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vendredi 18 janvier 2013

Isabelle Marsay : Le fils de jean-Jacques




Le fils de Jean-Jacques d'Isabelle Marsay est une heureuse surprise car il explore bon nombre de questions que je me suis toujours posé sans les résoudre vraiment sur Jean-Jacques Rousseau. Comment en lisant l'Emile, son traité d'éducation, peut-on accepter le fait qu'il ait abandonné ses cinq enfants? Comment ses justifications à ce sujet dans Les Confessions ou Les Rêveries d'un promeneur solitaire ne jettent-elles pas le discrédit sur sa pensée?

Cependant il est sûr que c'est la crainte d'une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par une autre voie, qui m'a le plus déterminé dans cette démarche*. Plus indifférent sur ce qu'ils deviendraient et hors d'état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation, les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d'y penser. (Les Rêveries du promeneur solitaire) * abandonner ses enfants

 Comment peut-on écrire des textes qui influenceront les générations à venir, être l'auteur du Contrat social et jouer un si grand rôle dans l'évolution du monde occidental puis agir parallèlement a contrario? Comment accorder foi au philosophe qui écrit : Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle; être toujours décidé sur le parti qu'on doit prendre, le prendre hautement et le suivre toujours … mais ne respecte pas ses propres préceptes! Doit-on considérer l'oeuvre et faire abstraction de l'homme? C'est une question qui se pose souvent en littérature.

Celui qui ne peut remplir ses devoirs de père n'a pas le droit de le devenir. Il n'y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain qui le dispensent de nourrir ses enfants et de les élever lui-même. Lecteurs, vous pouvez m'en croire. je prédis à quiconque a des entrailles et néglige de si saints devoirs qu'il versera sur sa faute des larmes amères et qu'il ne sera jamais consolé. (L'Emile Livre 1)

Isabelle Marsay a eu la très belle idée d'imaginer ce qu'était devenu le fils de Jean-Jacques, son aîné, Baptiste Joseph-Marie, le seul dont nous ayons le nom. Une oeuvre de fiction qui nous fait découvrir ce qu'était la réalité de cette institution des Enfants-Trouvés, un mouroir où les bébés, non pas trouvés mais abandonnés légalement par leur famille, mouraient en grand nombre dès les premiers jours avant d'être confiés à des nourrices, au sein d'un foyer misérable. Là, la malnutrition, le manque de soins et d'hygiène et les sévices achevaient de les tuer. Certes, la mortalité enfantine était grande à l'époque même dans les familles où l'on prenait soin des nourrissons mais elle atteignait des records dans le cas des enfants abandonnés.
On ne craint pas d'avancer qu'on n'en trouvera pas un dixième à l'âge de vingt ans, affirme Piarron de Chamousset, conseiller du roi Louis XV, qui préconisait d'envoyer ces enfants (si coûteux pour L'Etat) en Louisiane dès l'âge de cinq à six ans pour les occuper à élever des vers à soie…. Ceux qui parvenaient à atteindre l'âge adulte pouvant aussi être enrôlés dans l'armée où on les mettait en première ligne car aucune famille ne les réclamerait!

Rousseau pouvait-il ignorer, écrit Isabelle Marsay , que 70% des nourrissons confiés à l'hospice des Enfants-Trouvés mouraient avant d'atteindre un an et que l'abandon constituait une forme "d'infanticide différé"

La réponse est dans L'Emile. Voilà comment Rousseau parle de la coutume de mettre ses enfants en nourrice dans les familles  aisées  : Depuis que les mères méprisant leur plus cher devoir, n'ont plus voulu nourrir leurs enfants, il a fallu les confier à des mères mercenaires qui, se trouvant ainsi mère d'enfants étrangers pour qui la nature ne leur disait rien, n'on cherché qu'à s'épargner des peines… Pourvu qu'il qu'il n'y ait pas de preuve de la négligence de la nourrice, pourvu que le nourrisson ne se casse ni bras, ni jambe qu'importe, au surplus qu'il périsse ou qu'il demeure infirme le reste de ses jours. (L'Emile)

 Le récit est donc très intéressant et bien mené et nous nous intéressons à Baptiste, un personnage attachant, et à tous ceux qui gravitent autour de lui comme la famille qui l'a recueilli et l'a ainsi sauvé d'une mort certaine. Parallèlement, Isabelle Marsay met en exergue de chaque chapitre des extraits de L'Emile, des Confessions, de lettres… qui forment un contre-point ironique et terrible à cette histoire qui pour être en partie fictive n'en retrace pas moins la réalité de ces 4300 enfants abandonnés chaque année, en moyenne, à l'époque de Rousseau, dans la seule ville de Paris. Ce que j'ai découvert et dont je n'avais pas pris conscience, c'est que Jean-Jacques Rousseau malgré ses justification, a été tourmenté dans sa conscience. On sait qu'il a cherché vainement à retrouver son fils aîné à la fin de sa vie même s'il n'y a pas mis beaucoup de conviction.

Merci à George de m'avoir fait découvrir ce  livre-voyageur passionnant.

Chez George  Voir ICI

Chez George , je découvre aussi un commentaire laissé par l'auteur, Isabelle Marsay :
Merci pour le fil de vos commentaires, découverts à l’instant. Je tente de répondre à Estelle qui tente de démêler la part de fiction et de réalité. L’auteur, en l’occurrence ma petite personne, s’est fondé sur des recherches biographiques, historiques pour tenter de comprendre les paradoxes de notre éminent pédagogue.
Mon but n’est pas tant de juger Rousseau mais de donner au lecteur le maximum de clefs pour le faire et exaucer le voeu de l’auteur des « Confessions ». Le destin du petit Baptiste se fonde sur des recherches relatives au sort des enfants abandonnés, mais il n’existe que sur le papier, même si je me suis beaucoup attachée à lui!!! Excellente soirée, isabelle Marsay.

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