Le fils de Jean-Jacques d'Isabelle Marsay est une heureuse surprise car il explore bon nombre de questions que je me suis toujours posé sans les résoudre vraiment sur Jean-Jacques Rousseau. Comment en lisant l'Emile, son traité d'éducation, peut-on accepter le fait qu'il ait abandonné ses cinq enfants? Comment ses justifications à ce sujet dans Les Confessions ou Les Rêveries d'un promeneur solitaire ne jettent-elles pas le discrédit sur sa pensée?
Cependant il est sûr que c'est la crainte d'une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par une autre voie, qui m'a le plus déterminé dans cette démarche*. Plus indifférent sur ce qu'ils deviendraient et hors d'état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation, les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d'y penser. (Les Rêveries du promeneur solitaire) * abandonner ses enfants
Comment peut-on écrire des textes qui influenceront les générations à venir, être l'auteur du Contrat social et jouer un si grand rôle dans l'évolution du monde occidental puis agir parallèlement a contrario? Comment accorder foi au philosophe qui écrit : Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle; être toujours décidé sur le parti qu'on doit prendre, le prendre hautement et le suivre toujours … mais ne respecte pas ses propres préceptes! Doit-on considérer l'oeuvre et faire abstraction de l'homme? C'est une question qui se pose souvent en littérature.
Celui qui ne peut remplir ses devoirs de père n'a pas le droit de le devenir. Il n'y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain qui le dispensent de nourrir ses enfants et de les élever lui-même. Lecteurs, vous pouvez m'en croire. je prédis à quiconque a des entrailles et néglige de si saints devoirs qu'il versera sur sa faute des larmes amères et qu'il ne sera jamais consolé. (L'Emile Livre 1)
Isabelle Marsay a eu la très belle idée d'imaginer ce qu'était devenu le fils de Jean-Jacques, son aîné, Baptiste Joseph-Marie, le seul dont nous ayons le nom. Une oeuvre de fiction qui nous fait découvrir ce qu'était la réalité de cette institution des Enfants-Trouvés, un mouroir où les bébés, non pas trouvés mais abandonnés légalement par leur famille, mouraient en grand nombre dès les premiers jours avant d'être confiés à des nourrices, au sein d'un foyer misérable. Là, la malnutrition, le manque de soins et d'hygiène et les sévices achevaient de les tuer. Certes, la mortalité enfantine était grande à l'époque même dans les familles où l'on prenait soin des nourrissons mais elle atteignait des records dans le cas des enfants abandonnés.
On ne craint pas d'avancer qu'on n'en trouvera pas un dixième à l'âge de vingt ans, affirme Piarron de Chamousset, conseiller du roi Louis XV, qui préconisait d'envoyer ces enfants (si coûteux pour L'Etat) en Louisiane dès l'âge de cinq à six ans pour les occuper à élever des vers à soie…. Ceux qui parvenaient à atteindre l'âge adulte pouvant aussi être enrôlés dans l'armée où on les mettait en première ligne car aucune famille ne les réclamerait!
Rousseau pouvait-il ignorer, écrit Isabelle Marsay , que 70% des nourrissons confiés à l'hospice des Enfants-Trouvés mouraient avant d'atteindre un an et que l'abandon constituait une forme "d'infanticide différé"
La réponse est dans L'Emile. Voilà comment Rousseau parle de la coutume de mettre ses enfants en nourrice dans les familles aisées : Depuis que les mères méprisant leur plus cher devoir, n'ont plus voulu nourrir leurs enfants, il a fallu les confier à des mères mercenaires qui, se trouvant ainsi mère d'enfants étrangers pour qui la nature ne leur disait rien, n'on cherché qu'à s'épargner des peines… Pourvu qu'il qu'il n'y ait pas de preuve de la négligence de la nourrice, pourvu que le nourrisson ne se casse ni bras, ni jambe qu'importe, au surplus qu'il périsse ou qu'il demeure infirme le reste de ses jours. (L'Emile)
Le récit est donc très intéressant et bien mené et nous nous intéressons à Baptiste, un personnage attachant, et à tous ceux qui gravitent autour de lui comme la famille qui l'a recueilli et l'a ainsi sauvé d'une mort certaine. Parallèlement, Isabelle Marsay met en exergue de chaque chapitre des extraits de L'Emile, des Confessions, de lettres… qui forment un contre-point ironique et terrible à cette histoire qui pour être en partie fictive n'en retrace pas moins la réalité de ces 4300 enfants abandonnés chaque année, en moyenne, à l'époque de Rousseau, dans la seule ville de Paris. Ce que j'ai découvert et dont je n'avais pas pris conscience, c'est que Jean-Jacques Rousseau malgré ses justification, a été tourmenté dans sa conscience. On sait qu'il a cherché vainement à retrouver son fils aîné à la fin de sa vie même s'il n'y a pas mis beaucoup de conviction.
