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samedi 24 mars 2018

André Gardies : Derrière les ponts




C’est une enfance dans un quartier populaire de Nîmes que nous décrit André Gardies dans Derrière les ponts paru aux éditions du Mont. Excentré, ce quartier présentait encore un air de campagne à la fin des années 30 avec ses petites fermes aux jardins maraîchers coincées entre des parcelles en friche et un « ruisseau-égoût », qui faisait le bonheur des petits Robinsons et autres Mohicans inspirés par le fameux magicien Mandrake, héros de Bande dessinée !  C’est là que se déroule l’enfance d’André, le narrateur et de son frère René, tous deux adoptés, à la mort de leurs parents, par leurs oncle et tante.

 Derrière les ponts n’est pas un récit initiatique classique. Il est fait de courts chapitres indépendants entre eux et qui forment pourtant un tout, de la petite enfance à l’adolescence, du balbutiement à la connaissance, de l’école au collège, des jeux de billes à l’éveil de la sexualité, à la découverte de l’amour.
Les premiers souvenirs sont flous, ils affleurent par petites touches subtiles, impressionnistes : la poignée de porcelaine - la vue-, le grondement sinistre des avions bombardiers pendant la guerre -l’ouïe-, et puis la cave et ses odeurs de salpêtre, de charbon, de pommes de terre fripés et de fruits de l’automne. Toutes ces « impressions » donnent lieu à de belles pages d’où le souvenir auréolé de brouillard semble émerger doucement. Comme un puzzle, c’est d’ailleurs l’un des titres de chapitre, comme un puzzle qui se reconstituerait lentement mais dont il manquerait toujours quelques pièces perdues.
C’est ainsi que André Gardies envisage la reconquête du souvenir :

 «  A vrai dire, il rêvait d’un puzzle impossible, celui où chaque pièce ne s’articulerait aux autres qu’en laissant autour d’elles une sorte d’espace improbable qui permettrait des agencements multiples. C’est à partir du flou de sa configuration finale que le dessin serait alors devenu évocateur et suggestif. »

Peu à peu, au fur et à mesure que l’enfant grandit et se dirige vers l’âge adulte, les souvenirs se font plus précis mais viennent y interférer les réflexions de l’homme âgé. En se retournant sur son enfance, le narrateur reste conscient que la résurrection du souvenir est illusoire et se heurte à la réalité. Ainsi, lorsqu’il revient dans le mas où, jadis, il passait ses vacances, tout lui paraît avoir rétréci :

« L’expansion magique du souvenir ne peut s’accommoder de proportions si réduites. Une fois sorti de la tasse de thé, le monde ne peut y retourner. Rien à faire, le génie qui s’est échappé de la lampe n’obéit plus; il refuse de réintégrer son logis. Comme les indiens d’Amazonie, le temps a embaumé le mas en le réduisant à la taille de ses trois petites lettres ».

Il y a quelques pages magiques que je veux noter même si je ne peux toutes les citer. J’ai déjà parlé de cette poignée de porcelaine « lourde et pleine comme un oeuf luisant ». Il y a les pages poétiques des saisons qui défilent, automne, été… Celles pleines d’humour consacrées à la grandeur et décadence du journal quotidien ou encore à la rivalité de Nîmes, Arles et Alès, ou celles encore, étonnantes, précises, comme au scalpel, dédiées au fruit hermaphrodite, la figue, et au pouvoir érotique des branches du figuier, l’arbre véritable de la Chute. 

Un beau livre, bien écrit, qui est à la fois un recueil de souvenirs d’enfance et une réflexion sur la difficile résurrection du passé.