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jeudi 18 mars 2021

Esther Hautzig : La steppe infinie

 

Esther Hautzig (son nom de jeune fille est Esther Rudomin) est une écrivaine polonaise, née à Vilnius, l’actuelle Lituanie, et qui écrit en anglais (américain) après avoir émigré d’abord à Stockholm à la fin de la guerre puis aux Etats-Unis.
Dans La steppe infinie elle raconte l’histoire de sa déportation en Sibérie.

Esther appartient à une riche famille juive et a vécu une enfance  privilégiée, protégée et choyée par ses parents, ses grands-parents et toute sa grande famille. A l’abri de tout souci matériel, elle aime le jardin de son grand-père qui lui apprend à soigner les fleurs, est heureuse d’aller à l’école, adore sa gouvernante. Rien ne vient troubler ce bonheur, même pas les échos de la guerre qui lui paraissent lointains.  Aussi l’arrivée des Russes en Pologne en Juin 1941 retentit-il dans sa vie comme un coup de tonnerre ! Parce qu’ils représentent la classe bourgeoise et capitaliste, ses parents, grands-parents et elle-même, sont en effet envoyés en Sibérie, déportés dans des wagons à bestiaux. Son grand-père est séparé de son épouse et meurt loin d’eux. Esther Hautzig raconte la lutte pour la survie dans ce pays où règne  une chaleur torride l’été et un froid insurmontable, sans chauffage, l’hiver. Mais plus que tout, peut-être, c’est la faim qui la tenaille et elle essaie de venir en aide à ses parents qui travaillent tour à tour dans une mine de gypse, puis dans une boulangerie, son père étant ensuite envoyé au front. Elle y apprend le courage et la dignité. Elle dresse des portraits attachants de son père, sa mère et sa grand mère. Sa mère n’accepte jamais la charité, considérant que la pitié est voisine du mépris.
Mais ce qui est le plus intéressant dans ce livre, c’est qu’elle nous livre un point de vue rare de la  guerre et de la déportation en Sibérie : celui d’une fillette dans l’adolescence, de dix ans à quatorze ans. Et comme tous les enfants, il est important pour elle de se faire accepter par les autres, d’avoir des amis, de tomber amoureuse. Elle nous parle de l’école, de ses professeurs, ceux qui ne l’aiment pas comme ceux qui lui ouvrent l’accès à la littérature. Elle se prend d’amour pour la beauté de la steppe infinie. Elle aura donc beaucoup de mal à quitter ce pays, à dire adieu à ceux qu’elle aime et ceci d’autant plus que le retour dans le pays natal ruiné par la guerre sera douloureux, toute sa famille restée en Pologne ayant disparu pendant l’Holocauste. Son séjour en Sibérie l’aura donc sauvée, paradoxalement, elle, ses parents et sa grand-mère, d’une mort horrible dans les camps de concentration. Ce livre autobiographique s’achève à ce moment-là mais l’on comprend bien qu’il n’y a plus rien qui les retiennent dans ce pays où les juifs survivants sont accueillis par des messages haineux !

Le récit est un document émouvant sur les épreuves subies par l’enfant et sa famille. C’est aussi une bonne lecture pour les adolescents à partir de la sixième, selon leur niveau de lecture, qui découvriront un aspect de l’Histoire de la deuxième guerre mondiale racontée par une enfant de leur âge. 



Esther Hautzig est née à Wilno, en Pologne (aujourd’hui Vilnius en Lituanie), en 1930, dans une famille de notables juifs, elle est envoyée dans un camp, en Sibérie, avec ses parents et sa grand-mère.  À la fin de la guerre, Esther Esther apprend qu’elle a perdu tous les membres de sa famille dans l’Holocauste. Elle émigre avec ses parents aux États-Unis, où elle se mariera avec un pianiste Walter Hautzig, aura deux enfants et fera carrière dans l’édition.
Elle est décédée en 2009 à l'âge de 79 ans



mardi 31 octobre 2017

Julien Gracq : Proust, Nerval, Rimbaud ... Les eaux étroites

Gérard Bertrand : voir son très bel Hommage à Julien Gracq ICI

Les eaux étroites Julien Gracq, "court roman de la rêverie associative", "récit à base de mémoire", selon son auteur, publié en octobre 1976,  invite le lecteur à une promenade en barque sur L’Evre, un affluent de la Loire, petite rivière aux berges plantées de roseaux, promenade qu’il faisait souvent dans son enfance. Il s’agit donc aussi d’un voyage dans le temps, dans ses souvenirs, une sorte de recherche du temps perdu différente pourtant de celle de Marcel Proust. C'est un des aspects de l'oeuvre, et non le seul, qui m'a intéressée.

Julien Gracq et la résurrection du passé

Claude Levêque :  J'ai rêvé d'un autre monde ... 


Pour Julien Gracq la remontée du souvenir ne procède pas, selon ses termes, du "quiétisme de l'illumination proustienne" "lié à la résurrection d'un fragment aboli du passé par l'intermédiaire d'une retrouvaille d'objet.".

Pour lui, au contraire, "... les images chères et longtemps obscurcies -  toutes les images - s’enflamment et vont se rallumant de l’une à l’autre; un tracé pyrotechnique zigzague au travers d’un monde assoupi et le sillonne en éclair en suivant les clivages secrets qui année par année - d’une expérience, d’une lecture d’une rencontre essentielle à une autre - l’ont marqué pour toujours à mon chiffre personnel. "

Au cours de cette promenade, le lecteur rencontre de nombreux exemples de ce processus de la mémoire chez Julien Gracq qui libère le souvenir  par un glissement d’une image à l’autre, une "fugue allègre et enfiévrée"  liée à la  poésie, la peinture, la musique, à tout ce qui est la marque de son univers intérieur et compose les strates de sa mémoire. 

Vermeer : Jeune fille au Virginal

J’ai choisi, parce que l’on s'y trouve en très bonne compagnie avec Nerval, Vermeer et Rimbaud, ce passage où  Julien Gracq, passant devant le manoir de la Guérinière situé au bord de l’Evre, ne peut s’empêcher de redire à mi-voix les vers de Gérard de Nerval; ce petit château qui n'a rien d'exceptionnel se trouvant anobli par le souvenir poétique.



Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;




"Ils (ces vers) sont de la veine mineure, celle des odelettes, où rien encore ne fait pressentir les miraculeux sonnets orphiques de la fin, mais leur charme sur moi est puissant; leur son grêle et frileux est celui des instruments à clavier très anciens : l’épinette, le virginal élisabéthain surtout, qui ensorcelle un des plus mystérieux tableaux de Vermeer, tout vibrant encore, on dirait, de la sonorité liquide d’une touche que le doigt suspendu vient de quitter. A leur appel, une faible vapeur, claire et pourtant nocturne, monte de la rivière et vient flotter sur la prairie, ainsi que dans la scène de Sylvie ou chante Adrienne, et voici qu’un poème de Rimbaud, sans effort, enchaîne ici dans ma mémoire et vient prendre le relais de cette magie blanche, champêtre et toute naïve : «  la main d’un maître anime le clavecin des prés; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes, les voiles, les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant »

August Malmström : peintre suédois La ronde des fées
"Mon esprit est ainsi fait qu’il est sans résistance devant ces agrégats de rencontre, ces précipités adhésifs que le choc d’une image préférée condense autour d’elle anarchiquement ; bizarres stéréotypes poétiques qui coagulent dans notre imagination, autour d’une vision d’enfance, pêle-mêle des fragments de poésie, de peinture ou de musique. De telles constellations fixes (les liens emblématiques qui se nouèrent dès les commencements des anciennes familles entre le nom, les armes, les couleurs et la devise ne seraient pas sans jeter un jour sur leur origine), si arbitraires qu’elles paraissent d’abord, jouent pour l’imagination le rôle de transformateurs d’énergie poétique singuliers : c’est à travers les connexions qui se nouent en elles que l’émotion née d’un spectacle naturel peut se brancher avec liberté sur le réseau — plastique, poétique ou musical — où elle trouvera à voyager le plus loin, avec la moindre perte d’énergie."

Signature de Julien Gracq


lundi 8 avril 2013

Ernest Renan : Souvenirs d'enfance et de jeunesse



Quand j'ai lu Souvenirs d'Enfance et de jeunesse d'Ernest Renan (1823-1892), je me suis attendue à des mémoires sur l'enfance, à la manière de Chateaubriand dans les premiers tomes des Mémoires d'Outre-Tombe, des souvenirs pleins de vie, de légèreté,  d'humour et permettant  de recréer  et de faire vivre une période historique, une époque, une région, un milieu social, une mentalité. C'est bien le cas pour ces dernières caractéristiques sauf pour l'humour et la légèreté. Renan, à l'exception de quelques passages où il évoque son amie d'enfance, la petite Noémi, les histoires racontées par sa vieille mère comme celle de la fille du broyeur de lin, du Bonhomme Système, personnages pittoresques de la ville de Tréguier au XIX siècle… Renan, disais-je, est assez austère.
Il se lie difficilement avec autrui et  son amitié est peu démonstrative. Dès sa jeunesse, il se destine à être prêtre, étudie avec les curés de sa ville natale, Tréguier, puis est pris au séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet et enfin à celui  de Saint-Sulpice. Ses études occupent une grande place dans une vie entièrement consacrée à l'esprit, l'intelligence et Dieu jusqu'au moment où il va perdre la foi non pas en Dieu mais dans le fondement de l'Eglise et la vérité des croyances chrétiennes. C'est parce qu'il a fait l'analyse et l'exégèse des textes saints originaux et en a découvert les contre-vérités et les faiblesses qu'il a  renoncé à la prêtrise.
J'essayerai de montrer comment l'étude directe du Christianisme, entreprise dans l'esprit le plus sérieux, ne me laissa plus assez de foi pour être un prêtre sincère, et m'inspire, d'un autre côté, trop de respect pour que je pusse me résigner à jouer avec les croyances les plus respectables, une odieuse comédie.

L'homme ne m'est pas entièrement sympathique (un peu trop "empesé" ) et présente bien des contrastes, bien des dualités, parfois conservateur mais ouvert sur l'avenir, idéaliste par goût, réaliste par pessimisme, cérébral mais enthousiaste sur le progrès et les sciences, froid mais parlant de ses maîtres avec sympathie.. Il est aussi intelligent, rationnel, érudit, juste dans son appréciation des autres, modéré dans ses assertions qui se fondent toujours sur la raison et des études savantes et approfondies.  On sent une intelligence hors du commun et en cela il impressionne.  Et puis il y a le style, beau et  généralement maîtrisé car il tient la bride à ses  sentiments, se laissant rarement aller au lyrisme et encore moins à l'emphase romantique que l'on retrouve chez certains écrivains romantiques.

Tout me prédestinait donc bien réellement au romantisme non de la forme (je compris assez vite que le romantisme de la forme est une erreur, que, s'il y a deux manières de sentir et de penser, il n'y a qu'une seule forme pour exprimer ce que qu'on pense et ce qu'on sent), mais au romantisme de l'âme et de l'imagination.

Bien que j'aie trouvé certains passages longs et ennuyeux, je me suis accrochée à ma lecture et j'ai aimé des passages descriptifs et certaines réflexions et pensées philosophiques ou politiques. En voici quelques unes :

La Bretagne : Son amour pour son pays d'origine, la Bretagne et sa ville natale Tréguier, s'exprime dans de belles pages pleines de sensibilité qui ouvrent la porte à l'imagination.  Il nous explique l'Histoire de Bretagne, analyse le caractère breton et  les croyances celtes, parle des saints bretons et de leurs particularités fantaisistes, parfois cocasses.

Une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d'une prétendue ville d'Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l'emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d'étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme, on entend monter de l'abîme le son de ses cloches, modulant l'hymne du jour. Il me semble souvent que j'ai au fond du coeur une ville d'Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n'entendent plus. Parfois je m'arrête pour prêter  l'oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d'un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j'ai pris plaisir, pendant le repos de l'été, à recueillir ces bruits lointains d'une Atlantide disparue.

Dès lors j'étais aimé des fées, et je les aimais. Ne riez pas de nous autres, Celtes. Nous ne ferons pas le Parthénon, le marbre nous manque; mais nous savons prendre à poignée le coeur et l'âme; nous avons des coups de stylet qui n'appartiennent qu'à nous; nous plongeons les mains dans les entrailles de l'homme, et, comme les sorcières de Macbeth, nous les en retirons pleines de secrets infinis. Cette race a au coeur une éternelle source de folie. Le "royaume de la féerie", le plus beau qui soit en terre, est son domaine.


La liberté :

Le but du monde est le développement de l'esprit, et la première condition du développement de l'esprit c'est la liberté. Le plus mauvais état social, c'est l'état théocratique, comme l'islamisme et l'ancien Etat pontifical, où le dogme règne directement d'une manière absolue. Les pays à religion d'Etat comme l'Espagne ne valent pas beaucoup mieux. Les pays reconnaissant une religion de la majorité ont aussi de graves inconvénients. Au nom des croyances réelles ou prétendues du grand nombre, l'Etat se croit obligé d'imposer à la pensée des exigences qu'elle ne peut accepter. La croyance ou l'opinion des uns ne saurait être une chaîne pour les autres.

