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lundi 16 octobre 2023

Emile Zola : La joie de vivre

N’ayant pas pu écrire depuis un certain temps je suis en retard sur toutes mes lectures et je ne sais dans quel ordre les prendre! Mais, je me décide et je commence par La joie de vivre que je devais faire en LC avec Miriam puisqu’il y a au moins trois semaines que j’aurais dû rédiger ce billet. 

 La joie de vivre est le douzième volume de la série Les Rougon Macquart d’Emile Zola. 

 
 La joie de vivre: une jeune fille douée pour le bonheur
 
 
La joie de vivre : Film de JP Améris
 

La joie de vivre, c’est évidemment la jolie et gentille Pauline, fille de Lisa Macquart et de Quenu, florissants charcutiers dans Le Ventre de Paris. Orpheline à dix ans, elle entre dans la famille des cousins de son père, les Chanteau, et semble apporter le bonheur avec elle. Toujours gaie, heureuse de vivre, elle seule sait s’occuper avec douceur et délicatesse de monsieur Chanteau qui souffre de la goutte. Elle devient la compagne aimante et admirative de son grand cousin Lazare et madame Chanteau ne tarit pas d’éloges sur elle. Seule, la bonne, Adèle,  ne l’apprécie pas. Peut-être a-t-elle deviné le défaut de la cuirasse de la fillette, une féroce jalousie, qui la pousse à la méchanceté dès qu’elle se sent moins aimée…  Jeune fille, Pauline conserve son affection pour son cousin et tombe amoureuse de lui. La mère leur promet de les marier. 

Pourtant, la jalousie de Pauline est vite rallumée par l'arrivée d'une amie de la famille, Louise,  qui devient sa rivale. Si Louise est la jeune fille "comme il faut", pur produit de cette société bourgeoise du XIX siècle, ignorante, rougissante, coquette et maniérée, Pauline est positive, sportive, forte, intelligente, et cherche à s’instruire. Elle lit les manuels de médecine de son cousin qui lui révèlent les « secrets » du corps humain, du moins ce qui devait rester secret pour une jeune fille de bonne famille. Zola prend résolument position ici dans l’éducation des jeunes filles qui, pense-t-il, ont droit à l’instruction, et doivent accéder à l’étude des sciences. 

De plus, Pauline est riche et la fortune qu’elle a reçue en héritage va peu à peu être dilapidée par sa mère adoptive pour servir les ambitions de Lazare dont les projets fantasques et dispendieux tournent toujours à l’échec, ce qui le plonge dans un abattement sans fin. Au fur et à mesure que la fortune de la jeune fille diminue, son crédit auprès de madame Chanteau fait de même. Et l’on sent bien qu’elle n’est plus un parti intéressant aux yeux de cette femme qui avait pourtant promis de respecter son héritage ! Là, à ce moment, la lecture est si prenante, le suspense instauré par Zola si fort que j’ai été prise d’angoisse et d’indignation ! Impossible de continuer à lire ! Je voyais déjà la jeune fille jetée à la rue comme une mendiante, par ceux-là même qui l’avaient ruinée, et Lazare marié à la belle Louise… Mais Zola est beaucoup plus subtil que moi ! (Forcément, c’est Zola !) Et j’ai eu tort de vouloir conclure le roman à sa place. Son récit montrera l'évolution du caractère et de la personnalité de Pauline, ses doutes, son abnégation.  J’ai donc repris ma lecture et c’est à vous de lire ce qui va se passer. 

 La joie de vivre : une antiphrase

 

Lazare et Louise suivis de Pauline film de JP Ameris

 Le titre  du roman est aussi évidemment à prendre comme une antiphrase :  Car la joie de vivre, c'est le moins que l'on puisse dire n’habite pas Lazare qui a une peur horrible, obsessionnelle, de la mort. En proie à des crises nerveuses, dépressif, il voit la mort partout, l'attendant dans l'ombre, le guettant la nuit. Il  alterne des périodes d’activité et d’enthousiasme, généralement suivies par le découragement et la passivité. 

Et que dire de la mer, omniprésente dans le roman, parfois positivement, encadrant les promenades des deux jeunes gens, donnant la joie à la jeune fille d’apprendre à nager mais la plupart du temps vue comme élément dangereux et puissant que rien ne peut arrêter ! Elle grignote peu à peu les rivages, fracasse les cabanes des pêcheurs, engloutit une part du village, apportant son lot de calamités. La description du peuple et des enfants qui viennent chercher de l’aide auprès de Pauline est accablante.  Emile Zola peint comment la misère, la faim, les logements sordides, le manque d'amour, l'absence d'instruction et l’ignorance  sont à l’origine de toutes sortes de maux, la maladie, l’alcoolisme, l’inhumanité,  l'immoralité, la violence et la cruauté. 

