Pages

Affichage des articles dont le libellé est policier. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est policier. Afficher tous les articles

jeudi 21 décembre 2023

Eric Fouassier : Le bureau des affaires occultes Tomes 1,2,3

 

J’ai lu les trois tomes de Le Bureau des affaires occultes  une trilogie historique policière.

Le Bureau Des Affaires Occultes - : Le Bureau des affaires occultes (Tome 1)
Le Bureau Des Affaires Occultes - : Le Fantôme du Vicaire ( Tome 2)
Le Bureau Des Affaires Occultes - :  Les Nuits de la peur bleue  ( tome 3) -

 

 

Nous sommes au XIX siècle, le siècle des sciences et du positivisme. En 1830, le bureau des affaires occultes est créé par un ministre de Louis-Philippe pour répondre aux enquêtes qui paraissent surnaturelles mais ont pourtant une explication rationnelle, les malfaiteurs s’appuyant sur des bases scientifiques peu connues à l’époque pour mystifier leur entourage.
Valentin Verne en est nommé directeur et va avoir à résoudre plusieurs affaires, parfois seul, parfois avec l’aide de Vidocq, bagnard et ancien policier (oui, celui qui a inspiré Balzac et Hugo !), parfois avec l’aide de sa petite amie, comédienne, ou de jeunes policiers qu’il a choisis pour renfort.

Valentin Verne, enfant des rues, orphelin, qui a été adopté par un homme riche, a poursuivi des études de sciences, en particulier en physique et chimie. S’il n’a pas continué dans cette voie et est entré dans la police c’est pour éradiquer le Mal et en particulier celui fait aux enfants, innocentes victimes de la misère et de la maltraitance. Lui-même, enlevé par un homme pervers appelé le Vicaire, a pu s’enfuir mais son compagnon d’infortune Damien est resté prisonnier. Comme son père adoptif avant lui, Valentin cherche le Vicaire, incarnation du Mal sur la terre, tout en traquant les criminels. Valentin parviendra-t-il à terrasser le Vicaire et à sauver Damien ? Et d'ailleurs qui est Damien ?

Le Vicaire…. De longues mains blanches aux veines comme des serpents, un visage en lame de couteau qui hantait encore les nuits du jeune inspecteur, avec un crâne luisant, ses yeux vicieux, profondément enfoncés, dans leurs orbites. C’était pour mettre fin aux agissements de ce démon en soutane que Valentin avait embrassé une carrière de policier. Tome 2

 Dans le premier roman Le Bureau des affaires occultes, il aura à résoudre l’affaire de suicides inexplicables et suspects, survenus dans des familles bourgeoises ou nobles et proches du pouvoir.

Dans le second, Le Fantôme du Vicaire, il poursuit et confond des escrocs qui jouent sur le chagrin et la crédulité de personnes en deuil au cours de séances de spiritisme. On sait que le spiritisme a été très à la mode à cette époque et plus tard, après la mort de Léopoldine, Victor Hugo s’y est largement adonné. D’ailleurs, Eric Fouassier nous fait le plaisir de convoquer devant nous, comme des esprits, de grands personnages du siècle qui y ont cru, Alfred de Musset, Théophile Gautier, pour ne citer qu’eux.…
Enfin dans le troisième tome, Les Nuits de la peur bleue, c’est sur le choléra et son mode de transmission que porte l’intrigue. Là, on rencontre George Sand !

Donc, j’ai lu la trilogie et je me suis laissée prendre au piège de ces lectures de type addictif qui m’ont coûté des heures de sommeil car, pauvre lectrice, je n’ai pas eu envie de lâcher le livre à mi-chemin même si certains passages m'ont paru moins intéressants.

Alors, ces passages ?  Autant commencer par là et en être débarrassée.  
Les livres étant conçus pour être lus individuellement l’auteur doit préciser par quelques paragraphes bien placés ce qu’il faut savoir des épisodes précédents pour comprendre l’histoire. C’est indispensable, je suppose, mais c’est long et forcément répétitif pour le lecteur qui enfile les trois tomes à la suite comme des perles sur un collier; répétitive, aussi, la structure de l’intrigue, en particulier quand l’héroïne envoyée en repérage ou comme « chèvre » dans une enquête super-dangereuse est sur le point de mourir, sauvée in extremis par le héros. Une fois ça va mais plusieurs ! Encore que lorsque c’est l’héroïne qui sauve sa peau elle-même et qu’elle sauve son chevalier-servant en prime, cela nous fait plaisir, à nous… lectrices !

Ceci dit, ne chipotons pas ! Parfois, bien sûr, les histoires sont rocambolesques, les péripéties plus ou moins attendues mais je ne doute pas que cela fasse finalement partie du plaisir de la lecture. Que voulez-vous ? Quand on commence cette trilogie, c’est comme si l’on entrait dans un roman-feuilleton populaire publié chaque semaine dans les feuilles de chou parisiennes du XIX siècle. Et cela nous met dans le même état ! On veut la suite ! L’auteur joue sur nos nerfs, ménage des suspenses, crée des types de personnage (il a l’art du portrait-charge, caricatural, bien campé) et nous balade dans les bas-fonds du Paris de 1830, dans la misère et la fange du peuple encore agité depuis les trois Glorieuses et fâché de s’être fait voler la révolution. Le récit fait la part belle aux intrigues politiques, décrivant les grognes et les rages des opposants, les soulèvements du peuple toujours prêt à exploser. Et ce que j’ai aimé, en particulier, il rappelle le combat de femmes du peuple, déjà, à l'époque, pour la reconnaissances des droits de la femme, du vote, du divorce, de l’égalité. On en était loin!

Eric Fouassier est un bon conteur et moi, je suis comme la Catherine de Jane Austen lisant Les Mystères d’Udolphe dans Northanger Abbey ! Je marche ! Que dis-je ? Je cours ! Mais si vous restez sur place, alors abandonnez ! Ce n’est pas pour vous ! 

Après les fiévreuses journées de juillet 1830 qui avaient chassé Charles X et permis l’avènement de Louis-Philippe, roi des Français par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Paris avait tardé à retrouver un semblant d’ordre. Dans les rues débarrassées de leurs barricades, s’étaient succédés cortèges, manifestations et défilés de toute sorte. On avait assisté pendant des semaines à ce spectacle inouï du peuple envahissant chaque jour le Palais-Royal, résidence du nouveau souverain. On entrait là comme dans un moulin. (Tome 1)

Une trilogie policière du genre feuilletonesque agréable à lire et bien documenté sur le plan historique et scientifique, l’écrivain étant aussi docteur en droit et en pharmacie.

jeudi 9 novembre 2023

Kimi Cunningham Grant : Les rancoeurs de la terre

 

 

Les rancoeurs de la terre de Kimi Cunnigham Grant est un roman de la rentrée littéraire 2023 qui n’aura pas fait de bruit mais qui,  pourtant, ne manque pas d’intérêt.

Le récit qui se déroule en Pennsylvanie présente une intrigue policière dans laquelle Red, le shérif de Fallen Mountains, qui va bientôt partir à la retraite, est chargé d’élucider le mystère de la disparition de Transom Shultz, revenu au pays après des années d’absence, personnage ayant laissé le souvenir d’un passé sulfureux.

Or Red, le sait bien - son père lui a assez souvent répété cette citation de Faulkner -  : « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même jamais le passé. ». Et l’enquête qu’il va mener, effectivement, ramène à la surface tous les secrets, les blessures, les rancoeurs, enfouis dans la mémoire de certains des habitants de cette petite ville. Red, lui-même n’a-t-il pas, lui aussi, une erreur à se reprocher ? Un poids qui pèse sur sa conscience ?

