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dimanche 7 août 2016

Festival In d'Avignon 2016 : Tristesses - Anne-Cécile Vandalem /Les âmes mortes - Gogol et Kirill Serebrennikov/Babel 7.16 – Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet



Un dernier billet sur les spectacles du festival d’Avignon que j’ai vus cette année dans le IN car il est temps d’en finir et je pars en vacances en Lozère!

La 70e édition en chiffres :
La 70e édition du Festival IN d'Avignon a réuni 63 spectacles en 289 représentations dans 39 lieux. Sur 126 000 billets proposés à la vente, 120 000 billets ont été délivrés (+ 6,55% par rapport au total de l’édition 2015), soit un taux de fréquentation de 95%.
 Les manifestations gratuites ont comptabilisé 47 000 entrées libres.
 Fréquentation totale au 23 juillet 2016 :
167 000 entrées
La 70e édition : lucidité et espérance 
Ce Festival a incarné particulièrement cette année l’esprit de mobilisation, les spectateurs toujours plus nombreux préférant le partage de l’intelligence au silence de la peur ou à la violence du rejet.

Tristesses/ Anne-Cécile Vandalem auteure et metteuse en scène belge



"En passe de devenir Premier ministre, Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire, retourne sur son île natale, Tristesses, pour enterrer sa mère retrouvée morte dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. Après la faillite des abattoirs de Muspelheim, la candidate retrouve son village, exsangue, et profite de la situation pour jeter les bases d'un projet de propagande. Dans l'ombre, deux adolescentes décident de prendre les armes... Inspirée par la violence de la montée des nationalismes en Europe, la dernière création d'Anne-Cécile Vandalem dissèque avec humour ce qu'elle envisage comme l'une des plus redoutables « armes » de la politique contemporaine : « l'attristement des peuples ». Comment ? En liant de manière inextricable la tristesse à la comédie sociale, la politique à l'enquête de moeurs, l'émotion à sa propre résistance. En imaginant cette fable comme un polar nordique, animiste et surnaturel, la metteuse en scène croise la fiction et la réalité, le théâtre et le cinéma, les vivants et les morts. Un thriller où le passé télescope le présent, où les personnages sont pris dans des postures drôles et cruelles, et où le pouvoir insidieux des médias domine. « Un des états de la tristesse ».

LA DEPÊCHE AVIGNON (AFP) -  la dépêche voir ICI
C'est la pièce la plus terrifiante et la plus aboutie à ce stade du festival d'Avignon: "Tristesses", de la Belge Anne-Cécile Vandalem, raconte la prise de pouvoir d'une dirigeante d'extrême droite sur les habitants d'une petite île au Danemark.

Mon avis :  Effectivement Tristesses est un beau, triste mais nécessaire spectacle, polar nordique comme le disent les critiques, mais surtout théâtre politique, ancré dans notre temps. Le spectacle montre le triomphe de l’extrême-droite et comment, au nom de cette idéologie pernicieuse, Martha, chef du parti du Réveil populaire et son père, triste individu sans scrupules, n’hésite pas à faire sombrer  économiquement les habitants de cette petite île pour récupérer le pouvoir.  Rien ne pourrait être plus d'actualité et la mise en scène entre vidéo et théâtre est très réussie.

Les âmes mortes d’après Gogol : Kirill Serebrennikov metteur en scène russe

 

"Dans la Russie des années 1820, Tchitchikov homme ordinaire mais astucieux, cherche fortune et applique une idée peu commune : acheter à très bas prix les titres de propriété de serfs décédés mais non encore enregistrés comme tels par l'administration, pour les hypothéquer et en retirer bien plus d'argent qu'ils n'en valent en réalité. Au fil des tractations et des transactions de ce personnage, Nikolaï Gogol construit une oeuvre monumentale en forme de galerie de portraits dont la trivialité d'abord drôle devient vite inquiétante. L'écrivain semble nous dire que le pire n'est pas que les âmes vivantes marchandent celles des morts... mais qu'elles se révèlent toutes corrompues par le jeu, l'alcool et la cupidité. S'inspirant de cette oeuvre historique qui attira tant de haine à l'auteur qu'il la renia, le metteur en scène Kirill Serebrennikov fait défiler les habitants de la ville de « N. » dans un décor de contreplaqué qui laisse résonner les travers de l'humanité de toutes les époques, de la Russie à toutes les régions du monde. Castelet pour dix acteurs qui, comme des pantins, endossent les innombrables rôles du roman ou misérable cercueil pour des âmes aux intérêts si morbides qu'elles sont dénuées de vitalité, cette boîte est le théâtre d'un humour grinçant et d'une choralité absurde. Un espace-temps où les relations humaines sont sans perspective sur le moindre changement."

Mon avis : Même avec beaucoup d’idées et une grande inventivité, la mise en scène m’a laissée en dehors. Je ne suis pas arrivée à entrer dans cette pièce. J’ai trouvé que c’était long et surtout répétitif en particulier lors de chaque achat d’âmes mortes. Je n’ai apprécié vraiment que la fin beaucoup plus poétique lorsque les ombres des âmes mortes reviennent sur scène. A noter que le manque de climatisation et la chaleur suffocante de la Fabrica n’ont rien arrangé!

 Babel 7.16 –  Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphe flamand -marocain et Damien Jalet chorégraphe franco-belge


"Babel 7.16 : réactualisation ou recréation ? Aujourd'hui, pour les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, il ne s'agit plus de voir la pièce dans les mêmes dispositions que celle de 2010 du triptyque composé avec Foi et Myth. L'extension du titre en est l'incarnation : 7.16 fait autant référence aux codes des logiciels qu'aux versets d'un texte sacré, à une date contemporaine qu'au pouvoir d'une numérologie archaïque. La pièce convoque le choc des langues et des corps porteurs de différentes nationalités, la diversité et la difficulté à être dans la coexistence et confronte l'unicité à la communauté. Elle questionne notre rapport au changement où la technologie modifie constamment nos empathies et nos connexions. Babel 7.16, tout comme la pièce originale, met en scène des danseurs qui partagent avec humour leurs héritages immuables mais en métamorphose constante. Danser cette contradiction, c'est comme explorer les mots par le corps, éviter l'écueil de l'indicible grâce au geste et à l'action. Dans le mythe initial, il est dit que Dieu ne voulait pas partager son territoire, les hommes, eux, voulaient se rapprocher de Lui. « Le partage est une décision, une attitude, face aux événements traumatiques notamment. Ces instants où l'extrême solidarité se confrontent à la peur de partager ». En invitant au plateau l'intégralité des danseurs qui ont fait de Babel une référence chorégraphique, les deux chorégraphes issus d'une Belgique flamande et francophone, divisée et unitaire, ont placé la masse, l'histoire et le territoire dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Dans le centre des centres, là où les murs continuent à nous raconter des histoires de prérogatives et d'immuabilité du pouvoir et de la religion mais subliment et accueillent le vivant dans sa complexité."
LA CROIX critique : 
"Les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet réactualisent à Avignon, à travers Babel 7.16, l’un de leurs succès, dans un tourbillon de langues, de nationalités et de trouvailles souvent réjouissantes, parfois étourdissantes.
La cour d’honneur du palais des Papes a frémi mercredi soir, quand, alors que l’obscurité achevait d’envelopper ses hauts murs, les danseurs de Babel 7.16 se sont alignés.
Vingt hommes et femmes, qui, les uns après les autres, ont planté leurs poings dans le sol en criant le mot « terre » dans différentes langues, avant de danser aux rythmes d’énormes tambours japonais.
Cette saisissante entrée en matière marque le moment du récit de la tour de Babel où Dieu, punissant les hommes d’avoir voulu élever leur édifice jusqu’aux cieux, confond leur langage afin qu’ils ne s’entendent plus. 
Si la pièce se trouve réadaptée six ans plus tard à Avignon, c’est parce que les tensions qu’elle explore, avec un humour salvateur, agitent plus que jamais notre actualité. Tous les danseurs ayant donné vie à Babel (words) se rassemblent pour une version XXL, où voisinent dix-sept langues et vingt nationalités.
 Voir la suite de l'article ICI

Mon avis :  encore un très beau spectacle, une chorégraphie éblouissante dans le cadre magnifique de la cour d'Honneur. Et toujours comme beaucoup de spectacles du In comme du Off, un théâtre engagé dans l'actualité. Décidément le Festival a amené cette année à une réflexion sur toutes les questions que nous nous posons sur notre société.

samedi 6 août 2016

Festival Off d'Avignon 2016 : Volatil(es) spectacle de marionnettes-objets

Volatil(es) par la compagnie Yokaï (voir ici)

Spectacle visuel inspiré de L’ombre des Choses à Venir de Kossi Efoui, Volatil(es) est un spectacle de marionnettes-objets créé par la plasticienne et marionnettiste Violaine Fimbel.

