"Au
loin, de l'autre côté de la tourbière, il distingua une créature à
longues pattes et au cou interminable, comme un serpent. A y regarder de
plus près, elles étaient plusieurs. Grises et noires, elles
s'envolaient, leurs ailes déployées et leurs pattes oscillant dans les
airs.
Les grues cendrées dansaient sur la tourbière. Les ailes tendues les
unes vers les autres, le cou courbé, elles criaient et approchaient, le
garçon ne fit aucun bruit, retenant son souffle. Jamais il n'avait vu un
tel spectacle."
Nevabacka formé de deux mots, l’un finlandais neva, les marais, l’autre en suédois backa, la colline, désigne la ferme et la forêt où se déroule l’action du roman de Maria Turstschaninoff, en Ostrobotnie, à l’est de la Finlande.
Maria Turstschaninoff, finlandaise de langue suédoise, écrit un roman historique puisqu’il commence au XVII siècle et se termine de nos jours, mais qui est aussi un conte nourri de légendes traditionnelles, un poème en prose amoureux de la nature, des forêts et des animaux et qui plonge le lecteur au coeur même de la vie et de la beauté mystérieuse et sauvage.
Un soldat, Matts Rak, reçoit du roi, comme récompense de ses bons services militaires, une terre éloignée et sauvage qu’il appellera Nevabacka et qu'il s’efforcera de défricher, de labourer et de rendre fertile en bon fermier qu’il jamais cessé d’être malgré la guerre qui avait fait de lui un soldat. Sur son domaine s’étend une grande tourbière et des marais que le jeune paysan se propose d’assécher. Mais dans ces lieux se cache le peuple des forêts, celui qui échappe au christianisme et que le peuple révère et craint. La fée de la Tourbière - manifestation des croyances populaires, allégorie de la forêt et plus généralement de la nature toute puissante ? - lui interdit de toucher à la tourbière et lui donne un fils en cadeau comme une compensation pour son obéissance. Nous suivons les différents membres de la famille issus de ces deux ancêtres, au cours d’une longue remontée dans les siècles où l’on passe de croyances primitives en des éléments surnaturels qui imposent le respect, à un monde où L’Eglise combat le surnaturel, punit ceux qui y croient et, à notre monde contemporain qui maltraite la nature et l’exploite au nom d’une économie efficace et productive.
Le réalisme du récit nous amène à partager la dure vie de ces paysans dans la ferme Nevabacka, qui, pour être la plus grande et la plus riche de la région, n’en exige pas moins un travail pénible mais la présence de la nature, de sa beauté majestueuse, baigne le roman d’une aura magique.
"Je me suis installée sur un arbre couché et, ma chère Charlotte,
j'ai été saisie par la beauté de ce moment. D'abord, le ciel est devenu
rouge, presque écarlate, avec des tâches roses et jaunes. Puis le soleil
s'est levé à l'horizon et les rayons ont traversé la forêt, ornant les
ombres des arbres de gravures dorées. Je n'ai jamais écrit de poèmes,
mais à ce moment-là, mon âme en est devenu un."
Les personnages se succèdent dans des récits qui semblent indépendants les uns des autres mais qui sont reliés par des liens de parenté. L’existence éphémère de chacun forme un grand Tout, à la fois au niveau familial mais aussi à la dimension du pays, célébrant ainsi l’âpre beauté de la Finlande. Les personnages attachants et le style de l’auteure, poétique, font de ce roman une belle lecture.