On s’en doute cette disparition est inquiétante et bien vite l’on va découvrir que Transom qui est le fils d’un riche entrepreneur, tout puissant dans la région, ne compte pas que des amis parmi les anciens de son collège. La belle et orgueilleuse Laney,  ex-petite amie ne lui pardonne pas sa défection et il y a entre lui et Possum, un garçon ainsi surnommé car son physique le fait ressembler à opossum, une haine qui cache un terrible secret. Et que dire de Chase, l’ami d’enfance, le presque frère, qui à la mort de son grand-père Jack est obligé de lui vendre ses terres ? Sinon que Transom le trahit et brise leur amitié en cédant la proprieté à une compagnie pétrolière qui saccage les arbres que Chase aime tant, cette nature qu'il admire, cette terre dont il vit mal mais qui donne un sens à sa vie !

« Ce que Transom ne semblait pas vouloir comprendre en revanche, c’est que ça n’était pas aussi simple. La question n’était pas seulement financière; l’enjeu n’était pas de simplifier la tâche. Il y avait une forme de fierté à cultiver la terre, à la connaître et à veiller sur elle… Et Transom venait d’en priver Chase. Il ne pourrait jamais la retrouver. »

Le roman au-delà de l’intrigue policière peint la vie d’une petite ville ou tout le monde se  connaît, un microcosme où bouillonne tout une vie sous-jacente faite de rumeurs, de non-dits, de ressentiments, une ville où la vie professionnelle de chacun dépend d’un seul homme qui détient le pouvoir financier et peut exercer des pressions sociales liberticides. L’écrivaine introduit un thème écologique en peignant la nature sacrifiée aux exploitations d’énergie fossile et à l’argent. L’analyse psychologique des personnages est fouillée, sensible, et nous permet de nous intéresser à des personnages qui ont une force et une profondeur.

De plus le roman a une certaine noirceur mais n’est pas sans espoir comme on peut le constater quand le shérif parvient à se libérer au cours d’une belle scène pleine d’émotion qui le confronte à Possum : "Dans les jours qui avaient suivi la disparition de Transom, il avait compris que son père avait raison. Le passé n’est jamais mort, il n’est jamais le passé. On n’était pas non plus obligé, néanmoins, de se laisser posséder par lui. De se définir à travers lui. »

Un bon roman, donc, agréable à lire.


vendredi 15 septembre 2023

Laurent Binet : Perspective(s)


Jacopo da Pontormo, peintre maniériste florentin est mort le 1er janvier 1557 dans la chapelle de l'église San Lorenzo où il peignait des fresques*, travail commandé par Cosimo de Médicis, duc de Florence, et dont l'artiste aurait voulu qu'elles soient à l'égal de celles de la chapelle Sixtine. Laurent Binet imagine qu'il a été assassiné par une main inconnue et son roman Perpectives(S) se veut alors une enquête policière pour déterminer qui est l'assassin. 

 

La déposition de Pontormo église Sante Felicita Florence


Le roman est intéressant parce qu'il fait revivre une période de Florence assez délétère où les factions politiques se déchaînent. La reine de France, Catherine de Médicis et son cousin Pietro Strozzi dont le père Philippe Strozzi, républicain, a été exécuté par Cosimo de Médicis, cherchent à mettre la main sur le duché de Florence avec l'aide de l'armée français pendant que Cosimo, grand-Duc de Florence,  allié à l'Espagne par son mariage avec Eleonore de Tolède, essaie de se concilier les bonnes grâces du pape Paul IV ( Gian Pietro Carafa) pour être reconnu roi de Florence. Pour les arts, c'est une période néfaste. Le pape, ancien contrôleur général de l'Inquisition, intolérant, puritain, dans cette période de la contre-réforme, condamne le nu et fait "habiller" ou plutôt "culotter"  les peintures de Michel-Ange. A Florence, Pontormo considéré comme licencieux s'est attiré la haine de la bigote et fanatique duchesse de Florence, Eleonore de Tolède. Les idées de Savonarole, pourtant mort en 1498, refont surface et ne favorisent pas non plus la liberté de l'artiste. Triste période pour les Arts ! 

 

Agnolo Bronzino : Eleonore de Tolède et son fils

 

C'est un plaisir de retrouver dans ces pages tous les artistes rencontrés au cours de mes voyages à Florence : Giorgio Vasari, l'auteur des Vies des peintres, bras droit de Cosimo dans l'enquête sur l'assassinat, Jacopo da Pontormo, vieillard irascible, hanté par la mort, son élève Giambattiste Naldini, Michel-Ange lui-même toujours en exil à Rome, Le Bronzino et ses portraits de la famille ducale, Sandro Allori, son élève, sans oublier le mauvais garçon, l'orfèvre, Benvenuto Cellini.

 

Salière de Benvenuto Cellini

Par contre, je n'ai pas apprécié le choix du roman épistolaire que j'ai trouvé faux, artificiel : les lettres de nombreux correspondants, toutes écrites dans le même style, ne réflètent ni le caractère, ni la psychologie, ni l'origine sociale, ni la culture des personnages. Ce sont pourtant ces qualités que l'on attend d'un vrai roman épistolaire et qui en font l'intérêt ! Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi choisir cette forme plutôt que le roman. Je me suis passablement ennuyée à certains moments, à l'exception de celles de Maria de Médicis*, fille de Cosimo et Eleonor, dont on sent la vulnérabilité et la naïveté (Laurent Binet imagine que celle-ci est morte en couches à la suite d'une fugue avec son amant qui l'abandonne, enceinte). Enfin, j'ai trouvé deux lettres supérieures à toutes les autres, vraiment passionnantes celle ou Vasari échappe à la mort grâce, dit-il, à la perspective, reconnaissant ainsi le talent des illustres prédécesseurs, Paolo Ucello, Brunelleschi ou Masaccio et la magnifique réponse de Michel-Ange qui montre la puissance de l'Art comme témoin de la grandeur humaine.

« Nous l'avons méprisée . Mais nous ne l'avons jamais oubliée.

Comment aurions-nous pu ? La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l'infini. Spectacle terrible. Je ne me rappelle jamais sans trembler la première fois que je vis les fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci. Quelle connaissance merveilleuse des raccourcis ! L'homme d'aplomb, enfin à sa taille, ayant retrouvé sa place dans l'espace, pesant son poids, chassé du paradis mais debout sur ses pieds, dans toute sa vérité mortelle. L'image de l'infini sur la terre (…) L'artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il a l'idée de Dieu, qui est précisément l'infini, cette chose impensable, inconcevable. »

 

Masaccio :Adam et Eve chassés du Paradis 



Enfin, le dénouement qui permet de découvrir l'assassin homme ? ou femme ? (Je n'en dirai pas plus !)  du Pontormo, est aussi un moment de surprise pour le lecteur et l'on sent que Laurent Binet s'est bien amusé à nous mystifier !


Bronzino : Maria de Médicis


* Maria de Médicis devait épouser Alphonse II d'Este, duc de Ferrare, à la sinistre réputation. A sa mort (peut-être du paludisme ?? Cf Wikipedia ), c'est sa jeune soeur Lucrèce qui doit la remplacer pour cette funeste union. Hasard de la parution, le destin de Lucrèce si mal mariée est le thème du livre de Maggie O' Farrel : Le portrait de mariage.

 

Alessandro Allori : Lucrezia de Médidis

 * les fresques du Pontormo ont  disparu.