Pour conter cette histoire d’une femme devenue folle de douleur qui cherche à s’incarner pour fuir son propre corps dans celui d’un oiseau, Violaine Fimbel  utilise toutes les ressources de son art.
Marionnettes de taille humaine : l’homme prisonnier apparaît et son image se déforme devant nous comme effacée par la souffrance et l’éloignement; La femme, corps humain en mutation, effectue sa transmutation devant nous. D’elle poussent des appendices que l’on peut prendre pour des ramures d’arbres et qui deviennent bientôt des organes vivants irrigués de sang, les ailes de la métamorphose.
Marionnettes à fil pour suggérer la légèreté de l’oiseau, son vol silencieux, objets, ailes et plumes d’oiseau, vidéos, jeux d’ombre et de lumière sur une scène plongée dans le noir qui entretient le mystère. L’ambiance sonore y est aussi très importante. 
Le marionnettiste-manipulateur tout vêtu de noir est le conteur et incarne le fils de ce couple séparé; son père a été fait prisonnier à la guerre ou interné par un régime totalitariste. Petit bémol au niveau du visuel, j'ai trouvé que le comédien était parfois (mais pas toujours) trop visible, donc trop réaliste et, dans ces moments-là, sa présence me gênait en empêchant l’illusion. 
Le spectacle est d’une grande beauté et impressionnant par sa forme et pourtant je l’ai trouvé froid et je ne suis pas parvenue à éprouver des émotions autres qu’esthétiques. Je vous renvoie aux photos du spectacle qui vous permettront de vous faire une idée de la qualité visuelle.

Voir ici site de la compagnie

Impression de froideur peut-être accentuée encore par le fait que nous n’étions qu’une poignée de spectateurs dans la salle en ce dernier jour de représentation, que les comédiens n’ont même pas daigné venir nous saluer quand nous avons applaudi, et que le déménagement avait déjà commencé, bloquant une partie de l’accès au théâtre, alors qu’il restait encore une journée de festival! Depuis, j'ai vu que la compagnie Yokaï était parti au Japon où ils ont obtenu un vif succès.

Le collectif de Champagne-Ardennes vient depuis longtemps dans le même lieu, la Caserne des Pompiers. Tout au long de ces dernières années, j’ai vu le nombre de spectacles et le nombre de jours de présence au festival s’étioler. Je suppose que cela reflète l’histoire de la culture en France qui est toujours la première à être sacrifiée en temps de crise. On le voit aussi avec le  raccourcissement du festival IN à Avignon. Et même maintenant qu’à la Champagne-Ardennes s’ajoutent, avec la création des nouvelles régions, l’Alsace et la Lorraine, le collectif est arrivé après les autres - alors que l’on sait l’importance des premiers jours pour le remplissage des salles - et il est reparti avant. Pas de tracs dans les rues, pas un seul article critique affiché devant le lieu ? N’ont-ils plus d’attaché de presse ? Je me demande comment ils ont pu survivre à Avignon ? Il ne faut pas oublier qu’il y avait 1416 spectacles au festival OFF! Je serais très curieuse de connaître leur taux de remplissage cette année et de le comparer à celui du passé.

Volatile: du latin volatilis (qui vole)
-qualifie une matière, solide ou liquide, qui s'échappe/s'évapore facilement
-désigne un oiseau.
Dans un corps devenu trop lourd à porter, une femme tente de quitter son enveloppe humaine et de devenir oiseau. L’absence de l’homme qu’on lui a enlevé enracine son chagrin. La métamorphose tant désirée se produit, lors d’improbables retrouvailles entre deux corps dans un monde en suspens : celui du souvenir. Une transe. Une envie volatile… 

Compagnie Yokaï
Auteur(s) : Violaine Fimbel
Marionnette- objet
Interprète(s) : Evandro Serodio, Elisza Peressoni
 Régisseur : Valéran Sabourin
Directrice de production : Florence Chérel


vendredi 5 août 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Yvonne de Witold Gombrowicz par la Cie By Collectif



Curieuse pièce que Yvonne de Witold Gombrowicz et curieuse la mise en scène de Nicolas Dandine. Tout est fait pour déstabiliser le spectateur et j’ai même trouvé ce début un peu agressif. Rassurez-vous tout rentre ensuite dans l’ordre du moins apparemment. Vous pouvez vous carrer dans vos fauteuils dans une  sécurité … relative parce que les monstres, hum! je veux dire les comédiens sont parmi vous.
Difficile de ne pas se sentir concernés surtout quand ils exhibent Yvonne, une pauvre fille sans paroles (pas muette pourtant, elle sait dire « oui », le seul mot que la comédienne aura à prononcer pendant le spectacle). Tous la traitent comme un objet et aussi la considèrent comme un défi.  Comment la faire parler, comment obtenir d’elle une réaction, un soupir, une émotion? Le prince d’abord qui veut l’épouser pour la bonne raison qu'il n'est pas juste que les laides n'aient pas leur chance, la reine, le roi, le conseiller, l’amoureux, tous cherchent à l’atteindre sans y parvenir et Yvonne révèle en eux toutes les passions les plus mesquines et les pulsions les plus basses : moqueries, humiliations, torture morale ou physique, abus sexuel…

Plus la pièce est violente et cruelle, plus la mise en scène est légère et gaie. Les spectateurs sont conviés au bal de la cour ou a un festin et ainsi deviennent complices de ce qui se joue devant eux.
Les comédiens jouent cette comédie terrible avec beaucoup d’énergie et d’entrain. Quant au rôle le plus difficile, Yvonne, on peut dire que Delphine Bentolila, poupée de son entre les mains des hommes, excelle à nous faire voir la vacuité de son personnage, son absence au monde et, de ce fait, Yvonne reste pour nous une énigme.
Un très bon spectacle.
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"Comment éviter le scandale, quand le Prince décide d'épouser l'indéfinissable Yvonne ? D'elle, on ne peut rien dire. Yvonne est un défi au théâtre et à ses règles. Elle se contente d'être vivante et son existence est vécue par les autres comme une provocation insupportable, un vide à combler par un excès de théâtralité. Yvonne est une évidente négation de la forme, avec elle tout est permis !"

Compagnie By Collectif
auteur Witold Gombrowicz
Interprète(s) : Delphine Bentolila, Stéphane Brel, Nicolas Dandine, Magaly Godenaire, Lionel Latapie, Samuel Mathieu, Julien Sabatié-Ancora
Metteur en scène : Nicolas Dandine
Lumières : Philippe Ferreira
Son : Paul Monnier-Volume original
Scénographie : Nico D
Regard complice : Valérie Dubrana
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Witold Gombrowicz écrivain polonais. (1904_1969)

Issu d'une famille de la noblesse terrienne de la région de Varsovie, il étudie le droit à l'Université de Varsovie, puis la philosophie et l'économie à l'Institut des hautes études internationales de Paris.

La publication des "Mémoires du temps de l'Immaturité" en 1933 puis de "Ferdydurke" en 1937 l'impose comme l'enfant terrible de la littérature moderne polonaise. Il se lie avec les écrivains d'avant-garde Bruno Schulz et Stanislas Witkiewicz.

Arrivé en Argentine pour un court séjour en 1939, l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie le dissuade de rentrer en Europe. Il finit par rester vingt-cinq ans en Argentine. Sa vie au milieu du peuple argentin ainsi que de l'intelligentsia de l'émigration polonaise est racontée dans son "Journal" ; on en trouve également des échos romancés dans son "Trans-Atlantique".

L'œuvre de Gombrowicz, interdite en Pologne par les nazis puis par les communistes, tomba dans un relatif oubli jusqu'en 1957 où la censure fut levée provisoirement.

Il revient en Europe en 1963, à Berlin d'abord grâce à une bourse de la fondation Ford. Son œuvre connaît alors un succès croissant en France et en Allemagne. En mai 1964, il s'installe en France à Royaumont, près de Paris. Il y emploie comme secrétaire Rita Labrosse, une canadienne de Montréal qui devient sa compagne. En septembre 1964, il déménage définitivement à Vence (près de Nice), petite ville où résident de nombreux artistes et écrivains.