Merci à George de m'avoir fait découvrir ce livre-voyageur passionnant.
Chez George Voir ICI
Chez George , je découvre aussi un commentaire laissé par l'auteur, Isabelle Marsay :
Chez Asphodèle
Chez Hélène chocolat
Cependant il est sûr que c'est la crainte d'une destinée pour eux mille fois pire et presque inévitable par une autre voie, qui m'a le plus déterminé dans cette démarche*. Plus indifférent sur ce qu'ils deviendraient et hors d'état de les élever moi-même, il aurait fallu dans ma situation, les laisser élever par leur mère qui les aurait gâtés et par sa famille qui en aurait fait des monstres. Je frémis encore d'y penser. (Les Rêveries du promeneur solitaire) * abandonner ses enfants
Comment peut-on écrire des textes qui influenceront les générations à venir, être l'auteur du Contrat social et jouer un si grand rôle dans l'évolution du monde occidental puis agir parallèlement a contrario? Comment accorder foi au philosophe qui écrit : Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle; être toujours décidé sur le parti qu'on doit prendre, le prendre hautement et le suivre toujours … mais ne respecte pas ses propres préceptes! Doit-on considérer l'oeuvre et faire abstraction de l'homme? C'est une question qui se pose souvent en littérature.
Celui qui ne peut remplir ses devoirs de père n'a pas le droit de le devenir. Il n'y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain qui le dispensent de nourrir ses enfants et de les élever lui-même. Lecteurs, vous pouvez m'en croire. je prédis à quiconque a des entrailles et néglige de si saints devoirs qu'il versera sur sa faute des larmes amères et qu'il ne sera jamais consolé. (L'Emile Livre 1)
Isabelle Marsay a eu la très belle idée d'imaginer ce qu'était devenu le fils de Jean-Jacques, son aîné, Baptiste Joseph-Marie, le seul dont nous ayons le nom. Une oeuvre de fiction qui nous fait découvrir ce qu'était la réalité de cette institution des Enfants-Trouvés, un mouroir où les bébés, non pas trouvés mais abandonnés légalement par leur famille, mouraient en grand nombre dès les premiers jours avant d'être confiés à des nourrices, au sein d'un foyer misérable. Là, la malnutrition, le manque de soins et d'hygiène et les sévices achevaient de les tuer. Certes, la mortalité enfantine était grande à l'époque même dans les familles où l'on prenait soin des nourrissons mais elle atteignait des records dans le cas des enfants abandonnés.
On ne craint pas d'avancer qu'on n'en trouvera pas un dixième à l'âge de vingt ans, affirme Piarron de Chamousset, conseiller du roi Louis XV, qui préconisait d'envoyer ces enfants (si coûteux pour L'Etat) en Louisiane dès l'âge de cinq à six ans pour les occuper à élever des vers à soie…. Ceux qui parvenaient à atteindre l'âge adulte pouvant aussi être enrôlés dans l'armée où on les mettait en première ligne car aucune famille ne les réclamerait!