LC   avec Marilyne ICI

Voir aussi Je lis je blogue : Perspectives Ici

Perspectives Eimelle Ici



lundi 11 septembre 2023

Jussi Adler Olsen : Sel

 


Jussi Alder-Olsen, écrivain danois,  publie un roman thriller fleuve Sel qui nous plonge dans les méandres d’un esprit tortueux et malade, habité par plusieurs psychoses, et entouré, de plus, par des collaborateurs fidèles et fanatisés.

Les crimes, nombreux, sont d’abord déguisés en suicide  avant d’être reconnus comme meurtres de plus en plus sadiques, le point commun entre eux étant un petit tas de sel de cuisine laissé sur la scène du crime.

Il faudra 665 pages au cours duquel Carl Morck, et son équipe travaillant sur les cold cases, résoudront le mystère et d’abord en élucidant la portée symbolique du sel laissé près du cadavre, ce qui, évidemment, n’est pas anodin. Si l’on sait que le cerveau de tous ses crimes prétend le faire pour le bien de l’humanité, l’on comprendra que les victimes sont liées à des scandales financiers, à l’injustice sociale, à la perte des valeurs morales, ce qui permet à l’écrivain de critiquer la société actuelle. De temps en temps, cela fait plaisir comme lorsqu’il met en cause un concepteur de la « télé-poubelle », autrement de la télé-réalité.

La construction du roman obéit au schéma obligé de nos jours  : la narration ne peut-être linéaire et chronologique. Elle est entrecoupée de retour dans l’enfance des personnages qui explique les traumatismes irréversibles vécus par les adultes  sans que le lecteur sache d’abord de qui il s’agit dans le présent du roman.

L’imagination du romancier est fertile et son talent de conteur est réel. Le suspense est conduit avec habileté et c’est ce qui me perd car j’ai envie d’aller jusqu’au bout mais en même temps j’en ai un peu assez de ce genre, le thriller, qui nous maintient en haleine pour de mauvaises raisons et fait de nous les voyeurs de souffrances horribles.

J’aime le roman policier ancré dans la société,  basé sur la psychologie des personnages, leur épaisseur,  et je n’ai pas besoin, pour relancer l’intrigue, de crimes de plus en plus noirs, de souffrances et d’inventions sadiques délirantes.  L’intérêt doit être ailleurs comme dans le livre de Nesbo que je viens de commenter  : Leur domaine. C’est pour ces raisons que mon appréciation du roman d’Olsen reste mitigée.




Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola



 

mercredi 6 septembre 2023

Jo Nesbo : Leur domaine

 

Jo Nesbo avec ce roman Leur domaine signe un beau roman noir… très noir !

Roy et Carl Opgard sont frères. Roy est l’aîné et parce qu’il n’a pas su venir en aide à son petit frère dans son adolescence, il se sent coupable et ce sentiment de culpabilité ronge sa vie. Adulte, il devient le défenseur de Carl, celui qui est toujours là pour réparer ses erreurs, pour le venger, celui qui lui vient en aide dans les pires moments et cela va l’amener loin, très loin !
A la mort de leurs parents dont la voiture s’est abîmée dans un précipice, Roy est devenu mécanicien et a travaillé dans le garage de son oncle pour envoyer son frère à l'université. Celui-ci, après avoir terminé ses études part au Canada et ne donne plus signe de vie pendant quelques années. Mais quand il revient  dans leur petit village norvégien, avec Shannon son épouse, c’est pour se lancer dans la construction d’un hôtel de luxe sur leur domaine familial, dans la montagne. Là, encore il va avoir besoin de l’aide de son grand frère. Les personnages sont entraînés dans une spirale infernale.
Le roman est un roman policier et c’est vrai qu’il y a des meurtres, nombreux, et une enquête qui piétine. Un jeu du chat et de la souris s’exerce entre le policier Kurt Olsen et les deux frères, l’un persuadé de détenir la vérité mais n’arrivant jamais à le prouver, les deux autres démontrant toujours qu’ils sont injustement soupçonnés. 

Mais Leur domaine est aussi autre chose. C'est un roman, ancré dans la société, qui montre comment en Norvège les villes meurent après la construction d’un tunnel et d’une autoroute qui les coupent de la circulation routière. La ville des deux frères a été pour l’instant épargnée : "Mais le tunnel viendra. Aussi sûrement que le soleil pulvérisera notre système solaire dans deux milliards d’années, et, bien plus vite que ça. Ensuite, dans ce trou paumé, ce sera, bien sûr,  la clef direct sous la porte… ".  Une sorte de huis clos à l’échelle de cette ville en sursis où tout le monde se connaît et s’observe crée une atmosphère pesante et s'installe tout au long de la narration.

La construction du livre est habile. Il se présente en en six parties dont la fin relance toujours l’intérêt en détruisant ce que l’on croyait avoir compris si bien qu’au début de chaque nouvelle division on se retrouve à devoir réviser son jugement et à repartir sur d’autres bases, dans une direction que l’on n’attendait pas. Ceci est d’autant plus passionnant que l’intrigue repose sur la psychologie des personnages. Nesbo explore le thème de la culpabilité et a le don de créer des personnages très forts, qui ont une personnalité marquante, et de leur donner de l’épaisseur. Il en est ainsi des deux frères irrémédiablement marqués par leur passé, mais aussi de Shannon, la femme de Carl, de Mari, l’ex-petite amie de Carl, la fille du maire, de Grete la coiffeuse malfaisante qui est amoureuse de Carl, du vendeur de voitures d’occasion inquiétant…
 Enfin, le récit prend parfois une dimension fantastique avec le précipice bordant la route qui grimpe, en virages, jusqu'à la ferme des frères Opgard, un gouffre toujours prêt à avaler ses victimes, symbole de la mort, de l'échec, et d'un destin sans échappatoire.

Un très bon roman !

 

 Leur domaine Jo Nesbo :  Gallimard 687 pages



 

dimanche 23 juillet 2023

Kim Tak-hwan : Les romans meurtriers

 

Note Historique de l’auteur (extrait)

Le roman que vous allez lire se déroule durant la seconde moitié du XVIIIè siècle, sous le règne de Jeongjo (1776-1800), 22è roi de la dynastie Yi, l'une des périodes les plus prospères de l'histoire de la Corée. C'est la "renaissance de Joseon", époque où le commerce fleurit, où de jeunes lettrés adeptes des sciences pratiques venues de Chine rêvent de rénover leur pays, où le roi fonde une bibliothèque afin d'y conserver les manuscrits royaux et les archives dynastiques, et met en place des réformes politiques et culturelles. Un grand nombre d'érudits réputés préconisent alors, dans leurs écrits progressistes, des réformes de l'agriculture et de l'industrie, mais très rares sont leurs principes qui finiront par être adoptés par le gouvernement. C'est aussi la période où la production littéraire passe du stade de la copie manuelle à la fabrication en masse par xylographie et où les romans deviennent accessibles au plus grand nombre. Mais le roi Jeongjo et son gouvernement les considèrent comme des écrits sans valeur et interdisent leur circulation. Aussi l'acte de se procurer un roman et de le lire est-il à l'époque un délit, ce qui ne réfrène en rien la curiosité et l'avidité des lecteurs.

Dans Les romans meurtriers de Kim Tak-hwan se croisent des personnages ayant réellement existé et des personnages fictifs comme Yi Meong-Bang, dosa de la Haute-Cour de Justice, chargé du bon fonctionnement des exécutions publiques.

C’est lui qui, âgé, raconte son histoire. Militaire, expert dans le maniement des armes et en particulier des fléchettes, il n’en est pas moins cultivé, admirateur des Lettres et du groupe de lettrés de l’école de Baektap, grand lecteur de romans, ce genre décrié, considéré comme vulgaire.