En 1967, Cosmos reçoit le Prix International de Littérature. Gombrowicz épouse Rita Labrosse le 28 décembre 1968. Cette dernière, décide de publier, en 2013, le Journal intime de son époux. (Babelio)

Ce que Gombrowicz dit de  son personnage :  Yvonne, princesse de Bourgogne ( c’est le titre initial de sa pièce)
 Elle n’est pas idiote, c’est la situation où elle se trouve qui est idiote. »

"J’écrivis “Yvonne” avec peine et à contrecœur. J’avais décidé d’exploiter au théâtre la technique que j’avais mise au point dans mes nouvelles, et qui consistait à dévider un thème abstrait et parfois absurde un peu comme un thème musical. L’absurde naissait sous ma plume puis se développait, virulent, et le résultat ne ressemblait guère aux pièces qu’on écrivait à l’époque. Je m’acharnais à lutter avec la forme... Que d’heures affreuses je passai, immobile au-dessus de ma feuille de papier, la plume en suspens, mon imagination cherchant désespérément des solutions tandis que l’édifice que j’élevais se fissurait et menaçait de s’écrouler !"
Witold Gombrowicz, Souvenirs de Pologne

jeudi 4 août 2016

Festival d'Avignon OFF 2016 : Mangeront-ils ? de Victor Hugo



Mangeront-ils? est une pièce en deux actes et en alexandrins de Victor Hugo. Je ne l’ai jamais lue, jamais vu jouer avant ce jour. Et j’avoue que la représentation m’a surprise et un peu déconcertée car je n’ai pas trop su qu'en penser. J’ai surtout cherché à savoir ce que Victor Hugo voulait dire.
 
Voilà le sujet de la pièce présentée par la Compagnie des Barriques :

"Dans une forêt profonde, deux amants pourchassés par un roi jaloux ont trouvé asile dans un cloître où poussent des plantes vénéneuses. Non loin d'eux vivent deux proscrits: la sorcière Zineb, qui ne demande qu'à mourir en paix loin des hommes, et le voleur Aïrolo. Ce dernier, vagabond épris de liberté, touché par la pureté de l'amour des deux fugitifs, vient à leur secours, car depuis trois jours les tourtereaux rebelles ne mangent ni ne boivent.
Ils s’aiment, mais ils ont faim : mangeront-ils?
Une sorcière âgée de cent ans, un talisman qui protège de la mort, une forêt empoisonnée, tous les ingrédients sont réunis pour nous transporter dans une fable onirique servie par la puissance de l'écriture de Victor Hugo."
 
Dans ce spectacle, les amoureux sont  représentés par deux marionnettes, jolies, mais qui ont un rôle très réduit. Aux déclarations d’amour de l’un, répond le « j’ai faim » de l’autre. C’est alors que le voleur de grand chemin Aïrolo décide de les aider car lorsque la faim est là, dit-il, l’amour ne peut résister. On est donc loin du Victor Hugo romantique et plus proche, semble-t-il, du Victor Hugo politique qui dénonce la tyrannie des grands (ici un roi obèse) et est plein de compassion pour le peuple qui souffre et qui a faim. D’où le titre...
La pièce tend aussi vers le fantastique avec cette sorcière qui vient en aide au brigand même si l’on se dit qu’en fait son pouvoir divinatoire semble dû à une mystification qui fait sourire.
Quant au voleur, il est la figure récurrente chez le dramaturge de l’homme proscrit, du bandit comme Hernani, en marge de la société, entièrement libre, et qui pourtant peut avoir grand coeur et aider les plus faibles.
Voilà pour les thèmes que j’ai relevés.
J’avoue que je n’ai pas été convaincue par le jeu des comédiennes qui interprètent le roi et la sorcière et le conseiller. Au niveau de la mise en scène, le théâtre des marionnettes comme mise en abyme est intéressant ainsi que le costume de la sorcière qui semble être une émanation de la nature, feuilles, branchages, mousse.
Ce spectacle m'a donc donné envie de lire cette pièce  pour en avoir une idée plus précise.

Aussi je vous donne rendez-vous pour la Lecture commune  de Mangeront-ils ? que nous ferons avec Margotte, Miriam, Nathalie, et moi-même pour le 20 Septembre. Pour nous nous rejoindre, inscrivez-vous dans les commentaires.

Je rappelle les LC suivantes : Victor Hugo

 Pour le 20 Septembre : MANGERONT-ILS? Livre de poche 
 Miriam, Nathalie, Margotte, Claudialucia

Pour le 20 Octobre lettres de Juliette Drouet ou biographie  Une bio de Henri Troyat :  Juliette Drouet  OU Juliette Drouet : Mon grand petit homme, mille et une lettres d'amour (Gallimard) OU  tout autre livre de correspondance entre Drouet-Hugo
Miriam, Margotte(?), Claudialucia

Pour le  20 Novembre :  BIOGRAPHIE DE VICTOR HUGO  : Un été avec Hugo de Laura El Makki (Equateurs/ Parallèles) OU Victor Hugo de Sandrine Filipetti (livre de poche) Ou Olympio ou la vie de Victor Hugo de Maurois. Bref! une biographie de Hugo au choix.
Miriam, Nathalie, Claudialucia, Eimelle (?)




Compagnie des Barriques

    •    Interprète(s) : Claire Chauchat, Lucie Jousse, Victorien Robert
    •    Interprète en alternance : Pauline Aubry, Natacha Milosevic, Romain Villiers Moriamé
    •    Metteur en scène : Eva Dumont
    •    Créateur Lumière : Jean-Yves Perruchon
    •    Costumes : Christine Vilers

Festival OFF d'Avignon 2016 : Rhinocéros la nouvelle de : Eugène Ionesco


Dans ce spectacle Rhinocéros mis en scène par Catherine Hauseux avec Stéphane Daurat pour unique interprète, c’est la nouvelle de Ionesco parue en 1957 qui a été adaptée au théâtre. La pièce de théâtre, elle, parut en 1959 d’abord en Allemagne puis en France et fut créée à Paris en 1960. La nouvelle contient déjà en germe toutes les idées de la pièce d'Eugène Ionesco.
Dans une petite ville sans histoire, l’apparition d’un rhinocéros dans les rues va provoquer la stupeur et l’incrédulité. Mais bientôt le nombre de rhinocéros croît et l'on finit par comprendre que ce sont les hommes qui subissent cette transformation. Le narrateur voit son ami Jean gagné lui aussi par la rhinocérite et son amoureuse Daisy de même. L’aspect fantastique de la première apparition cède à l’absurdité de la situation et des réactions des habitants et laisse place au tragique de la situation. Le narrateur reste seul et a bien du mal à préserver son humanité. Lui aussi voudrait être rhinocéros mais il ne peut pas!

A travers cette fable, Ionesco, douze ans après la guerre, entend nous montrer comment se propage les idéologies nocives et violentes et fait la critique des totalitarismes. Le narrateur qui ne se transforme pas représente la résistance.

Stéphane Daurat seul en scène est un bon interprète qui incarne plusieurs personnages. Il nous fait vivre et voir ces apparitions et l’effervescence qui gagne la ville. La mise en scène est sobre mais pleine d’idées utilisant peu d’objets pour créer des lieux qui nous paraissent bien réels : un bureau, un lit qui devient un mur, protection contre la charge des rhinocéros. Un mouchoir rouge? C’est un petit chat écrasé! Et puis ce pliage de papier d’où naît un rhinocéros. Les temps de pause pour exécuter le pliage permettent de ménager des silences, de créer des attentes et installent une sorte de suspense dans le récit.
En résumé, un bon spectacle très intéressant qui entraîne une réflexion sur notre propre société.

Compagnie Caravane
Un jour, dans la ville, apparaît un rhinocéros. Peu à peu, on comprend que ce sont les hommes eux-mêmes qui se transforment...
Interprète(s) : Stéphane Daurat
Metteuse en scène : Catherine Hauseux
Créateur lumière et vidéo : Jean-Luc Chanonat
Régisseuse : Aurore Beck

dimanche 31 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Le Bal d'Irène Némirovsky à La Luna






L’évocation de l’adolescence, et le flot incessant de sentiments troubles qu’elle engendre, est magistralement dépeinte dans la nouvelle d’Irène Némirovsky « Le Bal ».
Le personnage d’Antoinette incarne avec justesse ce rituel de passage, entre tristesse, rêve, enthousiasme, violence et rébellion. La mère, arriviste et pernicieuse, refuse impitoyablement de voir grandir sa fille tandis que le père, récemment enrichi, entend faire son entrée dans le monde, quitte à en payer le prix par d’incroyables et acrobatiques compromissions. 

