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samedi 21 avril 2012

Un livre/Un jeu : énigme n°30 Stendhal, Les Chroniques italiennes (1): Les Cenci


Beatrice Cenci de Guido Reni*


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Les gagnants sont :  Aifelle, Asphodèle, Dasola,  Eeguab,  Gwen, Keisha, Jeneen,  Pierrot Bâton,  Shelbylee, Somaja

Le roman : Chroniques italiennes : Les Cenci
Le film : Beatrice Cenci ou Les liens du sang et de l'amour

Merci à tous et toutes pour votre participation ....




Treize ans après la mort de Stendhal, son cousin et exécuteur testamentaire Romain Colomb, réunit plusieurs nouvelles de l'écrivain sous le titre de Chroniques italiennes qui paraissent en 1855 dans le volume des éditions complètes chez Michel Lévy. Je parlerai dans ce billet du récit intitulé Les Cenci, histoire vraie du XVI siècle qui est aussi à l'origine du film de Lucio Fulci, et  je réserve à un second billet la présentation des autres récits.                    

                                                                  Les Cenci


L'histoire de Béatrix Cenci est très connue en Italie où elle a nourri pendant longtemps l'imaginaire collectif. Elle a inspiré depuis dans le monde et jusqu'au XXI siècle, de nombreux écrivains, poètes, musiciens; elle est à l'origine de pièces de théâtre et d'opéras.

 Béatrix Cenci a seize ans lorsqu'elle assassine son père Francesco Cenci, avec ses frères, sa belle mère Lucrèce et l'aide de ses amis. Celui-ci est un homme sadique, d'une cruauté inimaginable, qui hait ses enfants et se réjouit de leur mort. Il abuse sexuellement de sa fille Béatrix. Celle-ci et sa seconde épouse Lucrèce doivent subir quotidiennement brutalités et humiliations. Après sa mort suspecte, les soupçons se portent sur les Cenci qui sont soumis à la question par la justice papale. Béatrix refuse d'avouer mais sa famille a moins de force devant la torture et reconnaît le meurtre. Ils sont tous condamnés à mort sauf le plus jeune frère Bernard qui est gracié. Béatrix et Lucrèce seront décapitées sur l'échafaud dressé devant le castello San Angelo. Le peuple romain prend fait et cause pour Béatrix et lui manifeste sa sympathie en escortant le cercueil de celle qu'il considère comme le symbole de l'innocence sacrifiée à la cruauté des Grands.


 Beatrice Cenci de Harriett Hosmer (1857)

Comment Stendhal en est-il venu à s'intéresser à l'histoire des Cenci? C'est en visitant la galerie du palais Barberini à Rome en 1823 - comme Shelley avant lui et beaucoup d'autres voyageurs attirés par cette tragique histoire -  qu'il voit pour la première fois le portrait de Béatrix Cenci de Guido Reni, le jour de son exécution :

La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands; ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaude larmes...

Un autre tableau représente Lucrèce Petroni-Cenci :

C'est le type de la matrone romaine dans sa beauté et sa fierté naturelles. Les traits sont grands et d'une éclatante blancheur, les sourcils noirs et fort marqués, le regard est impétueux et en même temps chargé de volupté...

Or, Stendhal a acheté des manuscrits qui racontent, entre autres, l'histoire de Beatrice.  En tant que consul de France dans les Etats pontificaux, il ne peut se permettre de faire paraître sous son nom  un récit qui  met directement en cause le pape. Il le publie pourtant dans la Revue des deux Mondes en 1837 mais anonymement.  Henri Beyle se présente comme le  simple traducteur du manuscrit, ce qui paraît plus prudent, mais, bien sûr, il est aussi l'auteur car il accompagne en la commentant la voix du narrateur, un contemporain des Cenci qui écrit le 14 Septembre 1599, trois jours après la décapitation de Béatrice.