La foi en l'avenir
J'aime le passé, mais je porte envie à l'avenir. Il y aura eu de l'avantage à passer sur cette planète le plus tard possible. Descartes serait transporté de joie s'il pouvait lire quelque chétif traité de physique et de cosmographie écrit de nos jours. Le plus simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède eût sacrifié sa vie. Que ne donnerions-nous pas pour qu'il fût possible de jeter un coup d'exil furtif sut tel livre qui servira aux écoles primaires dans cent ans?

Il ne faut pas pour nos goût personnels, peut-être pour nos préjugés, nous mettre en travers de ce que fait notre temps. Il le fait sans nous, et probablement il a raison.

L'éducation

L'essentiel, en effet, ce n'est pas la doctrine enseignée, c'est l'éveil.

La religion

Et qui reste juge en dernier lieu des titres de la foi, si ce n'est la raison?

La mort 

 Je serais désolé de traverser une de ces périodes d’affaiblissement ou l’homme qui a eu de la force et de la vertu n’est plus que l’ombre ou la ruine de lui-même et souvent à la grande joie des sots, s’occupe à détruire la vie qu’il avait laborieusement édifié. Une telle vieillesse est le pire don que les dieux puissent faire à l’homme. Si un tel sort m’était réservé, je proteste d’avance contre les faiblesses qu’un cerveau ramolli pourrait me faire dire ou signer. C’est Renan sain d’esprit et de cœur comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute.

Lecture commune avec Nathalie de Mark et Marcel ICI




mardi 19 mars 2013

Le Berry : sur les traces de George Sand, Corambé dans Histoires de ma vie (5)


Parc de la maison de Nohant : Corambé

Dans le parc du domaine de Nohant, la maison de George Sand, on découvre une curieuse statue. Il s'agit d'une figure féminine en bronze sombre et or,  à la silhouette gracile et aux yeux cernés de noir à l'égyptienne. Elle se dresse sur une grande feuille et lève un bras comme pour danser.
 Il s'agit de la représentation de Corambé sorti tout droit de l'imagination d'Aurore Dupin quand elle était enfant et imaginé par la sculptrice François Vergier en 1991 :

Lorsqu’en 1816, Hippolyte, son demi-frère, rejoignit son régiment de hussards, Aurore se retrouva seule à Nohant avec Deschartres et sa grand-mère, dont la santé s’altérait. La mélancolie la submergea. Elle était à la recherche d’un idéal. On lui enseignait le catéchisme, mais elle voulait une religion qui lui soit propre. Elle inventa sa divinité personnelle : Corambé. (...)
 Elle lui éleva un autel au cœur du petit bois où elle prit l’habitude de se réfugier. Le culte cessa quand le sanctuaire fut découvert.
Aurore jouissait à Nohant d’une grande liberté. Ses lectures n’étaient pas contrôlées et elle jouait et travaillait aux champs avec les enfants du pays. Mais elle abordait l’adolescence. Le désir de retourner vivre auprès de sa mère était toujours lancinant, et les conflits avec sa grand-mère devenaient récurrents. Celle-ci prit alors la décision de la mettre en pension à Paris au couvent des Dames augustines anglaises. Elle avait quatorze ans. À Paris elle espérait revoir sa mère, et un changement de vie lui plaisait. 
(site George Sand)

Voilà ce qu'en écrit George dans dans Histoires de ma vie : 

"... puisque toute religion est une fiction, faisons un roman qui soit une religion ou une religion qui soit un roman. Je ne crois pas à mes romans, mais ils me donnent autant de bonheur que si j' y croyais. D' ailleurs, s’il m’arrive d'y croire de temps en temps personne ne le saura, personne ne contrariera mon illusion en me prouvant que je rêve.  Et voilà qu'en rêvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiait rien que je sache : c’était un assemblage fortuit de syllabes comme il s’en forme dans les songes. Mon fantôme s’appelait Corambé, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion.
En commençant à parler de Corambé, je commence à parler non-seulement de ma vie poétique, que ce type a remplie si longtemps dans le secret de mes rêves, mais encore de ma vie morale, qui ne faisait qu'une avec la première. Corambé n’était pas, à vrai dire, un simple personnage de roman, c’était la forme qu’avait prise et que garda longtemps mon idéal religieux. (...)
Corambé se créa tout seul dans mon cerveau. Il était pur et charitable comme Jésus, rayonnant et beau comme Gabriel ; mais il lui fallait un peu de la grâce des nymphes et de la poésie d' Orphée. Il avait donc des formes moins austères que le dieu des chrétiens et un sentiment plus spiritualisé que ceux d’Homère. Et puis il me fallait le compléter en le vêtant en femme à l’occasion, car ce que j’avais le mieux aimé, le mieux compris jusqu'alors, c’était une femme, c’était ma mère. Ce fut donc souvent sous les traits d’une femme qu’il m’apparut.
    
Voyager avec une enfant

Si la visite de la maison a été trop longue pour ma petite fille (3  ans), elle a par contre adoré le parc de Nohant  et en particulier Corambé qu'elle a pris pour une fée : La Fée aux Gros Yeux. Un des contes que la grand mère George Sand  racontait à Aurore et Gabrielle et dont je vais bientôt vous parler.



Mercredi  : Sur les traces de George Sand : La fée aux gros yeux (6)









lundi 28 janvier 2013

Jean-Marie Déguignet : Mémoires d'un paysan Bas-Breton Billet de Mireille chez Claudialucia



Voici un billet de Mireille que vous connaissez tous. Elle n'a pas de blog mais elle vient nous rendre très sympathiquement visite dans les nôtres. Bretonne, elle vit à Ergué-Gabéric et c'est pourquoi elle avait promis d'écrire un billet sur son illustre compatriote Jean-Marie Déguignet dans le cadre du challenge breton. Voilà ce qu'elle m'écrivait alors C'est une association de la ville d'Ergué-Gabéric qui a eu en sa possession les manuscrits  du paysan bas-breton Jean-Marie Déguignet et les a fait éditer ainsi que d'autres oeuvres du même auteur. Bref, conclut Mireille, Déguignet est la gloire d'Ergué et son livre_la version courte_ a été traduit en américain.

