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mardi 3 juin 2014

Horace Walpole : Le château d'Otrante




Dans la préface du roman gothique Le château d'Otrante  d'Horace Walpole, Paul Eluard salue cette oeuvre ainsi :

 “Le château d’Otrante est un drame plastique, la forme la plus amère, la plus rugueuse, mais aussi la mieux taillée du malheur en amour. Seuls immortels, les désirs vont leur chemin, malgré d’extraordinaires obstacles, malgré les rideaux du sang et les miroirs vides, la nature exclue, l’existence approximative, la vue inutile, les ancêtres vomis par l’Enfer, malgré la peur, l’héroïsme, la férocité, malgré le marbre des tombeaux et les squelettes, les désirs sans cesse au fil de la mort, cherchent à briser avec l’imaginaire.
  Horace Walpole a été le précurseur du Roman noir : de Maturin (pour la mise en scène), de Lewis (pour la précipitation passionnée des événements), d'Ann Radcliffe (pour l’atmosphère et le droit à l’absurde) et même d’Achim d’Arnim (pour la froideur dans le bizarre). Et quelques-uns des grands pans d’ombre du Château d’Otrante alimentent le terrible feu qu’allumèrent Sade, Poe et Lautréamont pour échapper au néant. Comme il n’y a qu’une grandeur, cela assure à jamais la gloire d’Horace Walpole.”
   

Le sujet
L’action du roman Le Château d’Otrante se déroule à Otrante, dans le Salento, au sud de l’Italie.
 Il commence avec la mort de Conrad, le fils de Manfred, le jour même de son mariage, tué par la chute d'un casque géant tombé du ciel. En raison des implications politiques du mariage, Manfred décide de divorcer de sa femme Hippolita et d’épouser Isabella, la fiancée de Conrad. Une antique prophétie affirme cependant que le château et la seigneurie sur Otrante seront perdus pour ses détenteurs lorsque le vrai propriétaire sera devenu trop grand pour l’habiter. Le second mariage de Manfred sera perturbé par une série d’événements surnaturels comme l’apparition de membres surdimensionnés, des fantômes, du sang mystérieux et d'un vrai prince. (source)

Mon avis :
Je voulais lire ce roman fondateur du gothique parce que je savais l'importance qu'il a eu sur le mouvement romantique français mais aussi dans la littérature en général et encore au XX siècle sur le surréalisme français.
Je comprends pourquoi l'étrangeté du récit a frappé l'imagination et alimenté toute une littérature fantastique en permettant aux écrivains comme aux lecteurs de se  libérer du rationalisme pour goûter ces romans noirs où la mort rôde dans des paysages en ruines, où les fantômes,  les statues s'animent et procurent des émotions fortes : Walter Scott, Balzac, Victor Hugo, Nodier, Gautier, Sand pour ne citer qu'eux... mais aussi le roman policier de nos jours et tant d'autres s'en sont largement inspiré. 
 Mais de mon point de vue, non seulement ce roman "terrifiant" ne fonctionne pas mais je ne le trouve ni bien construit, ni bien écrit. Je suis cependant heureuse de le connaître d'un point de vue de l'histoire littéraire! Mais alors que j'avais pu apprécier le roman gothique de Ann Radcliffe avec le mystère d'Udolphe, je dois dire que Le château d'Otrante ne m'a pas convaincue du tout.

 LC avec Miriam ICI



jeudi 27 juin 2013

Kate Summerscale : L'affaire de Road Hill House

Le mois anglais de Lou et Titine

Le livre de Kate Summerscale L'affaire de Road Hill House est une lecture très intéressante. J'attendais un roman, je découvre un reportage historique selon les mots d'une journaliste, sur un meurtre commis en 1860 et analysé par une écrivaine du XXI ème siècle.

