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jeudi 28 décembre 2023

Ellen J. Levy : Le médecin de Cape Town

 

Dans le roman Le médecin de Cape Town, Ellen J. Levy  nous raconte l'histoire de Margaret Ann Bulkley, irlandaise, née à la fin du XVIII siècle, devenue chirurgienne en se faisant passer pour un homme à une époque où le savoir est interdit aux femmes.

 

James Barry peintre, oncle de Margaret Bulkley

C’est la ruine de son père, emprisonné pour dette, qui précipite le destin de Margaret en la plongeant, elle et sa mère, dans une situation précaire. Son oncle, le célèbre peintre James Barry décède après leur  avoir refusé son aide. Aussi, c’est avec le soutien de son tuteur vénézuélien, le général Fernando de Mirandus, qui lui servit de professeur et lui ouvrit sa bibliothèque et avec l’accord de sa mère, qu’elle décide de prendre une identité masculine afin de pouvoir s’inscrire à l’université de médecine d’Edimbourg interdite aux femmes. Elle emprunte alors le nom de son oncle auquel elle ajoute celui du général et devient James Miranda Barry. Elle obtient son doctorat de médecine en 1812 à l’université d’Edimbourg et devient chirurgien militaire après avoir passé son examen au Collège Royal de chirurgie à Londres en 1813.
 

James Miranda Barry, chirurgien
 

Nommée au Cap, elle devient inspecteur médical pour la colonie. Elle se lie d’amitié avec le gouverneur Lord Charles Somerset et tous deux sont soupçonnés d’homosexualité,  délit sévèrement réprimé à l’époque, ce qui crée un scandale. Elle est obligée de quitter le Cap pour l’île Maurice et ne revient en Angleterre que pour assister aux funérailles de Lord Somerset. C’est ainsi qu’Ellen Levy a choisi de terminer son roman.  Après la mort du Lord, l’écrivaine résume ensuite dans un bref épilogue les trente ans de vie de James Barry à travers le monde et ce qui a trait à son métier de médecin. On sait qu’il effectua la première césarienne en Afrique, lutta contre le choléra, la syphilis, améliora l’hygiène publique et la prise en charge de la santé des soldats.

Le roman d’Ellen J. Levy est intéressant à plusieurs titres. Dans une premier partie qui présente l’enfance et la formation universitaire de le jeune fille ainsi que sa transformation du féminin au masculin, l’écrivaine nous présente un personnage qui a réellement existé et qui a eu une vie hors du commun. Bien sûr, l’on ne sait pas tout sur le docteur Barry mais Ellen Levy s’est appuyée sur des faits avérés pour retracer son histoire. Pour le reste, elle a dû laisser libre cours à son imagination.
Toute la première partie du roman m’a beaucoup plu car elle présente la société et la condition féminine de ce début du XIX siècle dans laquelle la femme n'a aucun doit et doit rester dans l'ombre pour ne pas déranger l’ordre établi.

 "Naturellement, c'était illégal d'être une femme sur un bateau de la marine. Il existait tellement de situations où les femmes étaient illégales – la médecine, l'armée, l'université. A en croire la loi, le sexe féminin devait être une puissance monstrueuse – risquant à tout moment de dépasser les hommes, constituant une terrible menace -, une force redoutable pour entraîner de telles contraintes. Il semblait que nous étions plus dangereuses que l'opium, la poudre à canon ou les Enclosure Acts combinés."

 
Elle nous amène aussi à une réflexion sur ce que c’est qu’être homme ou femme ou tout simplement ce que c'est qu'être ! Il ne suffit pas d’un changement de vêtements. Au début, Margaret s’entraîne à devenir James Barry mais elle ne le sera vraiment qu’en prenant conscience que c’est son intériorité qu’il faut modifier. Vivre en tant que femme, c’est vivre sous contrainte, sous éteignoir, éviter de donner son avis, cacher son intelligence, être conforme aux exigences de la société. Vivre en tant qu’homme, c’est vivre librement, au grand jour. En fait, c’est être elle-même !

« Malgré ma petite stature, j’avais le maintien des hommes libres, me comportais comme si j’appartenais au monde, ou plutôt comme si le monde m’appartenait. Ce n’étaient pas mes vêtements qui les convainquaient, c’était ma conduite : on voyait dans ma démarche que mon corps m’appartenait. On voyait dans ma démarche que j’avais le monde en héritage, que j’étais un fils fortuné. »
« Ils ont raison bien sûr, ceux qui disent que je n'étais pas une femme faisant semblant d'être un homme : j'étais quelque chose de bien plus choquant – j'étais une femme qui avait arrêté de faire semblant d'être autre chose, une femme qui n'était qu'une personne, l'égale de n'importe qui d'autre – en étant simplement moi-même : une personne qui avait de l'esprit, était difficile, charmante, têtue, brillante, en colère, je ne faisais plus semblant de ne pas être cette personne ».
 

Elle nous présente aussi la formation des étudiants en médecine, les difficultés que rencontre James  pour tenir son rôle, en ce qui concerne la sexualité, les règles, la nécessité de porter des bandages pour comprimer les seins, dans un monde exclusivement masculin.

James Barry et son serviteur


Par contre, j’ai beaucoup moins aimé la suite, la deuxième partie, lorsqu’elle arrive au Cap. Là où j’aurais voulu des renseignements précis sur le métier du chirurgien à cette époque, la description de ce que représentait son travail et les innovations qu'il avait apportées,  il n’y a que quelques allusions. Ce qui intéresse Ellen Levy, c’est d’abord l’histoire d’amour avec Lord Somerset. Barry devient un mondain, qui fréquente la haute société, un dandy qui s’habille avec raffinement - ce qui est attesté -  mais elle est aussi une amante, puis une femme enceinte qui doit renoncer à son enfant. La part d’imagination est importante ici car l’on n’a jamais su exactement ce qu’il en était de la vie amoureuse de Barry. Personnellement, c’était ce qui m’intéressait le moins et du coup, j’ai éprouvé une petite déception pour ce roman même si j’ai apprécié de connaître le destin de cette femme hors norme. 


LC avec Je lis, Je blogue ICI

A Girl From Earth ICI

Voir Keisha ICI

jeudi 2 novembre 2023

Maggie O'Farrell : Le portrait de mariage

 

Dans Le portrait de mariage, Maggie O’Farell nous transporte dans la Renaissance Italienne, dans les années 1550  et 1560, à Florence sous le règnes de Cosme II, grand Duc de Toscane et de son épouse Éléonore de Tolède puis à Ferrare dans le château des ducs d'Este.