Irène Némirovsky, née le 24 février 1903 à Kiev, morte le 17 août 1942 à Auschwitz, est une romancière russe d'origine ukrainienne et de langue française. Elle a obtenu le prix Renaudot à titre posthume en 2004 pour Suite française.

 Dans Le Bal,  monsieur et madame Kampf sont des nouveaux riches et veulent briller en société en étalant leur fortune. Ils n’ont pourtant pas l’usage du monde mais pensent que l’étalage de leur richesse suppléera à leur manque d’éducation. C’est pourquoi ils donnent un grand bal et lancent deux cents invitations. Leur fille, Antoinette, qui a quatorze ans, n’a qu’aversion pour sa mère, sotte, mesquine et dure. Cette dernière n’a jamais un geste d’affection pour elle, la gronde, l’humilie en public et, en fait, ne pense qu’à elle-même et à sa position sociale. Et lorsque la jeune fille apprend qu’il lui est interdit de paraître au bal, elle décide de se venger. Sa vengeance sera à la hauteur de son mépris pour ses parents et donne lieu à une tragi-comédie mémorable.
 L’adaptation de la nouvelle de Irène Nemirovsky est très fidèle et habile puisque les thèmes principaux sont mis en relief tout en respectant le point de vue de la jeune fille, celui d’une adolescente révoltée, exaltée et rêveuse, manquant encore de maturité mais assez lucide pour porter un regard féroce sur ses parents! La scène se passe dans un appartement luxueux qui donne lieu à des changements de décor ingénieux, d’une pièce à l’autre, exécutés si rapidement et d’une manière si bien réglée par des domestiques stylés que l’on dirait un ballet.
La mise en scène de Virginie Lemoine et de Marie Chevalot met l’accent sur la satire de la bourgeoisie fortunée, son manque de morale puisqu’elle est prête à admettre chez elle des individus peu recommandables pourvu qu’ils soient riches et /ou titrés. Elle souligne aussi, par l’excellent jeu des comédiens, les petitesses, l’étroitesse d’esprit, la médiocrité et le ridicule de ces parvenus. Mais la professeur de musique, représentante d’une classe  sociale plus modeste, n’est pas en reste de méchanceté et de jalousie mesquine, les domestiques paraissant finalement les plus sympathiques. Traitée comme une comédie, avec des comédiens qui accentuent la charge, cette vision acerbe de la société fait beaucoup rire. Un très bon spectacle.

Marilu Production / 
Coproduction : Les sirènes en pantoufle
Interprète(s) : Lucie Barret, Brigitte Faure, Serge Noël, Françoise Miquelis, Michel Tavernier, Esteban Challis
 Adaptatrice : Virginie Lemoine
 Mise en scène : Virginie Lemoine, Marie Chevalot
 Décors : Grégoire Lemoine
 Costumes : Christine Chauvey
 Musique : Jean-Samuel Racine
 Lumières : Roberto Catenacci
 SNES : MARILU Production
 Succès : Festival d'Avignon 2014

PS : Le Bal sera à Paris au début de l'année 2017.


samedi 30 juillet 2016

Festival Off d'Avignon 2016 Théâtre italien : Prêt-à-partir de Fabio Marra et Fabio Gorgolini et Ensemble de Fabio Marra



Prêt-à-partir

« Prêt-à-partir » est une histoire rocambolesque où l'ironie se mêle au drame, le passé au présent, la fantaisie à la réalité. Le voyage vers la Cour d’une troupe de théâtre proche de la faillite est interrompu par un accident. On assiste alors aux répétitions du spectacle qui décidera du sort de la compagnie. Un roi obèse traversera une série d’aventures et de métamorphoses pour conquérir ce que le pouvoir seul ne peut pas lui donner. Les répétitions terminées, nos quatre comédiens vont-ils être prêts à partir ?

J’ai trouvé la mise en scène et la scénographie de Prêt-à-partir, pièce de théâtre de Fabio Marra et Fabio Gorgolini, inventives et réussies. Une roulotte comme celle de la troupe de Molière immobilisée à la suite d’une roue cassée va servir de décor à la répétition de la pièce, devenant tour à tour, le palais du roi, la chambre de la reine, la prison…
Saverio, auteur des pièces et aussi directeur de la troupe,  (amusante allusion à un certain Jean-Baptiste!) trouve son inspiration dans la découverte qu’ils font d’un bébé abandonné dans les bois et que la femme de Saverio accueille avec ravissement. Pendant les répétitions les personnages de la pièce, roi, prince, reine, serviteurs, médecin, cuisinier, prennent vie devant nous. Mais lorsque les comédiens interrompent la répétition pour redevenir eux-mêmes, ils retrouvent leurs soucis d’argent, la nécessité de partir au plus vite pour atteindre la cour du Duc, leur désir de réussite, leur rivalité et leur jalousie professionnelles…
Cette mise en abyme est passionnante parce qu’elle fait et défait les personnages au fur et à mesure qu'ils se construisent devant le spectateur amenant à une réflexion sur le théâtre, ses conventions, sa réalité et la nécessaire distance qu'un comédien doit entretenir par rapport à son personnage. De plus, elle est une source d’amusement constant.
Certains passages sont proches de la farce lors des scènes avec le personnage du roi-obèse et pourtant sa souffrance de se voir rejeté par sa bien-aimée est tragique comme pourrait l'être la lutte des deux princes pour le pouvoir qui se double d’une rivalité amoureuse… mais elles sont désamorcées par le rire. La pièce est servie par de bons comédiens, italiens mais qui jouent en français, au tempérament comique et qui ne se ménagent pas pour nous amuser! Quant au nouveau-né découvert par la troupe je vous laisse découvrir ce qu’il advient de lui !

C’était la dernière représentation de cette pièce en ce samedi 30 juillet 2016, dernier jour du festival OFF pour la grande majorité des spectacles. Mais demain je vais encore en voir deux car certains théâtres ont décidé de poursuivre un jour de plus.

Compagnie Teatro Picaro
Auteur(s) : Fabio Gorgolini / Fabio Marra
    •    Interprète(s) : Ciro Cesarano, Paolo Crocco, Laetitia Poulalion, Fabio Gorgolini
    •    Mise en scène : Fabio Gorgolini
    •    Lumières : Orazio Trotta
    •    Costumes : Virginie Stuki
    •    Décor : Atelier Jipanco
    •    Régie : Cécile Aubert
    •    Chargée de prod. : Sarah Moulin
    •    Communication : Maria Rosaria De Riso
    •    Soutiens : Ville de Bièvres, Ville d'Yzeure, Ville de Montreuil, Ville de Gerzat


Ensemble de Fabio Marra

Croyant au rire comme antidote au drame Fabio Marra écrit une nouvelle création.
L'histoire se déroule autour d’un thème aussi inconnu qu’universel : la normalité. Qu’est-ce qu’être normal ? Sommes–nous prêts à accepter la différence ?
Isabella, interprétée par Catherine Arditi, est une femme déterminée, elle vit avec son fils Michele, un jeune homme simple d’esprit.
Cette relation fusionnelle entre une mère et son fils nous parle d’attachement, de sacrifice, avec un mélange de tendresse et d’ironie.

Dans la pièce Ensemble de Fabio Marra l’amour d’une mère pour son fils - qu’elle refuse de voir comme anormal - est touchant. La comédienne Catherine Arditi transmet avec sensibilité ce sentiment fort, exclusif, ce dévouement de tous les instants pour ne pas dire cette abnégation qui s’appelle amour maternel.
Mais j’ai parfois été dérangée par certains faits qui m'ont paru peu crédibles. Par exemple, l’histoire de la fille qui revient 10 ans après chez sa mère après avoir quitté la maison et être devenu cadre supérieur dans une entreprise. On se demande bien comment elle a pu faire des études aussi poussées en s’éloignant de sa famille si jeune. Etait-il nécessaire aussi pour expliquer le dévouement de la mère et surtout convaincre la jeune femme d’aimer son frère de faire de celui-ci le sauveur de la famille ? Ce sont des détails ? Peut-être ? Mais qui m’ont empêchée d’adhérer complètement à l'histoire car il s'agit d'un théâtre réaliste. Le milieu social est modeste, la mère me fait un peu penser à un personnage de Dario Fo et elle peine à arriver à la fin du mois. 
Cependant, il y a de beaux moments d’émotion au cours du spectacle et d’autres d’humour un peu triste. Ensemble reste donc un pièce intéressante qui, de plus, est bien interprétée.