En 1860, en effet, le corps d'un petit garçon, Saville Kent, est retrouvé, la gorge tranchée. Qui a pu commettre un acte aussi barbare dans une maison qui était fermée pour la nuit et d'où l'on ne pouvait pénétrer de l'extérieur? Seul un membre de la maisonnée peut être coupable. Les soupçons se portent tour à tour sur la nurse, le père, la soeur, les domestiques… Le célèbre détective de Scotland Yard, Jack Witcher qui a réellement existé, mène l'enquête. Mais  l'affaire est passablement embrouillée…

Le roman est intéressant parce qu'il nous fait pénétrer dans l'intimité d'une famille de l'époque victorienne et révèle ainsi l'envers du décor, les atteintes à la morale sous la respectabilité, les cruautés ensevelies sous le secret, la vérité sous l'apparence. Dans un siècle où la famille est considérée comme le fondement inaltérable de la société, où le mariage est une institution sacrée, l'affaire de Road Hill House lève le voile et la réalité qu'elle reflète crée un séisme dans le pays. Kate Summerscale s'appuie sur  les archives du procès, les rapports des détectives qui se sont succédés, les articles des journaux, des documents précis qui explorent les moindres détails même ceux les plus intimes concernant la vie de la famille et de son entourage.
Les procédés policiers donnaient nécessairement dans le sordide : on mesurait les tours de poitrine, on examinait le linge de nuit en quête de sueur et de sang, on posait des questions indélicates à des jeunes femmes respectables.
Une image bien trouble de cette société apparaît dans laquelle l'homme peut non seulement pratiquer l'adultère avec la gouvernante de ses enfants mais encore reléguer sa femme à un rang subalterne, la priver de l'amour de ses enfants et la faire passer pour folle si elle le dérange dans sa vie sexuelle, un monde où la gouvernante devenue la nouvelle épouse peut privilégier ses propres enfants au détriment des premiers nés comme la marâtre des contes. Kate Sumerscale ressuscite ainsi les protagonistes de l'histoire en brossant des portraits psychologiques complexes et tourmentés où les zones d'ombre recouvrent bien trop souvent les espaces de clarté.
Un meurtre tel que celui-ci pouvait révéler ce qui avait pris forme à l'intérieur du foyer claquemuré de la classe moyenne. Il apparaissait que la famille cloîtrée, tant vantée par la société victorienne, pouvait entretenir un refoulement nocif et nauséabond des affects, un miasme tant sexuel qu'émotionnel.
En même temps, Kate Sumerscale nous fait découvrir les balbutiements des méthodes des enquêteurs, le vocabulaire qui se crée pour donner un nom à ses nouvelles formes d'investigation; elle nous fait pénétrer dans le milieu des détectives de Scotland Yard, un corps de police qui vient d'être créé et dont certains éléments, brillants, (comme Jack Witcher que Dickens admirait) vont servir de modèle à la vogue des grands détectives de l'histoire de la littérature.
Ce qui ajoute, en effet, à l'intérêt de ce reportage historique, c'est que l'écrivaine met en liaison les différents faits de cette enquête avec la littérature : Ainsi Witcher inspira à Collins le personnage du sergent Cuff, le détective de Pierre de lune, amateur de roses. La première Mrs Kent considérée comme folle est enfermée comme l'épouse de Rochester dans Jane Eyre mais peut-être ne l'est-elle pas comme La dame en blanc de Wilkie Collins? Dans Bleak House, Dickens imagine ce que ressent sir Leicester Deadlock lorsqu'on fouille son domicile, en référence avec ce qu'a dû éprouver Mr Kent, le père de Saville. Le secret de lady Audley d'Elizabeth  Braddon est directement inspiré de l'affaire de Road Hill House avec le personnage de la gouvernante ayant épousé un homme de qualité et  un assassinat brutal et mystérieux :
Ses personnages étaient fascinés par le travail du détective et, terrifiés à l'idée d'une révélation publique. L'histoire de Braddon formulait l'inquiétude et le bouleversement suscités par le meurtre de Saville Kent.
Le roman de Kate Sumerscale dresse donc à travers l'enquête policière et le mystère un  panorama de la société victorienne et de ses moeurs et un portrait réussi de personnes disparues depuis longtemps mais représentatifs de cette société; elle peint aussi d'une manière plus générale - l'affaire Saville  Kent passionnera Freud en 1907-  les tourments  et les noirceurs de l'âme humaine.