Rousseau pouvait-il ignorer, écrit Isabelle Marsay , que 70% des nourrissons confiés à l'hospice des Enfants-Trouvés mouraient avant d'atteindre un an et que l'abandon constituait une forme "d'infanticide différé"
La réponse est dans L'Emile. Voilà comment Rousseau parle de la coutume de mettre ses enfants en nourrice dans les familles aisées : Depuis que les mères méprisant leur plus cher devoir, n'ont plus voulu nourrir leurs enfants, il a fallu les confier à des mères mercenaires qui, se trouvant ainsi mère d'enfants étrangers pour qui la nature ne leur disait rien, n'on cherché qu'à s'épargner des peines… Pourvu qu'il qu'il n'y ait pas de preuve de la négligence de la nourrice, pourvu que le nourrisson ne se casse ni bras, ni jambe qu'importe, au surplus qu'il périsse ou qu'il demeure infirme le reste de ses jours. (L'Emile)
Le récit est donc très intéressant et bien mené et nous nous intéressons à Baptiste, un personnage attachant, et à tous ceux qui gravitent autour de lui comme la famille qui l'a recueilli et l'a ainsi sauvé d'une mort certaine. Parallèlement, Isabelle Marsay met en exergue de chaque chapitre des extraits de L'Emile, des Confessions, de lettres… qui forment un contre-point ironique et terrible à cette histoire qui pour être en partie fictive n'en retrace pas moins la réalité de ces 4300 enfants abandonnés chaque année, en moyenne, à l'époque de Rousseau, dans la seule ville de Paris. Ce que j'ai découvert et dont je n'avais pas pris conscience, c'est que Jean-Jacques Rousseau malgré ses justification, a été tourmenté dans sa conscience. On sait qu'il a cherché vainement à retrouver son fils aîné à la fin de sa vie même s'il n'y a pas mis beaucoup de conviction.
Merci à George de m'avoir fait découvrir ce livre-voyageur passionnant.
Chez George Voir ICI
Chez George , je découvre aussi un commentaire laissé par l'auteur, Isabelle Marsay :
Merci pour le fil de vos commentaires, découverts à
l’instant. Je tente de répondre à Estelle qui tente de démêler la part
de fiction et de réalité. L’auteur, en l’occurrence ma petite personne,
s’est fondé sur des recherches biographiques, historiques pour tenter de
comprendre les paradoxes de notre éminent pédagogue.
Mon but n’est pas tant de juger Rousseau mais de donner au lecteur le maximum de clefs pour le faire et exaucer le voeu de l’auteur des « Confessions ». Le destin du petit Baptiste se fonde sur des recherches relatives au sort des enfants abandonnés, mais il n’existe que sur le papier, même si je me suis beaucoup attachée à lui!!! Excellente soirée, isabelle Marsay.
Mon but n’est pas tant de juger Rousseau mais de donner au lecteur le maximum de clefs pour le faire et exaucer le voeu de l’auteur des « Confessions ». Le destin du petit Baptiste se fonde sur des recherches relatives au sort des enfants abandonnés, mais il n’existe que sur le papier, même si je me suis beaucoup attachée à lui!!! Excellente soirée, isabelle Marsay.
Chez Asphodèle
Chez Hélène chocolat
En effet, ce roman semble tout à fait passionnant, ce Jean-Jacques n'en finissant pas de nous interroger par son attitude indigne... d'un tel philosophe. Comme Estelle en com', je m'interrogerais sur la part réalité/fiction, toujours délicate dans ce genre d'écrits.
RépondreSupprimerYs : La réponse est très nette. L'histoire du fils Jean Jacques ne peut être que fictionnelle puisqu'il n'a jamais été retrouvé mais le contexte historique est réel et l'auteur s'est solidement documentée. Il est probable si l'on en croit les chiffres que l'enfant est mort en bas âge. Il avait peu de chance de s'en sortir! Ou qu'il a fini dans la rue comme mendiant ou voleur puisqu'on ne donnait à ces enfants aucune instruction et ils n'avaient pas droit à un apprentissage... Ou encore soldat, tué dans une boucherie héroïque (selon l'expression e Voltaire)..
SupprimerJe suis ravie que ce roman t'ait plu. J'espère que ton billet permettra de le faire un peu plus connaître. Isabelle Marsay a écrit un roman à la fois intéressant pour ses faits historiques, philosophique et littéraire.
RépondreSupprimerMerci George de me l'avoir fait découvrir. Le sujet est passionnant et je suppose que les élèves d'Isabelle Marsay ont dû se passionner à sa lecture!
