Un dernier billet sur les spectacles du festival d’Avignon que j’ai vus cette année dans le IN car il est temps d’en finir et je pars en vacances en Lozère!
La 70e édition en chiffres :
La 70e édition du Festival IN d'Avignon a réuni 63 spectacles en 289 représentations dans 39 lieux. Sur 126 000 billets proposés à la vente, 120 000 billets ont été délivrés (+ 6,55% par rapport au total de l’édition 2015), soit un taux de fréquentation de 95%.
Les manifestations gratuites ont comptabilisé 47 000 entrées libres.
Fréquentation totale au 23 juillet 2016 :
167 000 entrées
La 70e édition : lucidité et espérance
Ce Festival a incarné particulièrement cette année l’esprit de mobilisation, les spectateurs toujours plus nombreux préférant le partage de l’intelligence au silence de la peur ou à la violence du rejet.
Tristesses/ Anne-Cécile Vandalem auteure et metteuse en scène belge
"En passe de devenir Premier ministre, Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire, retourne sur son île natale, Tristesses, pour enterrer sa mère retrouvée morte dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. Après la faillite des abattoirs de Muspelheim, la candidate retrouve son village, exsangue, et profite de la situation pour jeter les bases d'un projet de propagande. Dans l'ombre, deux adolescentes décident de prendre les armes... Inspirée par la violence de la montée des nationalismes en Europe, la dernière création d'Anne-Cécile Vandalem dissèque avec humour ce qu'elle envisage comme l'une des plus redoutables « armes » de la politique contemporaine : « l'attristement des peuples ». Comment ? En liant de manière inextricable la tristesse à la comédie sociale, la politique à l'enquête de moeurs, l'émotion à sa propre résistance. En imaginant cette fable comme un polar nordique, animiste et surnaturel, la metteuse en scène croise la fiction et la réalité, le théâtre et le cinéma, les vivants et les morts. Un thriller où le passé télescope le présent, où les personnages sont pris dans des postures drôles et cruelles, et où le pouvoir insidieux des médias domine. « Un des états de la tristesse ».
LA DEPÊCHE AVIGNON (AFP) - la dépêche voir ICI
C'est la pièce la plus terrifiante et la plus aboutie à ce stade du festival d'Avignon: "Tristesses", de la Belge Anne-Cécile Vandalem, raconte la prise de pouvoir d'une dirigeante d'extrême droite sur les habitants d'une petite île au Danemark.
Mon avis : Effectivement Tristesses est un beau, triste mais nécessaire spectacle, polar nordique comme le disent les critiques, mais surtout théâtre politique, ancré dans notre temps. Le spectacle montre le triomphe de l’extrême-droite et comment, au nom de cette idéologie pernicieuse, Martha, chef du parti du Réveil populaire et son père, triste individu sans scrupules, n’hésite pas à faire sombrer économiquement les habitants de cette petite île pour récupérer le pouvoir. Rien ne pourrait être plus d'actualité et la mise en scène entre vidéo et théâtre est très réussie.
Les âmes mortes d’après Gogol : Kirill Serebrennikov metteur en scène russe
"Dans la Russie des années 1820, Tchitchikov homme ordinaire mais astucieux, cherche fortune et applique une idée peu commune : acheter à très bas prix les titres de propriété de serfs décédés mais non encore enregistrés comme tels par l'administration, pour les hypothéquer et en retirer bien plus d'argent qu'ils n'en valent en réalité. Au fil des tractations et des transactions de ce personnage, Nikolaï Gogol construit une oeuvre monumentale en forme de galerie de portraits dont la trivialité d'abord drôle devient vite inquiétante. L'écrivain semble nous dire que le pire n'est pas que les âmes vivantes marchandent celles des morts... mais qu'elles se révèlent toutes corrompues par le jeu, l'alcool et la cupidité. S'inspirant de cette oeuvre historique qui attira tant de haine à l'auteur qu'il la renia, le metteur en scène Kirill Serebrennikov fait défiler les habitants de la ville de « N. » dans un décor de contreplaqué qui laisse résonner les travers de l'humanité de toutes les époques, de la Russie à toutes les régions du monde. Castelet pour dix acteurs qui, comme des pantins, endossent les innombrables rôles du roman ou misérable cercueil pour des âmes aux intérêts si morbides qu'elles sont dénuées de vitalité, cette boîte est le théâtre d'un humour grinçant et d'une choralité absurde. Un espace-temps où les relations humaines sont sans perspective sur le moindre changement."