Lecture commune avec Lou, Miss Leo, Valou, Adalana, Syl, Titine

Dasola



Challenge d'Aymeline

jeudi 20 juin 2013

Anne Brontë : La dame du manoir de Wildfell Hall





Quatrième de couverture : La dame du manoir de Wildfell Hall de Anne Brontë
 L'arrivée de Mrs Helen Graham, la nouvelle locataire du manoir de Wildfell, bouleverse la vie de Gilbert Markham, jeune cultivateur.
Qui est cette mystérieuse artiste, qui se dit veuve et vit seule avec son jeune fils? Quel lourd secret cache-t-elle? Sa venue alimente les rumeurs des villageois et ne laisse pas Gilbert insensible. Cependant, la famille de ce dernier désapprouve leur union et lui-même commence à douter de Mrs Graham... Quel drame s'obstine-t-elle à lui cacher ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle?
Publié en 1848, La Dame du manoir de Wildfell analyse la place des femmes dans la société victorienne.

Décidément les soeurs Brontë  ont toutes du talent et ce n'est pas le roman d' Anne La dame du manoir de Wildfell Hall qui me fera changer d'avis. D'Anne Brontë, j'avais lu Agnès Grey, un premier roman prometteur. Celui-ci qui est le second, paru en 1848, est bien supérieur, plus élaboré, et, s'il ne se hisse pas au rang de chef d'oeuvre comme Les Hauts de Hurlevent et  Jane Eyre, il faut lui reconnaître de solides qualités. Il n'y aura pas de troisième roman. Anne meurt à son tour de la tuberculose en 1849. Si La dame du manoir connut un immense succès, il provoqua un scandale car il montre une jeune femme mariée à un homme alcoolique et dépravé qui décide de se séparer de son mari, se heurtant ainsi aux lois sociales et religieuses de la famille victorienne. A la mort d'Anne, Charlotte, elle-même, empêchera la republication de ce roman, ce qui en dit long sur le caractère et les préjugés de la "grande" soeur.  Emily meurt en Décembre 1848. Heureusement que Charlotte ne nous a pas fait "ça" avec Les Hauts de Hurlevent!

 
Anne Brontë dessin de Charlotte

La technique romanesque

Dès son deuxième roman, Anne Brontë maîtrise la technique romanesque à un tel point qu'elle ne suit pas le schéma narratif habituel et multiplie les points de vue  :

Gilbert Markham, maître d'une grosse ferme, raconte son histoire à un ami. Il décrit la jeune dame du manoir de Wildfell Hall, Helen Graham, qui vient d'arriver dans le pays et c'est par ce regard extérieur - jamais neutre pourtant - que nous l'apercevons. Il commence d'abord par la trouver antipathique puis peu à peu tombe sous son charme. La jeune femme  nous apparaît donc comme un être mystérieux qui veille jalousement à ce que l'on ne sache rien de son passé. Le lecteur est placé à l'intérieur  de la conscience du jeune homme et suit de près l'évolution de ses sentiments, l'admiration, l'amour puis les doutes qui l'assaillent, la jalousie qui va finir par le dévorer. A travers l'observation du jeune homme apparaît aussi toute une société campagnarde, sa mère, sa soeur et son frère, le pasteur, Michaël Millward et sa jeune fille à marier, toute une société avec ses faiblesses, ses petitesses d'esprit, son amour des commérages et des médisances qui ne permettent pas à Helen Graham de vivre en paix .

