Marcus Malte est en ce moment l'écrivain chéri des blog littéraires et je vois fleurir des billets sur ses livres ( Que ceux, enfin je veux dire, CELLES, qui se reconnaissent, lèvent le doigt!). Donc, j'ai voulu absolument le connaître!
Dès le premier chapitre de son roman Les harmoniques, j'ai été happée par le style de Marcus Malte, la vivacité, le naturel, l'originalité et l'intelligence du dialogue. Il faut dire que la conversation un peu surréaliste entre Mister et son copain Bob lors d'une évasion en taxi pour aller voir la mer est un véritable feu d'artifice. Mister, le noir d'origine malienne est un jeune pianiste. Bob, le blanc, vieux chauffeur de taxi en déroute (je veux dire en train de rendre l'âme.. le taxi pas Bob!) est professeur de philo démissionnaire. Tous deux sont réunis par un même amour du jazz.*
Par la suite, j'ai trouvé que l'action se mettait un peu trop lentement en place. Il faut dire qu'après un début sur les chapeaux de roue, le rythme retombe un peu, le récit piétine. Mais si Marcus Malte a l'art du dialogue, il utilise bien d'autres registres et le lecteur se laisse à nouveau emporter : un style poétique, qui nous retourne, provoque l'émotion comme dans ce passage où il parle des enfants sacrifiés de l'ex-Yougoslavie enfouis dans des caves pour échapper aux bombes, ou celui si beau, si émouvant de la grand mère de Véra ou encore des moments pleins d'humour qui ont un rythme fou, s'emballent, dérapent, comme ce moment absolument délirant où Mister emprunte, pour ligoter son ennemi, des menottes à son copain barman, homosexuel qui croit que Mister lui fait des avances! Je ne vous en dis pas plus, c'est hilarant. Ainsi de l'humour à la tragédie en passant par la poésie, Marcus Malte est à l'aise dans tous les genres. Quant à l'histoire policière, Véra, jeune fille d'origine bosniaque, après avoir subi dans son enfance le siège de Vukovar et les bombardements par les forces serbes a pu émigrer en France à la fin de la guerre. Mister l'a remarquée car chaque soir elle vient l'écouter dans son club et semble fascinée par la musique. Mais elle est assassinée et brûlée vive. La police a arrêté les deux coupables mais Mister est persuadé qu'il ne s'agit que de sous-fifres. Bob et lui vont essayer de remonter à la source, au commanditaire de l'assassinat.
Ce qui m'a particulièrement intéressée dans le récit c'est le contexte
réaliste, historique, social et politique, dans lequel il s'inscrit. La
société française avec ses immigrés, ses sans-papiers, sa violence et sa
misère et aussi ses hommes politiques corrompus qui utilisent leur
fonction pour s'assurer l'impunité est brossée sans complaisance et
l'histoire nous entraîne dans le passé, dans la guerre des Balkans, ses crimes et les responsabilités de ceux qui font passer
leurs intérêts avant tout, au détriment de l'humanité, posant ainsi le
problème de notre indifférence, nous européens face à ses atrocités..
La musique, le jazz, tient une place primordiale, est la source où se baigne ce roman noir, le leit-motiv qui unit les personnages, les ondes de choc qui retentissent sur les personnages longtemps après que les notes se sont tues. D'où le titre. Les Harmoniques ce sont Les notes derrière les notes, dit Mister. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l’infini, ou presque. Comme des ronds dans l’eau. Comme un écho qui ne meurt jamais. La musique, c'est ce qui permet à Véra, enfant bosniaque, prise dans la guerre, de survivre à la violence et la brutalité, à la noirceur des hommes, de se dire qu'il pourrait y avoir une vie après ça. Les harmoniques, ce sont les ondes fantômes de la guerre, les notes d'horreur qui la suivent et qui auront raison d'elle.
*Extrait 1 Premier chapitre discussion autour de Wallflower de Gerry Mulligan
- Mon cher Bob, dans la généalogie d'un nègre il y a toujours quelque part un cueilleur de coton ou un coupeur de cannes. N'oublie jamais ça.
- Ouais… je te rappelle quand même que Gerry Mulligan était blanc. Du moins à ma connaissance.
-Ooh! Je m'étonne qu'un type comme toi se laisse abuser par les apparences (…) Ecoute encore. Ecoute cette plainte déchirante. Serais -tu devenu aussi sourd que tes ancêtres colons?
-Je t'emmerde Mister, mon ami. Et mes ancêtres aussi, depuis la toute première génération. En fin de compte tu es bourré de lieux communs.
- Je ne suis jamais bourré, tu sais bien
-J'eusse aimé ne pas avoir à te rétorquer que mon grand père descendait à la mine dès l'âge de huit ans. A quatre cents mètres sous terre. Et qu'il en ressortait plus noir que toi et tous les sorciers de ton village. Lui, c'est pas le soleil qui lui donnait sa couleur. Tu la vois la différence?
- Et ta mémé, elle s'appelait Gervaise, c'est ça?
- Elle s'appelait Léonie et elle priait Dieu chaque soir pour avoir à donner à bouffer le lendemain aux onze marmots issus de son ventre fécond.
- Ouais… je te rappelle quand même que Gerry Mulligan était blanc. Du moins à ma connaissance.
-Ooh! Je m'étonne qu'un type comme toi se laisse abuser par les apparences (…) Ecoute encore. Ecoute cette plainte déchirante. Serais -tu devenu aussi sourd que tes ancêtres colons?
-Je t'emmerde Mister, mon ami. Et mes ancêtres aussi, depuis la toute première génération. En fin de compte tu es bourré de lieux communs.
- Je ne suis jamais bourré, tu sais bien
-J'eusse aimé ne pas avoir à te rétorquer que mon grand père descendait à la mine dès l'âge de huit ans. A quatre cents mètres sous terre. Et qu'il en ressortait plus noir que toi et tous les sorciers de ton village. Lui, c'est pas le soleil qui lui donnait sa couleur. Tu la vois la différence?
- Et ta mémé, elle s'appelait Gervaise, c'est ça?
- Elle s'appelait Léonie et elle priait Dieu chaque soir pour avoir à donner à bouffer le lendemain aux onze marmots issus de son ventre fécond.
Voir aussi
Kathel :
Asphodèle
Eimelle qui a lu le roman en écoutant la musique indiqué dans le livre.