Il préside à l’exécution de Cheong Un-mong, autre personnage fictif, romancier le plus populaire de l’époque. Celui-ci est accusé de meurtres odieux en raison de la présence, à plusieurs reprises, sur la scène de crime, de livres qu’il a écrits et qui sont restées ouverts à une certaine page. Cheong a d’abord nié puis, après avoir lu les pages ouvertes de ses livres, il a reconnu sa culpabilité. Les romans meurtriers !

Et pourtant il n’est pas coupable ! D’ailleurs, les crimes continuent après sa mort ! Notre héros se rapproche de Un-beyong, le frère cadet du romancier et de Miryeong, sa soeur cadette pour enquêter et découvrir le vrai coupable. Au passage, il tombe amoureux de la jeune fille mais sans beaucoup d'espoir, lui qui est responsable de la mort du frère aîné. Il va finir par trouver le criminel mais s’apercevoir que l’homme est manipulé. Yi Meong-Ban va se retrouver face à une machination politique complexe et dangereuse. Il est aidé dans son enquête par son ami Kim Jin, lettré, passionné d’horticulture, véritable Sherlock Holmes coréen !  

Nous découvrons aussi des personnages réels, le roi Jeongjo lui-même (1752-1800) les lettrés de l’école de Baektap, érudits adeptes des nouveautés venues de Chine dont l’auteur nous fait découvrir les écrits et les préceptes.  Baek Dong-Su (Yanoi) ( 1743_1816), un noble guerrier du XVIII siècle a appris les arts martiaux à notre héros. Devenu son ami, il lui permet de rencontrer les lettrés de l’école de Baektap.

Le roman présente une enquête policière intéressante avec de nombreux rebondissements mais ce que j’ai le plus apprécié c’est la découverte de la civilisation coréenne au début du XIX siècle et des idées foisonnantes qui circulent à l’intérieur des cercles lettrés à une époque où les autodafés de leurs oeuvres mal vues du pouvoir étaient courantes. La réflexion sur la littérature,  sur l’importance des livres, leur fonction, leur utilité,  alors que la reproduction sur bois permet d’imprimer plus d’oeuvres et d’atteindre un plus large public, n’est pas le moindre des intérêts du roman. 

 

Kim Tak-hwan est un auteur et critique littéraire sud-coréen né à Changwon en 1968

Kim Tak-hwan a publié de nombreux ouvrages de critique et de fiction, dont plusieurs romans historiques et fantastiques :  »L’immortel Yi Sun-sin", série historique en huit volumes, publiée en 2004, a été adaptée à la TV et est diffusée en feuilleton depuis 2005 sur la chaîne KBS.

Actuellement professeur de Littérature à l'Université de Hanam, Kim Tak-hwan se consacre à l'écriture de la suite des Romans meurtriers, une vaste fresque en dix volets qu'il projette de réaliser au cours des dix années à venir.  Présentation Babelio

 

LC avec Maggie, Rachel et Doudoumatous

dimanche 25 juin 2023

Sujata Massey : la malédiction de Satapur

 

Sujata Massey est une écrivaine américaine d’origine anglaise, indienne et suisse. Elle commence une série policière mettant en scène son héroïne Perveen Mistry dans Les veuves de Malabar Hill  que je n'ai pas lu puis dans La malédiction de Satapur, le roman dont je vais parler aujourd’hui.

Le roman La malédiction de Satapur  se déroule à Bombay en 1921puis à Satapur. Perveen Mistry a pour modèle Cornelia Sorbji, la première femme indienne a avoir fait des études de droit à Oxford et Mithan Jamshed Lam, la première femme indienne à avoir été inscrite au barreau à Bombay. Comme elles, Perveen Mistry qui  a rejoint le cabinet d’avocats de son père, devient la première femme avocate en Inde alors que seuls les hommes sont autorisés à plaider. 

L'Inde : un protectorat britannique 

 

En 1921, l’Inde est sous protectorat du Royaume-uni. C'est à ce titre que les agents politiques anglais  doivent intervenir pour régler les litiges qui surviennent dans les petits royaumes régis par des souverains indiens.

Bien que le gouvernement britannique détienne le pouvoir sur approximativement soixante et un pour cent du sous-continent, le reste de l’Inde était un patchwork de petits et grands Etats, et de possession territoriales dirigées par des Hindous, des Musulmans et quelques Sikhs. En échange d’être dispensées de la loi anglaise, de nombreuses royautés payaient des tributs aux Britanniques sous la forme de liquidités ou de récoltes.

A Satapur, dans les montagnes Sahyadri, le maharajah vient de mourir ainsi que son fils aîné dans des circonstances suspectes. L’héritier au trône est trop jeune pour régner. Les deux Maharanis, la mère et la femme du roi défunt, s’opposent en ce qui concerne l’avenir du jeune héritier et son éducation.

La reine douairière veut qu’il fasse des études au palais comme par le passé. La jeune souhaite qu’il aille étudier en Angleterre et elle insinue que la vie de son fils lui paraît menacée s’il reste sur place. Toutes deux demandent l’arbitrage du protectorat et comme l’agent politique en place, Colin Sandringham, ne peut être reçu par des femmes qui pratiquent la purdah ( séparation stricte des hommes et des femmes), Perveen Mistry, en tant  que femme et avocate,  accepte de représenter le gouvernement britannique et se rend à Satapur pour donner un avis impartial.

Une intrigue policière

C’est donc à Satapur que Perveen va accomplir sa mission non sans danger, on s’en doute ! Après sa rencontre avec Colin, elle va voyager en palanquin, ce qui n’est pas de tout repos ! découvrir l’intérieur d’un palais royal, faire connaissances des ranis, échapper à bien des dangers, tout en protégeant les enfants royaux et en risquant sa vie. Car, il s’agit d’un roman policier, ne l’oublions pas ! A ce propos, j’ai trouvé que l’action policière avait bien du mal à se mettre en place et les péripéties du drame qui se joue dans cette petite cour royale interviennent assez tardivement. Plus intéressantes sont les connaissances que nous apporte l’écrivaine sur l’Inde du début du XX siècle.

 
 Une critique de la colonisation britannique

Le livre est une  critique de l’hégémonie britannique sur l'Inde. La première réaction de Perveen quand on lui  propose cette mission est celle-ci  :  

Elle faillit lâcher sa tasse de thé. Il était hors de question qu’elle travaille pour l’Empire britannique qui maintenait l’Inde sous sa patte d’éléphant depuis le XVII siècle.

Elle qui sympathise avec les idées sur la liberté de Ghandi doit militer en cachette pour qu’une répression financière ne s’abatte pas sur le cabinet de son père. Il en est de même des souverains des petits états qui doivent accepter les mariages imposés par les Britanniques sous peine d’augmentation des impôts.

l'Inde :  coutumes, moeurs et religions

Le livre est un puits de savoir sur le vocabulaire, les moeurs et les coutumes de l’Inde, sur les fleurs et les plantes, sur la cuisine, les saveurs, sur la toilette des femmes, leurs coiffures, les cosmétiques…

Sur la religion, nous apprenons que Perveen est Parsi et zoroastrienne, religion monothéiste antérieure à l’Islam et au Christianisme dont le prophète est Zarathustra et que cette religion ne connaît ni la purdah pour les femmes, ni le système de castes comme les Hindous. Mais, même dans son milieu, il existe bien des restrictions à la liberté et elle se sent très gênée d’apprendre que Colin est célibataire et qu’elle est seule avec lui, ce qui risque de la déshonorer. Elle-même ne peut divorcer car les raisons de se séparer de son mari ne sont pas reconnues par la loi parsie et elle dépend d’une belle-mère tyrannique.