Mais le milieu bourgeois n'est pas meilleur ! La satire, à travers le personnage de madame Chanteau, en particulier, est virulente. Comme d’habitude, Zola décrit à travers elle l’importance accordé à l’argent, la malhonnêteté sous des dehors de charité chrétienne, le mariage conçu comme un marché, la réalité sordide sous l’apparence - même la bonne s’indigne et prend le parti de Pauline - . Monsieur Chanteau, lui, est un être veule, sous la coupe de sa femme, trop égoïste pour avoir une morale, trop préoccupé de lui-même et de sa maladie qu’il entretient par sa gourmandise pour aimer ou protéger autrui et le curé ne vaut guère mieux ! Seul, le médecin échappe à la critique. 

Voici donc un roman d’Emile Zola riche de nombreux thèmes, intéressants dans la psychologie des personnages et dans la peinture des milieux sociaux.


Voir Miriam

mardi 19 septembre 2023

Emile Zola : Pot Bouille

 

Parmi les vingt ouvrages des Rougon Macquart, Pot Bouille (1882) est le dixième. Il est  situé entre Nana (1880) et Au bonheur des dames (1883) qui est la suite de Pot Bouille, roman décrivant la réussite d’Octave Mouret.  

Pot Bouille à l’époque de Zola, désigne péjorativement une cuisine de mauvaise qualité, dans l'acceptation que l’on donne de nos jours au mot tambouille. Et justement c’est cette cuisine-là, au sens figuré, que Zola va nous servir  dans ce livre. 

 


 Octave Mouret

Octave et Marie

Octave Mouret est un des personnages principaux de Pot Bouille. Il arrive à Paris, petit dom Juan de province, bien décidé comme le Rastignac de Balzac à faire fortune par les femmes ! C’est un beau garçon qui a jusqu’alors des conquêtes faciles à son tableau de chasse, grâce à son charme, à ses manières « presque distinguées » de commis de commerce et à sa galanterie envers les dames. Il use et abuse du succès de ses beaux yeux d’or veloutés. Homme à femmes, il professe pourtant, sous ses dehors policés, un mépris profond pour les femmes.

« Il ne savait laquelle choisir, il s’efforçait de garder sa voix tendre, ses gestes câlins. Et, brusquement, accablé, exaspéré, il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse. »

Oui, mais le voilà un peu ridicule dans ce roman, rebuté avec un certain mépris par Valérie, l’épouse de Théophile Vabre, fils cadet du propriétaire, ou repoussé paisiblement par Madame Hédouin, la patronne de Au Bonheur des dames chez qui il travaille.

Quant à ses conquêtes, c’est avec une certaine ironie que Zola malmène son personnage ! Certes, celui-ci arrive à ses fins, et vient à bout, sans gloire mais non sans brutalité, de la passivité et de la résignation de Marie Pichon, femme soumise et sans fortune, qu’il engrosse deux fois au grand dam de son mari, petit employé sans le sou, qui pratique l’abstinence  pour éviter d’avoir trop d'enfants ! Et que dire de la tragi-comédie de sa liaison avec Berthe Josserand, épouse d’Auguste Vabre, le fils aîné du propriétaire ? Adultère qui lui coûte cher, il faut faire des cadeaux à la dame, et qui aboutit à un scandale retentissant après maintes péripéties ridicules et cavalcades dénudées dans les escaliers, commentées par tous les habitants de la maison, bourgeois et domestiques compris, et même par tout le quartier ! Mais, on le verra à la fin du roman, la chance va tourner pour lui !

La maison comme personnage


Si Octave Mouret est l’un des personnages principaux de Pot Bouille, on peut dire qu’il passe presque au second plan derrière la maison bourgeoise dans laquelle il va habiter ! C’est ce grand immeuble qui est réellement le centre du roman et en est même LE personnage à part entière.

 Que se cache-t-il derrière cette belle façade qui respire l’opulence, le calme et semble refléter la probité morale de ceux qui l’habitent ?  Elle se révèle vite comme le luxe de l’escalier en faux marbre, un faux-semblant, une apparence !