Le hasard de mes lectures a fait que Le Portrait de mariage semble faire suite à Perspectives dans lequel Laurent Binet  présentait Maria de Médicis, la fille aînée de ces souverains toscans, fiancée à Alfonso II d’Este, duc de Ferrare. Mais cette dernière meurt à l’âge de dix-sept ans avant le mariage. Maggie O’Farrel raconte, elle, l’histoire de sa soeur Lucrèce contrainte d’épouser le duc à l’âge de treize ans à la place de Marie et de quitter sa famille à 15 ans pour un exil douloureux à Ferrare où elle mourra un an après…

 

Marie de Médicis Bronzino


On sait peu de choses sur Lucrèce de Médicis et sa courte existence aussi l’écrivaine a dû faire largement appel à son imagination. Et il y des passages réussis, en particulier, la description de l’enfance de la fillette et de ses frères et soeurs dans « la pouponnière » du  Palais Médicis, neuf enfants dont l’aînée est Maria, entourés des nourrices, des serviteurs et des précepteurs qui se succèdent pour enseigner le grec et le latin, la musique ou la danse et pour les garçons les arts martiaux. Une enfance cloîtrée ! Les filles ne peuvent pas se mélanger au peuple et ne sortent pas du palais. C'est du haut des remparts d’où elles aperçoivent le David de Michel Ange, qu’elles observent la place de la Seigneurie, les va-et vient de la foule, les fêtes somptueuses, les pallios, organisées par son père… Lucrèce n’en sortira que pour son mariage à l’église de Santa Maria Novella. La ménagerie de son père installée dans le palais (dont l’odeur incommode tant Eleonore que la cour finira par déménager au Palazzo Pitti) donne lieu à une belle scène. Lucrèze y découvre la tigresse arrivée au palais en 1552 et un lien se crée entre la fillette et le fauve, peut-être suggère l’auteure, en raison de leur appartenance à la même espèce, celle des solitaires, peut-être en raison aussi de leur destin semblable, privation de liberté et impossibilité du choix. 

« Ses mouvements étaient aussi fluides que du miel tombant d’une cuillère. Elle sortit  de l’ombre de sa cage  comme si la jungle tout entière était son royaume, faisant rouler sous ses pattes la terre de Florence qui composait ce sol crasseux. (…) Cette bête frémissait, crépitait, bouillonnait, habitée par un feu, étonnante avec sa gueule à la symétrie parfaite. Lucrèce n’avait jamais rien vu d’aussi beau de toute sa vie. La flamboyance de ce dos et de ces flancs, ce bas-ventre clair. Les marques sur son pelage, remarqua-t-elle, n’étaient pas des rayures, non, le mot était trop faible. Elles étaient une dentelle noire et virtuose, une parure, un camouflage, elles la définissaient, la sauvaient. (…)
Lucrèce ressentait la tristesse, la solitude qui se dégageaient de la bête, son traumatisme d’avoir été arrachée de son environnement.»

 

Lucrèce de Médicis, duchesse de Ferrare



 Bien sûr, ce qui intéresse Maggie O’Farell à travers la vie de ce personnage, c’est le thème féministe. La jeune fille n’a jamais le choix ni de vivre librement, ni de choisir son époux, ni de penser, de donner son avis, de décider de quoi que ce soit. Elle passe de la tutelle de ses parents à celle de son époux et est considérée surtout et seulement comme une reproductrice. Or, comme elle ne parvient pas à être enceinte (et pour cause le duc Alfonso, stérile, se mariera trois fois sans avoir d’héritier), elle devient gênante. Mais est-elle morte assassinée par son mari comme les rumeurs l’ont laissé entendre ou des suites d’une maladie ? Les Historiens d’aujourd’hui penchent plutôt, d’après les symptômes, pour un décès lié à la tuberculose. L’écrivaine a le choix et reprend la thèse de l’assassinat qui est bien, d’ailleurs, dans les moeurs du temps puisque la soeur de Lucrèce, Isabella de Médicis, a été tuée, étouffée dans son lit par son mari Paolo d’Orsini aidé de François, son frère, devenu le grand-duc de Florence après la mort de Cosme II. Et le frère de Lucrèce, Pierre, s’est débarrassé de son épouse de la même manière sans être autrement inquiété !

Isabella de Médicis


Ce que je n’ai pas apprécié, par contre, c’est la fin extravagante, invraisemblable, imaginée par Maggie 0’ Farrell dans le dénouement qui m’a paru un peu fleur bleue, ni les libertés qu’elle a prises avec l’Histoire quand celle-ci est avérée comme par exemple de changer les noms de soeurs du Duc de Ferrare ou de  rendre Lucrèce témoin d’un évènement qui n’aura lieu qu’après la mort de la jeune femme. Dans un roman historique, on peut remplir les cases manquantes par l’imagination mais ne pas jouer avec les faits certains même si c’est pour des raisons dramatiques.

Comme on peut s’en rendre compte à la lecture de l’extrait ci-dessus la langue est riche, évocatrice, le style très travaillé, ciselé mais presque trop, entravant parfois le récit, les pensées de la jeune femme imaginées si minutieusement par l’auteur prenant forcément le dessus sur l’intrigue et les faits historiques. On a parfois l’impression de faire du surplace ! Une certaine lassitude naît par moments de toutes ces longueurs surtout dans les passages qui se déroulent à Ferrare. Le livre est donc intéressant et présente des qualités mais il n’a pas totalement emporté mon adhésion.

 

René de France


 J'ai découvert un personnage secondaire du roman qui est aussi très intéressant : C’est Renée de France, fille du roi français Louis XII, épouse du Duc de Ferrare Hercule II d’Este, père du duc Alfonso II. Protestante, elle accueille à la cour de Ferrare de nombreux réformés dont Calvin sous un nom d'emprunt et ne renonce jamais à sa confession. Elle s'attire les foudres du pape et part en France dans son comté de Montargis.


Alfonso II duc de Ferrare

D’autre part, il est question dans le roman de Maggie O'Farell du portrait de mariage de Lucrèce commandé par le duc Alfonso au peintre Bastiniano,  portrait qui renvoie au poème de Robert Browning My last Duchess (1842) dans lequel le poète imagine le duc de Ferrare montrant le tableau de Lucrèce qu'il a assassinée, oeuvre d'un peintre fictif Pandolf, à l'émissaire qu'il reçoit pour conclure son second mariage. 

Là, peinte au mur, c'est ma dernière duchesse,

 
Ne la croirait-on pas vivante ? Cette œuvre 


est une merveille, savez-vous ? 

Les mains de Frère Pandolf 


se sont affairées une journée entière, et la voici, en pied. 


Vous plairait-il de vous asseoir et de la contempler ?