SupprimerExtrêmement intéressant! Merci pour cette excellente piste.
RépondreSupprimer@ Thérèse : J'espère qu'il te plaira!
SupprimerQue de lectures passionnantes! tu nous donnes envie de lire celui-là et tant d'autres. Comme il fait définitivement trop froid pour aller me promener, je crois que je vais lire un peu et faire baisser le niveau de la pile.
RépondreSupprimerVive le froid s'il permet de lire! Moi aussi je vais aller dans ton blog!
SupprimerTiens! le formulaire des commentaires a changé, j'ai pu shunter l'assommante captcha.
RépondreSupprimerOui, j'ai supprimé (je ne sais pas bien comment) la captcha et l'effet a été automatique! J'ai reçu mon premier spam aujourd'hui! publicité venue d'Angleterre qui a été bloquée au niveau du blog. Tu te souviens quand dans mon blog du monde, j'en ai reçu des milliers? j'ai peur que ça recommence!
SupprimerIls ne manquent pas ces penseurs célèbres qui ont fait le grand écart entre leur oeuvre et leur vie .. ce qui ne me donne guère envie de les lire. Là, c'est différent et pourquoi pas, je connais l'histoire des enfants abandonnés dans les grandes lignes, mais j'ai sûrement beaucoup à apprendre.
RépondreSupprimerCertes, on connaît plus ou moins le sort des enfants abandonnés mais jamais je n'aurais pensé que c'était aussi horrible. Ce qui est particuièrement intéressant, c'est le parallèle entre la réalité et les textes de JJ Rousseau!!.
SupprimerCette lecture doit être passionnante. Merci de m'informer de l'existence de ce livre. Je suis pas sûre de pouvoir le lire prochainement, mais il est sur ma liste et si je tombe dessus....
RépondreSupprimerTrès très intéressant, cette réflexion sur Rousseau.... J'ai toujours été très questionnée par le personnage et ses ambiguïtés.
Bonne soirée.
@ Bonheur du jour : C'est vrai que le personnage est fascinant par ses ambiguïtés et ses contradictions. C'est un être qui n'a jamais cessé de se justifier, tourmenté par sa conscience (conscience réveillée aussi par ses ennemis qui comme Voltaire ne le rate jamais!). Mais en même temps il se disculpe en se trouvant des circonstances atténuantes, en accusant les autres d'être pire que lui, et en faisant sa propre apologie. Il sort toujours blanchi de son tribunal intime! Pour mieux recommencer ensuite!
SupprimerUn de mes livres "marquants" de 2012 car je ne savais même pas qu'il avait abandonné ses 5 enfants, pas un, cinq ! Et j'ai trouvé ses regrets ou ses remords plutôt bien tardifs et peu convaincants... MERCI d'avoir supprimé les hiéroglyphes, ça me change la vie, un coup sur deux j'avais faux et je ne compte même plus le nombre de comm qui sont restés lettre morte ! ;) Biiiizzz
RépondreSupprimer@aspho :Ce livre est une belle découverte. Je me demande comment le reçoivent les élèves de première pour lesquels il a été écrit. (question due à mon passé de prof de lettres?)
SupprimerOui, j'ai supprimé les hiéroglyphes et je vois que tout le monde est content mais j'ai déjà reçu un spam, ce qui ne m'était jamais arrivé avant dans ce blog! Enfin tant qu'ils ne sont pas envoyés par milliers comme dans mon ancien blog, ça va!
J'ai aussi beaucoup aimé ce livre, édifiant! J'ai, du coup, une image complètement différente de Rousseau...
RépondreSupprimer@ Hélène : C'est vrai que la connaissance de l'homme ne le grandit pas, d'autant plus qu'il est philosophe et, à ce titre, à joué un grand rôle dans l'histoire de la pensée. Très gênant!
SupprimerBonjour à toutes et tous.
SupprimerCe qui m'amuse le plus c'est surtout la similitude de vie avec l'auteur qui ici comme dans ses autres "oeuvres" ne cesse de régler ses comptes avec l'homme ou plus exactement son père à elle qu'elle fustige via Rousseau.