Carrozzone Teatro 
Coproduction : LM Productions
Interprète(s) : Catherine Arditi, Sonia Palau, Floriane Vincent, Fabio Marra
  Metteur en scène : Fabio Marra
  Lumières : Cécile Aubert
  Régie plateau : Camille Fleurance
  Billetterie : Leslie Likion, Romane Hoquet-Trentinella
  Diffusion : Fiona Tschirhart
    

        Fabio Marra 

 Il débute au Théâtre Historique Bellini de Naples. Il s’intéresse vite à l’écriture et il écrit et met en scène plusieurs pièces courtes qui sont représentées dans différents théâtres de la ville. En 2005, il quitte son pays natal et s’installe à Paris où il poursuit sa formation à l’Ecole Internationale Jacques Lecoq. Parallèlement il travaille auprès des dramaturges espagnols Jordi Galceran et José Sanchis Sinisterra.
Son parcours s’amorce au sein de Carrozzone Teatro qu’il fonde en 2006 et  qui produit les textes dont il est l’auteur, metteur en scène et comédien. Dans son écriture l’ironie vient souvent s’infiltrer dans les moments tragiques. (wikipedia)

vendredi 29 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : L'homme qui rit de Victor Hugo à Présence Pasteur




Au 17ème siècle, par une nuit d’hiver, le misanthrope Ursus recueille dans sa roulotte deux enfants abandonnés au froid et à la faim : une petite fille aux yeux gelés, et un garçon au visage horriblement défiguré par des trafiquants d’enfants : Gwynplaine. Il devient bientôt L'Homme qui rit, vedette incontestée des foires de la vieille Angleterre… jusqu’au jour où la Chambre des Lords le réclame !

C’est une véritable gageure que d’adapter le roman-fleuve de Victor Hugo :  L’homme qui rit. Il faut évidemment tailler dans le vif quitte à laisser de côté bien des aspects de cette oeuvre! Et comme il s’agit de de mon roman-culte Voir Ici parmi tous les autres de Hugo, j’étais un peu dubitative. Mais j’avais envie de découvrir comment l’on pouvait représenter un tel monument au théâtre! 

La comédienne, Christine Guênon, est seule en scène et elle est convaincante. Conteuse, elle évoque les Comprachicos et leurs atroces commerces d’enfants, leur départ en mer hâtif pour échapper à la justice. Une silhouette mince, pantalon et tee-shirt, une coupe à la garçonne, asexuée, elle est le frêle Gwinplaine abandonné sur la plage, errant dans l’immensité neigeuse. Et nous voyons par ses yeux les rencontres du jeune garçon avec le pendu, avec la femme morte et le bébé aux yeux gelés puis avec Ursus. C’est avec son incarnation d’Ursus, que Christine Guênon est la plus étonnante! J’ai même cru voir un Jean Gabin bougon dans un de ces rôles de râleur pas trop méchant! Elle devient Ursus, ce misanthrope, philosophe bourru à la voix rude et gouailleuse mais au coeur d’or qui accueille les proscrits en leur donnant la nourriture dont il se prive.
J’ai regretté que l’histoire d’amour entre Gwinplaine et Déa soit sacrifiée et de même le personnage de la jeune aveugle qui n’existe pas. Malgré tout j’ai aimé tout ce qui concerne cette partie du roman. Peu ou pas de décor, un banc pour la roulotte d’Ursus, une table avec un miroir où Gwinplaine devenu histrion se grime et dans lequel on voit le visage de la comédienne se transformer devant nous. Les lumières jouent sur le clair-obscur comme dans le roman et permet à l’imagination de se déployer.
Par contre j’ai trouvé trop rapide l’ascension sociale de Gwinplaine devenu lord et plutôt expédiée l’exposition de ses idées même si une part de son discours est conservé. Cette partie du roman porte toutes les idées politiques et sociales de Hugo contre la féodalité, contre l’immense puissance de l’aristocratie anglaise et toute sa compassion pour le peuple opprimé. Il est donc dommage que ce soit si rapidement traité. De plus la comédienne m’a paru alors moins à l’aise et un peu éteinte par rapport à ce qui précède. Elle ne rend pas la puissance, la générosité et le souffle révolutionnaire de Gwinplaine-Hugo ni la grandeur et la beauté épique du style de Victor Hugo! C’est un peu comme si en adaptant le texte on s’était désintéressé de cet aspect de l’oeuvre.
Mais bon, je sais bien qu’en une heure l’on ne pouvait rendre compte de tout et qu’il fallait choisir et, malgré ces regrets, j’ai bien aimé le spectacle dans l'ensemble et la comédienne qui le défendait.


 Compagnie Chaos Vaincu
 Interprète(s) : Christine Guênon
 Régisseur : Patrick Marchand

Et pour le plaisir ....

Je suis celui qui vient des profondeurs, Milords, vous êtes les grands et les riches. C'est périlleux. Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l'aurore. L'aube ne peut être vaincue. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel? Le soleil, c'est le droit. Vous, vous êtes le privilège. Ayez peur. Le vrai maître de la maison va frapper à la porte.

Sais-tu qu'il y a un duc en Ecosse qui galope trente lieux sans sortir de chez lui? Sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenus? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille sterlings de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
- Oui, murmura Gwynplaine pensif, c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches.




mercredi 27 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Ca n’arrive pas qu’aux autres de Benoit Moret / Nicolas Martinez au théâtre Les Béliers



Tout est allé très vite. C’était un Mardi. Il était 20h. Ils étaient venus visiter cette maison.
Comment l’alchimie entre quatre personnages peut-elle transformer une simple visite immobilière en un véritable cauchemar ?
Revivez, comme si vous y étiez, la version intégrale non censurée de ce fait divers aussi drôle qu’improbable.
Nomination 2016 Molière
Révélation masculine pour Nicolas Martinez
Je suis allée voir Ca n’arrive pas qu’aux autres de Benoit Moret / Nicolas Martinez avec confiance étant donné toutes les bonnes critiques qui saluaient ce spectacle. Et effectivement la pièce commence bien avec un début surprenant, inattendu, qui provoque le rire.
Un couple de Parisiens un peu coincé vient visiter une maison en vente dans le Calvados. Ils sont reçus par les propriétaires qui vont, tout en dévoilant leurs secrets les plus intimes et leurs propres problèmes, s’immiscer dans leur vie, en révéler les failles et mettre à jour tous les non-dits des visiteurs.
Le couple qui reçoit est d’ailleurs assez inquiétant. La femme ne paraît pas tout à fait normale, le mari est en proie à un véritable délire paranoïaque et la violence paraît toujours prête à éclater. Le comique pourrait se doubler, aussi, d’un thriller. En effet, la TV annonce qu’un massacre a été perpétré dans un pavillon voisin.
Le thème est intéressant et fonctionne bien pendant un certain temps, d’autant plus que les personnages mis face à face sont d’un niveau social et d'une éducation différents! D'où un comique de contraste! Cette confrontation entre le prolétaire et le bourgeois BCBG pourrait aboutir, d’ailleurs, à une réflexion approfondie sur notre société. Malheureusement, il n’en est rien! A partir d’un certain moment, la pièce m’a paru déraper vers un comique lourd qui tourne à la farce « gore ». Les personnages deviennent caricaturaux. Quant à la piste du thriller, elle est assez vite désamorcée par la nouvelle de l’arrestation du coupable. C'est dommage! Donc, au final, j’ai été assez déçue!

Ki M'aime Me Suive

Coréalisation : Théâtre des Béliers
Interprète(s) : Ariane Boumendil, Pascale Oudot, Nicolas Martinez, Benoit Moret
Collaboration artistique : Benjamin Gauthier
Scénographie : Virginie Destiné
Chorégraphie : Karine Orts-Briançon
Costumes : Bénédicte Defitte
Lumières : Jean-Luc Chanonat
Ambiances sonores : Pierre-Antoine Durand

Festival Off d'Avignon 2016 : Le Cid de Corneille au théâtre Actuel





Après Cyrano de Bergerac, Jean-Philippe Daguerre et la troupe du Grenier de Babouchka nous offrent ici une version fougueuse du Cid et renouent avec tous les ingrédients qui ont fait leurs succès précédents: musique sur scène (violon, guitare, cajon...), combats d'épée et costumes flamboyants!