                      
                             Jean-Marie  Déguignet                                       



C’est grâce à l’association ARKAE,  association gabéricoise de recherches historiques du patrimoine que ces Mémoires ont pu être éditées. Les recherches ont débuté en 1979 et, après des « appels à témoins », un trésor , les manuscrits sont trouvés dans le grenier d’une H.L.M. de Quimper : Quarante trois cahiers, soit quatre mille pages.
Dans un premier temps, Arkaë n’a pas publié l’intégrale de « Histoire de ma vie » à cause des trop nombreuses digressions et diatribes contre les nobles et les curés, les politiciens et Anatole Le Braz.

  Jean-François Déguignet est né le 29 juillet 1834 alors que son père, petit fermier pauvre, venait d’être complètement ruiné par plusieurs mauvaises récoltes successives suivies de la mortalité des bestiaux . C’est la misère, les taudis, la mendicité.
Il fait état d’un accident, grave, le troisième déjà, dont il fut guéri au bout de trois semaines. « quatre jours et nuits dans un état qui n’était ni la mort, ni la vie, du moins en ce qui concerne mon corps ».    De cet accident, il conserva « une large cicatrice en forme d’entonnoir » dans la tempe gauche.  Il est persuadé que cette blessure contribua à faire développer ses facultés mentales d’une façon extraordinaire.
Doté également d’une excellente mémoire, il apprend le catéchisme à neuf ans. 
 Cela ne fut pas difficile, puisque maintenant, tout ce que j’entendais ou que je voyais me restait gravé aussitôt dans ma mémoire.
Sa mère savait lire le breton et n’eut pas de mal à lui apprendre ce qu’elle savait.
Le jeune Jean-François mendiait dans les environs de son habitation et un jour, à neuf ans, une mendiante professionnelle se chargea de lui apprendre le métier. La vieille me faisait entendre que j’allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde puisque Dieu l’avait pratiqué lui-même et qu’il fut pratiqué également par nos plus grands saints. 
Ils étaient bien reçus. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste, elles n’étaient jamais données au nom de l’humanité, chose inconnue des bretons, mais seulement au nom de Dieu .

En 1844, c’est la maladie de la bonne pomme –de –terre rouge et de nouveau la misère. Il a quatorze ans, il est petit et chétif et sa plaie due à son accident continue de couler. Il est soigné à l’hospice de Quimper où il entend raconter des légendes. La fracture du crâne ne s’est jamais bien soudée.
A dix-sept ans, il rencontre un professeur d’agriculture qui possède une ferme modèle où il reçoit ses élèves. Il est engagé comme vacher, travail très contraignant de chaque instant, de nuit comme de jour. Mais, grâce à des papiers que les élèves laissent tomber, il apprend seul à déchiffrer quelques mots de français. A écrire aussi, mais la main sera moins habile que le cerveau.
Il a ensuite la chance d’entrer comme domestique chez le maire de Kerfunteun où il peut perfectionner sa lecture du français à l’aide des journaux qui traînent et d’un dictionnaire. C’est une bonne période, oui, mais il s’engage dans l’armée, non pas pour faire la guerre, mais pour voir du pays. Il gagne Lorient à pied en trois jours.
Il sera soldat de 1853 à 1868 et participera à la guerre de Crimée, aux campagnes d’ Italie, de Kabylie et du Mexique.
Il connaîtra les maladies : scorbut, dysenterie, typhus, mais aussi le bonheur de côtoyer un voisin de chambre érudit qui lui apprendra beaucoup de choses. Il ira au pèlerinage de Jérusalem et y détestera les ordres religieux qui profitent honteusement de la foi et de la naïveté des pèlerins.
Avant de rejoindre l’Italie, il apprend rapidement l’italien et constate que c’est plus facile que le français pour lui qui savait lire le latin de messe.
 … la prononciation est également très facile tous les mots se prononçant du bout de la langue et des lèvres , contrairement aux  langues saxonnes qui se prononcent du gosier, ce qui prouve que ces langues ont été communiquées aux hommes par des fauves, tandis que les latines leur ont
été par des oiseaux .
En Kabylie, il aime l’arabe : L’accent arabe est le même que l’accent breton et tous les mots de cette langue ont les mêmes terminaisons que les mots bretons .
Il rentre en Bretagne en 1868 où il  redevient cultivateur jusqu’en 1882

Je passe sur les difficultés, le travail intense, le mariage, la relative aisance puis l’incendie (criminel ?)de sa ferme, la fin de son bail alors qu’il a travaillé quinze ans pour le seigneur propriétaire.
  Un très grave accident « sa charrette lui roule sur le corps, »le laisse pour mort une nouvelle fois. Il reste immobilisé plusieurs mois, guérit de ses blessures et, estropié, ne peut plus effectuer de travaux de force. Il réussit à se faire engager en tant que placeur de contrats d’assurances et donne satisfaction. En revanche, sa femme s’adonne à la boisson, sombre dans l’alcoolisme et meurt à l’hospice, laissant quatre enfants. Le dernier n’a que six ans.
Après avoir tenu avec succès un bureau de tabac à Pluguffan, il s’en trouve chassé par les manigances du curé et des bigots. Qui n’est pas pratiquant et affiche son mépris pour les gens d’église est vite mis à l’écart! L’emprise des curés est telle que Jean-Marie ne s’est peut-être pas considéré à tort comme persécuté.
Dès lors, sans travail, il retourne à Quimper, vit dans un grenier avec ses enfants puis, lorsque ceux-ci le quittent, il écrit l’histoire de sa vie « à la bonne franquette, sans prétention littéraire, en y intercalant ça et là mes réflexions et mes opinions politiques et religieuses, mes pensées morales, sociales, économiques et philosophiques.
Il finit en ville dans un autre grenier,  un trou de 6m cubes de capacité dont il est expulsé au bout de dix ans après avoir souffert de l’extrême chaleur et du froid intense. Il sera hospitalisé pendant quatre mois et décèdera en 1905, face à l’hospice .
Une vie commencée et achevée dans la misère mais qui fut remplie d’évènements et de péripéties.

Cet ouvrage est un témoignage unique sur la fin du XIX è siècle



Merci à Mireille pour ce billet  qui nous fait connaître un auteur sorti du peuple, contrairement à la plupart des écrivains du XIX siècle, un homme qui a été mendiant, paysan, domestique, commerçant, soldat et nous donne donc un point de vue tout à fait inédit sur  son époque.

mercredi 16 janvier 2013

Sur les traces de Chateaubriand de Saint Malo à Combourg, Les mémoires d'Outre-tombe


Je ne pouvais pas aller à Saint Malo sans chercher la maison où est né François-René de Chateaubriand le 4 Septembre 1768. A vrai dire, il n'est pas trop difficile de la trouver!