"Les panneaux de faux marbre, blancs à bordures roses, montaient régulièrement dans la cage ronde; tandis que la rampe de fonte à bois d’acajou, imitait le vieil argent, avec des épanouissements de feuilles dures. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches »

« Derrière les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abîmes d’honnêteté. »

A chaque étage de la maison, sont présentées des familles dont le statut social diminue au fur et à mesure que l’on grimpe les étages, les chambres de bonnes occupant le point le plus élevé ainsi que  le galetas d’un ouvrier puis d’une ouvrière, ces derniers faisant tache dans la maison aux yeux des autres occupants. Et à chaque étage, on découvre des moeurs dissolues, des mesquineries, des scandales avilissants couverts par un abbé en soutane, mondain qui chercher à cacher les frasques de cette « bonne société » pour maintenir l’apparence, lui aussi, - et seulement l’apparence - de la supériorité de l’Eglise et de son emprise sur les âmes.

« Un moment l’abbé Mauduit se retrouva seul, au milieu du salon désert. Il regardait, par la porte grande ouverte, l’écrasement des invités; et, vaincu, il souriait, il jetait une fois encore le manteau de la religion sur cette bourgeoise gâtée, en maître de cérémonie qui drapait le chancre, pour retarder la décomposition finale. Il fallait bien sauver l’ Eglise, puisque Dieu n’avait pas répondu à son cri de désespoir et de misère. »

Par la puissance de son style, Zola fait de  cette maison une entité dotée d’une vie propre, soit qu’elle incarne la dignité apparente de la bourgeoise

« Ce matin-là, le réveil de la maison fut d’une grande dignité bourgeoise. Rien, dans l’escalier, ne gardait la trace des scandales de la nuit, ni les faux marbres qui avaient reflété ce galop d’une femme en chemise, ni la moquette d’où s’était évaporée l’odeur de sa nudité. »

« Alors tout s’abîma, la maison tomba à la solennité des ténèbres, comme anéantie dans la distinction et la décence de son sommeil. »


Soit, au contraire qu’elle dévoile sa face cachée, celle de l’arrière-cour, où  les bonnes vomissent des insultes et révèlent les turpitudes cachées des foyers bourgeois :  

« Et du boyau  noir, monta de nouveau la rancune de la domesticité, au milieu de l’empoisonnement fade du dégel. Il y eut un déballage de linge sale de deux années. Ça consolait de n’être pas bourgeois, quand on voyait les maîtres vivre le nez là-dedans, et s’y plaire, puisqu’ils recommençaient. »

Quant à Julie, la bonne qui doit quitter cette maison, elle répond quand on lui demande si elle en est heureuse : 

"Mon Dieu, mademoiselle, celle-ci ou celle-là, toutes les baraques se ressemblent. Au jour d’aujourd’hui, qui a fait l’une a fait l’autre. C’est cochon et compagnie."

Une violente satire de la bourgeoisie sous l' Empire

BD d'Eric et Simon  Stalner : les personnages

Jamais Zola n’a été aussi virulent, aussi critique. C’est toute la société de l’Empire qu’il fustige, l’hypocrisie, le mensonge qui s’érige en bonne conscience, les tromperies, les adultères, les moeurs corrompues, la bigoterie, le feint amour de Dieu pour se concilier les bonnes grâces de l’église, le conservatisme étroit aussi bien dans le domaine de la morale que de la politique, l’amour de l’argent qui achète tout même les consciences, l’égoïsme,  le  mépris des classes sociales humbles, l’exploitation des ouvriers et des bonnes corvéables à merci, mal nourries, mal  payées.
Personne n’échappe à la satire, voire à la caricature, dans cette si belle maison, les bonnes raillent leurs maîtresses en des termes orduriers et couchent avec les maîtres dans leur chambre sordide, gagné par le gel, l’hiver. Le pire est peut-être ce monsieur Gourd, le concierge, ancien domestique monté en grade, qui est le plus acharné dans son mépris de ceux qui sont maintenant en dessous de lui et qui jette à la rue une ouvrière enceinte et prête à accoucher ! Plus tard, quand celle-ci sera accusé du meurtre de son bébé, on sent toute l’indignation de l’écrivain, qui n’a jamais pu supporter l’injustice, envers une société dure aux humbles.
Quant aux parents, ils vendent leurs filles aux plus offrants, une conception du mariage dépravée qui repose sur l’argent, la fortune du jeune homme, la dot de la fiancée. Et encore ne sont-elles pas toutes comme Berthe et Hortense Josserand, filles à marier, éduquées par une mère âpre au gain, orgueilleuse, tyrannique, qui vit au-dessus de ses moyens, préférant  priver de nourriture sa famille pour paraître en société et qui enseigne à ses filles à piéger le mari potentiel en attisant son désir.