Histoire véritable de la mort de Jacques et Béatrix Cenci, et de Lucrèce Petroni Cenci, leur belle mère, exécutés pour crime de parricide, samedi dernier 11 septembre 1599, sous le règne de notre saint père le pape, Clément VIII , Aldobrandino.

Pourtant, c'est Stendhal, l'écrivain du XIX siècle, qui donne le point de vue de l'histoire en faisant allusion au personnage de Dom Juan, c'est à dire en plaçant non pas Béatrix mais son père François au centre de l'histoire. On remarquera la différence par rapport au film de Lucio Fulci qui s'intitule Béatrice Cenci (Les liens d'amour et de sang en français) donnant à la jeune fille le rôle principal alors que Stendhal nomme son récit : Les Cenci, révélant ainsi sa fascination pour la vie de ces grands seigneurs à une époque aux moeurs primitives, dominée par la passion. La puissance presque illimitée de ces hauts personnages n'est possible que par leur richesse qui leur permet de corrompre les conseillers du pape, d'acheter les consciences, de commanditer les crimes :

Mis trois fois en prison pour ces amours infâmes, il (Francesco) s'en tira en donnant deux cent mille piastres aux personnes en faveur auprès de douze papes sous lesquels il a effectivement vécu. (Deux cent mille piastres font à peu près cinq millions de 1837)

Francesco pour Stendhal est un Dom Juan parce qu'il refuse Dieu, parce qu'il adopte vis à vis de la société et des lois une attitude provocatrice, parce qu'il va jusqu'au bout de son attitude même en sachant que celle-ci le mène à la damnation. Il a donc une certaine grandeur et en ce sens il intéresse Stendhal :

Eh bien! ce sera-t-il dit, je suis l'homme le plus riche de Rome, cette capitale du monde; je vais en être aussi le plus brave; je vais me moquer publiquement de tout ce que ces gens-là respectent, et qui ressemble si peu à ce qu'on doit respecter.
Car un Dom Juan pour être tel, doit être homme de coeur et posséder un esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs des actions des hommes.


 Cependant, pour lui, Francesco n'est pas un Dom Juan comme celui de Tirso de Molina et encore moins comme celui de Molière qui sait être un homme du monde; il n'a pas non plus le charme du Dom Juan de Mozart. C'est une brute perverse. Je suppose que l'on ne peut que le comparer qu'au Marquis de Sade, talent littéraire en moins. Parallèlement, le narrateur, auteur du manuscrit traduit par Stendhal, nous dresse le portrait de ce seigneur tel qu'il est à l'âge de sa mort (70 ans). Mais il ajoute qu'il a connu cet homme à l'âge de 40 ou 50 ans alors qu'il n'était lui-même qu'un enfant.
Quant au portrait de Béatrix peint par Guido Reni que Stendhal nous a présenté  au Palais Barberini, le voilà qu'il réapparaît sous la plume cet homme contemporain du drame et témoin visuel :

La nouvelle se répand que le signor Guido Reni, un des élèves de cette admirable école de Bologne, a voulu faire le portrait de la pauvre Béatrix, vendredi dernier, c'est à dire le jour même qui a précédé à son exécution. Si ce grand peintre s'est acquité de sa tâche comme il l'a fait pour les autres peintures qu'il a exécutées dans cette capitale, la postérité pourra se faire quelque idée de ce que fut la beauté de cette fille admirable.

Nous avons donc plusieurs strates de portraits et une complémentarité des voix qui semblent se faire écho et donnent une résonnance au récit à travers les siècles. Le lecteur a ainsi l'impression de proximité comme si l'espace temporel se rétrécissait, comme s'il devenait  lui-même contemporain de la jeune parricide.