 
J'ai dit « Frère Pandolf » à dessein, car, voyez-vous, 

aucun étranger n'a jamais lu ce visage ici peint comme vous le faites, 


la profondeur, la passion, la détermination de son regard, 


sans se tourner vers moi (car personne d'autre ne tire le rideau, 


comme je viens de le faire pour vous)...

Voir  l'avis d'Eimelle Ici 

lundi 20 juin 2022

Oscar Wilde : le crime de Lord Athur Savile

  

Au cours d'une réception mondaine la belle et fantasque lady Windermere présente son chiromancien à la société. Ce dernier prédit l’avenir à tous ces grands personnages mais lorsqu’il tient la main de lord Arthur Savile, il blêmit et reste muet. Ce n’est que plus tard qu’il accepte de dire la vérité à Arthur. L' avenir du jeune lord est tracé, sa ligne de vie révèle qu'il va bientôt commettre un assassinat. Devenir un assassin ! Sir Arthur est d’abord bouleversé puis il prend le temps de réfléchir.
Le jeune homme qui est sur le point d’épouser sa bien-aimée Sybil Merton décide de commettre le meurtre le plus vite possible, quitte à retarder la cérémonie, pour en être débarrassé et pouvoir se marier l’esprit tranquille ! Ainsi il épargnera des soucis à la jeune femme. Belle preuve d'amour !

« Bien des gens dans sa situation auraient préféré le sentier fleuri du plaisir aux montées escarpées du devoir ; mais lord Arthur était trop consciencieux pour placer le plaisir au-dessus des principes. »

La situation est totalement absurde et Oscar Wilde manie le non-sens avec un côté pince-sans-rire réussi. Le lecteur est bien obligé d’adhérer au raisonnement de Lord Arthur établi sur un sens du devoir indiscutable et des principes moraux honorables et délicats.

Heureusement pour lui aussi, il n’était pas un simple rêveur, un dilettante oisif. S’il eût été tel, il eût hésité comme Hamlet et permis que l’irrésolution ruinât son dessein. Mais il était essentiellement pratique. Pour lui, la vie c’était l’action, plutôt que la pensée.
Il possédait ce don rare entre nous, le sens commun.

 Oui, mais, qui tuer ? Et comment ? On ne s’improvise pas assassin ! Le pauvre jeune homme va avoir beaucoup de déboires, ce qui retarde d’autant son mariage, et il connaîtra des échecs qui le plongent dans le désespoir, les gens ne sont pas toujours sympathiques et ne se laissent pas tuer si facilement. C’est très contrariant. Je vous laisse découvrir la chute savoureuse.

Au cours de ce récit hilarant dans lequel Oscar Wilde déverse son humour noir et caustique, il  présente une vision acérée de la société et des portraits passés au vitriol de son humour.

 LadyWindermere :

Elle avait plusieurs fois changé de mari. En effet, … elle portait trois mariages à son crédit, mais comme elle n’avait jamais changé d’amant, le monde avait depuis longtemps cessé de jaser scandaleusement sur son compte.

la duchesse de Pesley

– Où est mon chiromancien ?
– Votre quoi, Gladys ? s’exclama la duchesse avec un tressaillement involontaire.
– Mon chiromancien, duchesse. Je ne puis vivre sans lui maintenant.
– Chère Gladys, vous êtes toujours si originale, murmura la duchesse (...)

– Il vient voir ma main régulièrement deux fois chaque semaine, poursuivit lady Windermere, et il y prend beaucoup d’intérêt.

– Dieu du ciel ! se dit la duchesse. Ce doit être là quelque espèce de manucure. Voilà qui est vraiment terrible !

La religion : le doyen et sa fille bien-pensante

Le père de Jane, la fille du doyen, a reçu  une horloge ornée de la Liberté piétinant le Despotisme. Lorsque la statuette se casse et tombe, Jane écrit :

« Papa dit que ces horloges sont propres à faire du bien, car elles montrent que la liberté n’est pas durable.
Papa dit que la liberté a été inventée au temps de la Révolution française. Cela semble épouvantable.»

Et Ainsi de suite…   J’adore ce genre d’humour et cette nouvelle est à cet égard un vrai régal !

vendredi 15 janvier 2021

Joseph O'Connor : le bal des ombres

 

Voilà encore un livre que j’ai adoré ! Merci à Kathel de me l’avoir fait connaître :  son billet est  ici

Joseph O’Connor place l’action de son livre Le bal des ombres dans la ville de Londres en 1878 et dans le cadre du théâtre Lyceum, alors en très mauvais état, acheté et rénové par Sir Henry Irving, célèbre acteur de l’époque. Celui-ci va prendre pour directeur financier un écrivain sans succès, lui-même persuadé d’être un raté, Bram Stoker qui est pourtant le père d’un des personnages les plus célèbres du monde, être fantastique devenu un mythe : Dracula. Une femme vient rejoindre ces deux hommes, actrice aussi célèbre en Angleterre que Sarah Bernhardt en France, Ellen Terry. Cette dernière forme avec eux un trio à l’intérieur duquel l’amitié et l’amour le disputent parfois à la colère et la trahison mais parviennent toujours à triompher.

Les personnages

Ellen Terry dans Catherine d'Aragon

Le bal des ombres rappelle à la vie des personnages historiques  fascinants.
 
Henry Irving n’est pas seulement un acteur hors norme, démesuré et génial, un metteur en scène illuminé mais aussi un homme colérique, explosif, mégalomane et torturé. Et son ami, le très sérieux et très gentil - malgré sa force herculéenne- Bram Stoker, fait figure, en tant que financier, de rebrousse-poil, d’empêcheur de danser en rond; il est celui qui compte les recettes et les dépenses, celui qui brime et interdit le luxe inconsidéré, d’où une situation explosive entre les deux hommes. Ellen Tracy est une actrice pleine de finesse et d’émotion. Elle est la figure de la femme libre, totalement indépendante, imperméable aux jugements sociaux, qui choisit ses amants comme elle l’entend. Il faut lire sa diatribe contre le mariage ou plutôt contre les maris qui est un modèle du genre.
C’est autour de ce trio mythique que le roman va s’articuler, Bram Stoker en étant le principal narrateur parlant de lui-même, à la fois comme « je » et comme « il », dans une sorte de dédoublement qui sied bien au personnage. En effet, il porte en lui des zones d’ombre. Son image n’est pas aussi lisse et lumineuse qu’elle le paraît. C’est à l’intérieur de son cerveau que vivent et s’ébattent les monstres qui se nourrissent de leur créateur et peuplent ses écrits.
Parmi les personnages secondaires, Florence, l’épouse délaissée de Bram Stoker, est aussi un femme forte, indépendante, qui saura garder une amitié indéfectible à son mari. C’est elle qui obtiendra, après la mort de Stoker, quand paraît Nosfératus, le plagiat de Dracula, que les droits d’auteur de son mari soient reconnus, créant ainsi un précédent qui servira tous les écrivains.