Saint Malo



La maison qu'habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint−Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd'hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s'étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J'eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J'étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l'équinoxe d'automne, empêchait d'entendre mes cris : on m'a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s'est jamais effacée de ma mémoire. Il n'y a pas de jour où, rêvant à ce que j'ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m'infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j'ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. (Livre 1 chapitre Mémoires d'Outre−tombe)


La cour intérieure de la maison telle qu'elle était au XIX ème siècle.

Combourg




En sortant de l'obscurité du bois, nous franchîmes une avant−cour plantée de noyers, attenante au jardin et à la maison du régisseur ; de là nous débouchâmes par une porte bâtie dans une cour de gazon, appelée la Cour Verte. A droite étaient de longues écuries et un bouquet de marronniers ; à gauche, un autre bouquet de marronniers. Au fond de la cour, dont le terrain s'élevait insensiblement, le château se montrait entre deux groupes d'arbres. Sa triste et sévère façade présentait une courtine portant une galerie à mâchicoulis, denticulée et couverte. Cette courtine liait ensemble deux tours inégales en âge, en matériaux, en hauteur et en grosseur, lesquelles tours se terminaient par des créneaux surmontés d'un toit pointu, comme un bonnet posé sur une couronne gothique.
Quelques fenêtres grillées apparaissaient çà et là sur la nudité des murs. Un large perron, raide et droit, de vingt−deux marches, sans rampes, sans garde−fou, remplaçait sur les fossés comblés l'ancien pont−levis ; il atteignait la porte du château, percée au milieu de la courtine. Au−dessus de cette porte on voyait les armes des seigneurs de Combourg, et les taillades à travers lesquelles sortaient jadis les bras et les chaînes du pont−levis.
La voiture s'arrêta au pied du perron ; mon père vint au−devant de nous. La réunion de la famille adoucit si fort son humeur pour le moment, qu'il nous fit la mine la plus gracieuse.
(Livre 1 chapitre 7 Mémoires d'Outre−tombe)




Les distractions du dimanche expiraient avec la journée ; elles n'étaient pas même régulières. Pendant la mauvaise saison, des mois entiers s'écoulaient sans qu'aucune créature humaine frappât à la porte de notre forteresse. Si la tristesse était grande sur les bruyères de Combourg, elle était encore plus grande au château : on éprouvait, en pénétrant sous ses voûtes, la même sensation qu'en entrant à la chartreuse de Grenoble. Lorsque je visitai celle−ci en 1805, je traversai un désert, lequel allait toujours croissant ; je crus qu'il se terminerait au monastère ; mais on me montra, dans les murs mêmes du couvent, les jardins des Chartreux encore plus abandonnés que les bois. Enfin, au centre du monument, je trouvai enveloppé dans les replis de toutes ces solitudes, l'ancien cimetière des cénobites ; sanctuaire d'où le silence éternel, divinité du lieu, étendait sa puissance sur les montagnes et dans les forêts d'alentour.  Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l'humeur taciturne et insociable de mon père. Au lieu de resserrer sa famille et ses gens autour de lui, il les avait dispersés à toutes les aires de vent de l'édifice. (livre 3 chapitre 3 Mémoires d'Outre−tombe)





La terre de Combourg n'avait pour tout domaine que des landes, quelques moulins et les deux forêts, Bourgouët et Tanoërn, dans un pays où le bois est presque sans valeur. Mais Combourg était riche en droits féodaux ; ces droits étaient de diverses sortes : les uns déterminaient certaines redevances pour certaines concessions, ou fixaient des usages nés de l'ancien ordre politique ; les autres ne semblaient avoir été dans l'origine que des divertissements.
Mon père avait fait revivre quelques−uns de ces derniers droits, afin de prévenir la prescription. Lorsque toute la famille était réunie, nous prenions part à ces amusements gothiques : les trois principaux étaient le Saut des poissonniers, la Quintaine, et une foire appelée l'Angevine. Des paysans en sabots et en braies, hommes d'une France qui n'est plus, regardaient ces jeux d'une France qui n'était plus. Il y avait prix pour le vainqueur, amende pour le vaincu.
La Quintaine conservait la tradition des tournois : elle avait sans doute quelque rapport avec l'ancien service militaire des fiefs. Elle est très−bien décrite dans du Cange (Voce Quintana). On devait payer les amendes en ancienne monnaie de cuivre, jusqu'à la valeur de deux moutons d'or à la couronne de 25 sols parisis chacun.
La foire appelée l'Angevine se tenait dans la prairie de l'étang, le 4 septembre de chaque année, le jour de ma naissance. Les vassaux étaient obligés de prendre les armes, ils venaient au château lever la bannière du seigneur ; de là ils se rendaient à la foire pour établir l'ordre, et prêter force à la perception d'un péage dû aux comtes de Combourg par chaque tête de bétail, espèce de droit régalien. A cette époque, mon père tenait table ouverte. On ballait pendant trois jours : les maîtres, dans la grand−salle, au raclement d'un violon ; les vassaux, dans la Cour Verte, au nasillement d'une musette. On chantait, on poussait des huzzas on tirait des arquebusades. Ces bruits se mêlaient aux mugissements des troupeaux de la foire ; la foule vaguait dans les jardins et les bois et du moins une fois l'an, on voyait à Combourg quelque chose qui ressemblait à de la joie.
Ainsi, j'ai été placé assez singulièrement dans la vie pour avoir assisté aux courses de la Quintaine et à la proclamation des Droits de l'Homme ; pour avoir vu la milice bourgeoise d'un village de Bretagne et la garde nationale de France, la bannière des seigneurs de Combourg et le drapeau de la Révolution. Je suis comme le dernier témoin des moeurs féodales. (Livre 2 chapitre 2)





Le soir je m'embarquais sur l'étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar. Là, se réunissaient les hirondelles prêtes à quitter nos climats. Je ne perdais pas un seul de leurs gazouillis : Tavernier enfant était moins attentif au récit d'un voyageur. Elles se jouaient sur l'eau au tomber du soleil, poursuivaient les insectes, s'élançaient ensemble dans les airs, comme pour éprouver leurs ailes, se rabattaient à la surface du lac, puis se venaient suspendre aux roseaux que leur poids courbait à peine, et qu'elles remplissaient de leur ramage confus. La nuit descendait ; les roseaux agitaient leurs champs de quenouilles et de glaives, parmi lesquels la caravane emplumée, poules d'eau, sarcelles, martins−pêcheurs, bécassines, se taisait ; le lac battait ses bords ; les grandes voix de l'automne sortaient des marais et des bois : j'échouais mon bateau au rivage et retournais au château. Dix heures sonnaient. (Livre 3 chapitres 12 et 13)