Une critique de la société et de l'Eglise : L'on ne sait pas toujours qui parle de l'auteur XVI ème siècle à celui du XIX mais la peinture de la société italienne dans Les Cenci révèle non seulement la violence des moeurs mais aussi la corruption des hommes de pouvoir. Une critique acerbe qui concerne les grands seigneurs mais aussi les hommes d'église occupant les plus hautes positions jusqu'au pape lui-même.
L'auteur du manuscrit précise qu'il peut écrire librement car son récit ne sera pas divulgué de son vivant mais longtemps après sa mort. Il dénonce à plusieurs reprises la vénalité des hauts dignitaires de l'Eglise placés autour du pape. Mais lorsqu'il s'agit du pape lui-même, le voilà plus circonspect. Peut-être en bon catholique ne peut-il pas envisager que le pape puisse avoir des torts ou peut-être n'ose-t-il pas l'attaquer directement? Ainsi, lorsque le pape Clément VIII décide de mettre à mort Béatrix bien qu'il sache qu'elle était en état de légitime défense, le narrateur explique que le souverain y fut obligé à cause d'un autre crime aussi affreux :

Le pape Clément VIII était doux et miséricordieux. Nous commencions à espérer qu'un peu honteux de sa boutade qui lui avait fait interrompre le plaidoyer des avocats, il pardonnerait à qui avait repoussé la force par la force...
Désolé de la fréquence de ces assassinats commis sur des proches parents, Sa Sainteté ne crut pas qu'il lui fut possible de pardonner.


Pourtant, à d'autres moments, la critique des papes  apparaît nettement  :

L'on ne sait peut-être pas, dans les autres villes d'Italie, que notre sort et notre façon d'être changent selon le caractère du pape régnant. Ainsi pendant treize années sous le bon pape Grégoire XIII (Buoncompagni) tout était permis à Rome; qui voulait faire poignarder son ennemi, et n'était point poursuivi, pour peu qu'il se conduisît d'une façon modeste. A cet excès d'indulgence succéda l'excès de la sévérité pendant les cinq années que régna le grand Sixte-Quint* (*anciennement cardinal Montalto)....
Alors on vit exécuter des malheureux pour des assassinats ou empoisonnement oubliés depuis dix ans, mais dont ils avaient eu le malheur de se confesser au cardinal Montalto, depuis Sixte Quint.


On voit que le pape n'est pas épargné qu'il soit trop "indulgent" comme Grégoire XIII ou qu'il trahisse le secret du confessionnal comme Sixte Quint!  Et l'on peut légitimement se demander quelle est la part de l'écrivain du XVI et de celui du XIX siècle. De même, lorsque je lis à propos de Pie V les remarques suivantes :

Ce saint pape, tout occupé, comme on sait, de sa juste haine contre l'hérésie et du rétablissement de son admirable inquisition, n'eut que du mépris pour l'administration temporelle de son Etat...

Je me demande  venant  de la part d'un homme de la Renaissance si l'on doit prendre ces propos au pied de la lettre (admirable inquisition) ou s'ils sont ironiques. J'opterai pour la seconde hypothèse lorsque plus tard l'auteur nous montre les pratiques barbares de l'Inquisition et le raffinement des tortures que la justice papale fait subir aux accusés. D'autre part, le narrateur prend nettement le parti de Béatrix qui pour lui est une victime innocente sacrifiée.
Par contre, Lucio Fulci, lui, ne s'embarrasse pas de subtilité! Quand il critique l'Eglise, le pape, et les nobles, il n'y va pas par le dos de la cuillère! La caricature est tellement outrancière qu'elle perd de sa force mais elle a valu bien des ennuis au réalisateur dont le film a été mis à l'index. Preuve qu'au XX siècle aussi, la critique peut avoir lieu à visage découvert contrairement aux époques précédentes mais.. qu'elle est  interdite et  donc toujours dangereuse!