Histoire et Fantastique

Henry Irving

Le roman joue, entre lumière et ombre, sur le réel et le fantastique, un récit hanté, effrayant et surtout enveloppant. Nous déambulons dans l’atmosphère trouble des nuits londoniennes, des rues noyées dans le brouillard où sévit Jack l’éventreur et où erre un Bram Stocker agité, angoissé, en proie à des tourments intérieurs, peut-être habité par ces vampires ? On est transporté dans le grenier du théâtre, devenu le bureau secret de Bram Stocker, décor hors du temps où le fantôme de Mina « vit » sa mort violente et devient l’amie de l’écrivain. On se laisse emporter par ce passage de la vie à la mort, par cet entre-deux qui déstabilise le lecteur et crée un aura de mystère et d’angoisse.

Un hommage au théâtre

Théâtre Lyceum
  

La vie du Lyceum, sa résurrection, ses réussites et ses échecs, ses joies et ses peines, ses tournées dans les pays étrangers font parti des thèmes passionnants et variés du roman.
Le bal des ombres est le lieu où s’élabore le théâtre, où se construisent les mises en scène, où les Hamlet, lady Macbeth, Richard III ou Henry VIII prennent vie et s’incarnent. Les apparitions de ces grands personnages célèbres viennent se mêler à ceux de notre trio mais aussi à d’autres, Oscar Wilde, Bernard Shaw, Walt Whitmann, leurs amis ou détracteurs…  Nous sommes bien sur une scène mais comment distinguer une ombre d'une autre ? Chacun y joue son rôle et s’efface, laisse place à une autre ombre et tout n’est enfin que ombre de l’ombre.

Un bal à la musique triste

Bram Stoker

On est saisi d’une émotion qui naît de la tristesse de cet homme blessé qui n’a jamais su qu’il avait créé un mythe universel et qui s’est éteint dans l’obscurité. On est animé aussi d’une mélancolie nourrie de toutes ces figures fugitives qui reviennent du passé pour danser autour de nous. Nous sommes entraînés dans un bal dont la musique nostalgique retentit encore doucement bien après que l’on ait fermé le livre.

Remarque : Pourtant je lis, dans une critique sur Babelio, la réflexion suivante, que je cite :

C'est intéressant, mais j'ai eu comme la sensation que Joseph O'Connor avait appuyé par mégarde sur une pédale qui étouffe le son, met tout en sourdine, empêche la musique d'éclater.
Bref, un gros potentiel, mais ça reste un peu timoré, ça ne m'a pas complètement emballée.


Inutile de dire que je ne suis pas du tout d’accord avec cet avis même s’il est intéressant ! Non, Joseph O’Connor n’a pas appuyé par mégarde sur la pédale, il l’a fait exprès ! Nous sommes dans la demi-teinte. Il a sciemment voulu que la musique n’éclate pas, il a mis une sourdine aux sentiments qui naissent en nous à la lecture de ce livre. Il a refusé l’éclat pour mieux nous envelopper dans une brume nostalgique, une douce tristesse, afin de ne pas nous laisser oublier que ce sont des ombres qu’il convoque devant nous et que ces fantômes, comme à la fin de toute pièce de théâtre, vont retourner dans les limbes dont il les a tirés pour nous, l’espace d’un livre.

Et c’est pourquoi j’ai adoré ce très beau roman ! Et c'est pour cela qu'il m'a complètement emballée !

 

lundi 11 janvier 2021

La riche moisson de Noël


 

Voici ma riche moisson de Noël ! J'en ai déjà lu plusieurs mais je suis en retard pour les commenter comme d'habitude. A bientôt !

Les livres : "C'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne



vendredi 15 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : La reine de beauté de Leelane au théâtre des Corps Saints



L'action de La reine de beauté de Leelane de Martin McDonagh se situe dans un village pauvre du  Connemara, de nos jours ! La région offre peu de perspectives d’avenir, le chômage est important et les jeunes partent travailler en Angleterre où ils sont méprisés et exploités. C’est à travers quatre personnages que McDonagh fait revivre cette région d’Irlande qu’il connaît bien et ce milieu rural populaire dont il utilise la langue assez pittoresque bien servie par la traduction. Celle-ci rend, en effet, le côté primaire des personnages qui ont peu de vocabulaire et appartiennent à une classe sociale défavorisée. Pourtant, malgré la maladresse et la simplicité du ton, j'ai été émue par la lettre de Pato à Maureen et par la manière touchante dont il exprime son amour.

Maureen est une femme de quarante ans qui doit s’occuper de sa mère Mag, une femme méchante, exigeante, égoïste, qui fait tout pour la maintenir à son service en l’empêchant de vivre sa vie.  Maureen est amoureuse de Pato, son ami d’enfance, qui la proclame Reine de beauté de Leelane. Il lui écrit pour lui demander de la suivre dans son exil aux USA et confie sa lettre à son petit frère Ray. Mag va tout mettre en oeuvre pour faire échouer ce projet.

Les thèmes de la pièce sont riches et révèlent l'Irlande profonde, celle qui n'a pas encore totalement évolué.  La pauvreté, le chômage et l’exil en sont les thèmes majeurs ainsi que le poids de la religion qui prive Maureen d’une sexualité normale et la maintient auprès de sa mère malgré la haine réciproque qu’elles éprouvent l’une envers l’autre; portée à son paroxysme, cette haine peut déboucher à tout moment sur la folie et Sophie Parel qui interprète Maureen a un jeu exacerbé qui exprime la tension extrême de ce personnage et la fait paraître prête à basculer dans la violence.
La reine de beauté de Leelane est une pièce pessimiste qui touche et remue et il faut tout l’humour de McDonagh son auteur et la mise en scène enlevée, rapide, incisive voire coup de poing de Sophie Parel pour faire passer la pilule! Car on rit beaucoup au cours de cette pièce, un humour noir, corrosif qui ne laisse pas indifférent! Et puis il y a, outre Sophie Parel, les trois autres comédiens, Catherine Salviat qui est Mag, Gregori Baquet, Pato, et Arnaud Dupont, Ray, qui  interprètent magistralement tous ces personnages et provoquent le rire, font naître l’émotion. Un très bon spectacle!

mardi 2 février 2016

William Butler Yeats : Down by the Salley Gardens/Au bas des jardins de saules

Saule et nymphéa de Monet

Down By The Salley Gardens

Down by the salley gardens my love and I did meet;
She passed the salley gardens with little snow-white feet.
She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree;
But I, being young and foolish, with her did not agree.

