La Bourse, courte nouvelle d’Honoré de Balzac, paraît en 1832 dans les Scènes de la vie privée de La Comédie Humaine.
L’intrigue est mince et conte une histoire d’amour entre un jeune peintre naïf et sensible, Hippolyte Schinner, et une belle jeune fille Adélaïde dont on ignore si elle est aussi pure qu’elle le paraît. Adélaïde et sa mère, la baronne Leseigneur de Rouville, sont dans la gêne depuis la mort du père de la jeune fille. De quoi peuvent-elles bien vivre ? Ces dames reçoivent deux messieurs qui viennent jouer chez elles chaque soir, visites qui troublent le jeune homme. Lorsque sa bourse disparaît dans leur appartement, Hippolyte en vient à les soupçonner. Il est désespéré. Mais je ne vous en dis pas plus !
La Bourse est considérée comme une oeuvre secondaire de La comédie humaine et le récit paraîtrait bien léger si… s’il n’était écrit par Balzac ! Comme d’habitude, il y a, en effet, dans ces quelques pages une densité de thèmes et de descriptions qui leur donnent de l’intérêt et de la force.
Pierre Guérin : La pose de la compagne de Didon est celle d'Adélaïde dans La Bourse |
Le thème de l’art revient souvent dans la comédie humaine à travers de nombreux artistes. Ici, le peintre, Hippolyte dont le talent est reconnu, ses amis le sculpteur François Souchet, Joseph Bridau, prix de Rome, Bixiou, caricaturiste, tous personnages récurrents de l’oeuvre. Le début de la nouvelle se révèle comme une réflexion sur l’illusion dans l’art, vérité ou mensonge, réalité ou apparence ? Je cite ce passage un peu longuement pour le partager avec vous tant il est bien écrit et invite à la réflexion :
Il est pour les âmes faciles à s’épanouir une heure délicieuse qui survient au moment où la nuit n’est pas encore et où le jour n’est plus. La lueur crépusculaire jette alors ses teintes molles ou ses reflets bizarres sur tous les objets, et favorise une rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de l’ombre. Le silence qui règne presque toujours en cet instant le rend plus particulièrement cher aux artistes qui se recueillent, se mettent à quelques pas de leurs œuvres auxquelles ils ne peuvent plus travailler, et ils les jugent en s’enivrant du sujet dont le sens intime éclate alors aux yeux intérieurs du génie. Celui qui n’est pas demeuré pensif près d’un ami, pendant ce moment de songes poétiques, en comprendra difficilement les indicibles bénéfices. À la faveur du clair-obscur, les ruses matérielles employées par l’art pour faire croire à des réalités disparaissent entièrement. S’il s’agit d’un tableau, les personnages qu’il représente semblent et parler et marcher : l’ombre devient ombre, le jour est jour, la chair est vivante, les yeux remuent, le sang coule dans les veines, et les étoffes chatoient. L’imagination aide au naturel de chaque détail et ne voit plus que les beautés de l’œuvre. À cette heure, l’illusion règne despotiquement : peut-être se lève-t-elle avec la nuit ? l’illusion n’est-elle pas pour la pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ?
Un autre thème est celui des femmes pour lesquelles Balzac montrent beaucoup de largesse d’esprit, lui qui est si macho par ailleurs. Ainsi, non seulement il ne considère pas avec mépris Madame Schinner, la mère d’Hippolyte, qui a eu un fils en dehors du mariage mais encore montre-t-il sa désapprobation envers l’homme qui l’a abandonnée. De plus, il la peint comme une femme admirable qui a élevé son fils toute seule, dans la dignité. De même, il peint la situation de la veuve et de sa fille avec beaucoup de compréhension pour leur misère.
Si la baronne n’a eu droit à aucune pension alors que son mari est mort dans une bataille pour sauver son pays, c’est que ce dernier était sous les ordres de Napoléon et n’est donc pas reconnu par la noblesse de La Restauration. Balzac qui a pourtant des idées monarchiques critique ce gouvernement qui laisse dans la misère ceux qui ont combattu pendant qu’ils étaient eux-mêmes en exil .
Et puis autre thème, bien sûr, celui du premier amour qui naît chez un garçon neuf, un éveil des sentiments puissants et dont l’impression ne s’effacera jamais. Balzac peint avec beaucoup de finesse et de justesse (et parfois d’humour) les étapes de ce sentiment qui s’affirme, d’abord inconscient de lui-même et puis qui se construit sur la confiance, dans le partage et l’émerveillement :
« Le coeur a la singulière puissance de donner un prix extraordinaire à des riens. »
Balzac décrit ensuite les ravages que crée la trahison chez un être jeune et sincère..
« Les sentiments ne sont-ils pas la partie la plus brillante de notre vie ? De cette mort partielle viennent, chez certaines organisations délicates ou fortes, les grands ravages produits par les désenchantements, par les espérances et les passions trompées. Il en fut ainsi du jeune peintre. »
Balzac excelle aussi dans les portraits, ceux des visiteurs des deux dames, le comte de Kergarouët et le Chevalier du Halga, par exemple. Vieillards figés à tout jamais dans leurs convictions et leur habillement d’un autre âge, vieux émigrés royalistes, ils sont les fantômes d’un autre temps, incarnation d’un passé révolu, ils refusent d’évoluer. Le portrait tourne vite à la caricature :
« Le personnage qui paraissait être le plus neuf de ces deux débris s’avança galamment vers la baronne de Rouville, lui baisa la main, et s’assit auprès d’elle ».
Mais ce qui me paraît le plus subtil dans La Bourse ce sont les portraits d’Adélaïde et sa mère et la description de leur logement. Nous les découvrons à travers l’oeil exercé d’Hippolyte, qui, en bon peintre, est observateur, a le don de voir le détail, les contrastes, les formes, les couleurs, c’est pourquoi la vision qu’il a de l’appartement est d’une redoutable précision et peint une misère cachée mais flagrante.
« Pour un observateur, il y avait je ne sais quoi de désolant dans le spectacle de cette misère fardée comme une vieille femme qui veut faire mentir son visage. »
Il note cependant de bizarres distorsions entre la pauvreté de l’ensemble et certains objets ou meubles de valeur. Pendant la visite, le ressenti d’Hippolyte plein de compassion et de tact envers ses voisines est sans cesse perturbée par une voix insidieuse, celle du narrateur expérimenté, qui commente. Et comme pour Balzac - c’est une constante de ces romans - l’appartement et la personnalité de son occupant se confondent dans une interférence des deux images, le doute s’installe :
« Il en était du visage de cette vieille dame comme de l’appartement qu’elle habitait : il semblait aussi difficile de savoir si cette misère couvrait des vices ou une haute probité, que de reconnaître si la mère d’Adélaïde était une ancienne coquette habituée à tout peser, à tout calculer, à tout vendre, ou une femme aimante, pleine de noblesse et d’aimables qualités. Mais à l’âge de Schinner, le premier mouvement du coeur est de croire le bien. »
« Est de croire le bien » oui ! mais le poison est ainsi instillé peu à peu et chez le lecteur et dans l’âme du jeune homme.
On le voit cette « petite » nouvelle contient bien des trésors cachés sous une apparence de bleuette. C’est pourquoi je vous invite à aller lire La Bourse !
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