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mardi 15 avril 2014

Jean-Charles Nodier : La fée aux miettes





jean-Charle Nodier par Guérin

Jean- Charles Emmanuel Nodier (1780-1844) est un romancier qui a eu une grande importance dans le mouvement romantique français. Il était d'ailleurs en rivalité avec Victor Hugo à la tête du Cénacle.
La fée aux miettes, roman fantastique, fut publié en 1832.

Le narrateur rencontre dans une maison "des lunatiques" de Glagow un vieux fou, le charpentier Michel, à la recherche de la Mandragore qui chante. Ce dernier lui raconte son histoire.
Au temps de la jeunesse de Michel à Granville, vivait une pauvre vieille qui venait mendier les restes des repas des écoliers. C'est pour cela que les garçons, fascinés par cette femme qui parle de nombreuses langues et semble posséder dans leur imagination des dons surnaturels,  l'ont surnommée La fée aux miettes. Un jour, Michel sauve la Fée aux miettes dans la baie du mont Saint-Michel, et lui promet de l'épouser à sa majorité, promesse faite par légèreté ou par raillerie...
Il embarque ensuite comme charpentier sur La reine de Saba. Le bateau fait naufrage, Michel, rejeté sur un île, découvre que la fée aux miettes l'a suivi, cachée dans son sac. Elle lui offre un portrait d'elle, sous les traits d'une jeune femme, Belkiss, si éblouissante qu'il en tombe amoureux.
Après  toutes sortes d'aventures fantastiques, Michel finit par épouser la Fée aux miettes. Le jour, elle lui apparaît sous les traits de la vieille femme qu'il connaît bien. La nuit, sous les traits de Belkiss qui n'est autre que la Reine de Saba, il reçoit la visite d'une femme en tout point belle et voluptueuse. Mais, pour que ce bonheur dure, il lui faut trouver la mandragore qui chante.

La fée aux miettes et Michel, le charpentier

Conte de fées, récit fantastique, le roman est aussi implanté dans le réel avec des descriptions de Granville et de la Baie du Mont Saint Michel, de la pêche aux coques, du métier de charpentier, de l'asile d'aliénés de Glasgow. Nodier y fait l'éloge du travail qui permet de gagner sa vie honnêtement et d'éviter l'oisiveté, un éloge rationnel, un peu à la Voltaire. Mais l'irrationalité du récit prend de plus en plus d'importance. 
Avec ce roman on pourrait penser que Nodier trace le cheminement d'un esprit en proie aux hallucinations, qui se perd dans ses rêves, et n'est plus en contact avec la réalité. Mais le propos de Charles Nodier est plus complexe. Le narrateur nous laisse dans le doute. Quand Nodier fait intervenir un scientifique, le docteur de la maison de santé, il le peint comme un homme ridicule. Ainsi la démonstration du savant quant au fait que la mandragore ne peut pas chanter est pédante et amphigourique. On ne peut le prendre au sérieux. Et alors? Si c'était Michel qui avait raison? Si le monde du rêve était plus important et même plus "vrai" que celui de la réalité?
En redonnant sa liberté au rêve, à l'onirisme, Charles Nodier se place bien en précurseur du romantisme et l'on comprend ce que lui doivent Gérard de Nerval, Victor Hugo lui-même et plus tard les surréalistes. Mais le rêve côtoie de près la folie.  Nodier qui est d'une sensibilité excessive - peut-être liée à l'usage de l'opium dans sa jeunesse- Gérard de Nerval qui explore la folie dans son Aurélia, Victor Hugo dans ses séances de spiritisme, et plus tard Maupassant en ont fait l'expérience.





Dans cet univers traditionnel de marins et de charpentiers, sans doute, comme dans les contes, un peu idéalisé, les rêveries et les visions de Michel jettent un trouble que les gens mis en scène interprètent comme de la folie. Mais le récit est celui, à la première personne, de Michel. S’il reflète les paroles d’autrui sur son comportement et sur la fée aux miettes, il donne à ressentir comme véritables les sentiments et les visions qui sont les siennes. Comment ne pas le croire, bien que cela semble impossible ? Belkiss apparaît-elle vraiment lorsqu’il ouvre le médaillon ? la fée a-t-elle le pouvoir de modifier le sort des marins ou cela n’est-il qu’une coïncidence ? Comment se met-il à lire l’hébreu, à entendre la langue canine de l’île de Man ? Il y a six mois qu’il a quitté ses chantiers et la famille de Finewood en leur abandonnant ses possessions, six mois qu’il recherche la mandragore chantante... Et comme le souligne la conclusion « Elle n’explique rien ». Le récit est donc à prendre ou à laisser, on retrouve l’opposition des deux discours, celui du psychiatre appuyé sur ses certitudes médicales et ses citations, qui définit la mandragore d’après Linné et selon les anciens usages, et d’autre part l’évasion inexplicable de Michel de cet endroit clos. Reste qu’on ne peut se fier totalement à ceux qui l’ont vu s’envoler avec une fleur chantante. On demeure dans le fameux « je sais bien... mais quand même » et le roman articule de façon originale « les illusions » du lunatique et la réalité, en donnant une prime de plaisir aux illusions joyeuses des « amants et des poètes ».