Amalia Albanesi de Sylvie Tanette est un premier roman.
L’institutrice de Théo, petit garçon de huit ans, lui a demandé  d’établir un arbre généalogique. C’est le prétexte, pour la mère de  Théo, de raconter à son fils l’histoire de ses ancêtres. Peu à peu la  construction de l’arbre généalogique de cette famille va nous entraîner  bien loin dans l’espace à Tornavalo, près de Bari dans les Pouilles mais  aussi à Alexandrie, à Athènes, à Malte, sur les remparts de Dubrovnik,  puis à Marseille… C’est avec intérêt que l’on suit cette longue histoire  qui forme une trame complexe assez fascinante. Ce grand voyage dans le  temps, du début du XIX ème siècle à nos jours, va nous faire découvrir  des personnages peu banals. Et d’abord, bien sûr, Amalia Albanesi, cette  arrière-grand-mère qui donne son titre au récit, née à Tornavalo dans  une famille de paysans vaguement enrichie, peu ouverte aux sentiments,  qui ne connaît de la vie que le labeur dur, écrasant et sans répit, qui  permet de tirer  subsistance de la terre ingrate de Tornavalo. Cette  terre rouge qui s’insinue partout, dans les maisons, les vêtements, dans  la bouche, dans les poumons, Amalia n’aura de cesse de la fuir. Elle le  pourra en épousant un étranger voyageur, révolutionnaire en exil à  Tornavalo, Stepan Iscenderini qui l’amènera loin de son pays avant de  l’abandonner pour épouser la cause des Bolcheviks et partir en Russie.  Nous assisterons à la naissance de la douce Luna, à Alexandrie, la  grand-mère de la narratrice, suivrons son enfance dans le port de Bari,  ses amours avec l’anarchiste Elias, le rebelle aux yeux dorés, qui vient  de Malte, idéaliste qui sera brisé par son internement dans les camps  de concentration dans les années 40… Et puis il y a la rencontre de la  fille de L’Estaque avec le garçon du Panier à Marseille, autrement dit,  les parents de la narratrice, grands-parents de Théo, avec lesquels  s’achève cette remontée dans le temps…
Et ces personnages au destin peu commun, aux origines si diverses,  qui ont échappé à toutes les tragédies de l’Histoire, sont si  profondément ancrés dans les pays de la Méditerranée qu’ils semblent  en  représenter tous les peuples, en illustrer la quintessence. Ainsi pour  aboutir à ce petit écolier de huit ans, Théo, il fallu une telle  multitude d’ancêtres et d’événements, tant de nationalités différentes,  tant de hasards et de rencontres  que l’on a l’impression vertigineuse  d’une accélération du Temps, d’une infinité de possibilités. On pense au  vers de Beaucarne :
En voyant naître cet enfant/ Je voyais du fin fond des siècles/  Tous mes ancêtres, tous mes parents/ Dans ce petit corps renaître…
Par quelle fissure du temps/ S’est-il glissé jusqu’à maintenant…
Et oui, mon petit Théo, écrit la narratrice, il va bien falloir  que tu vives avec tout ça. Toutes ces histoires et tous ces gens, que  l’on n’a pas choisis, que l’on ne connaît pas, mais qui sont là dans un  coin de nos têtes, et parfois se bousculent jusque dans le moindre de  nos gestes.
L’écrivain, journaliste, écrit ce roman comme s’il s’agissait d’une  enquête journalistique. Elle s’appuie sur les récits de sa grand mère  Luna, puise dans les souvenirs de chacun, interroge les photographies  anciennes, met à contribution sa mère pour reconstituer la mémoire  familiale. Elle s’interroge sur les motivations des personnages, doute  de la véracité de ses sources, avoue son ignorance, fait la part de la  légende et de l’Histoire dans les récits familiaux. Parfois, elle  supplée au manque d’information en imaginant ce qui s’est passé. Ce  procédé journalistique, mais aussi romanesque, qui permet peu à peu de  s’immiscer à l’intérieur des personnages, de les faire vivre, de  reconstituer les faits comme s’il s’agissait d’un puzzle, m’avait  passionnée lors de la lecture du roman de Javier Cercas Les Soldats de Salamine.  Certes, Sylvie Tanette n’a  pas le talent  de Cercas et je n’ai pas  éprouvé la même intensité d’émotion en la lisant, mais il n’en reste pas  moins que ce court roman (trop rapide à mon goût! ) est une réussite  puisque l’on s’intéresse à ces vies qui se déroulent devant nous et que  l’on aimerait en savoir plus! Certains passages révèlent d’ailleurs de  belles qualités de plume :  Lorsqu’elle suivait son âne jusqu’au  bord de la falaise, Amalia se glissait entre les oliviers en évitant de  les regarder, comme on traverse une foule hostile ou silencieuse. Dans  ce qui était pour tous, de simples murets de pierres sèches, oliveraies,  amandiers et figuiers de Barbarie, mon arrière-grand-mère ne voyait  qu’écorchures, blessures, cris de douleur. (…)  Un jour, elle avait dit à  ses frères que les plaines de Bari n’était probablement qu’un immense  cimetière, où chaque mort était devenu un olivier; Il n’y avait, pour  s’en convaincre, qu’à voir comment chacun d’eux tentait de rejoindre le  ciel, leurs bras tordus de martyrs, leurs corps figés dans un ultime  effort pour s’extraire des entrailles de l’Enfer.





 