La seconde partie du roman nous permet de découvrir le secret de la jeune femme par l'intermédiaire de son journal qu'elle confie à Gilbert pour se disculper. Il s'agit d'un roman dans le roman, une oeuvre en miroir, qui nous permet la fois de connaître son passé mais aussi de voir, de son point de vue, le récit conté par Gilbert à son ami. Une sorte de reflet inversé des personnages et des évènements. Le jeune homme reprend ensuite le récit entrecoupé cette fois par des lettres d'Helen qui ne sont pas toujours complètes, ce qui maintient des zones d'ombre autour du personnage. On voit que la technique d'Anne est extrêmement complexe et les personnages et l'intrigue en paraissent plus profonds, comme mis en abyme dans un miroir.

Les trois soeurs Brontë par Branwell


 Le féminisme de La dame du manoir de Wildfell Hall

Le roman d'Anne Brontë est résolument féministe. Elle dénonce une société où la femme n'a aucun droit, aucune liberté. Helen est obligée de fuir son mari avec son enfant  et  de se cacher si elle veut conserver le droit de garder son fils. Anne s'éloigne du romantisme exacerbé d'Emilie, du romantisme gothique de la Charlotte de Jane Eyre.  Le frère d'Anne, Branwell, a servi de modèle au personnage du mari de Helen, Arthur Huntington, et elle sait de quoi elle parle quand elle décrit les scènes de beuverie et d'adultère. Mais Anne a la finesse de ne pas tomber dans le manichéisme. Arthur, dit-elle,"n'est pas réellement mauvais" mais il se laisse aller à son goût du plaisir, à sa veulerie.Tout en écrivant le premier roman féministe et en dénonçant l'asservissement de l'épouse à son mari,  Anne Brontë montre aussi les perversions et les roueries des femmes à travers la figure d'Annabella, la maîtresse d'Arthur . Elle décrit aussi les faiblesses d'Helen qui a choisi Arthur pour époux alors qu'elle savait qui il était. La femme est donc responsable de ses propres choix. 

Pour ma part, j'ai trouvé Helen Graham un peu trop moralisatrice. Elle épouse Arthur malgré ses défauts parce qu'elle entend le réformer. Elle est souvent donneuse de leçon et par là même on comprend que son mari la fuit et la laisse à la campagne quand il va faire la noce à Londres!  Mais bien entendu, c'est une opinion personnelle. Anne Brontë est fille de pasteur, elle souffre trop de voir son frère détruire toutes ses capacités intellectuelles et sa santé physique . Elle veut donc montrer la vérité nue, dans toute son horreur, pour  la réformer : Si je puis empêcher la chute d'un jeune homme trop léger ou d'une jeune fille trop étourdie, alors je n'aurais pas écrit en vain, écrit-elle. Le roman est publié en Juin 1848.  Branwell meurt, alcoolique et tuberculeux, en septembre 1848.

Un style d'homme?
Le  roman  est écrit d'une plume ferme, sobre qui évite l'emphase et le pathétique et qui est même assez brutale. Un style d'homme? Le fait ce soit une femme qui ait écrit ainsi, avec autant de réalisme, sur l'alcoolisme et la débauche heurte d'autant plus les mentalités de l'époque victorienne.  Alors, laissons la parole à Anne Brontë qui répond ainsi à ses détracteurs :  Je suis convaincue que lorsqu'un livre est bon, il l'est quelque soit le sexe de son auteur. Tous les romans sont ou devraient être écrits pour les hommes comme pour les femmes. J'ai de la peine à concevoir comment un homme pourrait se permettre d'écrire quoi que ce soit qui puisse être véritablement déshonorant pour une femme, ou pourquoi une femme devait être censurée pour avoir écrit quoi que ce soit qui puisse être considéré comme approprié ou bienséant pour un homme.
Lecture commune  avec Gaëlle  ICI

Avec Alexandra

Chez Aymeline

lundi 17 juin 2013

Virginia Woolf : Nouvelles La robe neuve et la dame au miroir..