In a field by the river my love and I did stand,
And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand.
She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs;
But I was young and foolish, and now I am full of tears.




Claude Monet

Au bas des jardins de saules

Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour.
Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige
Tu me dis de prendre l’amour simplement ainsi que poussent les feuilles,
Mais moi j’étais jeune et fou et n’ai pas voulu comprendre.

Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour,
Et sur mon épaule penchée tu posas la main qui est comme neige.
Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée,
Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.






 traduction Yves Bonnefoy aux éditions Gallimard/Poésie : Quarante cinq poèmes suivis de La Résurrection














vendredi 17 juillet 2015

Des cailloux plein les poches de Marie Jones/ Stephan Meldegg au Chêne Noir



Excellent spectacle que cette pièce de l'auteure irlandaise Marie Jones Des cailloux plein les poches donnée au théâtre du Chêne Noir. 
Il s’agit du tournage d’un film La vallée tranquille dans un petit village irlandais du Kerry. On voit bien sûr l’allusion à The Quiet man de John Ford dont nous apercevons sur scène, détail comique et réjouissant, le dernier survivant des figurants de ce film légendaire.
Charlie et Jake se font embaucher eux aussi comme figurants mais l’on sent bien vite qu’ils n’ont aucun avenir dans ce pays sans ressources où l’agriculture et l’élevage sont en crise. Le seul (et vain) espoir réside dans le départ vers les Etats-Unis d’où ils reviennent pour l’immense majorité, le plus souvent meurtris, déçus et aussi fauchés qu’auparavant!

Eric Métayer et Elric Thomas qui sont Charlie et Jake, interprètent tour à tour, avec talent et maîtrise, tous les personnages de l’histoire, le réalisateur, l’actrice italienne, le régisseur, les gens du pays. Ils peuvent tout jouer et il suffit parfois d’un bref moment, d’un passage derrière une porte, pour qu’ils se transforment en un clin d’oeil devant le spectateur médusé. La voix, le corps, tout est métamorphose. La mise en scène enlevée de Stephan Meldegg n’a aucun temps mort, certaines scènes sont hilarantes et le public s’amuse beaucoup. Mais sous le rire perce la critique, celle de l’industrie cinématographique et de ses représentants qui ont perdu toute humanité et ne parlent que chiffres et rentabilité. Celle d’un monde qui produit du rêve en forme de happy end ridicule mais qui n’a rien à voir avec la réalité. Et lors du suicide de l’un d’entre eux, un jeune homme qui a perdu l’espoir d’un avenir meilleur, l’on réalise combien la vie humaine compte peu pour eux. L’humiliation, l’amertume, le sentiment de l’échec s’emparent de Jake et Charlie. Pourtant.. c’est le cinéma qui va leur rouvrir la porte du rêve. Et s’ils faisaient un autre scénario, un film qui parleraient de gens comme eux…
Un très bon spectacle qui fait salle comble (cinq nominations au Molière). Mieux vaut réserver!

Théâtre Le chêne Noir 11H
Des cailloux pleins les poches de Marie Jones
du 4 au 26 Juillet
Relâche le 21 Juillet
Mise en scène Stephan Meldegg
Réservation : 04 90 86 74 87


jeudi 12 septembre 2013

Colum McCann : Transatlantic, Rentrée Littéraire 2013




Transatlantic, le roman Column McCann est conçu comme un puzzle dont les morceaux, en se mettant en place peu à peu, ne donnent l'image entière qu'à la fin, lors de la mise en place du dernier fragment. En effet, l'intrigue est complexe  et le lien entre les personnages, nombreux, n'est pas dévoilé immédiatement. C'est ce qui fait la force du récit, ces allers-retours dans le temps entre plusieurs moments du passé et du présent, du XIX siècle à nos jours, mais aussi dans l'espace : de l'Irlande, terre maternelle,  à l'Amérique, terre d'exil et d'adoption. Transatlantic, c'est ce passage de l'une à l'autre rive dans un sens ou dans l'autre dans mouvement constant, une toile d'araignée complexe dont les fils qui ne cessent de s'entrecroiser finissent par former un dessin précis et réussi.

En effet, si Lily Dungan, petite bonne irlandaise, part en Amérique, dans le milieu du XIX siècle, pour échapper à l'humiliation de sa condition et à la misère et si sa fille Emily se fixe à Terre Neuve, les aviateurs John Alcock et Arthur Brown, décollent de ce dernier lieu pour atterrir en Irlande en 1919,  à bord d'un ancien bombardier reconverti pour cet exploit extraordinaire en avion de la paix. En 1846, l'américain noir Frederick Douglass, ancien esclave, vient prêcher la cause de l'abolitionnisme  à Dublin dans un pays en proie à la famine, déchiré par les conflits politiques et sa haine de l'Angleterre; à la fin des années 1990, le sénateur américain George Mitchell est à Belfast où il oeuvre pour la paix en Irlande du Nord  au moment où y vivent Lottie et Hannah, les descendantes de Lily, retournées au pays.
C'est ainsi que Colum Mc Cann mêle habilement personnages fictifs et personnages historiques, les fait se croiser, et tisse, au fil de ces rencontres, la trame de l'histoire qui révèle les interactions les uns sur les autres.

Mais paradoxalement, ce sont les personnages fictifs qui paraissent les plus vrais, les plus vivants, ce sont ceux qui nous touchent le plus par leur humanité. Les personnages historiques ont  pourtant un destin hors du commun mais ils ne donnent pas cette impression de vie. Chacun pourrait être le sujet d'une histoire riche et passionnante surtout l'abolitionniste noir Frederick Douglass que j'ai envie, pour ma part, de mieux connaître tant sa vie est étonnante, exceptionnelle.  Mais le roman les présente trop rapidement et nous restons sur notre faim avec l'envie d'en savoir plus sur eux. Peut-être faudrait-il connaître leur parcours mieux que je ne le fais pour  apprécier leur apparition dans le roman? Il semble que l'écrivain n'ait  pas pris assez de liberté avec l'histoire pour en faire des êtres de chair et de sang; ils restent en dehors, des figures exemplaires plutôt que des participants à l'action. Alors que ces femmes courageuses, nées sous la plume de l'écrivain, Lily, Emily, Lottie et Hannah, éveillent notre sympathie, elles qui souffrent, victimes de la  famine, l'exil, la guerre, le deuil, la perte d'un fils, pour l'une pendant la guerre de Sécession, pour l'autre dans les conflits de l'Irlande du Nord… En rencontrant ces femmes, le sentiment de ne pas être concerné, pendant une bonne partie du roman, s'efface peu à peu, surtout avec le dernier récit, poignant, d'Hannah et son dénouement si profondément nostalgique.