 La misère du peuple à Satapur est aussi évoquée ainsi que la responsabilité des rois qui se préoccupent bien peu d’améliorer le sort de leurs sujets.

 La condition féminine en Inde en 1921

 La condition féminine est au centre du l’intrigue. Les femmes de religion hindoue vivent dans le zénana, partie réservée aux femmes et explique Vandana, femme indienne émancipée, un des personnages secondaires du roman, :    

« La purdah n’est pas un privilège mais une vie de restriction. La maharani peut voyager à quelques kilomètres pour prier au temple familial- mais quand elle s’y rend, son palanquin doit être fermé par des rideaux. Personne ne doit voir son visage »

 
Le roman est féministe et l’on y voit une femme avocate compétente qui va statuer en faveur d’une autre femme et montrer que celle-ci, pour peu qu’elle ait droit à l’instruction, peut gouverner et n’est en aucun cas inférieur à l’homme.

En résumé et à mon avis, un roman à lire plus pour tout ce que l’on apprend sur l’Inde de cette époque que pour l’intrigue policière !
 

 

LC avec Maggie ICIDoudoumatous ICI,  Rachel


samedi 4 mars 2023

Jurica Pavicic : L'eau rouge

 

Jurica Pavicic :  L'eau rouge.  Ce 23 Septembre 1889, Silva qui va bientôt avoir dix huit ans disparaît. Rien ne sera plus comme avant pour ses parents Vesna et Jakov, pour son frère jumeau Mate et pour Gorki Šain, le policier chargé de l’enquête. Tous vont mettre leur espoir, leur énergie pour la retrouver. Tous sont hantés par cette disparition et par l’échec de leurs investigations. Ils ne sont pas les seuls à voir leur vie bouleversée. Andrijan, le fils du boulanger, qui est le dernier à avoir rencontré Silva voit aussi sa vie basculer et même si rien n’est retenu contre lui il devient un paria dans le village.
L’enquête détermine des zones sombres dans la vie de Silva, des fréquentations dangereuses liées à la drogue. Enfin un témoignage permet de penser que la jeune fille s’est enfuie emportant son passeport et de l’argent. Mate n’abandonnera pourtant pas sa quête. Ce garçon sans histoires, gentil, sérieux, laisse tomber ses études pour prendre un travail qui, de voyage en voyage, le mènera très loin à la recherche de sa jumelle, dans des pays étrangers, détruisant au passage sa vie de couple.

Mais la Croatie est pris dans les remous de la guerre en 1991 et l’enquête policière s’estompe dans la tourmente : le départ des jeunes gens au combat, la mort, la destruction. L’ancien monde disparaît dans les ravages du conflit.
Le nouveau monde qui renaît des cendres n’est pas mieux que le précédent : à la dictature communiste succèdent les groupes capitalistes maffieux qui achètent des terrains à bas prix, exerçant pression et chantage. Ils créent des constructions hideuses qui gangrènent les côtes afin de recevoir les touristes allemands, hollandais, et bientôt de tous les pays européens. Quelle aubaine ! L’ère est au profit et à la pourriture capitaliste !

Le mérite de Jurica Pavicic a été de mêler étroitement l’intrigue policière - sans jamais l’abandonner puisque nous saurons le fin mot de l’histoire - à l'histoire de quelques hommes et femmes puis à l’Histoire collective. Une fin du monde, un bouleversement à la fois à l'échelle individuelle et à l'échelle de tout un peuple. Pavicic sait mieux que personne (je viens de lire un deuxième roman de lui) parler du temps qui passe, inexorable, irrémédiable, de l’effacement de la mémoire, de la mort qui emporte tout. 

Il en sort un livre fort, empreint de mélancolie et de désenchantement, un livre dont les personnages nous interpellent et qui nous fait découvrir les traumatismes d’un pays sacrifié à la tout puissance de groupes financiers.

L'Eau rouge s'est vu décerner cinq prix  :  en 2018 le prix Ksaver Šandor Gjalski du meilleur roman croate, et en 2019 le prix Fric de la meilleure fiction. Il a obtenu en 2021 le prix Le Point du polar européen et le prix Transfuge du meilleur polar étranger, en 2022 le prix Libra' nous.

Jurica Pavičić est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split en 1965. Il collabore depuis 1989 en tant que critique de cinéma à différents journaux. Il est l’auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles, d’essais sur le cinéma, sur la Dalmatie et le monde méditerranéen, de recueils de chroniques de presse...




mercredi 22 juin 2022

Mechtild Borrmann : Rompre le silence

 

Rompre le silence de Mechtild Borrmann est un roman policer, historique et psychologique, qui se déroule sur deux époques :
 l’époque contemporaine 1997, année où débute l’enquête du personnage Robert Lubisch
et l’année 1939 ( et suivantes) où nous faisons la connaissance de jeunes allemands autour desquels se nouent les fils du récit.

En 1997, Robert Lubisch, médecin,  découvre en vidant la maison de son père qui vient de décéder, une carte d’identité SS tachée de sang et la photo d’une belle inconnue.  Qui est cette femme ? Son père a-t-il eu une maîtresse ?  Pourquoi son père a-t-il conservé les papiers  d’un SS ? Un ami à lui ? Y a-t-il quelque chose de louche dans son passé ?

Robert qui a toujours été en admiration devant son père, qui ne s’est jamais senti à la hauteur et a toujours eu l’impression de le décevoir, a besoin de savoir. Mais quand il enquête, il va se heurter à l’hostilité, réveiller de vieux démons, provoquer la mort violente. Il n’est jamais bon de déterrer les secrets ensevelis, de rompre la silence qui pèse sur cette période historique tragique et haineuse.  C’est ce dont le personnage va s’apercevoir ! Mais il ne peut plus reculer car il est rejoint par une journaliste, Rita Albers, qui flaire la bonne histoire et ne veut pas lâcher le morceau.

Ligue de la jeunesse hitlérienne

La recherche réveille les échos lointains, dans le passé, d’une petite bande d’adolescents, des amis qui s’étaient jurés fidélité pour toujours. Mais nous sommes en 1939 et les voilà, jeunes adultes, forcés à prendre position contre ou pour le régime nazi. On s’aperçoit bien vite qu’il y a ceux qui adhèrent avec conviction à cette idéologie comme Wilhem Peters, l’amoureux de Thérèse, qui se lie d’amitié avec le SS Hollmann ; ceux qui ne savent pas et hésitent ou ceux qui sont contre et n’ont plus le choix. Peu à peu, la suspicion règne entre les habitants de la petite ville, une surveillance s’exerce à l’encontre du voisin. Thérèse Polh dont le père est arrêté pour avoir aidé des juifs à passer la frontière, est obligée d’adhérer à la ligue des jeunes filles allemandes pour se sauver ainsi que sa famille qui est mise au ban de la société.
La guerre éclate avec son lot de souffrances, de morts et de drames qui vont se jouer entre les jeunes gens jusqu’à l’irréparable.
C’est ce que découvre Robert Lubisch qui aura ainsi la réponse aux questions sur son père.

Rompre le silence est  un roman policier  marquant  car il nous fait découvrir la vie quotidienne des jeunes allemands avant et pendant la guerre et décrit l’engrenage dans lequel certains sont entraînés malgré eux, la privation de liberté, la peur, le danger, l’atmosphère délétère qui règne entre voisins, le sacrifice de ceux qui ne sont pas assez forts pour résister à la violence. Un des leurs, Léonard Kramer est broyé par un système inhumain qui privilégie le culte du héros. Si l’on ajoute que l’enquête est bien menée, qu’elle réserve des surprises et que les personnages sont intéressants, on peut dire que ce livre a bien des qualités. A lire !