J'ai, sur mes étagères, depuis de nombreuses années, un volume très épais contenant plusieurs romans et nouvelles de Virginia Woolf. Il comporte sur la tranche le portrait de l'écrivaine, un visage aux traits fins, au nez droit comme découpé au cutter, de lourds cheveux noirs ramassés sur la nuque. Je l'ai ouvert plusieurs fois, j'ai essayé de lire un de ses romans, en vain.  On dit qu'un livre acheté, rangé sur les étagères de sa bibliothèque, est déjà un livre lu! Le premiers pas est fait… le reste suivra! 
 Ce jour est arrivé! A l'occasion du mois anglais, lancé par Lou et Titine, en Juin, je me suis inscrite pour la lecture commune d'un des romans de la  grande dame. Mais comme j'ai peur de Virginia Woolf, j'ai décidé de commencer doucement, à petites doses, par quelques unes de ses nouvelles afin de l'apprivoiser ou plutôt de m'apprivoiser… à elle!


Marcel Proust et Virginia Woolf
Je me suis toujours demandé pourquoi je pouvais lire Marcel Proust alors que les livres de Virgina Woolf me tombent des mains. Tous deux sont des écrivains réputés difficiles et tous deux écrivent sur la mémoire et sur le temps; les similitudes entre eux sont évidentes. Quant aux différences,  Pierre Nolon dans la préface qu'il a rédigée pour la collection classiques modernes du livre de poche affirme :
Mais la recherche proustienne s'attache à décrire avec un réalisme minutieux et pour ainsi dire pas à pas le cheminement de la mémoire. De son côté Virginia Woolf marque d'avantage l'impression qui fait naître le surgissement du souvenir et la façon toujours subjective dont ce surgissement affecte les rapports du personnage avec la réalité.

 Voilà qui n'est pas pourtant pas pour me déplaire! Ainsi dans la nouvelle La marque sur un mur  la narratrice (ou je devrais dire plutôt l'observatrice puisqu'il n'y a pas de narration proprement dite) remarque une tache sur le mur. C'est à partir de ces interrogations sur l'origine de cette marque que sa mémoire ressuscite ce moment précis du mois de janvier où elle a fait cette observation, le feu dans le cheminée, les chrysanthèmes dans le vase, la fumée de la cigarette.. et qu'elle remonte aux anciens propriétaires de la maison.

 La robe neuve et  La dame du miroir
Parmi les nouvelles que j'ai lues, je veux parler en détail de ces deux textes que j'ai trouvées éblouissants par le style et la technique :

La robe neuve  a été été écrite au moment où l'écrivain achevait la rédaction Mrs Dalloway. Mabel Waring  se rend à la réception de Clarissa Dalloway vêtue d'une robe neuve  qu'elle a fait faire pour cette occasion et qui est parfaitement hideuse et démodée. Elle prend conscience de l'image qu'elle donne d'elle-même en s'apercevant dans un miroir. Nous partageons ses angoisses et son humiliation face aux réactions des personnes qui la côtoient et la méprisent, nous ressentons sa solitude en pénétrant dans ses pensées intimes. A travers Mabel, Virginia Woolf ironise sur son apparence physique et son propre manque d'élégance. Dans La dame dans le miroir, les lieux et le personnage d'Isabella Tyson sont observés à travers un miroir. Mais lorsque la femme s'approche, elle apparaît telle qu'elle est dans ce miroir, dans sa vérité nue, dépouillée de l'apparence trompeuse.

L'impressionnisme de Virginia Woolf

Pierre Signac :  l'eau
Pierre Nolon poursuit : La relation est toujours vécue sur un mode insistant, parfois envahissant et obsessionnel. Ce choix commande la manière dont Virginia Woolf décrit le processus; elle pousse la technique impressionniste au point de la rendre pointilliste, elliptique et même, dans certains cas, déroutante.