Il n'existe pas d'histoire qui, en tout ou en partie, ignore le passé. Le monde a cela d'admirable qu'il ne s'arrête pas après nous.
Même si j'ai aimé l'habileté de sa  composition, Transatlantic ne m'a  donc pas entièrement séduite. Je n'ai adhéré qu'à une partie de l'histoire, celle qui est de l'ordre de la fiction, les personnages historiques paraissant étrangers à l'univers romanesque de l'auteur.





Je remercie  La Librairie Dialogues et les Editions Belfond

dimanche 1 septembre 2013

Nuala O'Faolain : On s'est déjà vu quelque part?



On s'est déjà vu quelque part? est le titre que l'écrivaine irlandaise Nuala O'Faolain a choisi pour ses Mémoires afin de devancer, dit-elle, les gens hostiles qui auraient pu dire de moi écrivant sur moi-même : pour qui se prend-elle?
Et de fait son livre a eu un succès international et elle a reçu, à sa grande surprise, de nombreux témoignages d'affection, de nombreuses lettres de personnes qui la remercient de parler d'eux-mêmes, de leurs souffrances, de ce qu'ils ont vécu, tant il est vrai que le poète a raison : quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. O insensé qui crois que je ne suis pas toi!

Et pourtant, paradoxalement, j'ai eu du mal à entrer dans ce livre et ne me je ne me suis vraiment intéressée que tardivement à ce qu'elle écrit. Je n'ai ressenti de véritable émotion que dans les derniers chapitres.
Pourquoi? Une première réponse tient à mon ignorance de l'intelligentsia irlandaise, de la société intellectuelle dublinoise. A part quelques grands auteurs ou poètes, je ne connais pas la plupart des gens qu'elle présente. Le milieu des médias forment un monde bien à part et je dois à mon inculture mon peu d'intérêt pour les faits rapportés par Nuala O' Faolain et les  gens dont elle parle. Pourtant, quand je connais les personnes dont il est question, je  suis intéressée par les portraits qu'elle présente comme celui de Hudson, en wasp, gentleman glacial et grand père rigide, portrait qui me surprend surtout lorsqu'on connaît un peu la vie du réalisateur et ses frasques alcoolisées avec son ami Boggart..
La deuxième réponse est que j'ai commis l'erreur de lire le livre en fonction de l'éducation que j'ai reçue et du pays dans lequel j'ai vécu et le personnage m'a irritée. Voilà une catholique fervente et même plus,  entièrement coincée par son éducation religieuse, mais qui couche avec des hommes mariés et même avec les maris de ses amies sans aucun état d'âme apparent; cependant elle ne peut employer le terme "amants" sans se sentir humiliée et quand elle parle de ses liaisons, elle utilise l'euphémisme : "je fréquentais". Enfin, voilà une féministe, qui dénonce l'aliénation des femmes et l'oppression terrible qu'elles subissaient à la fois de la part des hommes mais aussi de l'Eglise catholique dans l'Irlande des années soixante mais qui agit et pense en contradiction totale avec ses idées. Hypocrisie? Non! Mais souffrance et poids de l'éducation! Car peu à peu, en découvrant ce qu'elle a vécu et avec elle bien des femmes de ce pays, j'ai  mieux compris ces contradictions et j'ai fini par avoir de l'empathie avec le personnage, par comprendre sa souffrance. La manière dont elle parle de sa solitude, de son impossibilité de mener une liaison durable, de ses regrets de ne pas avoir d'enfants, est bouleversante.
Nuala O' Faolain est née à Dublin en 1940, la deuxième d'une fratrie de neuf enfants dans une famille divisée. Le père, célèbre journaliste,  inconstant, léger et irresponsable, est indifférent envers ses enfants, les délaisse et oublie même le prénom des derniers. Sa mère, une femme intelligente, lectrice assidue, humiliée par son mari, incapable d'assumer toute seule des charges aussi lourdes, sombre dans l'alcoolisme. De cette enfance, on le comprend, naît un sentiment de dévalorisation, de solitude, un vide que rien ne peut combler. Nuala est alcoolique tout comme certains membres de sa fratrie. Les enfants O' Faolain pour la plupart ne s'aiment pas!  Elle ressent un grand besoin d'être aimée pour cette raison. Féministe, elle cherche l'amour, tout en étant persuadée qu'elle ne le mérite pas, auprès d'hommes qui la font souffrir et l'humilient à l'occasion, reproduisant ainsi le schéma vécu par sa mère. Toute sa vie, elle a dû lutter pour se libérer de ce sentiment.
De plus, alors que je lui reproche ses euphémismes, son livre fait scandale dans le pays et même auprès de sa propre famille et certains de ses amis lui tournent le dos. Elle est la première à oser une dénonciation aussi franche de l'église irlandaise, de l'oppression sexuelle, du déni du corps, de l'infériorisation de la femme.* Son livre provoque une catharsis et est vécu comme une véritable libération.


*(certes, la France a la même époque avait aussi bien des progrès à faire en ce qui concerne la condition de la femme, l'égalité, la liberté sexuelle mais il n'y avait pas une telle emprise de l'église et la violence était moindre. Enfin, tout est relatif!)

Sylire et Lisa

samedi 3 août 2013

L'importance d'être Wilde de Philippe Honoré au festival Off D'Avignon 2013


Emmanuel Barrouyer, Anne Priol et Pascal Thoreau  dans L'importance d'être Wilde

 L'importance d'être Wilde, une pièce de Philippe Honoré mise en scène par Philippe Parson, était donnée au théâtre du Balcon pendant le festival Off d'Avignon... Le titre joue bien sûr sur celui d'une des plus célèbres pièces d'Oscar Wilde  : "L'importance d'être Constant".
L'importance d'être Wilde  présente la vie et l'oeuvre de cet auteur provocateur et non-conformiste qui a payé durement le fait d'être homosexuel et surtout de ne pas s'en cacher. Le personnage apparaît donc dans toute sa complexité, un homme supérieurement doué, à l'humour lapidaire, intelligent, spirituel,  mais aussi  un dandy  qui attache beaucoup d'importance au paraître, volontiers méprisant et convaincu de sa supériorité à la fois sociale et intellectuelle. Pas toujours sympathique donc mais tellement brillant! Pas assez prudent et trop sûr de lui, pourtant, pour comprendre qu'il ne pouvait se permettre de braver la morale victorienne à une époque où l'homosexualité était interdite et passible de prison.
 Les moments clefs de sa vie s'animent devant le spectateur grâce au jeu des trois bons comédiens,  Emmanuel Barrouyer, Anne Priol et Pascal Thoreau  :  ainsi  son procès qui le met au ban de la société et non seulement lui mais aussi sa femme et ses deux enfants, la prison, l'exil en France, sa rencontre avec Gide, sa mort à Paris, solitaire et démuni,  et son enterrement à la sauvette, sans amis ni famille,  au Père Lachaise. Ces scènes alternent avec des extraits de ses oeuvres, des aphorismes pleins d'humour, réjouissants, ou profonds et désabusés,  qui sont une gourmandise pour le spectateur. La mise en scène est enlevée. La pièce,  sans être être pour moi un coup de coeur, m'a permis de vivre un moment de théâtre très agréable.