« Depuis longtemps leur mère les avait convaincues de la parfaite infériorité des hommes, dont l’unique rôle devait être d’épouser et de payer » «

« Les trois hivers de chasse à l’homme, les garçons de tous poils, au bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs de l’innocence spéculant sur les appétits des niais… »

 Une compassion certaine pour les victimes

Cela n’excuse pas mais fait comprendre le malheur de ces petites bourgeoises mal mariées, et qui cherchent en vain le bonheur hors de leur foyer soit dans les biens matériels, soit dans les bras d’un amant. D’ailleurs, Zola a pour ces femmes adultères qui sont aussi des victimes, une compassion qui s’exprime dans la scène où Marie, ayant pitié de Berthe chassée de sa maison par un mari fou furieux, l’accueille chez elle et où elles pleurent dans les bras l’une de l’autre :

«  C’était une lassitude dernière, une tristesse immense, la fin de tout. Elles ne disaient plus mot, leurs larmes ruisselaient, ruisselaient sans fin dans les ténèbres, au milieu du profond sommeil de la maison, pleine  de décence. »

Cette scène  répond à ceux qui reprochent à Zola son pessimisme et sa noirceur, car son amour pour ceux, malheureux, qui subissent la domination des autres est toujours présente dans ce roman. C’est la cas de Monsieur Josserand qui se tue au travail pour sa femme et ses filles mais n’en reçoit que du mépris ! Ou pour monsieur Duveyrier  aimé ni de sa femme ni de sa maîtresse qui le repoussent. C'est aussi le cas, on l'a vu de l'ouvrière enceinte ou encore  de la femme de ménage, misérable et épuisée, que Monsieur Gourd renvoie puis reprend en en profitant pour lui baisser son salaire.

De plus, à travers la réflexion d’Hortense, Zola dénonce aussi la brutalité courante, admise dans les couples :

Elle préfèrerait recevoir des gifles de son mari que de sa mère, car c’était plus naturel.

Il montre, en décrivant l’horrible accouchement d’Adèle, toute seule, dans sa chambre de bonne, combien les femmes sont toujours les victimes et de quelles souffrances elles paient les amusements des hommes. Une scène d'une puissance terrifiante.

 Des scènes de comédie

Mais il y a aussi de véritables scènes de comédie où  Zola décrit le salon de musique de Clotilde Vabre, épouse Duveyrier, faisant exécuter La bénédiction des poignards par ses amis et voisins devant ses invités résignés  :  

Tout de suite, Clotilde monta une gamme, redescendit; puis les yeux au plafond, avec un expression d'effroi , elle jeta le cri :

"Je tremble"

Et la scène s'engagea, employés et propriétaires, le nez sur leurs parties, dans des poses d'écoliers qui ânonnent une page de grec, juraient qu'ils étaient prêts à délivrer la France. Ce début fut une surprise, car les voix s'étouffaient sous le plafond bas, on ne saisissait qu'un bourdonnement, comme un bruit de charrettes chargées de pavés, dont les vitre tremblaient.

Enfin, une dernière remarque  :  un détail qui fait sourire : l’appartement du second étage est occupé par un écrivain (et sa famille) qui ne se mêle jamais aux autres habitants mais dont on sait qu’il a écrit un livre scandaleux sur les désordres cachés des familles bourgeoises dans un grande maison ! Là,  Zola se fait plaisir.

 Un roman très riche !


LC Avec Myriam

vendredi 8 septembre 2023

Henri Troyat : Zola


 

Après avoir vu au festival d'Avignon, cet été, Les Téméraires, une pièce de Charlotte Matzneff, qui réunit Emile Zola et Méliès dans la lutte contre l’antisémitisme et l’injustice à propos de l’affaire Dreyfus, j’ai voulu en savoir plus sur Emile Zola afin de démêler ce qui est historique dans la pièce et ce qui appartient à l’imagination de l’auteur. 