Ces deux nouvelles ont en commun le miroir et illustrent très bien la technique impressionniste de Woolf. Mabel, tout en parlant, s'aperçoit "dans le miroir rond par petits fragments de robe jaune, grands comme des têtards ou des boutons de bottines" et son interlocutrice est saisie dans le même miroir comme "un bouton noir". La  description, effectivement, est poussée jusqu'au pointillisme; on pense au tableau de Seurat ou de Signac, ou au Monet de la dernière époque, à ces taches de lumières et de couleurs qui finissent par se rassembler pour former une image.  Mabel ainsi réduite à la  taille d'une piécette de trois pences… prend conscience de la disproportion entre les sentiments extrêmes qu'elle éprouve humiliation, souffrance, dégoût de soi-même et  elle-même, cette "chose" insignifiante qu'elle représente. Le miroir l'isole, la coupe des autres,  elle est "débranchée" face à  l'autre femme "détachée", toutes deux absentes l'une à l'autre, murées dans leur solitude.
 Mais l'impressionnisme ne réside pas seulement dans la description, elle est aussi dans l'éclatement des pensées intérieures qui partent dans tous les sens, qui reviennent lancinantes, se répètent, se fragmentent, tout en dressant un état intérieur du personnage. On a donc simultanément l'image extérieure vue dans le miroir et l'intériorité du personnage livré par les pensées. Avec La dame dans le miroir, Virginia Woolf pousse encore plus loin son exploitation du miroir qui cette fois-ci morcelle l'espace. Le miroir en effet, reflète le hall dans lequel il est placé mais il nous projette à l'extérieur, en reflétant aussi le jardin, l'allée, les tournesols.. Un manière de rendre sensible ce hors champ et de nous amener à Isabella qui n'est pas à l'intérieur mais à l'extérieur. Virginia Woolf a aussi recours à une technique qui n'est plus picturale mais photographique : les objets posées sur la table du hall sont d'abord vues comme "des plaquettes d'albâtre veinées de rose et de gris", flous, puis comme par un procédé de mise au point de l'objectif,  l'image se précise, les plaquettes deviennent des lettres.

Les insectes et les végétaux

Frantz H; Desh  Le kimono bleu
 Je me suis aperçue aussi que les insectes comme les végétaux tiennent une grande place dans les nouvelles de Virginia Woolf puisqu'elle se sert d'eux pour transmettre un état de conscience. Ainsi pendant la réception de Mrs Dalloway, Mabel est obsédée par l'image d'une mouche qui tombe dans une soucoupe de lait et cherche à s'en extraire jusqu'au moment où elle s'aperçoit qu'elle est cette mouche, symbole de la souffrance et de la mort mais aussi de l'inanité de la vie : C'est elle-même qu'elle voyait ainsi : elle était une mouche, mais les autres étaient des libellules et des papillons. Dans Kew Gardens, c'est la libellule qui signifie le désir amoureux et l'escargot dans son obstination à se frayer un chemin et à contourner les obstacles représente l'homme et sa lutte quotidienne et absurde et aussi son infini petitesse par rapport à l'univers. Le Volubilis qui cache la misère d'un vieux mur incarne Isabella Tyson mais lorsque le miroir la révèle, le volubilis disparaît et il ne reste plus que le mur nu et sale. Pour Mabel, le souvenir d'une "grande touffe d'ajoncs pâles emmêlés se détachant comme un faisceau de hallebardes" entraîne l'image  des "sagaies" qu'elle reçoit en pleine poitrine et qui sont le mépris, la méchanceté, les moqueries des invités à son égard.