Oscar Wilde né à Dublin en 1854
Le public est extrêmement tolérant. Il pardonne tout sauf le génie . ( Le critique en tant qu’artiste )

Perdre un parent c'est un malheur mais les deux, c'est de la négligence (L'importance d'être constant)

L'appellation de livre moral ou immoral ne répond à rien. Un livre est bien écrit ou mal écrit et c'est tout. (préface Dorian Gray

Les femmes se divisent en deux catégories : les laides et les maquillées, les mères étant à part.

Les enfants commencent à aimer leurs parents; devenus grands, ils le jugent; quelquefois, ils leur pardonnent. (Dorian Gray)

Qu'on parle de vous, c' est affreux mais  il y a une chose pire : qu'on n'en parle pas!

Une chose n'est pas nécessairement vraie parce qu'on meurt pour elle.


Chez Aymeline


Chez Eimelle

vendredi 17 juin 2011

Les lettres de la Grande Blasket




Les lettres de la Grande Blasket aux éditions Dialogues Croisés ont été écrites de 1931 à 1951 par Eibhlis Ni Shuilleabhain (Elizabeth O'Sullivan), native de cette île située dans le Kerry, au Sud-Ouest de l'Irlande. Elles sont adressées à George Chambers, un anglais qui avait rencontrée la jeune fille en visitant la Grande Blasket et était devenu son ami. Les lettres sont suivies d'un texte de Hervé Jaouen, le traducteur, qui raconte sa visite de l'île désertée par ses habitants.
Seul un tiers des lettres de la jeune femme a été conservé pour des questions de format de l'ouvrage. Et je l'ai un peu regretté, il faut bien le dire, parce que l'on finit par s'attacher à Eibhlis et on aimerait en savoir plus sur elle. A travers ses écrits l'on devine son caractère, son courage, sa patience, sa résignation aux décrets de Dieu, ses peines et ses joies et aussi sa finesse, sa sensibilité à la beauté. Quand on apprend subitement qu'elle est mariée, on aurait aimé savoir comment elle avait choisi son mari, pour ne donner qu'un exemple... Bref! entrer plus encore dans l'intimité de cette voix amie comme si ces messages nous étaient adressés en personne. J'adore ce genre de lettres  rédigées par des gens du peuple qui racontent leur vie quotidienne avec leurs mots, sans recherche esthétique, mais avec une émotion et un sincérité d'où naît la poésie. La langue de Eibhlis est un anglais maladroit, précise le traducteur, avec un vocabulaire et des tournures gaéliques. Eibhlis raconte la beauté de son île et son amour pour cette terre natale si sauvage, si éloignée de tout. Mais elle parle  aussi des privations, des souffrances de ces insulaires qui sont peu à peu obligés de quitter leur île pour s'exiler en Amérique afin de pouvoir survivre.
Classées par ordre chronologique mais choisies pour leur thématique, les lettres conservées ont pour but de nous montrer les aspects essentiels de la vie sur l'île et elles se révèlent passionnantes, peignant une civilisation maintenant disparue qui nous paraît étrange. Le travail d'abord, très dur, très pénible, quand il faut aller chercher la tourbe en haut de la montagne et la redescendre à dos d'âne, ou épandre dans les champs le goémon que les hommes arrachent à la mer, quand il faut transporter un à un, sur le dos, les moutons ou les vaches que l'on va vendre à la ville par un petit sentier escarpé et dangereux jusqu'au bas de la falaise. Elles montrent aussi les pêcheurs privés de leur seul moyen de subsistance par les tempêtes et l'arrivée de l'hiver. En effet, les conditions climatiques sont extrêmes, l'hiver dure jusqu'à fin d'Avril, les vents sont redoutables, la mer trop souvent déchaînée coupe tout lien avec la terre. Les privations, la disette sont le lot de tous. Parfois, certains n'ont plus que quelques pommes de terre pour survivre. Eibhlis raconte aussi les coutumes, les enterrements, la petite bouteille d'eau bénite que les pêcheurs accrochent à leur canot, les superstitions. Ici on a peur des morts et on croit aux fées. Nous partageons aussi les moments de joie, comme la fête de Noël, qui nous paraissent bien modestes mais qui apportent un peu de gaieté dans le coeur de tous. C'est presque un travail d'ethnologue que fait la jeune femme sans le savoir et l'on devine parfois que son correspondant l'y invite en lui posant des questions précises.
J'ai été étonnée aussi d'apprendre que la Grande Blasket fut une pépinière de talents, "une île aux trésors" dit Hervé Jaouen : le livre L'homme des îles écrit par le grand oncle de Eibhlis, Tomas O' Crohan; Vingt ans de jeunesse"de Maurice O' Sullivan  et Peig de Pieg Sayers.  Et je suis curieuse  de lire ces ouvrages maintenant après avoir fait connaissance de la jeune fille des Lettres de la Grande Blasket. Je lui laisse d'ailleurs la parole en guise de conclusion avec ces mots si beaux, si pleins d'émotion :
8 Décembre 1945
Niamh* m'a montré un livre il y a quelques jours avec dessus une photo de la vieille maison, et je pleurais presque en la regardant, cependant que le sable des souvenirs faisait s'écouler à travers ma mémoire ces images perdues de la mer si calme et les mouettes qui crient et les canots revenant de la Grande Terre et la Grève blanche, blanche de sable blanc, et comment les bandes d'entre nous y jouaient ensemble comme une seule famille, tellement éparpillée maintenant et même plus un seul enfant sur ces sables blancs abandonnés.

