Les gens seraient étendus sur la plage ou bien, sirotant un apéritif, ils s'apprêteraient à déjeuner, et ils entendaient causer de Montaigne dans le poste.
C'est ainsi que Antoine Compagnon explique la genèse de son livre : Un été avec Montaigne. Une série de quarante passages sur France Inter durant l'été pour rendre accessible à tous le philosophe du XVI siècle et sa pensée, élucider les difficultés de cette langue riche, savoureuse, imagée mais déjà si ancienne qu'il faut se laisser prendre par la main pour éviter de se perdre. Et en plus réaliser le tour de force de plaire à ceux qui entre la poire et le fromage ont plus envie de faire bronzette que de philosopher gravement!
Mais qui a dit gravement? Antoine Compagnon nous amène tout simplement en promenade et nous donne envie d'aller plus loin dans la découverte de Montaigne et non seulement de l'oeuvre mais de l'homme qui apparaît sous ses écrits.
Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautés empruntées. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice : car c'est moi que je peins. (Au lecteur)
Michel Eyquiem Montaigne |
Nous découvrons donc un Montaigne non pas seulement retiré dans sa librairie en train de méditer mais aussi le Montaigne de la vie publique, le maire de Bordeaux, le conseiller du roi, un Montaigne voyageur qui aime aller se frotter aux coutumes d'autrui, plein de curiosité envers tout ce qui se passe par le monde; ainsi il rend compte des découvertes du Nouveau Monde. C'est un homme ouvert et tolérant dans un pays qui ne l'est pas. Car à travers lui apparaît en effet son siècle et les dangers qui guettent chaque citoyen. Nous sommes en pleine guerre de religion, les passions sont exacerbées de telle façon que l'on est menacé non seulement par ceux qui ne sont pas de votre religion mais aussi par ceux qui le sont et vous prennent pour un adversaire.
Je me suis couché mille fois chez moi, imaginant qu'on me trahirait et assommerait cette nuit-là : composant avec la fortune, que ce fut sans effroi et sans langueur : et me suis écrié avec mon patrenôtre : ces terres que j'ai tant labourées, c'est donc un soldat impie qui les aura (Virgile) (III, 9)
François Dubois : massacre de la Saint Barthélémy, la reine Catherine de Médicis |
Montaigne nous parle aussi de la mort, de l'amitié, de l'amour, de la sexualité, du vieillissement, de tous les sujets qui nous concernent mais toujours comme à bâtons rompus, une conversation au coin du feu.
Voilà comment Montaigne parle des trois "commerces" qui ont rempli sa vie :
Ces deux commerces (l'amour et l'amitié) sont fortuits, et dépendants d'autrui : l'un est ennuyeux par sa rareté, l'autre se flétrit avec l'âge : ainsi ils n'eussent pas assez pourvu au besoin de ma vie. Celui des livres, qui est le troisième; est bien sûr et plus à nous. Ils cède aux premiers, les autres avantages : mais il a pour sa part la constance et la facilité de son service. (III, 3)
Il (le commerce des livres) me console en la vieillesse et en la solitude: il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse; et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent: il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse : Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres, ils me détournent facilement à eux, et me la dérobent... (III, 3)
Etienne de la Boétie, le meilleur ami de Montaigne |
Oui, une conversation : c'est ainsi que Antoine Compagnon procède! Il cite un extrait de Montaigne puis il nous en donne le sens, ensuite replace le texte dans son époque, enfin en montre la portée actuelle. Evidemment ce livre ne convient pas à des spécialistes du XVI siècle ni même à des lecteurs avertis. Il s'agit, vous l'avez compris, d'une oeuvre de vulgarisation mais très utile et agréable à lire.