La vie que nous menions à Combourg, ma soeur et moi, augmentait l'exaltation de notre âge et de notre caractère. Notre principal désennui consistait à nous promener côte à côte dans le grand Mail, au printemps sur un tapis de primevères, en automne sur un lit de feuilles séchées, en hiver sur une nappe de neige que brodait la trace des oiseaux, des écureuils et des hermines. Jeunes comme les primevères, tristes comme la feuille séchée, purs comme la neige nouvelle, il y avait harmonie entre nos récréations et nous.
Ce fut dans une de ces promenades, que Lucile, m'entendant parler avec ravissement de la solitude, me dit : " Tu devrais peindre tout cela. " Ce mot me révéla la muse, un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c'eût été ma langue naturelle ; jour et nuit je chantais mes plaisirs, c'est−à−dire mes bois et mes vallons ; je composais une foule de petites idylles ou tableaux de la nature. J'ai écrit longtemps en vers avant d'écrire en prose : M. de Fontanes prétendait que j'avais reçu les deux instruments.
(Livre 3 chapitre 7)

Le grand Be


Le Grand Be : tombeau de Chateaubriand

Saint−Malo n'est qu'un rocher. S'élevant autrefois au milieu d'un marais salant, il devint une île par l'irruption de la mer qui, en 709, creusa le golfe et mit le mont Saint−Michel au milieu des flots. Aujourd'hui, le rocher de Saint−Malo ne tient à la terre ferme que par une chaussée appelée poétiquement le Sillon. Le Sillon est assailli d'un côté par la pleine mer, de l'autre est lavé par le flux qui tourne pour entrer dans le port. Une tempête le détruisit presque entièrement en 1730. Pendant les heures de reflux, le port reste à sec, et à la bordure est et nord de la mer, se découvre une grève du plus beau sable. On peut faire alors le tour de mon nid paternel. Auprès et au loin, sont semés des rochers, des forts, des îlots inhabités ; le Fort−Royal, la Conchée, Cézembre et le Grand−Bé, où sera mon tombeau ; j'avais bien choisi sans le savoir : be, en breton, signifie tombe. (L 1 Chapitre 3)  


Lettre de remerciement au maire de Saint Malo :
Je n'avais jamais prétendu et je n'aurais jamais osé espérer, Monsieur, que ma ville natale se chargeât des frais de ma tombe. Je ne demandais qu'à acheter un morceau de terre de vingt pieds de long sur douze de large, à la pointe occidentale du Grand-Bé. J'aurais entouré cet espace d'un mur à fleur de terre, lequel aurait été surmonté d'une simple grille de fer peu élevée, pour servir non d'ornement, mais de défense à mes cendres. Dans l'intérieur je ne voulais placer qu'un socle de granit taillé dans les rochers de la grève. Ce socle aurait porté une petite croix de fer. Du reste, point d'inscription, ni nom, ni date. La croix dira que l'homme reposant à ses pieds était un chrétien : cela suffira à ma mémoire.






mercredi 23 mai 2012

Déshonorée de Mukhtar Mai, une soeur de Syngue Sabour



J'ai vu un jour au journal télévisé le procès de ce jeune homme d'origine pakistanaise qui a odieusement brûlé une jeune fille dans une banlieue française. Motif? Elle avait rompu avec lui.
Et lorsque l'on interviewe le père sur ce qu'il pense de la conduite de son fils, il répond : "il a fait une bêtise!" Une bêtise! Quel euphémisme par rapport à un tel acte de barbarie ! Mais peut-être - ai-je pensé- cet homme ne possède-t-il pas assez la langue française pour en connaître les nuances?

Or voilà qu'à la bibliothèque, sans l'avoir cherché, je tombe sur le livre de Muktar Mai exposé sur un présentoir, bien en évidence comme pour répondre à mes questions. Le livre s'intitule : Déshonorée.

Il s'agit du témoignage d'une jeune femme pakistanaise, du clan des Gujjar, Muktar Mai, condamnée par le tribunal tribal de son village à un viol collectif devant tout son village. En effet, le jeune frère de Muktar Mai a osé parler à un fille du clan des Mastoï, fermiers guerriers belliqueux, de caste supérieure, qui imposent leur loi aux Gujjar. Et qu'importe que le garçon n'ait que 12 ans et la fille 20 ans! Violée, humiliée et désespérée, la jeune fille souhaite d'abord se suicider comme la plupart des femmes de ce pays soumises à de semblables brutalités, considérées comme déshonorées, et qui ne trouvent aucune autre issue. Mais elle finit par décider de se battre et porte plainte. Dès lors sa vie est menacée. La présence d'un journaliste qui publie un article dans un journal attire l'attention de tout le pays et bientôt du monde entier sur son cas. Un mouvement de solidarité se fait jour autour d'elle. Elle est mise sous la protection de la police, c'est pourquoi elle est toujours en vie aujourd'hui.

Pour une femme qui refuse la violence et survit, combien meurent, combien sont enterrées sous le sable, sans tombe, sans respect.

Si quatre des agresseurs de Muktar Mai ont été condamnés lors du premier procès sous la pression internationale, ils ont été ensuite innocentés quelques années après, en appel. Pendant le second procès, en effet, la coupable toute désignée a été, en effet, la jeune femme!

On m'a traduit des commentaires dans la presse nationale, voulant démontrer que la femme pakistanaise n'avait qu'un devoir, celui d'être au service de son mari, que la seule éducation pour une fille devait venir de sa mère, et que, en dehors des textes religieux, elle n'avait rien à apprendre. Que le silence de la soumission.
Il apparaît sournoisement dans ce tribunal que je suis coupable de ne pas respecter ce silence.


Mais Muktar Mai (Soeur aînée ainsi que la nomme ses élèves) n'a pas abandonné son combat. Elle fait appel une fois de plus*. A l'heure actuelle, elle vit dans son village et a ouvert une école pour apprendre aux filles à lire et écrire, car seule l'instruction leur permettra de s'en sortir, espère-t-elle.

Ma petite école semblait bien menue dans ce flot de malheurs. Minuscule pierre plantée quelque part dans le monde, pour tenter de changer l'esprit des hommes.Donner à une poignée de fillettes l'alphabet qui de génération en génération ferait lentement son travail. Enseigner à quelques gamins le respect dû à leur compagne, leur soeur, leur voisine.. C'était si peu encore.

