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mercredi 14 juin 2017

Alan Bennett : La Reine des lectrices


Dans La reine des lectrices Alan Bennett imagine que la reine Elizabeth découvre la lecture et..  en devient « accro » ! Quelle affreuse maladie ! C’est ce que pense ses conseillers, son premier ministre, sa famille, car elle ne fait plus son travail de reine avec autant de sérieux. La voilà souvent en retard, distraite ou de mauvaise humeur quand on l’arrache à ses livres bien aimés. Et puis, quand elle prétend parler littérature avec ses ministres qui n’ont jamais ouvert un livre, quand elle entame une discussion sur Jean Genêt avec l’ignare président de la République française, la reine est vraiment de mauvais goût. Son entourage va tout faire pour la détourner d’une passion aussi néfaste.  Heureusement, il y a Norman, son petit commis de cuisine, épris de lecture, dont elle fera son « tabellion » qui la comprend et la ravitaille.

Savez-vous que la reine, dans son carrosse, a un livre sur les genoux, Elle salue la foule, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre sa lecture ! On l’a compris avec ce court roman, Alan Benett nous offre un échantillon de l’humour british qui, sans avoir l’air d’y toucher, peut se révéler corrosif.
Coups de griffe au fonctionnement des institutions, aux rapports entre la reine et son premier ministre mais aussi mise en scène d’un milieu où règne l’inculture et où tout est dans le paraître, le superficiel ou tout, même les plaisanteries, sont réglées à l’avance. S’ils doivent parler littérature, les hommes politiques se font « briefer » sur l’écrivain qui doit être au centre de la discussion. Quant à la monarchie, elle est enfermée dans sa tour d’ivoire, coupée de toute réalité. Les écrivains ne sont pas épargnés, qu’ils soient paralysés devant le pouvoir, face à la reine, ou réunis, qu’ils se révèlent médiocres dans des combats d’ego et des chicaneries.

Mais une reine qui lit, c’est une femme qui s’ouvre au monde, qui comprend les sentiments des autres, même s’ils sont ses subalternes.
« Je crois que je me suis mise à lire par devoir dit-elle un jour à Norman. Il fallait que je découvre de quoi les gens ont l’air, pour de bon. »
Le livre bouleverse sa conception de la hiérarchie, de l’ordre social. Peu à peu, elle fait fi du carcan des convenances liés à son statut et à sa fonction, peu à peu elle perd ses certitudes et devient plus humaine.
« Les livres ne se souciaient pas de leurs lecteurs, ni même de savoir s'ils étaient lus. Tout le monde était égal devant eux, y compris elle ».
Alan Benett montre ici l’immense pouvoir de la littérature qui amène la reine à se remettre en question, à porter un autre regard sur le monde qui nous entoure. La lecture l’amène aussi à découvrir son corollaire, l’écriture, au grand dam des ministres de sa majesté qui se demandent si cette nouvelle passion n’est pas encore pire.

Si on lui avait demandé : «  les livres ont-ils enrichi votre vie? », elle se serait sentie obligée de répondre : « oui, sans l’ombre d’un doute » - tout en ajoutant avec la même conviction qu’ils l’avaient également vidée de tout sens. Avant de se lancer dans ces lectures, elle était une femme droite et sûre d’elle-même, sachant où résidait son devoir et bien décidé à l’accomplir, dans la mesure de ses moyens. Maintenant, elle se sentait trop souvent partagée. Lire n’était pas agir, c’était toujours le problème. Et malgré son grand âge, elle restait une femme d’action.
Elle ralluma sa lampe de chevet, saisit son carnet et nota rapidement
: «   on n’écrit pas pour rapporter sa vie dans ses livres, mais pour la découvrir. »

Ce petit roman a eu beaucoup de succès au moment de sa parution en 2009. Léger, plein d’un humour souvent caustique, il amène à une réflexion sur une passion qui nous est commune, à nous autres blogueuses, la lecture, et en parle en nous amusant mais avec beaucoup de justesse et de profondeur.