 

Zola, Jeanne et leurs enfants


La biographie d’Emile Zola de Henri Troyat est une oeuvre agréable à lire, qui se lit comme un roman. Les faits marquant de la vie de Zola y sont relatés, sa naissance à Aix-en-Provence, son admiration pour son père, ingénieur, qui meurt lorsque l’écrivain est encore un enfant, laissant la famille dans la gêne, les humiliations subies à l’école en tant que fils d’Italien et son attachement à la France - il doit demander sa naturalisation - son amitié avec Cézanne et plus tard sa brouille, son double foyer, entre sa femme Alexandrine et sa maîtresse Jeanne qui lui donne des enfants qu’il adore, et sa prédilection pour la photographie qui a marqué son oeuvre.
 Et puis son combat pour la justice et contre l’antisémitisme, le célèbre J’accuse, l’exil en Angleterre, les ennemis qui s’acharnent sur lui et sa famille, et sa mort en 1902, empoisonné par le monoxyde de carbone, la nuit, dans son lit, plus tard le transfert de sa dépouille au Panthéon, en 1908, à laquelle assistait Dreyfus. Ce que je ne savais pas, c’est que ce dernier fut blessé au bras à la sortie de la cérémonie par un tir de pistolet, échappant ainsi à une tentative d’assassinat.  

 

Nana


Mais ce qui m’a le plus intéressée dans cette biographie c’est la manière dont il a été traité en France, la haine qui a déferlé sur lui alors qu’il était reconnu partout comme un grand écrivain et reçut à l’étranger avec tous les honneurs, en particulier en Italie, bien sûr. Ce qui ne l’a pas empêché, d'ailleurs, d’obtenir en France un vif succès de lecture auprès du public, ses chiffres de vente le prouvent, et une notoriété grandissante malgré les inimitiés.
En effet, ces ouvrages suscitent la plupart du temps l'indignation et sont enveloppés d'une aura de scandale. Avec Nana, par exemple, on lui reproche d’attenter aux bonnes moeurs et les critiques sont d’une bassesse affligeante, n’épargnant pas sa vie intime, certains de ses faux « amis »,  dont Edmont Goncourt, se servant de ses confidences pour le traîner dans la boue et l’accuser d’obsessions sexuelles, d’obscénité, de pornographie. Ainsi, on reproche à cet homme chaste d’assouvir ses fantasmes sexuels par procuration dans ses écrits mais plus tard, alors que sa relation avec Jeanne est connue, on le traitera de vieillard lubrique.

« Le marquis de Sade dans ses œuvres immondes… croyait, à ce qu’on assure, entreprendre un oeuvre morale. Cette manie le fit enfermer à Charenton. La manie de Zola n’est pas aussi aiguë, et, de nos jours, on laisse souvent la pudeur se venger seule. Mais Nana, comme Justine, relève de la pathologie. C’est l’éréthisme commençant d’un cerveau ambitieux et impuissant qui s’affole de visions sensuelles. » ( Louis Ulbach , écrivain )

Heureusement, Flaubert s’écrie :  «  Un livre énorme, mon bon ! » et « Nana tourne au mythe sans cesser d’être réelle! »

 

La débâcle

La débâcle où il raconte et analyse la défaite de Sedan suscite un tollé sans pareil. Que n'avait-il pas fait ? Critiquer l'armée française, parler d'une défaite française ! Les milieux monarchiques, catholiques, nationalistes, militaristes, lui reprochent d’avoir avili l’armée et outragé l’honneur français, d’avoir chercher à saper le moral des français. 

« La débâcle est un cauchemar, un honteux cauchemar, aussi malsain  qu’antipatriotique. » (L’abbé Théodore Delamont )

"Zola devine, écrit Henri Troyat, qu’une coalition de militaires effrénés, défenseurs du drapeau, d’ecclésiastiques étroits, partisans de l’ordre public à tout prix, et d’ennemis de la liberté de parole se forme insidieusement pour lui barrer la route. On ne lui reproche plus la violence de ses livres mais leur signification politique. Tous ses gens se proclament plus français que lui. Jusqu’où iront-ils dans leur haine de la vérité ? » 

 

Le capitaine Deyfus

 


C’est avec sa prise de position dans l’affaire Dreyfus que la haine est à son comble.  Dans un article du Figaro, Zola écrit en décembre 1897 quand il acquiert la certitude de l’innocence de Dreyfus :