 
 

dimanche 29 mai 2022

Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours


Pour se faire oublier d'un puissant cartel de drogue mexicain qu'il a trahi, Rice Moore trouve refuge dans une réserve des Appalaches au fin fond de la Virginie, où il est employé comme garde forestier par un riche propriétaire qui lui demande d’assurer la sauvegarde des ours trop souvent décimés par les chasseurs.
Mais la découverte de la carcasse d'un ours abattu vient chambouler son quotidien : s'agit-il d'un acte isolé ou d'un braconnage organisé ? L'affaire prend une tout autre tournure quand d'autres ours sont retrouvés morts. Rice décide de faire équipe avec Sara Birkeland, une scientifique qui a occupé le poste de garde avant lui; Ensemble ils mettent au point un plan pour piéger les coupables. Un plan qui risque bien d’exposer le passé de Rice.
(quatrième de couverture)

Dans la gueule de l’ours, premier roman de Jamie McLaughin, a  obtenu le prix du roman policier en 2020. L’intrigue policière se déploie sur deux plans : d’une part, Rice Moore devra affronter les tueurs d’ours, chasseurs en colère, qui passent outre la loi mais aussi des gangs violents qui ont intérêt à tuer les ours. On apprendra pourquoi. Mais il devra aussi faire face aux trafiquants de drogue qui ne lui pardonnent pas sa trahison et finiront par le retrouver et là, ce sera encore une épreuve supplémentaire et pas des moindres ! Heureusement pour lui, Rice Moore est un dur à cuire, il sait se battre, et sait tirer. Bref ! ce n’est pas un enfant de choeur et il ne reculera pas !

L’aspect policier est intéressant non seulement par les péripéties qu’il nous fait vivre mais aussi parce que l’écrivain nous amène dans ce coin de terre reculé, à la réserve de Turk Mountain, dans les montagnes  de la Virginie, où les autochtones sont plutôt primaires, rébarbatifs voire racistes et violents. L'enquête menée par Rice Moore nous tient en haleine.

Quant au personnage, il est autre chose qu’un trafiquant primaire et brutal et c’est en ce sens qu’il nous apparaît comme intéressant.

Rice Moore a fait des études scientifiques qu’il n’a pu terminer et s’est fourvoyé dans un trafic de drogue pour suivre Apryl, la femme qu’il aime mais il risque tout pour se dégager de ce milieu.
C’est en scientifique, en écologiste, qu’il nous amène dans la forêt à la découverte d’essences variées, d’oiseaux et autres animaux qu’il reconnaît, nomme et décrit pour établir des preuves de leur présence et de leur nombre. Mais il nous fait aussi pénétrer dans ce monde sauvage en poète, en esthète, nous en faisant goûter la majesté, le silence et la beauté. C’est en gardien de la Nature qu’il agit, protégeant les ours, en accord avec la vie animale, assisté par une autre mordue, tout aussi folle que lui, Sara Birkeland qui revient après avoir été chassée de la réserve.

 Tenue de camouflage : Ghilie

Autre que policier, donc, ce roman de Nature writing montre le personnage s’enfonçant dans la forêt, gagné par la solitude, cherchant à communier avec la nature et ne faire qu’un avec elle. Enfermé dans sa tenue de camouflage, dans sa tenue de Ghillie, il devient végétal et bête, se fond au point de perdre sa propre identité, sombre dans une sorte de folie inspirée, presque chamanique, et vit des aventures qui échappent au rationalisme. Certains passages du livre qui décrivent cette aventure spirituelle tournent  au  fantastique et  se révèlent d’une étrangeté onirique. C’est fascinant ! (Prix Allan Poe en 2019)

" Il tenta  d'entrer en contact avec les oiseaux, s'en approcha en imagination. Il eut l'impression de demander la permission de se joindre à eux. La mésange à l'oeil vif bondit soudain et un petit scarabée noir fut dans son bec, les pattes s'agitant, l'exosquelette craquant, un goût huileux. Boire un peu de rosée à une goutte suspendue au bout d'un brin d'herbe. Lorsque les oiseaux s'envolèrent de la falaise, Rice s'envola avec eux, défiant tout bon sens, il nagea à travers l'air invisible, un moment de vertige quand tout en bas la rivière scintilla au soleil, la cime des arbres, les nuages dans le ciel infini, puis un temps d'arrêt pour reprendre ses esprits - une syncope musicale, un battement de coeur en moins, une longue goulée d'air dans les poumons - et une immense valve cosmique s'ouvrit, la vision de la gorge explosa dans son esprit, toute la gorge à la fois, toutes les couleurs, de l'infrarouge à l'ultraviolet, tout était vivant, des millions de voix parlaient en une fantasmagorie de présences bien réelles, le champ magnétique de la planète, elle-même pulsait puissamment autour de lui."

 
Le style de James Mc Laughin est d’une poésie précise. L’écrivain fait appel à tous les sens pour nous faire goûter les bruits de la nature, ses couleurs, sa texture, son goût même. Il épouse le regard de Rice, à la fois connaisseur des arbres et des bêtes qu’il aborde toujours avec respect et délicatesse  et  toujours sensible à la beauté.

"Deux mésanges à tête noire se posèrent sur le buste de Rice et entreprirent d'arracher des brins de toile de jute. Son rire étouffé agita le tissu et plongea les volatiles dans la perplexité, mais ils ne s'envolèrent pas. Une mésange parut deviner que Rice était un être vivant et elle sauta sur la capuche pour examiner son oeil. Sara avait un jour déclaré que les mésanges à tête noire avaient des caractéristiques agréables qui poussaient les humains à les adorer, à les considérer avec un regard anthropomorphique - le front arrondi et protubérant, le bec court, leur corps minuscule couvert de plumes, leurs grands yeux. Rice examina la face de l'oiseau à quelques centimètres de son propre visage. L'oeil noir et luisant braqué sur le sien. Pas si mignon que ça finalement, pensa-t-il. Il semblait farouche, différent, impitoyable. Il sentit l'éclair d'une brêve reconnaissance le traverser. Il cligna des yeux et le mésange s'envola."

Il s’agit donc d’un roman passionnant, original, inclassable car à deux entrées, et l’on peut que recommander aux amateurs de romans policiers comme à ceux qui aiment la Nature writing et si vus aimez les deux, vous serez comblés !  Un beau livre,  bien écrit, surprenant !
 

 

Jamie Mc Laughin source

James McLaughlin a grandi en Virginie et vit désormais en Utah. Photographe passionné de nature, il est également l’auteur de plusieurs essais. Dans la gueule de l'ours est son premier roman. Il a été unanimement salué par la critique américaine (The New York Times, The Washington Post, USA Today ou Entertainment Weekly, etc.).
 

mercredi 4 mai 2022

Jake Hinkson : Au nom du bien


 

Jake Hinkson est fils d’un prêcheur baptiste et il a été marqué dès son enfance par son éducation religieuse étouffante. Alors quand il parle dans son livre Au nom du bien des formes d’oppression religieuse dans certaines régions des Etats-Unis et, ici, dans un petite ville de l’Arkansas, il sait ce dont il parle. Et cela le rend féroce !

Richard Weatherford est le pasteur de cette ville et il impose son autorité à tous, s’immisçant dans la vie privée des gens, surveillant leur participation au culte ou leur absence, jugeant de leur moralité jusqu’au sein de leur vie de couple, de leur sexualité, réprouvant le divorce, l'homosexualité, interdisant, culpabilisant, guidant de haute main la vie de ses paroissiens, une influence qui s’abat sur la cité, prend une forme pateline, insidieuse et exerce une violence certaine sur les esprits ! Pour l’heure, il intrigue avec ses paroissiens, notables vertueux, pour faire interdire l’alcool et faire fermer les débits de boissons. Considéré par tous comme un saint homme, il est l’exemple qu’il faut suivre pour gagner son paradis !

