans ces allers retours entre le passé et le présent, entre les personnages d'aujourd'hui et du siècle dernier que  réside l'un des plus grands charmes du roman.

Merci à Gwenaelle  du blog Le Skriban pour la découverte de ce livre voyageur.

John Keats, Bright Star


Je viens de voir à la télévision le film de Jane Campion  : Bright Star (je l'avais raté à son passage dans les salles de cinéma) racontant l'amour de John Keats pour Fanny Brownes, une jeune fille qu'il a rencontrée chez des amis à Londres. Les jeunes gens se fiancent mais Keats atteint de la tuberculose et sachant qu'il n'y survivrait pas (il avait des études de médecine) part en Italie où il meurt à Rome en 1821. Malgré les critiques négatives sur le film de Jane Campion à qui l'on a reproché  une trop grande recherche esthétique et une idéalisation des personnages, je l'ai beaucoup aimé pour la beauté des images et l'interprétation des personnages principaux aussi bien que secondaires.

John Keats
Fanny Brawn

Voici le poème de Keats, Brigth Star qui a donné son titre au film. Je l'ai traduit moi-même. Je suis bien consciente, n'ayant aucune prétention dans l'art de la traduction, que je ne rends pas vraiment hommage au poète. Enfin, mon anglais étant plus qu'hésitant, je ne vous en voudrais pas de me signaler des erreurs!

Bright star, would I were steadfast as thou art--
Not in lone splendour hung aloft the night
And watching, with eternal lids apart,
Like nature's patient, sleepless Eremite,
The moving waters at their priestlike task
Of pure ablution round earth's human shores,
Or gazing on the new soft-fallen mask
Of snow upon the mountains and the moors--
No--yet still steadfast, still unchangeable,
Pillow'd upon my fair love's ripening breast,
To feel for ever its soft fall and swell,
Awake for ever in a sweet unrest,
Still, still to hear her tender-taken breath,
And so live ever--or else swoon to death.


Etoile brillante! Que ne puis-je être comme toi immuable
Non dans la splendeur solitaire et lointaine de la nuit
Observant, les  yeux toujours grand ouverts
Comme un patient, insomniaque Ermite de la Nature,
Les eaux qui se meuvent dans leur tâche rituelle
De purification des rivages humains autour de la Terre,
Ou contemplant le nouveau masque que revêt la neige
Tombée doucement sur les montagnes et les landes
Non-  mais toujours immuable et pour toujours constant
je voudrais reposer sur le sein mûr de mon bel amour
le sentir à jamais se soulever et retomber doucement
Etre toujours en éveil dans une délicieuse inquiétude
Encore et encore écouter son tendre souffle renaissant sans cesse
Et vivre ainsi pour toujours- ou  bien disparaître dans la mort