Le romantisme de Stendhal : Stendhal écrit en pleine période romantique et cette histoire de passion, de sang et de meurtre, est bien à même de fasciner les hommes et les femmes de cette époque. Pour Stendhal, en effet, le romantisme doit avoir pour but de correspondre aux goûts et à la sensibilité des lecteurs de son temps. Par exemple, il choisit de ne présenter dans  la traduction des vieux manuscrits que ce qui peut intéresser les lecteurs, omettant les détails triviaux qui lui paraissent ne pas correspondre à la sensibilité de son siècle. Pourtant si Henri Beyle s'inscrit dans le romantisme, il s'en démarque aussi, occupant une place à part dans ce mouvement littéraire. Il refuse l'effet stylistique et l'émotion. Dans la "traduction" de ce vieux manuscrit, l'écrivain se pose en philologue, détaillant les difficultés de cette langue ancienne et régionale, en historien voulant rester au plus proche de la vérité. Il ne développe pas, non plus, l'histoire d'amour, se contentant des indications données par le chroniqueur contemporain : Monsignor Guerra, amoureux de la jeune fille, accepte de l'aider à tuer son père mais c'est un amour qui reste chaste. Il fait appel à Marzio, homme de coeur, fort attaché aux malheureux enfants de Francesco et à Olimpio, châtelain de la forteresse de Petralla qui en avait été chassé par Francesco Cenci et voulait s'en venger. Lucio Fulci, au contraire, ne refuse pas les fioritures, invente une histoire d'amour entre Beatrice et son serviteur et amant Olimpio, crée un personnage, brigand, nommé le Catalan, qui doit perpétrer le meurtre... 
 Le roman est pour donc pour Stendhal "un miroir que l'on promène le long d'un chemin", reflétant les moeurs de la société contemporaine, mais le réalisme est discret. Peu de descriptions mais des faits. On a pu parler à son propos de réalisme subjectif. Ses personnages échappent au réalisme  par leur caractère hors du commun. Romantiques sont, en effet, les Francesco et Beatrice Cenci de Stendhal, au caractère bien trempé, héroïques et tragiques dans le mal comme dans le bien, qui prennent leur destin en main et refusent de se soumettre l'un aux lois de la société et de Dieu, l'autre à son père et à l'Inquisition.
 Béatrix Cenci  a nourri l'imagination de nombreux écrivains et artistes. Parmi les contemporains de Stendhal, Shelley a écrit une pièce de théâtre (1919) et Alexandre Dumas a publié une nouvelle sur ce sujet. Notons aussi, plus proche de nous, la pièce d'Antonin Artaud (1935) ou  Alberto Moravia.

J'ai chargé gratuitement les chroniques italiennes sur mon Kindle. J'ai ainsi appris que les personnes qui traduisent et (ou) mettent en place ces livres sont bénévoles :  Editions Norph-Nop




Les 12 d'Ys dans le cadre des classiques français


 Challenge de Nathalie qui propose un Voyage en Italie ICI


 Ce tableau est attribué à Guido Reni, celui qu'il aurait peint sur place juste avant l'exécution de Beatrice Cenci en 1599.
Mais son auteur pourrait être, en fait,  d'après ce que j'ai lu, mais sans certitude, Elisabetta Sereni (1635-1662) une femme peintre extrêmement douée dont le père fut un assistant de Guido Reni. Une copie?  ou un portrait d'après le Maître?
Le second portrait de la galerie Barberini est du Guide; c'est le portrait de Béatrix  Cenci dont on voit tant de mauvaises gravures. Ce grand peintre a placé sur le cou de Béatrix un bout de draperie insignifiant; il l'a coiffée d'un turban; il eût craint de pousser la vérité jusqu'à l'horrible, s'il eût reproduit exactement l'habit qu'elle s'était fait faire pour paraître à l'exécution, et les cheveux d'une pauvre fille de seize ans qui vient de s'abandonner au désespoir. La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands:  ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaudes larmes. Les cheveux sont blonds et très beaux. Cette tête n'a rien de la fierté romaine et de cette conscience de ses propres forces que l'on surprend surtout dans le regard assuré d'une fille du Tibre, di una filglia del Tevere, disent-elles d'elles-mêmes avec fierté. Stendhal