Le Cid interprété par la compagnie Le grenier de la Babouchka (j’aime ce nom!) est un beau moment de partage pour les grands-parents, parents et enfants! Il y avait, en effet, tous les âges dans la salle, venus assister à cette représentation d’un classique que les plus âgés connaissent par coeur pour l’avoir appris sur les bancs de l’école. Les plus jeunes, eux, manifestement, le découvraient avec beaucoup de plaisir. Et puis, c’est tellement rare de nos jours, avec les restrictions économiques qui taillent des coupes sombres dans le budget de la culture, d’avoir une troupe entière dans un spectacle du Off. Mais venons en .. à la pièce!

Et à la mise en scène de Jean-Philippe Daguerre! Celui-ci a pris le parti de pratiquer le mélange des genres et de faire du Cid une tragi-comédie. Cela peut choquer les puristes car le XVII siècle prône la séparation et la hiérarchisation des genres donc la supériorité de la tragédie sur la comédie. Mais depuis, Victor Hugo et le drame romantique sont passés par là et le théâtre élisabéthain avec Shakespeare nous a permis de nous y habituer. D’autre part, Corneille est aussi un auteur de comédies et rien de plus tragique, parfois, que le comique de Molière!
Don Fernand, roi de Castille, devient donc un personnage comique peut-être un peu forcé, me direz-vous, mais son personnage ainsi conçu est une charge contre le pouvoir absolu que Corneille n’aurait pu, bien évidemment, se permettre. Les autres personnages secondaires assez effacés jusqu’alors dans les représentations classiques que j’ai pu voir prennent de l’ampleur. Ainsi, Elvire, la suivante de Chimène devient une soubrette à la Molière, provoquant le rire avec son bon sens absolu lorsqu’elle admoneste sa maîtresse.
Dans cette mise en scène, Chimène et Rodrigue sont de très jeunes gens amoureux, fougueux, sincères, un peu ridicules parfois dans leurs effusions et leurs contradictions mais la charge reste légère et si l’on rit, c’est avec eux et non contre eux. Du coup, ils sont des personnages sympathiques et proches de spectateurs, débarrassés de la grandeur liée à la tragédie. Bien sûr, tout n’est pas parfait. On aimerait parfois plus d’intériorisation et de subtilités, moins de fougue donc, dans certains passages comme dans les stances de Rodrigue où l’on ne sent pas assez les doutes du jeune homme, ses atermoiements, son désespoir dans ce combat entre l’amour et l’honneur. Là, j’aurais eu envie de plus d’émotion! Mais les personnages restent touchants et émouvants et il en est de même pour l’infante. J’ai beaucoup aimé aussi l’affrontement entre Don Diègue et Don Gomès dont les interprètes sont excellents.
Si vous ajoutez à cela des combats à l’épée très bien réglés, de la musique sur scène (guitare, violon), de beaux costumes, vous comprendrez que ce spectacle est vraiment complet et réussi.


Compagnie Grenier de la Babouchka 
Le Cid Corneille
Interprète(s) : A. Bonstein, S. Dauch, M. Gilbert, J. Dionnet, K. Isker, M. Jeunesse, D. Lafaye, A. Matias, C. Matzneff, C. Mie, T. Pinson, S. Raynaud, Y. Roux, P. Ruzicka, E. Rouland, M. Thanaël
Metteur en scène : J-Ph Daguerre
Maître d'armes : C. Mie
Compositeur : P. Ruzicka
Costumière : V. Houdinière

mardi 26 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : De quoi parlez-vous ? de Jean Tardieu au théâtre Essaïon



Après son succès  en 2014 et 2015 à Avignon puis à Paris au théâtre Le Lucernaire, la Cie C'est-pas-du-jeu présente à nouveau
"De quoi parlez-vous ?" :

5 pièces courtes comiques de Jean Tardieu.
5 pièces drôles, absurdes, surprenantes ou terrifiantes, alliant toujours dérision et poésie.
5 pièces et un même personnage principal, le langage.


Si vous aimez Jean Tardieu,  n’hésitez pas à aller voir en ces derniers jours du festival d’Avignon De quoi parlez-vous? par la Compagnie C'est pas du jeu au Théâtre EssaÏon. 
Le spectacle est composé de cinq pièces courtes qui prennent le langage comme thème central, quitte à jouer avec les mots, à les tordre, à les mettre en rivalité, tout en s'interrogeant sur leur sens. N'oublions pas que Jean Tardieu est proche d’Oulipo. Quant à son théâtre de l’absurde, on peut dire qu'il est réjouissant, ainsi la scène du juge est désopilante!

La mise en scène de Sophie Accard, entre cirque et magie, est pleine de facéties et nous entraîne tambour battant dans une réflexion savoureuse sur le langage :  que ce soit comme dans la première pièce lorsque les personnages poursuivent un dialogue sans jamais achever leur phrase; ou comme dans la dernière quand les mots sont remplacés par d’autres et que nous continuons pourtant à comprendre ce qui se passe devant nous. Belle interrogation sur la fonction des mots menée par des comédiens burlesques et inspirés, au rythme d’une musique enlevée et dans des décors aux couleurs vives. L’humour de Jean Tardieu est au rendez-vous! Et j’admire les trésors d’imagination de la mise en scène qui ne laisse place à aucun temps mort. Oui, je me suis bien amusée!

 Compagnie C'est pas du jeu
Interprète(s) : Sophie Accard, Cécile Lamy, Tchavdar Pentchev, Léonard Prain
    •    Metteur en scène : Sophie Accard
    •    Musiques : Vincent Accard
    •    Lumières : Simon Cornevin
    •    Costumes : Atossa

Festival OFF d'Avignon : Les règles du savoir vivre de Jean-Luc Lagarce au théâtre du roi René, Le cancre de Pennac au théâtre Essaïon, The great desaster de Patrick Kermann au théâtre des Barriques

Les règles du savoir vivre dans la société moderne

Les règles du savoir vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce

Petite leçon de civilité savoureuse, intelligente et décalée à destination des mortels.
Il y a des pilules qui ne passent qu'avec leur dose de miel : trois déesses loufoques revisitent le désuet manuel de savoir-vivre de la Baronne Staffe. Entre pédagogie véhémente et chansons décalées, des joies de la naissance aux formalités des obsèques, ces Parques vous entraînent dans un monde fait de protocoles aussi précis qu'absurdes !

Les Règles du Savoir-Vivre dans la Société Moderne de Jean-Luc Lagarce bénéficie d’une mise en scène impeccable, bien réglée, rigoureuse et d’une belle scénographie au niveau des lumières qui jouent sur le clair-obscur, des costumes et des tentures en blanc et noir qui y répondent. Les interprètes Bénédicte Allard, Pauline Phélix, Morgane Touzalin sont très précises et exécutent un exercice de style réussi. On comprend que le spectacle ait pu obtenir le coup du coeur du Off en 2014. Ces règles du savoir-vivre sont assez désuètes et décalées par rapport à notre société et peuvent provoquer le rire. Mais pour ma part, j’ai trouvé l’intérêt de la pièce limité parce que trop passéiste. Difficile d’en voir l’intérêt maintenant.. Cependant rien à reprocher à cette compagnie!

Le Cancre d'après Daniel Pennac


Dans la vie, tout le monde peut et a le droit de s’en sortir. De l’écolier à l’écrivain, les chagrins passent sur les rires, les rires sur les chagrins...   Et oui, Daniel Pennac a été un cancre, c'est du moins ce qu'il nous dit, de là à devenir professeur, il n'y a qu'un pas?

Le Cancre adapté de Chagrin d'école et Comme un roman  de Daniel Pennac, mis en scène et interprété par Bernard Crombey.
J’aime beaucoup Pennac mais je n’ai pas trop apprécié le choix des textes surtout la deuxième partie quand le cancre devient professeur. Quelque moments d’humour, cependant mais le rythme est lent. Le comédien Bernard Crombey est bon mais un peu monocorde. Dans l’ensemble le spectacle, sans être mauvais, manque de punch, d'invention.

The great desaster de Patrick Kermann

 

Un seul en scène caustique et poétique qui revisite le mythe du Titanic.
Travailleur clandestin sur le Titanic, Giovanni Pastore n’a pas été compté parmi les victimes du naufrage. Embauché au noir comme plongeur, il ne figure ni sur la liste des passagers ni sur la liste de l’équipage. Il n’existe pas. Ni mort ni vivant, condamné à raconter toujours la même histoire, il lave depuis un siècle, chaque jour et dans l’indifférence de tous, les 3177 petites cuillères du prestigieux restaurant de la ville flottante. Une écriture désespérée empreinte d’un humour décapant.