Le thème du miroir

Pierre Bonnard : Miroir et table de toilette.
Solitude, détachement du monde, procédé impressionniste pour rendre compte du réel, le thème du miroir a encore bien d'autres significations. Il est aussi un jeu de mots sur le thème de la réflection/réflexion ( en anglais : reflection) puisqu'il amène à des découvertes sur soi-même :  celui de la dualité de l'être, de la vérité et de l'apparence. L'image que le miroir renvoie à Mabel quand elle est seule avec lui, est celle d'un jeune femme "ravissante, gris pâle, au sourire énigmatique", en fait "sa réalité profonde, essentielle." Mais la vérité d'Isabella , elle, se révèle toute différente : Debout, nue sous cette lumière impitoyable. Et il n'y avait rien. Isabella était totalement vide.  Enfin le miroir comme l'eau symbolise la mort, omniprésente dans l'oeuvre : Regardant sans cesse dans le miroir, se plongeant dans cette dévastatrice flaque d'eau, elle se savait faible et vacillante créature, condamnée, méprisée, reléguée en eau morte.
 Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces nouvelles mais  je vais m'arrêter là!
A part Objets massifs, nouvelle que j'ai jugée intéressante mais moins originale, tous ces écrits sont très riches, d'une grande subtilité. La beauté et la poésie de l'écriture, la finesse de la technique de narration révèlent un grand talent. Un brillant exercice de style! Mais à l'échelle d'un roman, il me reste à découvrir si je pourrai m'intéresser à des personnages qui semblent souvent évanescents, en dehors de la vie, uniquement tournés vers leur nombril. C'est ce que je vais découvrir bientôt en me lançant, encore une fois, dans un roman "woolfien".

 Et pour finir une citation : ce beau poème en prose de Bleu et vert

Vert

Monet : Giverny

Les doigts de verre dardent leurs pointes vers le sol. La lumière coule sur le verre, s’étale en flaque verte. Et tout au long du jour les dix doigts du lustre lâchent des gouttes vertes sur le marbre. Plumes de perroquets – leurs cris rauques – feuilles acérées des palmes – vertes aussi ; vertes aiguilles scintillant au soleil. Mais le verre trempé sur le marbre s’égoutte, sur les sables du désert les flaques s’alanguissent, traversées par le pas incertain des chameaux ; sur le marbre, les flaques s’installent, cernées de joncs, semées de blanches floraisons, traversées par le bond des grenouilles; et la nuit, les étoiles s’y logent, intactes. Le crépuscule balaie d’ombres vertes la cheminée; l’océan s’ébouriffe. Pas une embarcation ; sous le ciel vide, le vain clapotis des vagues. La nuit, les aiguilles distillent du bleu ; le vert s’est estompé.

dimanche 16 juin 2013

Thomas Hardy : Jude l'Obscur

Le mois anglais initié par Lou et Titine

Thomas Hardy publie le roman Jude l'Obscur, un roman pessimiste, l'un  des plus noirs de toute son oeuvre, en 1895. Le livre fait scandale. On accuse Hardy d'immoralité et sa critique de la religion, de l'institution du mariage, soulèvent l'indignation à tel point que l'évêque d'Exeter fait publiquement brûler le livre.

L'histoire
Jude Fawley, un orphelin vit à la campagne; il est très marqué par son instituteur qui lui ouvre les portes du savoir et lui donne l'ambition de continuer ses études. Il apprend tout seul le latin et le grec pour partir étudier à l'université mais il tombe dans les filets de la séduisante Arabella qui se dit enceinte et l'oblige à l'épouser. Le mariage est un échec, la jeune femme part en Australie et Jude à la ville pour y poursuivre ses études, cependant, il ne peut entrer à l'université qui reste fermée à un autodidacte sans le sou. Il devient tailleur de pierre et rencontre Sue Bridehead, sa cousine, qui est contre le mariage. Les deux jeunes gens vont s'aimer et décider de vivre ensemble mais un couple non-marié constitue un scandale dans la société victorienne puritaine. Ils devront en subir les tragiques conséquences.

