Le sang de la sirène se déroule dans l'île d'Ouessant
Anatole Le Braz (1859_1926) est né en Bretagne dans les Côtes-d'Armor à Saint-Servais dans une famille d’instituteurs publics, défenseurs de l’idéal républicain. Il a vécu une partie de sa jeunesse en Bretagne avant d'aller faire des études lettres-philosophie à la Sorbonne. Poète et écrivain, il se passionne aussi pour le folklore de sa région et collecte de nombreuses légendes, des témoignages de la vie quotidienne. Il a été le disciple d’Ernest Renan et de François-Marie Luzel, folkloriste. Il s’est insurgé très tôt contre la politique d’étouffement de la langue bretonne. Féministe convaincu, véritable père fondateur du Mouvement breton dès 1898, il a toujours privilégié la plus large ouverture possible sur le monde, conjuguée à l’obsession constante de l’Au-delà et de l’Ailleurs.
Son oeuvre la plus célèbre reste : La légende la mort en basse-Bretagne (1893). Il a publié de nombreux écrits sur la Bretagne : Au pays des Pardons (1894) Au pays d'exil de Chateaubriand (1909) des contes et nouvelles : Vieilles histoires du pays breton (1897), Contes du soleil et de la brume (1905) Le sang de la sirène (1901), Les noces noires de Guernaham, Le Gardien du feu (1900)...
Editions Terre de Brume
Le narrateur de la nouvelle Le sang de la sirène est un "Monsieur" qui débarque sur l'île d'Ouessant pour y collecter des légendes anciennes et étudier les rites et traditions. Autrement dit, il s'agit de l'écrivain lui-même! Sur le bateau, il rencontre une belle et charmante jeune femme, Marie-Ange, "la Fleur d'Ouessant" qui semble inspirer à chacun amour et respect. Marie-Ange appartient à une des plus anciennes familles d'Ouessant, le clan des Morvac'h. Pourtant une aura mystérieuse semble l'entourer et les insulaires ne parlent d'elle, malgré leur franche sympathie, qu'à mots couverts. Elle invite le narrateur à lui rendre visite quand son époux, Jean Morvac'h, sera de retour de la pêche. Grâce à Nola, une vieille femme aux pouvoirs étranges et aux habitants de l'île, le narrateur apprend peu à peu le secret de Marie-Ange. La malédiction des Morganes, sirènes partagées entre leur état de divinités de la mer et leur état de femmes pèserait-elle sur la jeune femme?
Cette nouvelle est une fiction et le lecteur suit avec intérêt ce qui arrive à Marie-Ange et son époux Jean mais elle témoigne aussi de la passion d'Anatole Le Braz pour le folklore breton. Nous apprenons beaucoup sur les mentalités et les moeurs des habitants d'Ouessant dont la vie est dure dans ce pays âpre et sauvage. L'omniprésence de l'océan pèse sur tous. Celui-ci, synonyme de subsistance mais aussi de tous les dangers, est étroitement lié à la mort dans un pays où le nombre de veuves est élevé et où le nom des hommes disparus en mer ne figure pas sur les stèles des tombes. A tel point que les ouessantins ont coutume de façonner une croix en cire censée représenter le mort sur lequel le prêtre prononce l'absoute, suivie d'une veillée funèbre, bref! un simulacre d'enterrement : "paraît que, sans ça le noyé ne se tient pas tranquille: c'est toutes les nuits des cris, des hurlements, des insultes, un branle-bas de tonnerre de Dieu.".
On se passionne donc pour cette découverte de l'île et de ses habitants. Le style d'Anatole Le Braz est aussi un des plaisirs de la lecture. Tout en ayant parfois la démarche de l'ethnologue, ses descriptions précises ne manquent pas de pouvoir suggestif.
La route devant nous, plus large, plus unie, filait droit à travers les chaumes. Nul accident visible du terrain. Pas un arbre, par même un végétal arborescent. Rien qui rompît la sobre et sévère harmonie du paysage. Du point où nous étions parvenus, l'île se montrait toute, en sa nudité triste, suspendue entre ciel et mer, avec les cassures de ses rivages, le brusque arrêt de ses falaises dans l'océan..
Il devient parfois poétique et incantatoire. A propos d'un marin disparu en mer :
Les autres s'en vont dans un coup de temps, dans un coup de mer... Lui s'en est allé par mer belle, sous une nuit d'étoiles. Ne dites pas : "la mer est traîtresse!". La mer n'est pas plus traîtresse que la terre. Quand la mort commande, il faut obéir. La mort est la reine du monde.
