Pages

Affichage des articles dont le libellé est Hammerklavier de Yasmina Rezza. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Hammerklavier de Yasmina Rezza. Afficher tous les articles

mercredi 18 avril 2012

Hammerklavier de Yasmina Reza

     
sonate-pour-hammerklavier-beethoven.1246308746.jpg
Sonata für Hammerklavier de Beethoven
 Je ne vais quand même pas lui dire que le bonheur n'est su que perdu...
Hammerklavier de Yasmina Reza est une suite d'histoires courtes où l'écrivain nous fait part de ses réflexions au fil de la vie, de sa vie, une série de petits récits pleins de finesse, attentifs aux détails, aux sentiments, d'où naissent nostalgie, émotion, tristesse. Ce qui n'exclut pas l'humour. Ainsi dans Le Masque de la Mort,  le père, atteint d'un cancer, contemple dans la glace la déchéance de son corps et fait remarquer à sa fille le masque que la Mort a placé sur son visage :

Je lui dis, c'est vrai papa que tu n'es pas terrible en ce moment.
-N'est-ce pas!...
Il rit et nous rions tous deux, moi assise sur le rebord de la baignoire, lui renfilant sa chemise de nuit, lui de bon coeur, moi aussi finalement, non de rire, mais que nous soyons capables lui et moi de rire devant pareille contemplation.

A travers les thèmes qu'elle égrène, la maladie, la vieillesse, la mort, le bonheur que l'on ne reconnaît que lorsqu'il est passé, à travers les portraits, le père disparu, la grand mère qui perd la mémoire, les enfants qui grandissent et que l'on voit s'éloigner, les amis, c'est bien sûr de nous que parle Yasmina Reza et nous nous reconnaissons, nous avons vécu ou nous vivrons ces expériences. Et j'aime que Yasmina Reza puisse en parler avec autant de pudeur, aborder des sujets aussi graves en parvenant à tempérer la douleur par le rire même si le rire, bien sûr, est très proche du désespoir tout sachant nous en garder.

2253146641-1.1246308664.jpgLe titre du livre fait allusion à l'oeuvre de Beethoven, Hammerklavier, qui revient plusieurs fois dans le recueil et au père de l'écrivain. Dans la première histoire intitulée Le Rêve Yasmina Reza imagine que son père, mort, revient la voir et lui dit qu'il a rencontré Beethoven là-haut mais que celui-ci lui a reproché d'avoir osé s'attaquer à l'adagio de Hammerklavier.

-Pardonnez-moi, maître, lui répondit mon père, je vous imaginais au-dessus de ça à présent!
-Mais enfin! s'écrie Beethoven, être mort n'est pas être sage!

Une des nouvelles qui me touchent le plus est celui qui porte le titre de La Râleuse où Yasmina Reza se désole parce qu'elle a perdu le "livre" écrit et dessiné par sa fille, Alta, lorsque celle-ci était toute petite. Pourquoi y est-elle si intensément attachée? Comment expliquer cette réaction exacerbée? C'est ce que ne comprend pas Alta, la bienheureuse qui ne sait rien encore de tout cela. Et pourquoi ma réceptivité particulière à ce récit? Peut-être parce que j'ai éprouvé maintes fois ce sentiment en relisant les écrits d'enfance de mes filles, devenues adultes, et qui ont donc cessé d'exister dans ce qu'elles ont été, dans leur forme première de fillettes, englouties par le Temps. 

Je lui dis que ce n'est pas le livre que j'aime, que c'est elle, que c'est nous, que c'est cet instant même qui déjà n'est plus, que c'est déjà toutes les choses que nous ne ferons plus ensemble, les colères auxquelles elle a renoncé en grandissant, les disputes que nous n'aurons plus, je murmure encore pour moi d'autres choses, je ne vais quand même pas lui dire que le bonheur n'est su que perdu...


 republié de mon ancien blog