Son épouse Penny est la parfaite épouse de pasteur, assurant le catéchisme, dirigeant les prières, déjeunant avec les dames de la paroisse. Très attachée à ses prérogatives et à la supériorité que lui donne sa position sociale, elle laisse son mari diriger l’éducation de leurs enfants.

Une vie édifiante dans lequel le pasteur sage et respecté, pourrait couler des jours sereins  mais… Car il y un mais, bien sûr, un caillou qui va enrayer les rouages, et faire grincer la machine bien huilée jusqu’alors. Et ce caillou, s’appelle Gary Doane, jeune homme dépressif et suicidaire. Il a pour petite amie Sarabeth Simmons considérée par tous comme une fille immorale, dépravée. Tous les deux ne supportent plus le manque de liberté, les excès d’une religion fondamentaliste, conservatrice, les jugements des bien-pensants persuadés d'agir au nom du bien.
Que veut Gary Doane à Richard Weatherford ?  Pourquoi le fait-il chanter ? On le saura bien vite car la réponse à cette question n’est pas l’intérêt principal du roman. Non, l’intérêt réside dans la démonstration magistrale de l’écrivain qui scrute le personnage du pasteur avec un intérêt digne d'un entomologiste étudiant un scarabée. Comment va  réagir le pasteur ?  Va-t-il reconnaître la vérité ou, au contraire, essayer de la fuir, de s'en sortir ? Le récit adopte plusieurs points de vue, celui du pasteur, de Penny,  Gary et de Sarabeth mais aussi celui d'un autre protagoniste, Brian Harten. Péripéties haletantes qui nous mènent de surprise en surprise, suspense, retournements de situation au cours desquels s’exerce l’ironie acérée d’un Jake Hinkson qui décrit une société figée, radicale, hypocrite, et nous livre une vision noire et désenchantée d’une Amérique conservatrice et liberticide.

Un très bon roman !

samedi 9 avril 2022

Niko Tackian et Jorn Lier Horst : romans policiers français et norvégiens.

 

Comme je lis plus vite que mon ombre et que j'écris moins vite, il y a beaucoup de mes lectures qui n'ont pas été commentées depuis quelques mois, et, entre autres, des romans policiers. Parmi eux, certains que j'ai lus avec plaisir,  c'est pourquoi je veux en garder la trace dans mon blog, moments de détente ou d'évasion, sans qu'ils soient pour autant des coups de coeur.

 

Niko Tackian Avalanche hôtel

 
 
 Niko Tackian, romancier, scénariste et réalisateur, est devenu en quelques romans une des références du polar français. Après avoir joué avec nos peurs dans un thriller hypnotique (Avalanche Hôtel, Calmann-Lévy, 2019), il nous plonge dans une nouvelle enquête de son commandant Tomar Khan avec un style toujours aussi percutant dans celle qui pleurait sous l’eau..
  (éditeur Calmann-Levy)


 

Janvier 1980. Joshua Auberson est agent de sécurité à l’Avalanche Hôtel, sublime palace des Alpes suisses. Il enquête sur la disparition d’une jeune cliente et ne peut écarter un sentiment d’étrangeté. Quelque chose cloche autour de lui, il en est sûr. Le barman, un géant taciturne, lui demande de le suivre dans la montagne, en pleine tempête de neige. Joshua a si froid qu’il perd connaissance…
… et revient à lui dans une chambre d’hôpital. Il a été pris dans une avalanche, il est resté deux jours dans le coma. Nous ne sommes pas en 1980 mais en 2018. (quatrième de couverture)


Le début du livre m’a beaucoup plu et m’a entraînée dans une histoire fantastique, m’a perdue, à la suite du personnage principal Josua, dans un hôtel aux couloirs labyrinthiques, puis dans paysages de montagnes enneigées en compagnie d’un étrange personnage. Mais lorsque Joshua se réveille du coma, il s’interroge :  Avalanche hôtel existe-t-il ? Qui est le personnage rencontré dans l’hôtel ? A-t-il rêvé pendant son coma ? Ce qu’il a vu a-t-il un rapport avec la réalité ? Que faisait-il dans la montagne quand il a été pris dans une avalanche ?  D’autre part, il découvre qu’il n’est pas agent de sécurité mais policier et il qu'il est en train de mener une enquête sur une jeune femme sans identité, retrouvée sans connaissance, dans le coma.
Nous sommes dans les Alpes Suisses, au bord du lac Léman. Joshua retrouve ses forces et va recommencer à enquêter. Le roman est bien écrit, d’une lecture aisée et agréable et non dépourvu d’humour. C’est aussi une réflexion intéressante sur la mémoire. J’ai bien aimé le jeu entre rêve ou réalité.  Mais j'ai trouvé que les personnages ne sont pas toujours approfondis, leur évolution, en particulier, amoureuse, me paraît trop rapide. Comment croire à l’amour si rapide de la « Crevette » pour la « Géante » alors qu’il ne l’avait jamais regardé en dehors de la nuit où il couche avec elle ! De ce fait, les personnages secondaires bien campés, prennent d’autant plus de relief. Un auteur français de polars qui a des qualités d’écriture. Intéressant ! A suivre !

Niko Tackian Celle qui pleurait sous l’eau


Et j’ai suivi !

Une jeune femme, Clara Delattre, la trentaine, est retrouvée morte dans une piscine. Apparemment, elle s’est ouvert les veines et flotte dans l’eau rougie par son sang. José, le chef des maîtres-nageurs la découvre et n’appelle pas tout de suite la police. Manifestement, il a quelque chose à cacher. Il ne sera pas le seul. L’inspecteur Tomar Khan conclut à un suicide et ne cherche pas plus loin. Il faut dire qu’il a de graves soucis au niveau professionnel et au niveau de sa santé. Il est prêt à clore l’affaire. Rhonda, son adjointe, pourtant s’obstine. Elle s’accroche à une intuition et elle continue à enquêter.
Une double enquête court dans le roman, celle qui concerne Clara, la victime, qui introduit un thème féministe mais je ne peux vous en dire plus pour ne pas dévoiler l’intrigue, et une autre menée par Tomar sur lui-même, pour chercher à résoudre le cauchemar qu’il est en train de vivre. A-t-il tué son collègue, le lieutenant Bokor, qui s'acharnait sur lui et qu’il avait fini par haïr ? Il lui est difficile de répondre à cette inquiétante question car l’épilepsie dont il souffre le prive de pans entiers de sa mémoire.
Encore un livre bien écrit, efficace, ancré à Paris, au 36 qui n’est plus celui du quai des Orfèvres et où les « flics » errent un peu déboussolés. Le roman est intéressant et se lit avec plaisir. 
"Clara, c’était une fille pleine de passion, et très courageuse. Mais il y avait quelque chose d’enfoui… une souffrance. Elle pleurait sous l’eau.
– Comment ça, elle pleurait sous l’eau ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– C’est une expression qu’on utilise en compétition. Quand un nageur vient s’entraîner et qu’il traverse des épreuves dans sa vie privée, on lui dit qu’il n’a qu’à pleurer sous l’eau, là où personne ne pourra le voir. "


Jorn Lier Horst  : L’usurpateur

"Jørn Lier Horst, né le 27 février 1970 à Bamble, dans le comté de Telemark, en Norvège, est un écrivain norvégien, auteur de roman policier et de littérature d'enfance et de jeunesse. Ancien inspecteur de la police, Jorn Lier Horst connaît parfaitement les rouages du système. Vendu à plus de 2 700 000 exemplaires à travers le monde et traduit dans dix-huit langues et 26 pays, il est considéré comme le digne héritier d'Henning Mankell."