« Ce poison c’est la haine enragée des juifs, qu’on verse au peuple chaque matin, depuis des années. Il sont un bande à faire ce métier d’empoisonneurs, et le plus beau, c’est qu’ils le font au nom de la morale, au nom du Christ, en vengeurs et en justiciers. »

Au Sénat, des cris de haine retentissent : « Pot-Bouille ! Zola la Honte ! Zola l’Italien ! » 7 décembre 1897

« A l’heure actuelle Zola est le plus roublard de la littérature, il dégote les juifs… »  (Goncourt journal)

Et c’qui eut été plus épatant/ C’est que le père Zola la Mouquette/ N’eût pas foutu son nez dedans/ Pour en tirer un brin d’galette ! (Les chansonniers)

Dans les rues on crie : "A Mort Zola !".  On insulte le  "Signor Emilio Zola",  "Zola la Débâcle"  "Zola souteneur de Nana" …

Jeanne et ses enfants reçoivent des menaces de mort. Zola les fait déménager.

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1898 dans l’Aurore, gazette de Clémenceau, paraît J’accuse ! adressée au président de la République Félix Faure. En voici la conclusion que je cite ici juste pour le plaisir de la relire :


Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.


J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.

En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.

Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !

J’attends.

 Ce n’est pas sans raison que la mort de Zola est restée suspecte. On a retrouvé des gravats dans sa cheminée, qui ont bouché le conduit empêchant une évacuation normale, ce qui a entraîné la mort de l’écrivain. Alexandrine, sa femme n’en a réchappé que de justesse.

Pendant de longues années, Emile Zola a donc déchaîné les passions tant pour son oeuvre que pour ces idées et ces combats.  Ce qui ne l’a pas empêché de présenter sa candidature à l’Académie française et il le fera 25 fois !  Il était bien évident qu’étant donné ses idées il ne pourrait jamais l’être ! Mais peut-être s’obstine-t -il pour démontrer par l’exemple le crédit que l’on peut accorder à cette institution quand on voit tous les inconnus qui lui ont été préférés … et tous ceux aussi qui ont été refusés : Baudelaire, Stendhal, Maupassant, Dumas, Verlaine, Proust, Hugo à quatre reprises, Balzac à deux reprises ! …  Mais cela c'est moi qui l'ajoute,  et là, n’est pas le sujet !

 

Alexandrine Zola

Je ne saurai pas si les Zola ont été vraiment victimes d'un attentat à la bombe qui a arraché la porte de leur maison au moment de l'Affaire comme il est dit dans la pièce de théâtre. Ce qui m’a aussi manqué dans cet ouvrage - car j’aurais voulu en savoir plus sur elle -, c’est le rôle qu’Alexandrine a joué pour soutenir l'oeuvre et défendre le combat d'Emile. La pièce de théâtre en fait une femme admirable qui aide et soutient son mari. Cette biographie ne lui accorde qu’une place secondaire, tout en lui reconnaissant une certaine grandeur d’âme pourtant, quand, après la mort de son époux, elle fait reconnaître les enfants de Zola qui pourront désormais porter son nom. Sinon, en dehors de nous répéter qu’elle était laide et avait de la moustache, (celle dont Edmont Goncourt vantait les beaux yeux noirs), Troyat n’a pas grand chose à dire sur elle comme si une femme ne pouvait être jugée que par son  physique. Encore patriarcal, le papa Troyat en 1992 ! Il existe une livre sur madame Zola et un autre écrit par sa fille Denise. Ce qui doit être une manière  de compléter cette biographie.

mardi 25 juillet 2023

Julien Delpech et Alexandre Foulon : Les Téméraires

Les Téméraires

 

1894. L’affaire Dreyfus coupe la France en deux.

D’un côté, l’armée et l’État propageant des fausses rumeurs baignées d’antisémitisme ; de l’autre, Émile Zola et Georges Méliès.

L’un avec sa plume, l’autre avec la première caméra au monde, mais tous deux aidés par leurs incroyables femmes, s’engagent dans une lutte pour la vérité. Si la défaite semble toute tracée, leurs courages en auront décidé autrement.