La pièce The great desaster de Patrick Kermann était venue l'année dernière à Avignon dans une mise en scène de Anne-Laure Liegeois avec comme interprète Olivier Dutilloy, spectacle que m'avait chaudement recommandé Eimelle. La pièce est à nouveau au festival cette année dans une autre mise en scène de Anne Mazarguil et avec Nicolas Leroy. Le sujet est intéressant mais pour moi l'alchimie n'a pas eu lieu. Trop d'objets, d'accessoires qui ne sont pas indispensables. Des longueurs entre les changements de scène. Il est vrai que nous avons vu la pièce le premier jour et elle a pu se rôder après. Mais je n'ai pas éprouvé d'émotion.

vendredi 22 juillet 2016

Festival In d'Avignon 2016 : Le radeau de la méduse, pièce de Georg Kaiser mise en scène par Thomas Jolly

Le radeau de la méduse : Géricault
Je n’ai pas aimé Le radeau de la méduse, pièce de Georg Kaiser, auteur allemand de l’entre deux-guerres, aussi célèbre en son temps nous dit-on que Bertold Brecht et qui fut, lui aussi, poursuivi par les nazis. La pièce est mise en scène par Thomas Jolly avec les étudiants en dernière année de l’école supérieure d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg.

Je découvre l’auteur et, je le dis d’emblée, la pièce ainsi que la mise en scène m’ont paru lourdes et sans nuances. Oui, je le sais, toute la presse encense et la pièce et Thomas Jolly, "la jeune star" pour reprendre les mots d'un journaliste de la scène française ! Et pourtant je n'ai pas été convaincue !

Le texte, d’abord  :
 Kaiser cherche à montrer comment un groupe d’enfants survivants d’un naufrage, perdus sur l’océan dans une barque qui dérive, pratique la solidarité puis glisse dans la barbarie en écoutant les sirènes de la peur, de la superstition et de la haine au nom d’une religion. Ici le christianisme et la peur d’être treize à table, allusion bien sûr à la Cène et à Judas. Il s’agit d’une dénonciation de toutes les idéologies qui conduisent à l’inhumanité, y compris celle du nazisme car la pièce a été écrite en 1942. Mais on peut y voir aussi notre monde en proie au fanatisme religieux .
Le sujet est beau. J’ai d’abord pensé au roman de William Golding, Sa majesté des mouches, mais le roman a le mérite de faire vivre devant nous de vrais enfants et d’être juste au niveau de l’analyse psychologique, de montrer une évolution dans la perte progressive de la civilisation et le retour à la primitivité. Alors que dans la pièce l’on ne peut croire un seul instant à ces personnages qui ne sont pas réellement des enfants et à ce langage qui ne peut être celui d’êtres aussi jeunes! De plus aucune évolution ne permet de comprendre comment la petite fille, Anna, qui partage son lait avec tous, au début, peut tenir ensuite des discours incitant au meurtre. Et j’ai eu beau me dire qu’il s’agit plutôt d’une fable et non d’un récit réaliste, je n’ai pu entrer un seul instant dans cette pièce avec ces discours répétitifs et peu naturels sur les treize à table, chiffre qui porte malheur. C’est pesant, vite insupportable! Ce langage de pseudo prédicateur religieux est tellement peu crédible dans la bouche d’une fillette supposée avoir douze ans! Si les comédiens interprètent des enfants qui jouent aux adultes, ils ne sont ni enfants, ni adultes et les personnages finissent par ne pas exister. Et que dire de ce mariage pour rire, mièvre et tellement factice avec en prime les chants religieux?

La mise en scène ensuite :
La pièce est découpée en sept journées, durée de l’odyssée des enfants. A la fin de chaque journée, le rideau se ferme et s’ouvre - encore un procédé répétitif- sur un tableau en référence à l’oeuvre picturale de Géricault. Les comédiens, eux-mêmes, sont des personnages du tableau et jouent d’une manière grandiloquente, les bras levés, tenant la pose, comme des images de proue. La recherche est esthétique, certes, mais tout est figé et contribue peu à nous faire entrer dans l’histoire, à la rendre vivante. Ce découpage de la pièce, ce manque de naturel du langage et du geste empêchent d’adhérer au récit, d’éprouver des émotions. Or malgré la beauté de la scénographie, avec la barque perdue dans le brouillard, les jeux de lumière en contre-jour, le groupe baignant dans la semi-obscurité, je n’ai pu apprécier ce texte et cette mise en scène qui sonnent faux.

mercredi 20 juillet 2016

Festival IN d'Avignon 2016 : Angelica Liddel : Qué Haré yo con esta espada? Que ferai-je moi de cette épée?

Angelica Liddel photo de Christophe Raynaud Delage voir Ici

J’avais déjà vu une pièce de Angelica Liddel qui m’avait bouleversée tant la souffrance de cette femme, le dégoût de son éducation, la haine de sa mère, la sexualité et l’amour vécus comme un traumatisme, le rejet de la société qu’elle vomit, étaient forts et résonnaient vers le ciel avignonnais en de longs cris de désespoir. Voir ici

Mais pour ce spectacle, Qué Haré yo con esta espada? Que ferai-je moi de cette épée?, je l’avoue, je n’ai pu rester jusqu’au bout, j’ai abandonné à la fin de la première partie qui montre l’acte de cannibalisme perpétré par le japonais Issei Sagawa sur une étudiante suédoise. Angelica Liddel s’empare de ce fait divers et le transpose sur scène. Après avoir souhaité pour donner un sens à sa vie que l’on viole son corps après sa mort, elle s’offre aux spectateurs, sexe ouvert, sur une table de dissection, offrant son cadavre au violeur. Quant à l’acte de cannibalisme, il est représenté par des comédiens et un danseur japonais qui est le meurtrier et plusieurs jeunes comédiennes aux longs cheveux clairs représentant la victime. Elles se dénudent et vont entrer en transe, agitées de spasmes violents qui les projettent contre terre, le corps contorsionné, comme mutilé. C’est la beauté sacrifiée, un tableau de de Jérome Bosch qui s’anime devant nous, l’Enfer, avec ses êtres grotesques, ses tortures et ses souffrances, tandis que les filles se dévorent les pieds ou, moment culminant de la scène, se flagellent le sexe et le dos avec les tentacules de poulpes, masses sanguinolentes qu’elles déchiquettent avec leurs dents. Elles finissent ensuite amoncelées les unes sur les autres, en un tas répugnant au milieu des cadavres de poulpes tandis qu’une voix explique quel est le goût de chaque organe féminin.

La deuxième partie devait évoquer l’attentat du 13 Novembre; alors là, j’ai eu peur, je suis partie… lâchement!

Je sais bien que le théâtre est pour Angelica Liddel une sorte de catharsis de tous ses (nos?) instincts meurtriers. Je sais qu’il faut  comprendre que « la violence réelle » par l’intermédiaire du théâtre se transforme en « violence mythologique » pour reprendre ses propres termes. Soit! Je sais aussi qu’elle aime la provocation, bousculer la morale et choquer le bourgeois. Mais je ne peux m’empêcher de penser, face à la fascination que ce spectacle exerce sur le spectateur, que Liddel va chercher en nous tout ce qu’il y a de plus malsain et morbide et nous transforme en voyeurs. Une raison pour moi de refuser.

Lire cet article du journal Les trois coups, une très bonne analyse  de la piècepar quelqu'un qui a eu le courage d'aller jusqu'au bout. ICI 

Voir aussi  le début de cet article de Télérama
 
Avec “Que ferais-je, moi, de cette épée ?”, la créatrice espagnole s'enferme dans sa névrose, au point de ne plus rien partager avec le public, si ce n'est le chahut de la destruction.
Mais que raconte donc la très brune et méditerranéenne passionaria et quinquagénaire Angélica Liddell aux huit jeunes filles aux longues et splendides chevelures blondes (pour la plupart) qu’elle fait s’agiter frénétiquement complètement nues sur le plateau juste peint d’étoiles ? Comment justifie-t-elle cette image caricaturale de l’hystérie féminine qu’on croyait disparue depuis les travaux de Charcot ? Comment ose-t-elle encore, elle une femme, une féministe, leur imposer ça ? Sur le côté droit du cloître des Carmes, après sa scène d’introduction, Angélica Liddell se repose en regardant, assise dans un coin, la suite du spectacle. Elle a ôté ses escarpins bleus à hauts talons pour observer les huit jeunes femmes se masturber interminablement chacune avec un poulpe…
Comment l’artiste espagnole née en 1966 en Catalogne explique-t-elle à ses trop belles et juvéniles interprètes pareil désir de massacrer la figure de la femme, de la jeunesse au féminin ? Même les plus misogynes d’entre les machos n’oseraient en afficher un semblable aujourd’hui.