Notons que le gouvernement pakistanais accepte de payer le salaire d'un instituteur pour les garçons mais pas pour les filles!! Muktar Mai a pu construire son école et assurer le salaire des enseignants pour les filles grâce à l'aide internationale et en particulier au Canada.

Lire son histoire, c'est donc découvrir le statut de la femme en général au Pakistan :

Qu'il s'agisse de divorce, d'infidélité supposée ou de règlements de compte entre hommes, la femme paie le prix fort. On la donne en compensation d'une offense, elle est violée par un ennemi de son mari, en guise de représailles. Il suffit parfois que deux hommes entament une dispute sur un problème quelconque, pour que l'un se venge sur la femme de l'autre. Dans les villages, il est courant que les hommes se rendent eux-mêmes justice, invoquant le dicton oeil pour oeil. Il est toujours question d'honneur, et tout leur est permis. Trancher le nez d'une épouse, brûler une soeur, violer la femme de son voisin.
Alors que la sexualité est un tabou, que l'honneur de l'homme dans notre société pakistanaise est justement la femme, il ne trouve de solution que dans le mariage forcé ou le viol. Ce comportement n'est pas celui que le Coran nous enseigne.

Ou encore

Zafran Bibi, une jeune femme de vingt six ans, a été violée par son beau-frère et s'est retrouvée enceinte. Elle n'a pas renié cet enfant et a été condamnée à mort par lapidation en 2002, car l'enfant représentait une preuve de zina, le péché d'adultère. Le violeur n'a pas été inquiété.(...)
Elle ne sera pas lapidée mais risque de passer plusieurs années en prison, alors que son violeur, lui, est protégé par la loi.


Une autre femme m'attend, le visage à demi couvert par un voile usé; sans âge, épuisée par les travaux domestiques. Elle a du mal à parler. Elle montre simplement son visage, discrètement, honteuse. Et je comprends; l'acide en a dévoré la moitié. Et elle ne peut même plus pleurer. Qui a fait ça? Son mari. Pourquoi? Il la battait, elle n'était pas assez rapide pour le servir à son aise.
La moitié des femmes dans notre pays subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peu importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leur propos pour tenter de briser leur révolte..

Ce témoignage  nous rappelle donc la fragilité de la condition féminine partout  dans le monde  et la nécessité de rester toujours vigilant face à tout ce qui va à l'encontre des droits des femmes y compris dans notre pays.



*voir  l'article suivant  du 8/03/2006 qui fait le bilan de la condition des femmes  : Atlas vista : Asie du Sud: malgré Mukhtar Mai, les crimes d'honneur restent quotidiens

Un article

voir article le Figaro  15/10/2007

voir The NYTimes Novembre 2008 blog Kristof


jeudi 19 janvier 2012

Théophile Gautier : Histoire du Romantisme (2) Les Jeunes France ou le Petit Cénacle


La Nue peinture de Théophile Gautier

Ce billet n°2 de l'Histoire du romantisme fait suite au billet n°1  ICI

Dans son Histoire du Romantisme qui raconte la bataille d'Hernani, Théophile Gautier parle longuement de de ses amis, membres du Petit Cénacle, qui se nommèrent aussi les Jeunes France ou encore La camaraderie des Bousingots*. Le groupe se forme à l'occasion de la bataille d'Hernani et se dissout très vite vers en 1833 ou 1834. Ce sont  les romantiques de la seconde génération et ils révèrent inconditionnellement leur Maître Victor Hugo.

... vous plairait-il d'être introduit dans un groupe de disciples, tous animés de l'enthousiasme le plus fervent? Seulement si vous admirez Racine plus que Shakespeare et Caldéron, c'est une opinion que vous ferez bien de garder pour vous. La tolérance n'est pas la vertu des néophytes.

Certains d'entre eux étaient des personnages excessifs au romantisme exacerbé, dit frénétique, et presque caricatural : au côté de Gautier, il y avait Petrus Borel,  Jules Vabre, Joseph Bouchardy, Jehan du Seigneur, Gérard de Nerval, Thimotée O' Neddy,  Célestin Nanteuil. Ils sont très jeunes, exaltés et sont unis par leur détestation du  bourgeois.

Pétrus Borel, le Lycanthrophe
Pétrus Borel

Pétrus Borel est plus âgé, de trois ou quatre ans, que Gautier; il connaît Victor Hugo et il est un des recruteurs pour la fameuse bataille, ce qui lui confère un indiscutable  prestige auprès des Jeune-France.

Il y a dans tout groupe une individualité pivotale, autour de laquelle les autres s'implantent et gravitent comme un système de planètes autour de leur astre.Petrus Borel était cet astre; nul de nous n'essaya de se soustraire à cette attraction; dès qu'on était entré dans le tourbillon, on tournait avec une statisfaction singulière, comme si  on eût accompli une loi de nature.
Sa personnalité, il se nomme lui-même Le Lycanthrope ( le loup-garou), en fait un être hors du commun et d'abord son physique tout droit sorti "d'un cadre de Vélasquez comme s'il y eût habité " et "d'une gravité toute castillane".
Il exerce sur ses condisciples une fascination (c'est là que l'on voit l'extrême jeunesse de tous et Theophile Gautier se moque avec tendresse de cette naïveté) due à sa barbe noire  :

"une barbe! cela semble simple aujourd'hui, mais alors il n'y avait que deux barbes en France : la barbe  d'Eugène Devéria et la barbe de Pétrus Borel. Il fallait pour les porter un courage, un sang-froid et un mépris de la foule vraiment héroïques" (...) Nous avouons même que nous, qui n'avons jamais rien envié, nous en avons été jaloux bassement, et que nous avons essayé d'en contre balancer l'effet par une prolixité mérovingienne de cheveux".

Pétrus Borel est en train d'écrire Les Rhapsodies au moment de la bataille. Tout porte à croire que c'est le futur grand homme de leur cénacle mais il ne réussira pas à obtenir la gloire littéraire et entamera une carrière houleuse comme inspecteur de la colonisation en Algérie. Il meurt en 1859. Les surréalistes s'intéresseront à lui et à ses nouvelles Champavert, Contes immoraux; Madame Putiphar. Dans deux de ces récits, il met en scène des lycanthropes. Il finira par s'identifier à l'un d'entre eux Champavert, le lycanthrope, assumant l'image du poète maudit et illustrant ce que l'on a appelé le romantisme frénétique.