Mon avis :
 
Une très belle pièce au théâtre des Gémeaux : le combat d'Emile Zola et celui de Méliès  contre l'injustice, l'intolérance et l'antisémiste. Téméraires, en effet, ils l'étaient ces deux hommes ! Ils firent tout, mettant leur confort, leur liberté et jusqu'à leur propre vie en jeu, pour faire reconnaître l'erreur judiciaire et le mensonge des tribunaux militaires qui ont innocenté sciemment le vrai coupable. Ils dénoncent, l'un par un film, l'autre par ces écrits, ce scandale d'Etat. Un grand moment d'émotion, ce qui n'empêche pas le rire car l'humour est bien présent ! On vibre en écoutant le fameux J'accuse! et on découvre avec intérêt des extraits du film de Méliès qui fut censuré en France mais qu'il put projeter partout en Europe et en Amérique. On rit en assistant, par exemple, au "tournage" du film de Méliès !
L'Histoire avec un grand H se mêle à celle plus intime de Zola qui mène une double vie, partagé entre son épouse, une femme étonnante, d'une grande force, sa maîtresse et les enfants qu'il eut d'elle.  
Ces beaux personnages, Zola, Méliès et le lieutenant-colonel Picquart ( Ce dernier a dénoncé le scandale pour innocenter Dreyfus), leurs femmes, nous touchent d'autant plus que l'interprétation est excellente, certains comédiens assumant plusieurs rôles avec autant de maîtrise. Une mention spéciale pour le comédien Stefane Dauch, qui incarne Zola. Une ingénieuse scénographie vient ajouter au plaisir du spectacle.

photo Grégoire Matzneff


Un coup de coeur !

 

THÉÂTRE LES GÉMEAUX

Horaire : 17h05

Lieu : Salle des Colonnes

Relâches : 
Mercredis 12, 19 et 26/07

Durée : 1h30

De : Julien Delpech et Alexandre Foulon

Mise en scène : Charlotte Matzneff

Assistée de : Manoulia Jeanne

Avec : Stéphane Dauch, Armance Galpin, Antoine Guiraud, Romain Lagarde, Barbara Lamballais
Sandrine Seubille, Thibault Sommain

Musique : Mehdi Bourayou

Costumes : Corinne Rossi

Lumières : Moïse Hill

Scénographie : Antoine Milian

Production : Marilu Production, Le Grenier de Babouchka, IMAO , Place 26

 

samedi 4 juin 2016

Emile Zola : La bête humaine


La bête humaine d'Emile Zola est le dix-septième roman de la série des Rougon-Marcquart et étudie à travers le personnage de Jacques Lantier le milieu du chemin de fer et les lois de l'hérédité.

Jacques Lantier et Lison : film de Renoir

En effet, Jacques Lantier est le deuxième des trois enfants de Gervaise Macquart et d'Auguste Lantier  :  Claude, peintre  qui sera le héros de L'oeuvre, quatorzième volume de la série; et Etienne lantier, le jeune mineur de Germinal, en  treizième  position. Tous sont marqués par l'alcoolisme de leurs ancêtres et régissent à cette lourde hérédité de manière différente.
Jacques lui, est une bête humaine, un monstre que l'acte d'amour physique pousse au crime. Pour résister à son besoin de tuer,  il refuse de céder à son désir pour sa cousine Flore, sachant qu'elle serait en danger.  Il devient pourtant l'amant de Séverine Roubaud qui trompe son mari avec lui et se croit guéri parce qu'il n'éprouve pas de pulsions meurtrières à son égard. Mais l'avenir lui donnera tort.

Comme d'habitude avec Zola, le récit est extrêmement documenté et le lecteur apprend beaucoup dans ce livre sur le travail des employés du chemin de fer, en particulier des roulants; Jacques Lantier est  mécano à bord de sa locomotive, Lison, qu'il aime d'amour.

Lantier et Séverine film de Renoir
Le roman présente aussi une dimension de roman policier car un crime dont Lantier a été le témoin a eu lieu dans le train. C'est un véritable roman noir qui compte pas moins de deux meurtres, de deux suicides, des viols, des morts violentes et qui joue sur la fatalité liée à l'hérédité.
 Il prend aussi, comme dans beaucoup de roman de Zola, une dimension symbolique et fantastique. Ainsi le dénouement qui offre la vision de cette locomotive sans conducteur, qui s'emballe, transportant dans une course démente des soldats ("chair à canon") que l'on envoie se battre sur le Rhin. La guerre entre la France et la Prusse vient d'être déclarée.





Et oui, vous avez trouvé la réponse facile ce samedi grâce à ce bon vieux Zola : Aifelle, Dasola, Eeguab, Keisha, Miriam, Sybilline, Valentyne... 

merci à tous!

Le roman : La bête humaine de Zola 
Le film : La bête humaine Jean Renoir