Ouf! cela fait du bien de partager son ressenti avec des critiques "officiels"!

lundi 18 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère au théâtre du Centre



D’autres vies que la mienne  au théâtre du Centre est l’adaptation d’un roman d’Emmanuel Carrère.

L’auteur se met en scène avec sa compagne Hélène et leurs fils lors de vacances au Sri Lanka au moment où le Tsunami de 2004 dévaste la région. Bien vite, ce n’est plus de lui-même que va parler Emmanuel Carrère mais des autres, -d’autres vies que la mienne- en particulier de ce couple avec lequel il s’est lié d’amitié et qui a perdu sa petite fille Juliette emportée par la vague monstrueuse.
La deuxième partie de la pièce parle aussi de la mort d’un être cher, une autre Juliette atteinte d’un cancer, la soeur d’Hélène dont nous apprendrons qu’elle était magistrate et qu’elle a lutté avec un ami, juge comme elle, contre les profits abusifs et les pratiques usurières de certaines compagnies de crédit, Cofinoga et Cofidis.
Je n’ai pas lu le roman mais je suppose qu’il manque parfois à la pièce de théâtre le temps du déroulement, le développement nécessaire pour parler de ces deux vies fauchées, enlevées si brutalement à ceux qui les aiment.  Ainsi, j’ai eu l’impression que le texte était inégal et que, dans la première partie, je n’avais pas le temps d’entrer vraiment dans l’histoire. L’épisode du Tsunami raconte des évènements terribles mais nous n’avons pas le temps de faire connaissance avec l’enfant, ses parents et son grand père. Ils demeurent donc des silhouettes, des inconnus victimes d’une affreuse tragédie mais pas des personnages. La mort de l’autre Juliette m’a beaucoup plus touchée dans ses rapports avec ses enfants, son mari, on prend conscience de sa souffrance, de sa lucidité et aussi de son absolue sincérité, son refus de tricher face à sa mort imminente. Grâce  à l'acteur, David Nathanson, qui fait passer l’émotion nous voyons le personnage et il se met à vivre devant nos yeux. Le comédien est seul sur scène dans une mise en scène que Tatiana Werner a voulu dépouillée. Il conte d’une manière sobre mais avec conviction ces « autres » vies et nous entraîne bien loin des nôtres! Un bon spectacle.

dimanche 17 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Livret de famille de Eric Rouquette au théâtre Essaïon



Décidément le festival d’Avignon est d’une grande qualité cette année tant au niveau des pièces que par le talent des comédiens! C’est le cas pour Livret de famille d’Eric Rouquette, pièce interprétée par Christophe de Mareuil et Guillaume Destrem.

Au milieu de la nuit, Jérôme se rend chez Marc, son frère aîné. Il est sans nouvelles de leur mère depuis plusieurs jours. Si Jérôme est affolé, Marc accueille cette disparition avec indifférence. Les deux frères ne se voyaient plus et leur mère n’est pas étrangère à cet éloignement. Le temps d’une nuit où les secrets se disent, ils vont se retrouver.

Cette rencontre entre deux frères séparés que tout oppose est traitée avec beaucoup de finesse. Eric Rouquette connaît l’âme humaine! Jérome est le préféré de sa mère. En apparence, il a réussi, il est cadre dans une entreprise, a une vie familiale épanouie entre son épouse, Mireille, et ses trois enfants. Marc, est considéré comme le raté de la famille. Il est écrivain mais n’a encore jamais publié ; il est solitaire et il est tellement fauché qu’il ne peut payer le loyer de son appartement miteux.
Mais tout n’est pas aussi simple et la réalité est complexe comme le sont aussi les rapports familiaux entre une mère et ses fils et les liens qui unissent une fratrie. Au cours de cette nuit, entre affrontements et disputes, bagarres et confidences, moments d’émotions, coups de gueule et entente pacifique, les deux frères vident leur sac. Ce qu’il y a à l’intérieur du sac? Des souvenirs d’enfance communs faits de complicité et de fraternité mais aussi des sentiments mêlés, jalousie et admiration, dévouement et rivalité, incompréhension, chacun s’enfermant dans son égoïsme et dans les drames de sa vie. Et puis, dans chacun des deux frères, bien cachée, inavouée, mais éclatant par inadvertance, la part du petit enfant qui existe en chacun de nous et qui réclame l’amour d’une mère, sa compréhension, l'acceptation de ce que l’on est. Et qu’il est difficile de guérir des plaies de l’enfance, notre existence entièrement ne se construit-elle pas avec ou contre nos parents?
Ce beau texte si juste, si vrai, est un moment de bonheur. Le spectateur est suspendu aux lèvres des comédiens qui en rendent les moindres nuances avec humour, émotion et subtilité. Un excellent spectacle !

 La Belle Equipe/ Coproduction Batala
Interprète(s) : Christophe De Mareuil, Guillaume Destrem 
Mise en scène : Eric Rouquette 
Décor : Olivier Hébert 
Lumière : Arnaud Dauga 
Régie générale : Charlotte Dubail 
Création graphique : Marie-Hélène Guérin 
Diffusion : Cathie Simon-Loudette

Festival IN d'Avignon 2016 : Tigern, La Tigresse de Gianina Carbunariu salle Benoît XII


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Gianina Carbunariu, l’auteure de Tigern est roumaine. C’est un fait divers, un tigre échappé d’un zoo dans une petite ville de Roumanie, qui lui a inspiré cette pièce. A travers cet animal en liberté dans la ville, Gianina Carbunariu pose le problème de la peur de l’autre, de la haine de l’étranger dans son pays. Mais ceci est vrai dans toute l’Europe où la montée de l’extrême-droite et le développement des discours populistes attisent les haines raciales. Sofia Jupither qui a assuré la mise en scène est suédoise et elle a reconnu dans la pièce la Suède et les Suédois confrontés à des phénomènes similaires.
«  Le détour par l’animal, explique Sofia Jupither permet de parler des humains. C’est un procédé typique de la fable »
La pièce est conçue comme un documentaire avec un décor neutre, un grand mur contre lequel sont alignées des chaises, une table avec un micro, studio de radio ou de télévision, ou micro-trottoir dans une rue. Les témoins racontent ce qu’ils ont vécu car, après la mort de l’animal, les médias se sont emparés de l’histoire. Ce sont des marginaux comme ce couple de SDF qui exploite la tigresse, des personnes modestes comme ce vieillard solitaire qui lui viendra en aide. Mais il y a aussi ce riche bourgeois qui fait acte de violence envers elle et tant d’autres, du touriste qui la photographie à l’infirmier qui la soigne jusqu’aux animaux du zoo qui lui reprocheront de payer les conséquences de son choix, la liberté.
Sofia Jupither a choisi de faire jouer ses comédiens d’une manière distanciée, sans émotion, et d'utiliser une arme redoutable, l'humour. Car la situation est absurde si l’on imagine tous ces gens parlant à une tigresse mais ce qui est dit est d’une violence extrême si l’on a conscience que les mots s’adressent à un être humain. La pièce explore les réactions de peur face à l’altérité, la haine de l’autre, le mépris du riche envers le pauvre, le rejet, la violence qui va jusqu’à la mise à mort.  Une violence qui culmine sur les cris de ceux qui regrettent jusqu’à la dictature et réclament un nouveau Ceausescu!
Les comédiens sont excellents. J’ai aimé, entre autres, le trio du corbeau, du moineau et du pigeon. Le spectateur rit beaucoup tout en étant pénétré par la signification de la fable! La pièce est un appel à la réflexion, à la compréhension de l’autre. C’est une sonnette d’alarme qui nous dit qu’il ne faut pas céder à la haine sous peine de sombrer dans le chaos.
Olivier Py a voulu que le théâtre soit une arme cette année et il l’est : Les Damnés, Tristesses dont je n’ai pas encore parlé ici et maintenant Tigern sont des questionnements forts sur ce que nous sommes en train de vivre en Europe!