Mon avis : Même avec beaucoup d’idées et une grande inventivité, la mise en scène m’a laissée en dehors. Je ne suis pas arrivée à entrer dans cette pièce. J’ai trouvé que c’était long et surtout répétitif en particulier lors de chaque achat d’âmes mortes. Je n’ai apprécié vraiment que la fin beaucoup plus poétique lorsque les ombres des âmes mortes reviennent sur scène. A noter que le manque de climatisation et la chaleur suffocante de la Fabrica n’ont rien arrangé!
Babel 7.16 – Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphe flamand -marocain et Damien Jalet chorégraphe franco-belge
"Babel 7.16 : réactualisation ou recréation ? Aujourd'hui, pour les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, il ne s'agit plus de voir la pièce dans les mêmes dispositions que celle de 2010 du triptyque composé avec Foi et Myth. L'extension du titre en est l'incarnation : 7.16 fait autant référence aux codes des logiciels qu'aux versets d'un texte sacré, à une date contemporaine qu'au pouvoir d'une numérologie archaïque. La pièce convoque le choc des langues et des corps porteurs de différentes nationalités, la diversité et la difficulté à être dans la coexistence et confronte l'unicité à la communauté. Elle questionne notre rapport au changement où la technologie modifie constamment nos empathies et nos connexions. Babel 7.16, tout comme la pièce originale, met en scène des danseurs qui partagent avec humour leurs héritages immuables mais en métamorphose constante. Danser cette contradiction, c'est comme explorer les mots par le corps, éviter l'écueil de l'indicible grâce au geste et à l'action. Dans le mythe initial, il est dit que Dieu ne voulait pas partager son territoire, les hommes, eux, voulaient se rapprocher de Lui. « Le partage est une décision, une attitude, face aux événements traumatiques notamment. Ces instants où l'extrême solidarité se confrontent à la peur de partager ». En invitant au plateau l'intégralité des danseurs qui ont fait de Babel une référence chorégraphique, les deux chorégraphes issus d'une Belgique flamande et francophone, divisée et unitaire, ont placé la masse, l'histoire et le territoire dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Dans le centre des centres, là où les murs continuent à nous raconter des histoires de prérogatives et d'immuabilité du pouvoir et de la religion mais subliment et accueillent le vivant dans sa complexité."
LA CROIX critique :
"Les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet réactualisent à Avignon, à travers Babel 7.16, l’un de leurs succès, dans un tourbillon de langues, de nationalités et de trouvailles souvent réjouissantes, parfois étourdissantes.
La cour d’honneur du palais des Papes a frémi mercredi soir, quand, alors que l’obscurité achevait d’envelopper ses hauts murs, les danseurs de Babel 7.16 se sont alignés.
Vingt hommes et femmes, qui, les uns après les autres, ont planté leurs poings dans le sol en criant le mot « terre » dans différentes langues, avant de danser aux rythmes d’énormes tambours japonais.
Cette saisissante entrée en matière marque le moment du récit de la tour de Babel où Dieu, punissant les hommes d’avoir voulu élever leur édifice jusqu’aux cieux, confond leur langage afin qu’ils ne s’entendent plus.
La cour d’honneur du palais des Papes a frémi mercredi soir, quand, alors que l’obscurité achevait d’envelopper ses hauts murs, les danseurs de Babel 7.16 se sont alignés.
Vingt hommes et femmes, qui, les uns après les autres, ont planté leurs poings dans le sol en criant le mot « terre » dans différentes langues, avant de danser aux rythmes d’énormes tambours japonais.
Cette saisissante entrée en matière marque le moment du récit de la tour de Babel où Dieu, punissant les hommes d’avoir voulu élever leur édifice jusqu’aux cieux, confond leur langage afin qu’ils ne s’entendent plus.
Si la pièce se trouve réadaptée
six ans plus tard à Avignon, c’est parce que les tensions qu’elle
explore, avec un humour salvateur, agitent plus que jamais notre
actualité. Tous les danseurs ayant donné vie à Babel (words) se
rassemblent pour une version XXL, où voisinent dix-sept langues et vingt
nationalités.
Mon avis : encore un très beau spectacle, une chorégraphie éblouissante dans le cadre magnifique de la cour d'Honneur. Et toujours comme beaucoup de spectacles du In comme du Off, un théâtre engagé dans l'actualité. Décidément le Festival a amené cette année à une réflexion sur toutes les questions que nous nous posons sur notre société.