 

Dans la petite ville de Larvik, à deux pas de la maison de l'inspecteur Wisting, un homme mort depuis quatre mois est retrouvé chez lui, devant sa télé allumée. La fille de l'enquêteur, Line, décide d'écrire un article sur ce voisin disparu dans l'indifférence générale en pleine période des fêtes. Pendant ce temps, Wisting apprend la découverte d'un autre cadavre dans une forêt de sapins avec, dans la poche, un papier portant les empreintes d'un tueur en série recherché par le FBI. À quelques jours de Noël, par moins quinze... (quatrième de couverture)

William Wisting et sa fille Lina sont des personnages récurrents des romans policiers de Jorn Lier Horst. Je les avais déjà rencontrés dans Fermé pour l’hiver. C’est pourquoi j’aime bien les retrouver. L’enquête menée par le policier sur les meurtres est animée et pleine de rebondissements avant la résolution de  l'intrigue. Mais ce que j’ai préféré c’est l’enquête de Line, la journaliste, tout en demi-teinte, en finesse, car elle explore le côté humain du drame policier. Elle écrit sur la solitude des personnes âgées. Par son observation attentionnée du vieil homme, Viggo Hansen, elle parvient à recréer le personnage, ses goûts, ses habitudes et  les derniers moments de sa vie. Le titre, d’ailleurs, est une allusion à ceux qui, inaperçus, traversent la vie en solitaire et sont effacés de la surface de la terre sans que personne ne s’en aperçoive. Une certaine tristesse naît de cette constatation et donne une coloration nostalgique. Un bon roman  bien écrit malgré quelques faiblesses au niveau scénarique !

Jorn Lier Horst  : Fermé pour l’hiver


Puisque je ne l’avais pas commenté en temps voulu, voici quelques mots sur Fermé pour l’Hiver.

"Les chalets du comté de Vestfold, qui servent de résidence estivale aux Norvégiens aisés, sont fermés pour la morte saison, et ont été la cible d’une série de cambriolages… Lorsqu’un homme cagoulé est retrouvé assassiné dans le chalet d’un célèbre présentateur de télévision, William Wisting, inspecteur de la police criminelle de Larvik, une ville moyenne située à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Oslo, est chargé de l’enquête. Mais la disparition du corps avant son autopsie et l’incendie d’un appartement, détruisant des indices essentiels, risquent d'anéantir tous ses efforts. La situation se complique encore puisque la propre fille de Wisting se voit mêlée malgré elle à cette affaire." (quatrième de couverture )

Fermé pour l’hiver est un roman qui m’avait bien plu quand je l'ai lu il y a quelques mois.  Pourquoi ?  Et bien, pour la Norvège : je me souviens de ces petits chalets au bord des lacs, résidences d’été, que le gens de la ville ferment pour l’hiver. Leur évocation me parle et fait naître des images très précises. J’aime la description de la nature, ces paysages automnaux de pluie et de brouillard. Le roman est bien écrit et de même l’intrigue est bien conduite et intéressante. L'auteur sait créer des ambiances. Une lecture que j'ai aimée et qui m'a donné envie de retrouver les personnages.
 

jeudi 11 novembre 2021

Philippe Jaenada : Au printemps des monstres

 

Allez, comme à chaque parution, je suis allée faire une petite incursion dans l’univers de Philippe Jaenada qui nous entraîne dans une nouvelle enquête avec Au printemps des monstres. Quand je dis petite, il s’agit tout de même de 750 pages mais qui se lisent facilement.

Et comme d’habitude, Jaenada, choisit, parmi les meurtriers, une personne qui lui semble innocente du crime qu’on lui impute et il cherche à mettre en relief les erreurs judiciaires, à rétablir si possible la vérité. Il est vrai que l’écrivain, en s’immergeant dans les archives, les rapports d’enquête, les correspondances, les minutes du procès, en se mettant dans la peau de son personnage, en arpentant les lieux qu’il a fréquentés, en rencontrant les personnes qui l’ont connu (s’il en reste), bénéficie d’un recul que n’avaient pas les enquêteurs de l’époque. Ces derniers bousculés par le temps, par leur hiérarchie, par la nécessité d’un rapide résultat, subissaient en outre la pression et parfois l’influence négative des médias. 

Lucien Léger

Le personnage choisi cette fois dans Au printemps des monstres est Lucien Léger condamné pour le meurtre d’un petit garçon en 1964. Retrouvé dans la forêt, étouffé contre la terre, sans trace d’agression sexuelle, l’enfant, semble avoir été assassiné sans raison apparente. Mais au moment où l’enquête commence, un mystérieux Etrangleur écrit des lettres violentes, crues et ignobles, aux parents de l’enfant ou aux journaux, prouvant qu’il est au courant de certains détails du meurtre. L’Etrangleur est bien vite retrouvé. C’est Lucien Léger. Mais s’il a bien écrit ces horreurs, est-il vraiment le meurtrier ? Il plaide coupable sur les conseils de son avocat, pourtant il y a tant d’incohérences dans son récit que le doute s’insinue. Quand il se rétracte par la suite et demande la révision de son procès et ceci à plusieurs reprises tout au long de sa longue incarcération, il ne sera jamais entendu.

L’enquêteur-écrivain s’imprègne de ce qu’il lit et décèle les faiblesses des accusations, les erreurs de logique. Il enquête aussi sur les zones d’ombre des autres personnages, ceux qui entourent Fernand Léger, mais aussi en particulier des parents de la victime et surtout du père, un odieux et trouble personnage, qui s’enrichit sur la mort de son fils ! Les monstres ne sont pas toujours ceux qui passent en jugement.

Au-delà de l’aspect « policier » du roman, nous nous intéressons à la psychologie des personnages, qui est très fouillée et très intéressante et le personnage de Lucien Léger, en particulier, prend du relief au cours de l’enquête judiciaire.
Comme d’habitude l’auteur se met en scène et nous fait partager sa vie, ses doutes et si l’humour est un peu voilé, un peu plus grave que dans les  livres précédents, c’est que l’écrivain nous parle de sa maladie, de son opération, ce qui donne lieu à des scènes savoureuses comme celle de la salle d’attente où Philippe Jaenada découvre, à travers les patients sous bandelettes comme des momies, ce qu’est pour le chirurgien, une tumeur "bénigne" ! Humour qui sert d'exutoire à l'angoisse !

Un livre intéressant et agréable à lire mais je n’ai pas senti l’écrivain aussi impliqué que pour sa « petite femelle » qu’il aimait tant. Il faut dire qu’il est difficile de se passionner pour Lucien Léger, ambigu, sournois, qui, s’il n’a pas commis le crime, a essayé d’en profiter pour se faire une notoriété et est certainement plus ou moins complice des véritables assassins. Et je ne l’ai pas suivi, non plus, quand il brosse un portrait de l’épouse de Léger, Solange, sous les traits d’une victime innocente. Victime, oui, surtout dans son enfance,  et à cause de sa maladie. Cependant, le personnage n’est pas clair dans son attitude et ses propos et pas obligatoirement sympathique ! Mais le coeur tendre de Philippe Jaenada a besoin de quelqu’un à aimer, si possible une femme belle ! Et oui, c’est à mon tour de me moquer un peu de lui. Je crois que ce que j’aime le plus dans cet écrivain, ce sont ses parti-pris, qu’ils soient d’amour ou de détestation !