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vendredi 15 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : Moulins à Paroles d'Alan Bennett par la compagnie les Méridiens

 Stéphanie Gramont et Xavier Boulanger, interprètes de Moulins à Paroles

 Alan Bennett a commencé sa carrière comme comédien. Il est considéré comme un des romanciers et dramaturges actuels les plus importants du Royaume-Uni. Parallèlement, il poursuit une oeuvre de scénariste pour la télévision et le cinéma. La Compagnie les Méridiens nous propose deux monologues de Bennett, deux fragments d'existence de personnages  à la fois naïfs, comiques et tragiques : La chance de sa vie et Une frite dans le sucre. Leslie est une actrice qui rêve de percer dans le cinéma, de devenir une star mais elle ne possède qu'un réel  atout : son physique. Graham, vieux garçon, vit toujours chez sa vieille mère dont il s'occupe au quotidien. L'irruption dans leur vie d'un vieil amant de sa mère bouscule son existence.

Avis de claudialucia

J'aime beaucoup Alan Bennett, aussi est-ce avec plaisir que je suis allée voir Moulins à Paroles de la compagnie alsacienne Les Méridiens  à Essaïon théâtre.


Grâce à un dispositif scénique ingénieux, deux décors mobiles qui tournent sur eux-mêmes pour faire apparaître les acteurs, nous pouvons suivre les deux histoires en parallèle, celle de la jeune actrice sans talent exploitée sexuellement par les hommes et celle du fils dévoué à sa mère, "un grand garçon" jamais devenu un homme. Le metteur en scène, Laurent Crovella utilise avec habileté ce dispositif pour établir des parallèles, pour jouer sur l'alternance, la simultanéité, provoquer des ralentissements ou au contraire accélérer le rythme. Ainsi deux vies se déroulent devant nous, se croisent, sans jamais se rencontrer, deux univers très différents mais qui ont en commun l'échec, la noirceur de l'existence. Car Alan Bennett sait à merveille rendre le quotidien de ces vies qui s'étiolent, peindre la solitude de chacun, la cruauté des rapports humains. Et pourtant l'on rit beaucoup au cours de ces deux monologues que deux comédiens inspirés, Stéphanie Gramont et Xavier Boulanger, interprètent avec beaucoup de justesse et de conviction. Mais l'on ressent aussi beaucoup d'émotion et de tristesse tant le spectacle de ces vies gâchées nous touchent.  Un bon spectacle.




Le texte de Leslie est sans grande surprise, la pauvre figurante naïve et sans talent ne peut  finir que déshabillée sur un plateau de cinéma et dans le lit des participants d'un film de série B. Le deuxième monologue est beaucoup plus riche, plus complexe. Graham, vieux garçon emprunté apparaît comme le fils attentif et protecteur d'une vieille femme malade, qui semble perdre la raison. Mais l'arrivée d'un ex-amant extravagant donne une nouvelle jeunesse à la vieille mère, qui se sent  prête à refaire sa vie sans son fils. Alors Graham nous présente une  facette inconnue de son personnage. Il se révèle fragile, malade, complexé, c'est un homosexuel refoulé. Pour la plus grande satisfaction de Graham, le vieil amant disparaîtra et  la vie pourra reprendre son cours rythmé par des promenades  entre deux tasses de thé. La vie de tous ces êtres est triste, tragique, sans espoir mais Bennett arrive à nous faire sourire, rire même, d' un rire noir et grave.
La mise en scène est judicieuse. Au lieu de présenter les monologues l'un à la suite de l'autre, le metteur en scène, Laurent Crovella, a décidé de les faire interpréter en parallèle. Ce choix  correspond tout à fait à l'esprit de la préface de Jean-Marie Besset ,traducteur de Moulins à Paroles (Actes-Sud-Papier): "…les vies sont solitaires, immobiles et comiques-ô combien- dès qu'elles se mêlent à se commenter les unes aux autres". L'immobilité  est rendu par le dispositif scénique, les acteurs sont enfermés physiquement et donc moralement dans des petits kiosques qui tournent sur eux mêmes. Leslie est coincée dans une loge qu'elle décore de  photos de stars, elle joue avec des lumières, se place sous les projecteurs de ses rêves. Graham fait de la tapisserie, engoncé dans des vêtements trop étroits, vissé sur une chaise dans un décor victorien vieillot, il baisse l'éclairage pour se réfugier dans le noir quand ses peurs et ses angoisses le prennent. Stéphanie Gramont et Xavier Boulanger servent avec beaucoup de talent  les beaux textes de Bennett.