« La Lycanthropie de Pétrus Borel n'est pas une attitude d'esthète, elle a des racines profondes dans le comportement social du poète [...] qui prend conscience de son infériorité dans le rang social et de sa supériorité dans l'ordre moral. » a dit  Tristan Tzara

Jules Vabre, un amoureux de Shakespeare

Jules Vabre est un membre de ce Petit Cénacle. Il doit sa célébrité à l'annonce - longtemps à l'avance- du titre d'un traité "sur l'incommodité des commodes" qu'il se proposait d'écrire et qui n' a jamais vu le jour! 

Théophile Gautier raconte que Jules Vabre aimait Shakespeare d'un amour fou, "excessif même dans un cénacle romantique". Pour être digne de traduire Shakespeare, il estime qu'il doit apprendre la langue mais aussi connaître les moeurs britanniques comme s'il était anglais lui-même, "se baigner dans l'atmosphère du pays, renoncer à toute idée, à toute critique, se soumettre aveuglement au milieu".... Et il s'expatrie. Des années après, quand ses amis le revoient dans un pub londonien, il  a énormément changé et  a presque oublié sa langue maternelle :  "Nous avions devant nous un pur sujet britannique" 
-Eh bien! mon cher Jules Vabre, pour traduire Shakespeare, il ne te reste plus maintenant qu'à apprendre le français.
-Je vais m'y mettre, nous répondit-il, plus frappé de l'observation que de la plaisanterie.

Joseph Bouchardy, le dramaturge
 Costume de F. Lemaître pour Paris le bohémien de Joseph Bouchardy

Joseph Bouchardy, graveur de formation,  écrivait des pièces de théâtre  mélodramatiques à l'intrigue si complexe que l'on ne pouvait s'y retrouver. Lorsqu'on joua à la Gaîté sa pièce Le sonneur de Saint-Paul, ce fut Théophile Gautier, feuilletoniste à La Presse qui eut la redoutable charge d'en faire la critique. Neuf colonnes d'analyse, explique-t-il, ne l'avaient amené à rendre compte que du premier acte. Aussi demande-t-il à Bouchardy de venir le guider dans ce dédale d'évènements :

Il nous avoua qu'il ne s'y retrouvait pas, n'ayant pas son plan sur lui. Nous devons le dire, il souriait avec un certain orgueil... et semblait flatté qu'on pût se perdre dans son oeuvre comme dans les catacombes et chercher en vain la sortie. Cela l'eût amusé qu'on y fût mort de faim...
Jehan du Seigneur, le Sculpteur

 Le Roland Furieux de Jehan du Seigneur
Il est l'auteur du Roland furieux inspiré de l'oeuvre de l'Arioste (Louvre) qui fut considéré comme le manifeste de la sculpture romantique. Le groupe Une larme pour une goutte d'eau inspiré d'Esmeralda de Hugo n'est pas localisé et le buste de Victor Hugo est dans une collection privée aux Etat-Unis.
Jehan du Seigneur avait un teint de "lys et de rose" et s'en désolait car il était de bon ton d'avoir un teint pâle voire cadavérique, " un air fatal" à la Byron "dévoré par la passion et les remords"

Les femmes sensibles vous trouvaient intéressants et, s'apitoyant sur votre fin prochaine, abrégeaient pour vous l'attente du bonheur pour qu'au moins vous fussiez heureux en cette vie. Mais une santé vermeille éclairait cette douce et charmante physionomie qui essayait vainement de s'attrister."

Les macaroni de Graziano

Gautier raconte (et le récit est hilarant car l'écrivain porte sur la joyeuse bande le regard du vieillard qu'il est devenu, à la fois moqueur et nostalgique) comment les membres du cénacle se réunissent pour manger dans une taverne, Le Petit moulin rouge où le napolitain Graziano leur fait connaître l'excellence des macaroni :

Il nous initia successivement au stufato aux tagliarini, au gnocchi; une pluie dorée de parmesan semblait descendre du ciel dans les assiettes, comme la pluie d'or de Jupiter dans le sein de Danaé. Ces orgies insensées qui nous faisaient tourner de temps en temps la tête vers les murs avec inquiétude de peur d'y voir se dessiner des écritures phosphoriques" leur paraissent bientôt bien ternes, trop bourgeoises.
 La mode est alors au banquet satanique de Lord Byron, un autre de leur modèle, qui se déroule dans les cloîtres de l'abbaye de Newstead avec des jeunes femmes nues revêtues d'un froc de moine. Il est vrai que les macaroni de Graziano, s'ils réjouissaient le palais, faisaient piètre allure à côté des bacchanales de Byron! Fort heureusement Gérard de Nerval se procura un crâne dans la collection anatomique de son père, chirurgien aux armées. Hélas! le crâne avait appartenu à un tambour-major tué à la Moskowa et non à une jeune fille morte tuberculeuse mais... Gérard de Nerval l'avait monté en coupe en fixant une poignée de commode en cuivre dans la boîte osseuse et les diaboliques compagnons s'en servirent pour boire leur vin tout à tour... non sans répugnance!

*Définition de  encyclopaedia  universalis : bousingot
Les bousingots républicains caricature du Figaro 
Bousingo, ou bouzingo, ou encore bousingot, appartient au vocabulaire romantique. Le mot est emprunté à l'argot de la marine anglaise (bousin = 1 cabaret, mauvais lieu ; 2 tintamarre ; 3 chapeau de marin). 
Ayant été employé dans le refrain d'une chanson : « nous avons fait du bouzingo », lors d'un tapage nocturne mémorable du Petit Cénacle, ce terme fut appliqué par la suite aux membres de ce dernier en raison de leur agitation et de leur débraillé vestimentaire. Eux-mêmes revendiquent le mot et décident d'une publication collective : Les Contes du Bouzingo ; seuls La Main de gloire, de Gérard de Nerval, et Onophrius Wphly, de Théophile Gautier, verront le jour. Parallèlement, le mot se retrouve employé dans une acception politique et s'applique aux étudiants révolutionnaires qui participèrent aux émeutes de février et de juin 1832. Une série d'articles leur est consacrée dans Le Figaro (févr. 1832), faisant une assimilation un peu trop hâtive avec les Bousingots littéraires évoqués plus haut.
Enfin, bousingot désigne le chapeau de cuir verni, élément essentiel de la panoplie de la jeunesse romantique.

Il y aura une Histoire du Romantisme n°3. Vous ne voudriez par rater le portrait du grand Gérard de Nerval, j'espère! Si oui, je vais être aussi intolérante que les Jeunes France!