Il sait rendre l'atmosphère pesante qui règne sur ces gens écrasés par le poids des superstitions, soumis aux caprices de l'Océan, à des forces qui les dominent et qu'ils essaient d'expliquer de leur mieux par la présence du surnaturel. On sent le narrateur gagné peu à peu par l'atmosphère des lieux malgré ses a priori scientifiques. Avec lui, on glisse du réel au fantastique. Tout devient alors possible.
Les autres s'en vont dans un coup de temps, dans un coup de mer... Lui s'en est allé par mer belle, sous une nuit d'étoiles. Ne dites pas : "la mer est traîtresse!". La mer n'est pas plus traîtresse que la terre. Quand la mort commande, il faut obéir. La mort est la reine du monde.
Il sait rendre l'atmosphère pesante qui règne sur ces gens écrasés par le poids des superstitions, soumis aux caprices de l'Océan, à des forces qui les dominent et qu'ils essaient d'expliquer de leur mieux par la présence du surnaturel. On sent le narrateur gagné peu à peu par l'atmosphère des lieux malgré ses a priori scientifiques. Avec lui, on glisse du réel au fantastique. Tout devient alors possible.
J'eus l'impression d'une terre enchantée par un sommeil magique, d'un pays de rêve, empire de quelque fée invisible, de quelque Belle aux Flots Dormant. (...)
Mais le plus extraordinaire ce sont les phares, celui du Stiff sur notre droite, celui de Créac'h à notre gauche. On ne distingue que leurs feux qui ont l'air de brûler dans le vide, au-dessus des lourdes masses d'ombre. Ils ajoutent encore, si possible, à l'horreur de cette nature déchaînée, achèvent de lui donner je ne sais quoi de chaotique, d'absurde et de fou. Le stiff fait l'effet d'une lune blafarde, barbouillée de sang, qui tournerait sur elle-même, en proie au vertige de l'épouvante, tandis qu'à l'autre bout de l'île, le Créach semble une comète clouée dans l'espace, et qui s'impatiente et qui bondit.
Mais le plus extraordinaire ce sont les phares, celui du Stiff sur notre droite, celui de Créac'h à notre gauche. On ne distingue que leurs feux qui ont l'air de brûler dans le vide, au-dessus des lourdes masses d'ombre. Ils ajoutent encore, si possible, à l'horreur de cette nature déchaînée, achèvent de lui donner je ne sais quoi de chaotique, d'absurde et de fou. Le stiff fait l'effet d'une lune blafarde, barbouillée de sang, qui tournerait sur elle-même, en proie au vertige de l'épouvante, tandis qu'à l'autre bout de l'île, le Créach semble une comète clouée dans l'espace, et qui s'impatiente et qui bondit.
Une lecture et une rencontre intéressantes avec un écrivain breton que j'ai découvert avec plaisir. Et pour terminer, cerise sur le gâteau, je vous livre cette phrase que je trouve si belle et qui me touche tant. Elle décrit la fragilité du bonheur, son caractère éphémère. A elle seule, elle justifierait la lecture du livre!
"Ne dites pas, s'écrie la précheuse au début de son improvisation, ne dites pas : " Le bonheur est sur cette demeure." Le bonheur est comme les goélands. Il se pose ici, puis là, entre deux vols; mais il fait son nid dans des lieux inconnus.."
J'ai lu cette nouvelle dans un recueil intitulé Gens de Bretagne tome 1 éditions Omnibus
Il existe aussi une Bande dessinée : Le sang de la Sirène que je n'ai pas lue mais que je signale aux curieux .
Il existe aussi une Bande dessinée : Le sang de la Sirène que je n'ai pas lue mais que je signale aux curieux .
Paru le 11 Avril 2012
Album de la Série : Histoires de Bretagne
Dessinateur : Sandro Masin
Scénariste : François Debois
Auteur : Anatole le Braz
Genre : Fantastique-Etrange
Editeur : SOLEIL PRODUCTION
Collection : CELTIC
Public : Ados-Adultes
Album de la Série : Histoires de Bretagne
Dessinateur : Sandro Masin
Scénariste : François Debois
Auteur : Anatole le Braz
Genre : Fantastique-Etrange
Editeur : SOLEIL PRODUCTION
Collection : CELTIC
Public : Ados-Adultes
Ce billet participe à deux challenges : Celui de Lystig Vivent les régions et celui que j'initie à partir de Vendredi : Challenge breton : Littérature, Arts, Histoire.
Voilà le logo de challenge breton