Moulins à Paroles 
Les Méridiens
Essaïon Théâtre
Du 8 au 30 Juillet à 12H40
Relâche les 18, 25 Juillet

Hella S. Haasse : Des nouvelles de la maison bleue



Dans Des nouvelles de la maison bleue de Hella H. Haasse, la maison éponyme occupe la place centrale du roman et relie les personnages entre eux et d'abord tous les habitants de ce quartier résidentiel, refermé sur lui-même, secret. La maison bleue est la propriété du professeur Lunius, de sa femme que tous appellent l'Argentine, du nom de son pays d'origine, et de leurs petites filles, Félicia, "la discrète", Nina "la pétulante". A la mort de son mari, madame Lunius part en Argentine avec ses filles et se remarie avec un compatriote conservateur proche de la dictature. La Maison bleue abandonnée à elle-même devient le repaire magique de tous les enfants du quartier.

La maison au toit bleu était donc une partie de notre réalité, un élément indispensable du paysage. Nous nous accommodions des volets clos, des pentures écaillées et de la jungle environnante, et nous nous réjoussions que les tentatives de la municipalité pour acquérir la maison soient restées infructueuses. Dans les années soixante et soixante dix la maison a joué un rôle dans le rêve et l'imagination d'innombrables enfants du quartier; ceux d'entre nous qui étaient alors à l'école primaire ou au lycée peuvent en parler.

De loin en loin les voisins de la maison bleue apprennent des nouvelles de Félicia mariée à avec un diplomate néerlandais et qui  fréquente les milieux huppés de la haute bourgeoisie. Nina  épouse un chanteur argentin, Ramon Sanglar,  et fait parler d'elle par le soutien qu'elle apporte aux mères et aux veuves des opposants de la dictature de son pays. Lorsque les deux soeurs reviennent dans la maison bleue décidée à la mettre en vente, tous vont se sentir concernés, en particulier Nora Munt et le couple Meening qui ont racheté les dépendances de la maison. Le récit raconte les retrouvailles des deux soeurs séparées depuis de longues années et les incidences directes ou indirectes de ce retour sur les habitants. Il est entrecoupé par l'intervention d'un ou plusieurs observateurs extérieurs  à la maison bleue, les voisins, qui observent les soeurs Lunius et commentent leurs fait et gestes. Comme un choeur archaïque, ce sont eux qui portent le sens du roman :

Nous voulions voir en elles, une légende vivant, le passé, mais présent, désir paradoxal. Comme si nous pouvions oublier que tout peut changer continuellement, nous-mêmes, le quartier, le monde autour de nous.

Le roman est en effet l'histoire d'une désillusion collective :  Nina qui traque son enfance dans les murs délabrés de la maison, Félicia qui essaie en vain de se rapprocher de sa soeur, Nora Munt qui veut faire revivre son amour d'adolescente pour Diederick Meening, Wanda Meening qui cherche à  s'émanciper d'un mari trop prévenant, les voisins fascinés par les deux soeurs, tous  courent à l'échec.  La destruction de la maison bleue remplacée par une maison de retraite pour vieillards fortunés est le symbole de cet impossible retour en arrière.

Le charme qui émanait de la Maison bleue et qui prêtait aux deux soeurs une aura  magique aussi longtemps qu'elles étaient ailleurs s'est retourné contre elles, est devenu maléfice, influx malin.

L'analyse de  Hella S. Hasse est conduite avec élégance et finesse. L'écrivain sait rendre le charme, le mystère de la maison (comme dans La source cachée) mais  il y a une froideur dans cette analyse qui m'empêche d'adhérer totalement au roman. Impossible d'être en empathie avec un seul des personnages ou d'éprouver de l'émotion.  Haasse parle à l'intelligence mais pas aux sentiments.