Jude l'Obscur
Si Tess d'Uberville porte le sous-titre : Une femme pure, Jude est qualifié d'obscur au sens de humble, sans notoriété. Car c'est bien de cela qu'il s'agit! Jude est condamné dès le départ par sa naissance "obscure" et toutes les qualités qu'il manifeste, son intelligence, sa soif de savoir, ses capacités intellectuelles, son courage ne sont rien à côté de ce fait : l'on ne peut sortir de sa classe sociale. Ceux qui ont le pouvoir et l'argent font barrière.
L'autre tort de Jude, c'est de céder au désir sexuel dans une société qui réprouve le corps et la sexualité. En ayant des relations en dehors du mariage avec Arabella, il est obligé de l'épouser sans amour.  En divorçant puis en vivant sans être marié avec Sue, il se perd complètement.  Etre mis au ban de la société, c'est en effet, se condamner à ne plus trouver de travail ni de logement. La misère s'ajoute donc à l'isolement et à la souffrance morale. Ce sont donc les moeurs sexuelles de l'époque victorienne, le puritanisme et la rigidité de la société, le poids de la religion que dénonce Thomas Hardy. Ses positions contre le mariage et pour l'amour libre échappant aux notions d'obligation, sa critique sans concession de la religion, témoignent d'un esprit ouvert et libre, très en avance sur son temps comme ses personnages.

Sue Bridehead
Sue Bridehead est un personnage complexe; on comprend qu'elle ait provoqué le scandale et pas seulement à la fin du XIX siècle. C'est une femme extrêmement intelligente et instruite, d'esprit ouvert. Par la pensée, elle est très en avance sur les moeurs de son époque et elle cherche à s'affranchir des règles que la société impose aux femmes comme l'obligation du mariage. Mais la pression sociale, morale et religieuse qui s'exerce sur elle, la rend vulnérable. Mise au ban de la société parce qu'elle vit en femme libre, elle finira par être rattrapée par les préjugés et la morale. En se tournant vers la religion et en se persuadant qu'elle est coupable, qu'elle a vécu dans le péché, elle aliène ce qui faisait sa personnalité. Elle prouve tout comme le personnage de Jude  qu'il n'y a pas de possibilité pour la femme comme pour l'homme d'échapper au déterminisme social et à la religion présentée comme une drogue et une déchéance quand elle s'oppose à la liberté individuelle et qu'elle obscurcit les esprits.

Un immense roman, un des plus poignants, des plus cruels, écrit par ce grand auteur qui est un de mes écrivains préférés.

Voir Editions Archipel pour Jude l'Obscur


 
 Résultat de l'énigme n°70


Le roman Jude l'obscur de Thomas Hardy

le film : Jude l'obscur de Michale Winterbottom; l'actrice kate Winslet

Les vainqueurs du jour  : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Pierrot Bâton, Marie Josée, Nanou, Somaja, Syl...  Merci à tous et à toutes et bon dimanche!




Chez Aymeline



samedi 15 juin 2013

Un livre/Un film : Enigme n°70 sous le signe du mois anglais




L'énigme du samedi est aujourd'hui sous le signe du mois anglais initié par Titine et Lou et Hilde.



Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.
Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.
Enigme 70

Ce roman est écrit par un écrivain anglais de l'époque victorienne qui nous décrit la condition ouvrière à son époque, la misère et la fatalité  auxquelles les hommes du peuple ne peuvent échapper. Quels sont le nom de l'auteur, le titre du livre?

Se trouvant le point de mire de tous ces gens curieux et railleurs, (...) il n'était pas disposé à reculer devant une déclaration franche dont il n'avait aucune raison de rougir. Bientôt il se sentit poussé à dire d'une voix forte à la foule qui l'écoutait:
- "C'est une question difficile mes amis, pour tous les jeunes gens -- question à laquelle je me suis attaqué, à laquelle des milliers d'autres réfléchissent actuellement, en ces temps nouveaux. Doit-on suivre aveuglément la voie dans laquelle on se trouve, sans considérer ses dons personnels, ou, au contraire, réfléchir aux aptitudes, aux goûts que l'on peut avoir, et changer la direction de sa vie? C'est ce que j'ai tenté de faire et j'ai échoué. Mais cet échec ne prouve pas que j'ai eu tort, je ne saurais l'admettre. De même qu'un succès n'aurait pas prouvé que j'avais eu raison : c'est ainsi pourtant que nous jugeons souvent de ces efforts, non d'après la valeur essentielle, mais d'après leur résultat accidentel

j'ajoute un indice, la photo de l'actrice dans le rôle féminin du film

l'actrice est devenue célèbre après ce rôle