* Niahm : La fille d'Eibhlis

Lire aussi dans le blog  Mystère jazz

vendredi 16 avril 2010

Hugo Hamilton : Sang impur


Avec Sang impur, Hugo Hamilton écrit un roman autobiographique dans lequel il raconte son enfance à Dublin entre une mère d'origine allemande, anti-hitlérienne convaincue, qui a fui son pays après la guerre, et un père irlandais marqué par la haine des britanniques et par le passé de l'Irlande dont l'indépendance est encore récente.
A la maison, Hugo, ses frères et soeurs, n'ont pas le droit de parler anglais, les seules langues autorisées sont le gaélique et l'allemand. Les enfants sont soumis à une éducation rigide et austère et font les frais du nationalisme exarcerbé du père. Celui-ci pense que le triomphe de sa cause passe par l'éducation; il se sert d'eux pour faire triompher son rêve d'une Irlande débarrassée des scories de l'oppression britannique et retrouvant sa culture, la fierté de sa langue et de son génie. Nous sommes dans les années 50-60. Si les enfants subissent la pression paternelle et sa violence dans le cercle familial, ils doivent, à l'extérieur, affronter les brutalités et les insultes des autres qui les traitent de nazis. Hybrides de trois cultures, mi-allemand, mi-irlandais, mais aussi de langue anglaise, ils sont donc des "sang impur", traduction intéressante  mais un peu réductrice, me semble-t-il, du titre anglais : "The Speckled People"...
J'ai beaucoup aimé ce livre qui n'est jamais manichéen dans la présentation des personnages. Si l'on partage le point de vue de Hugo, ses révoltes, son sentiment de haine pour le père, l'on ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ce dernier tant le personnage est complexe : détestable, certes, fanatique, c'est un être en proie à une obsession dont il n'est plus maître et , finalement, il subira une double défaite. Non seulement, il ne parviendra pas à réaliser son utopie d'une Irlande entièrement gaélique, mais il se coupera entièrement de ses enfants et perdra leur amour. Une scène d'une violence contenue et pourtant extrême illustre bien cela. Celle où Hugo rencontre son père en ville et feint de ne pas le voir pour ne pas avoir à faire le trajet avec lui. Qui est le perdant, du père ou du fils dans cette lutte de tous les instants? le père, bien sûr; mais le fils ne s'en sort pas indemne, non plus, et l'on sent toute la souffrance éprouvée ; on sait qu'il n'a jamais guéri de son enfance. A côté du père, le personnage de la mère est splendide. Elle essaie de protéger ses enfants mais elle a perdu son indépendance, sa liberté de femme, en quittant son pays. Elle appartient, elle aussi, à la race de "the speckled people" et n'a plus de racines. Le courage qu'elle essaie d'insuffler à ses fils, la force qu'elle leur transmet, passent par la non-violence, sa manière à elle de résister à l'idéologie nazie; elle ne veut pas que ses enfants soient du côté de ceux "qui lèvent le poing", qui utilisent la violence pour imposer leur idée.
Le style, très simple, très pur, est empreint d'une forme de naïveté* qui traduit les sentiments et le questionnement d'un enfant perdu, fragile, qui ne comprend pas le monde qui l'entoure mais le subit.
Quand on est petit on ne sait rien. On ne sait pas où l'on est, qui on est, ni quelles questions poser.
De l'innocence de l'enfance naît la poésie, de ce récit douloureux, une émotion qui ne nous quitte pas durant toute la lecture de ce très beau roman.
Grosses brutes de vagues! J'ai crié parce qu'elles n'arrivaient jamais à nous attraper et elles le savaient.
On a ri quand le caillou a tapé sur une vague avec un ploc et elle, elle n'a rien pu faire d'autre que de se rendre et se coucher sur le sable, les bras en croix.

 *C'est pourquoi je pense, Sang impur a pu être comparé à l'attrape-coeur de Salinger, un autre roman que j'ai adoré.

mercredi 24 septembre 2008

Le Baiser de Caïn de John Connolly

John Connolly (à ne pas confondre avec Connelly!) est un auteur irlandais reconnu comme l'un des maîtres du roman noir... à l'américaine.

Ma foi, le sujet m'avait attirée ainsi libellée sur la quatrième de couverture : "Quand Charlie Parker reçoit un appel au secours de l'avocat Elliot Norton, avec qui il travaillait lorsqu'il faisait partie de la police de New York, il hésite à descendre en Caroline du Sud pour l'aider dans une affaire qui s'annonce difficile : Artys Jones, le client de Norton, un noir de dix-neuf ans, est accusé du meurtre de Marianne Larousse, une jeune femme blanche, fille de l'une des plus grosses fortunes de l'Etat, descendants d'anciens propriétaires esclavagistes..
Quoi! A l'époque où les américains se préparent -peut-être- à élire un président noir, on peut encore écrire sur un sujet pareil tout droit sorti d'un  roman de Caldwell ou d'un livre d'anthologie comme " Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur!"? Et bien oui! Le livre est un moyen de découvrir l'activisme des milieux néo-nazis, racistes, porteurs d'armes, Skinheads, membres du Klan et "divers petits nazillons": "Le mouvement raciste militant n'a jamais été particulièrement important en nombre, écrit John Connolly. Son noyau dur compte probablement vingt-cinq mille  membres au maximum auquel il faut ajouter cent cinquante mille sympathisants actifs, et peut-être quatre cent mille sympathisants "du bord de route "qui ne donnent ni leur argent,  ni leur temps mais vous parleront de la menace que les gens de couleur et les juifs constituent pour la race blanche... " Pas beaucoup? peut-être! à l'échelle des Etats-Unis mais assez pour justifier le sujet du livre, le baiser de Caïn.
Le récit contemporain qui raconte l'histoire de Artys Jones et Marianne Larousse est mis en correspondance avec le passé montrant les liens qui unissent la famille Jones à celle des Larousse, dont la première a été au cours des siècles, esclave et victime de l'autre. Ce roman pourrait donc être intéressant. Seulement voilà, l'auteur cède à la mode actuelle qui veut que l'on ne puisse se passer de psychopathes, de viols, de violences, de perversité  etc... Or des psychopathes dans cette histoire, il en pleut, on pourrait les ramasser à la pelle comme les feuilles mortes et l'auteur surenchérit sur Sade d'une telle manière que celui-ci apparaît comme une petit plaisantin inoffensif à côté des Kittim, Faulkner, Cyrus, Tereus, personnages du roman. Il faut y ajouter, encore pour faire bon poids, bonne mesure, une bande de violeurs pas piqués des vers, sans compter "les gentils", Louis, Angel, Charlie Parker, qui sont plutôt patibulaires et  à qui il vaut mieux ne pas marcher sur les pieds! Enfin, si ce n'est pas assez, l'auteur est toujours prêt à en rajouter une couche!
Et c'est bien dommage car il y a parfois dans ce roman, des pages qui ont une telle force, que l'on ne peut s'empêcher de se dire que John Connoly a un réel talent.