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vendredi 12 septembre 2014

Victor Hugo : les travailleurs de la mer



J'ai lu Les travailleurs de la mer quand j'avais une vingtaine d'années, je l'avais beaucoup aimé et jamais relu depuis! Il était temps que je répare cette lacune!
En fait la seule chose dont je me souvenais, c'est de la lutte de Gilliatt contre la pieuvre géante. Et voilà qu'en parvenant de nouveau à ce passage extraordinaire du roman où le jeune homme est agrippé par des tentacules démesurées, je me suis sentie dans le même état qu'à ma première lecture, happée tout comme l'est Gilliat par le monstre marin, fascinée, haletante, étreinte d'une folle angoisse, obligée de continuer tandis que Victor Hugo nous distille tous les détails de la monstrueuse anatomie de la pieuvre, condamnée à tout subir, jusqu'au bout, jusqu'à l'issue qui forcément doit être fatale pour l'un ou pour l'autre car il s'agit d'un combat à mort! Il n'y a que Victor Hugo pour réussir une telle prouesse, Victor Hugo et son souffle puissant, Victor Hugo et sa richesse lexicale hors du commun, Victor Hugo et son art de la personnification, des antithèses, des métaphores, son art du grandissement épique. J'avais déjà éprouvé ce sentiment dans Quatre-vingt-treize avec la description du combat de l'homme contre le canon détaché, mais ici, c'est multiplié par mille!



Octopus dessin de Victor Hugo

La pieuvre est la métaphore du Mal, pire que celui incarné par l'océan, l'ouragan, les trombes, pire que celui représenté par l'homme, le diabolique capitaine de la Durande, le sieur Clubin… Un mal  irrémédiable, terrassant, absolu :

Une morsure est redoutable; moins qu'une succion. La griffe n'est rien près de la ventouse. La griffe, c'est la bête qui entre dans votre chair; la ventouse, c'est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s'enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. (…) la bête se substitue à vous par mille bouches infâmes.

Métaphore qui aboutit à cette loi scientifique que Hugo, dans une vision surréaliste, transforme en une méditation métaphysique

Tous les êtres rentrent les uns dans les autres. Pourriture, c'est nourriture. Nettoyage effrayant du globe. L'homme, carnassier, est , lui aussi, un enterreur. Notre vie est faite de mort. Telle est la loi terrifiante. Nous sommes sépulcres.
Dans notre monde crépusculaire, cette fatalité de l'ordre produit des monstres.(..)
 

Vivons, soit.`
Mais tâchons que la mort nous soit un progrès.Aspirons à des mondes moins ténébreux.


Dessin de Gustave Doré

Dans sa préface Victor Hugo précise qu'une triple anankè pèse sur l'homme, Anankè, c'est à dire la personnification de la destinée, de la fatalité :

... l'anankè des dogmes, l'anankè des lois, l'anankè des choses. Dans Notre-Dame-de Paris, l'auteur a dénoncé le premier; dans les Misérables, il a signalé le second; dans ce livre, il indique le troisième.
A ces trois fatalités qui enveloppent l'homme se mêle la fatalité intérieure, l'anankè suprême, le coeur humain.


Les travailleurs de la mer, c'est bien cela :  la fatalité suprême - le coeur humain- celle pousse Gilliatt, un pauvre pêcheur étranger au pays, honni, rejeté par tous, à aimer d'un amour sans bornes la jolie et malicieuse Déruchette. Déruchette, un des plus beaux partis de l'île, courtisée par tous, la nièce adorée et choyée du riche armateur Mess Lethierry. Celui-ci, excellent marin, est le premier à avoir introduit le bateau à vapeur à Guernesey, initiative hardie, mal vue par les insulaires, mais qui fait sa fortune. Aussi quand son bateau bien aimé, la Durande, s'échoue sur l'un des plus dangereux écueils au large de l'île, le vieil homme est non seulement ruiné mais anéanti. Alors Déruchette promet sa main à celui qui sera assez courageux et habile pour récupérer le moteur du bateau resté intact, accroché au rocher. Il n'en faut pas plus à Gilliatt pour partir affronter l'horreur, l'anankè des choses, la lutte contre les éléments déchaînés, un bras de fer avec l'Océan tout puissant. Car Les travailleurs de la mer, c'est avant tout une histoire d'amour sublime, celle d'un homme qui s'expose à la mort, qui brave mille dangers, qui subit les tourments de la faim, du froid, de la solitude, de la peur sacrée de la nuit, cette pression de l'ombre qui conduit au bord de la folie, l'alternance d'espoir et de désespoir, pour être digne d'être aimé.


L'écueil des deux Douvres

Il voit l'obscurité et sent l'infirmité. Le ciel noir, c'est l'homme aveugle. L'homme face à face avec la nuit, s'abat, s'agenouille, se prosterne, se couche à plat ventre, rampe vers le trou, ou se cherche des ailes. Presque toujours il veut fuir cette présence informe de l'Inconnu.
L'effroi sacré est propre à l'homme; la bête ignore cette crainte. L'intelligence trouve dans cette terreur auguste son éclipse et sa preuve.


Et le génie de Victor Hugo c'est d'avoir choisi pour incarner ce héros épique, capable de braver l'océan, les vagues, les léviathans, un homme doué d'une grande intelligence et capable de créer, de façonner les objets, de dominer les lois de la physique.. un homme simple, un travailleur de la mer, issu du peuple, occupant la plus basse position dans l'échelle sociale. Génial, Non?

Les travailleurs de la mer c'est aussi un personnage à part entière l'île de Guernesey, la beauté âpre de ces lieux, la mentalités de ses habitants, leurs croyances, leurs superstitions, leur combat au quotidien dans la lutte pour arracher leur subsistance à l'océan. C'est l'alliance de la terre et de la mer.

Un roman qui embrasse tous les genres, roman d'aventure, roman d'amour, roman de la mer, roman philosophique, métaphysique. Hugolien ... en quelque sorte!






LC avec AalisMyriam; Nathalie