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dimanche 17 juillet 2011

Amanda Smyth : Black Rock, éditions Phébus


Célia, dont la mère est morte en couches, est recueillie par sa tante Tassi à Black Rock, village de l'île de Tobago dans les Caraïbes. Tassi s'occupe d'elle ainsi que de ses deux filles. Mais lorsqu'elle se remarie avec Roman, un alcoolique vicieux et violent, Célia sait que cet homme lui fera du mal et se méfie de lui. Ceci, d'autant plus, qu'il ne cesse de la dénigrer auprès de Tante Tassi et que celle-ci croit tout ce qu'il lui dit. A seize ans, lorsque la jeune fille est violée par cette brute, elle n'a d'autre solution que de fuir le plus loin possible de Blak Rock et se rend à Port of Spain sur l'île de Trinité. Elle pense rejoindre son autre tante, Sula. Là, elle va entrer comme bonne d'enfants chez le docteur Emmanuel Rodriguez.

L'intrigue du roman est assez attendue et n'offre pas de surprise si ce n'est au dénouement. Dès le départ, l'on sait que Célia sera violée, c'est tellement évident! Mais l'écrivain utilise ce thème du viol comme une ficelle de métier et le traite d'une manière assez superficielle. On sait aussi que, Célia malgré son intelligence brillante, n'ira pas à l'université, qu'elle ne sortira pas de sa condition, que sa beauté ne sera pas un cadeau mais sa perte. On s'attend à ce qu'elle soit séduite par un homme blanc qui la méprisera  en tant que noire et domestique. 

 Pas original, donc!  Mais il faut reconnaître que Amanda Smyth tire son épingle du jeu car elle écrit très bien. Les mésaventures de la jeune fille voire les drames qu'elle vit sont nombreux et maintiennent en éveil l'intérêt du lecteur. Le roman, en effet, se fait récit initiatique, quête de soi-même. Célia est à la recherche de son origine, de ce père anglais qui l'a abandonnée à sa naissance. Elle entretient le culte de sa mère décédée en lui donnant la vie. Elle va apprendre la vérité sur son origine mais aussi sur elle-même. L'analyse de la blessure amoureuse est bien conduite et les personnages que ce soient les tantes, l'épouse bafouée l'amoureux transi, l'amant sont peints avec vérité. L'écrivain place l'action dans un pays qu'elle connaît bien puisqu'elle a des attaches par sa mère native de Trinidad.  L'auteur a des qualités certaines mais on aimerait lire d'elle une oeuvre plus originale, avec une inspiration plus personnelle. Quoi qu'il en soit le roman se lit  avec intérêt et est plaisant.

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Une femme seule, Dario Fo et Franca Rame par la compagnie Vents et marées au Théâtre La Luna

 Dario Fo, écrivain, dramaturge italien, metteur en scène et acteur est aussi un homme politiquement engagé. Son théâtre se fait porteur d'une idéologie proche des gens du peuple, des ménages qui ne peuvent boucler la fin du mois (Faut pas payer!) de l'ouvrier  exploité  mais aussi de la femme doublement victime du capitalisme et de son mari (Un femme seule). Il dénonce le colonialisme avec Johan Padan ou la découverte de l'Amérique, la puissance et la richesse de l'Eglise et toutes les formes d'injustice dans une langue populaire, volontiers truculente et burlesque. Avec son épouse Franca Rame, il fonde une compagnie théâtrale et cherche à amener le théâtre dans les usines et les maisons de jeunesse. Il est prix Nobel de littérature en 1997.

Italie. Une femme seule dans son appartement s'adresse par la fenêtre à une nouvelle voisine que nous n'entendrons jamais. Elle lui explique sa vie partagée entre son ménage, ses enfants et la garde d'un beau-frère paralysé et pervers. Peu à peu, on découvre  la condition désespérée de cette "italienne" épiée par un voyeur, harcelée par des coups de téléphone, simple objet sexuel de son mari jaloux et violent qui  la retient enfermée dans le logement. Quel espoir? le suicide ou donner la mort.
Avis de Claudialucia
Dans Une femme seule, Dario Fo montre l'aliénation de la femme enfermée physiquement mais aussi moralement dans un carcan que la société et la religion lui imposent. Cette pièce aurait demandé à être traitée avec subtilité et émotion, de la découverte progressive de son quotidien à sa révolte aux accents de folie, au goût de crime. Alors qu'elle se confie à sa voisine par la fenêtre restée entrouverte, on aurait dû assister à des confidences d'abord hésitantes, pudiques puis de plus en plus pathétiques jusqu'à l'explosion finale. Malheureusement, il n'en est rien.  La comédienne dit son texte à tout allure, sans pause, sans variation, d'une voix haut perchée et monocorde dans l'aigu. Il n'y a aucune gradation dans les révélations, aucune montée de la tension dramatique.  Habituellement  Dario Fo a l'art de nous faire rire des situations les plus tristes, un rire grinçant, certes, mais toujours en empathie avec le personnage dont le spectateur partage les sentiments. Avec cette mise en scène, au contraire, on  se détourne de cette femme. Le manque de nuances et de sentiments crée l'ennui. On finit en désespoir de cause par regarder le bruiteur sur scène, à côté de l'actrice. Et certes celui-ci est doué. Il parvient à rythmer l'action avec toutes sortes d'objets les plus hétéroclites, devient acteur à part entière, nous distrait et même nous fait rire! Mais c'est au détriment de la pièce et vous avouerez que cela n'est pas le but recherché!

Avis de Wens de En effeuillant le Chrysanthème
Dans le théâtre de Dario Fo et de Franca Rame, le tragique surgit progressivement d'une situation anodine qui nous fait sourire et rire. Nous regardons s'agiter cette femme au foyer qui s'occupe de son gosse, de son pervers de beau frère, fière de ses appareils ménagers, de sa télé, de sa radio. Mais la tension monte progressivement, quelques bribes de texte déclenchent chez le spectateur un rire salutaire. Elle est une victime d'une société machiste, comme de nombreuses femmes en Italie ou ailleurs.
Dans l'adaptation proposée par la Compagnies Vents et Marées, cette montée progressive du tragique n'existe pas. D'entrée, la femme seule crie son désespoir, elle le fait sur le même registre pendant toute la durée du spectacle. Pas de pause, pas de respiration, pas un sourire :  l'étouffement permanent. Le regard du spectateur cherche l'issue salvatrice, il le trouve du côté de l'excellent travail du bruiteur qui sur scène nous crée les champs sonores de l'appartement : bruits de pas, claquements de portes, sonneries de téléphones…en synchronisme parfait avec le monologue et les déplacements de l'actrice. Le son aurait dû souligner le comique comme dans le cinéma de Jacques Tati où les situations burlesques sont mises en valeur par les bruitages qui suppléent souvent la parole. Mais  le bruit est en off, en contrepoint de l'image, pas sur scène comme dans cette représentation. Ici, le bruiteur devient souvent aussi présent, voire même plus que l'actrice et que le texte! Dommage!

Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeau d'Alberto Caeiro

Jean François Millet
"Hola, gardeur de troupeaux,
sur le bas-côté de la route,
que te dit le vent qui passe?"

"Qu’il est le vent, et qu’il passe,
et qu’il est déjà passé,
et qu’il passera encore.
Et à toi, que te dit-il ?"

"Il me dit bien davantage.
     De mainte autre chose il me parle, 
de souvenirs et de regrets,
et de choses qui jamais ne furent."

"Tu n’as jamais ouï passer le vent.
Le vent ne parle que du vent.
                 Ce que tu lui as entendu dire était mensonge,
Et le mensonge se trouve en toi. »