A la Santé
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
Guillaume qu'est-tu devenu? C'est le cri d'angoisse que jette Guillaume Apollinaire dans A la Santé publié dans Alcools. En prison, il est accusé de complicité dans le vol de La Joconde! Et l'on sait que Picasso sera lui aussi inquiété. Depuis la lecture de ce poème, j'ai toujours eu envie, sans arriver à avoir une vue d'ensemble sur tous ces évènements, de savoir pourquoi notre pauvre poète s'était trouvé pris dans un tel imbroglio! Aussi quand Dialogues croisés a présenté parmi les lectures possibles, l'essai de Jérôme Coignard : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911, je me suis précipitée.
Ma curiosité est donc satisfaite à présent grâce à ce livre très bien documenté. Il procède comme une enquête policière en suivant pas à pas les tribulations de La Joconde depuis son enlèvement au Louvre le 22 août 1911 jusqu'à son retour à Paris le 31 décembre 1913 après avoir été transportée en Italie par le voleur, un ouvrier italien qui travaillait en France.
Le livre nous apprend des fait étonnants sur ce qu'était Le Louvre dans ces années-là. Voler une oeuvre, fut-ce une peinture aussi célèbre que La Joconde, était un jeu d'enfant à cette époque. En effet, les tableaux étaient accrochés à de simples clous, sans dispositif de sécurité, et il était coutume, de plus, de les transporter d'une salle à l'autre pour qu'ils soient photographiés ou copiés sans que personne ne s'inquiète de leur absence! C'est depuis le vol de la Joconde, d'ailleurs, qu'est né l'habitude de laisser un panneau en lieu et place de l'oeuvre annonçant le déplacement du tableau, la raison de son absence, sa destination, et la date de son départ!
Ce à quoi, je ne m'attendais pas en lisant cet essai, c'est à l'aspect franchement comique voire absurde de toute cette affaire! Jérôme Coignard nous offre de véritables moments vaudevillesques qui mettent en scène les ridicules de tous, à toutes les échelles, des gardiens du Louvre au directeur, de la police à ces messieurs du gouvernement. Les écrits des journalistes prêtent à rire aussi avec leur prose ampoulée déplorant le vol du tableau en des termes pompiers. Ridicule aussi toute cette foule qui n'était jamais allée voir Monna Lisa de "son vivant" - si l'on peut dire- et qui vient par milliers admirer les trois clous qui la retenaient. Les cafouillages de la police, les facéties des parisiens qui se livrent à des vols dans les musées et rendent ensuite leur larcin pour mieux prouver l'impéritie des services de sécurité sont autant de petits récits comiques que peut savourer le lecteur. Mais le plus absurde de tous est décidément le voleur, un italien immigré qui avait lu que Napoléon avait volé des oeuvres à l'Italie. D'où sa décision de rendre le tableau de Vinci à son pays tout en touchant un bon pactole! Curieuse alliance de patriotisme et d'intérêt personnel! Or, la Joconde n'a jamais été italienne. C'est une oeuvre que Léonard de Vinci a réalisée en France quand il était l'invité de François 1er et que le roi a acquis pour une coquette somme.
Mais sous l'aspect de comédie se dessine la menace de la guerre toute proche que cette folie liée à La Joconde semble repousser à l'arrière plan et les propos anti-germanistes mais aussi antisémites (on est tout prêt de l'affaire Dreyfus) fleurissent dans les journaux, en particulier dans l'Action française.
Mais sous l'aspect de comédie se dessine la menace de la guerre toute proche que cette folie liée à La Joconde semble repousser à l'arrière plan et les propos anti-germanistes mais aussi antisémites (on est tout prêt de l'affaire Dreyfus) fleurissent dans les journaux, en particulier dans l'Action française.
Un essai que j'ai lu avec plaisir et qui reconstitue toute une époque!
Merci à Dialogues croisées et aux éditions Le Passage